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12 juin 2019 3 12 /06 /juin /2019 01:33

« J’ai aimé Jean-Marie, j’ai détesté Le Pen. » (Yann Piat).


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Ce fut une véritable tragédie pour une femme de 44 ans et ses enfants (elle est née il y a à peine soixante-dix ans, le 12 juin 1949 à Saigon). En effet, il y a vingt-cinq ans, le 25 février 1994 à Hyères, dans le Var, Yann Piat fut sauvagement assassinée, les poumons transpercés de deux balles, lors du retour de sa permanence d’élue vers son domicile. Ce fut l’un des très rares cas d’assassinat de personnalité politique depuis le début des années 1980 en France (hélas pas le seul, notamment en Nouvelle-Calédonie).

Yann Piat s’appelait à sa naissance Yannick Marie (Piat fut le patronyme de son second mari en 1977) et était orpheline de père (ou plutôt, son père était inconnu). Sa mère était dans l’armée française en Indochine (où la fille est née) puis a milité à l’OAS en Algérie où elle a été incarcérée. Comme sa mère était une amie de Jean-Marie Le Pen, Yann Piat fut sa filleule. Les relations entre les deux n’étaient donc pas seulement politiques, elles étaient presque filiales.

En quelques sortes, le Front national est devenu la seconde famille de Yann Piat. Après avoir été secrétaire fédérale du FN dans les Landes, elle retourna dans le Var où elle avait passé son enfance, et, placée à la tête de la liste du FN dans le Var, elle fut élue députée du Var le 16 mars 1986 à l’âge de 36 ans, grâce au scrutin proportionnel mis en place par François Mitterrand. Elle ne fut pas la seule élue du FN puisque 35 candidats FN furent élus, ce qui leur a permis de créer un groupe politique à l’Assemblée Nationale présidé par Jean-Marie Le Pen (à l’époque, il fallait au moins 30 députés, maintenant, 15 suffisent). Pour l’anecdote, le nom exact des listes FN et du groupe FN était "Front national Rassemblement national".

Le gouvernement de Jacques Chirac (de la première cohabitation) a rétabli le scrutin majoritaire, si bien que la plupart des députés FN sortants furent battus aux élections législatives de juin 1988. La plupart : en fait, aucun …sauf Yann Piat qui fut la seule réélue du FN le 12 juin 1988 avec 53,7% des voix au second tour face à un candidat socialiste. Étant la seule élue du FN, elle n’a pas pu former de groupe politique et s’est assise parmi les non-inscrits dans l’hémicycle.

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Quelques mois plus tard, elle a vivement réagi lorsqu’elle a entendu Jean-Marie Le Pen faire son jeu de mot vaseux sur Michel Durafour alors ministre ("Durafour-crématoire"), prononcé le 2 septembre 1988 au Cap d’Agde, si bien qu’elle et son compagnon, le médecin François Bachelot, ancien député FN de 1986 à 1988 et ancien directeur de campagne de Jean-Marie Le Pen pour l’élection présidentielle de 1988, furent exclus du FN en octobre 1988. François Bachelot, ancien membre du RPR, a rejoint CNI tandis que Yann Piat s’est rapprochée du PR (Parti républicain).

L’une des grandes qualités de Yann Piat, qui lui a sans doute permis d’être réélue, fut sa lutte sans complaisance contre la corruption. Elle fut même surnommée Yann d’Arc pour l’occasion. Elle enquêta au sein d’une commission parlementaire sur la pénétration de la mafia en France et elle a rapidement dénoncé des liens équivoques entre le milieu du grand banditisme et le paysage politique varois.

Il faut rappeler qu’à l’époque, il y avait, pas si loin, la mise en place d’une politique de lutte active contre la corruption en Italie (plus ou moins avec succès, avec l’opération Mains propres mais aussi avec des assassinats de juges dont Falcone). De plus, dans le Var, régnait politiquement un maître incontesté (on l’appelait le "parrain du Var"), Maurice Arreckx (1917-2001), maire de Toulon de mars 1959 à mars 1985, président du conseil général du Var de mars 1985 à mars 1994, député de mars 1978 à septembre 1986 et sénateur de septembre 1986 à septembre 1995.

Maurice Arrekx était le patron de l’UDF du Var, en tant que membre du Parti républicain, parti appartenant à l’UDF et présidé par François Léotard de 1982 à 1990 (secrétaire général puis président) et de 1995 à 1997 (et par Gérard Longuet de 1990 à 1995). François Léotard, député-maire de Fréjus, qui avait une activité politique nationale depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981 (et même une ambition présidentielle), avait renoncé à se mêler des affaires politiques du Var qui étaient laissées à Maurice Arreckx. À l’instar, par exemple, de Philippe Séguin, député-maire RPR d’Épinal, qui était actif au niveau national mais ne s’occupait pas des affaires politiques du département des Vosges (laissées à Christian Poncelet, également RPR, sénateur et président du conseil général des Vosges).

Quand j’écris "affaires", il s’agit bien des affaires politiques et de l’autorité politique, et en principe, en toute légalité. J’écris "en principe" car Maurice Arreckx fut justement par la suite arrêté et emprisonné en août 1994 puis de décembre 1987 à août 1998, condamné pour corruption à quatre ans de prison dont deux avec sursis par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en fin 1997.

Pourquoi Yann Piat s’est-elle rapprochée du PR alors qu’elle dénonçait des liens entre le milieu et la vie politique varoise dirigée par le PR ? Il faut imaginer aussi que les investitures de parti ont un sens (ou avaient un sens) pour les électeurs. Dans le Var, le parti dominant était le PR (entre 1988 et 1997, il y avait, sans compter Yann Piat, 5 députés PR sur les 7 que comptait le Var, le septième député était RPR). L’autre parti plus ou moins important dans le Var, dans l’opposition départementale, était le PS, laminé aux élections législatives de 1988 et de 1993.

En raison des consignes de Jacques Chirac et d’Alain Juppé (président et secrétaire général du RPR), le RPR était beaucoup plus ferme que le PR pour rejeter toute idée d’alliance avec le FN. C’était donc logique que, politiquement, Yann Piat, ex-FN, se tournât vers le PR pour trouver une nouvelle famille politique qui l’accueillerait.

Ce qui était moins logique, c’est qu’elle intégrait, au niveau départemental, une formation qu’elle accusait d’avoir des liens avec le milieu. Était-ce une ambition folle de vouloir assainir politiquement de l’intérieur un parti qu’elle pensait sali ? Ou était-ce simplement une téméraire imprudence ? C’est évidemment facile de se poser ces questions après son assassinat. Pensait-elle que le système varois provenait d’hommes et pas d’un parti ?

En tout cas, si elle voulait suivre une carrière "classique" d’élue, Yann Piat, députée de la 3e circonscription du Var (Hyères, Le Pradet, etc.), devait avoir une implantation locale. Elle a ainsi envisagé une candidature aux élections municipales à Hyères (environ 50 000 habitants) en 1995, et auparavant, elle voulait se présenter aux élections régionales de mars 1992 sur la liste UDF-RPR du Var (l’ensemble des listes de la région PACA était mené par Jean-Claude Gaudin, qui n’était pas encore maire de Marseille, mais président du conseil régional sortant).

Finalement, elle fut écartée de la liste UDF-RPR et elle renonça à monter une liste dissidente en échange de l’investiture de l’UDF et du RPR aux élections législatives de mars 1993. Ce fut ainsi que Yann Piat fut réélue députée du Var le 28 mars 1993, avec 42,4% des voix au second tour dans une triangulaire à laquelle participèrent un candidat divers droite (31,4%) et un candidat investi par le FN (26,2%). Il est à noter que Léopold Ritondale (1921-2008) était le maire PR d’Hyères depuis mars 1983 (mandat gagné face au maire sortant PS qui fut aussi l’opposant du second tour de Yann Piat en 1988) et qu’il a eu 74 ans aux élections municipales de 1995. Yann Piat aurait pu ainsi être sa successeure en le remplacement et mettant à la retraite (finalement, Léopold Ritondale est mort à 86 ans alors qu’il était encore maire, quelques jours avant les élections municipales de mars 2008).

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L’assassinat de Yann Piat a ému toute la classe politique, tant nationale que varoise, car c’est extrêmement rare qu’une personnalité politique soit assassinée (ce qui, d’ailleurs, peut être un des critères d’une démocratie avancée). Deux ans avant son assassinat, Yann Piat avait écrit une lettre où elle aurait mis en cause (sans aucune justification) trois personnalités politiques (Maurice Arreckx, Bernard Tapie et un ancien conseiller général) et deux membres du milieu (dont un "vrai parrain", Jean-Louis Fargette, assassiné en mars 1993 et proche de Maurice Arreckx au point que cela lui aurait coûté une carrière nationale).

Politique ou crapuleux ("ou" inclusif), cet assassinat a montré que Yann Piat gênait par sa présence politique et sa capacité à dénoncer les malversations dans la région de Toulon et d’Hyères. Il a même fait l’objet d’un film réalisé par Antoine de Caunes avec Karin Viard dans le rôle principal, diffusé le 16 avril 2012 sur Canal Plus.

Cet assassinat a fait aussi l’objet d’une enquête visiblement bâclée de deux journalistes qui ont publié en octobre 1997 chez Flammarion le témoignage d’un ancien militaire de la Direction du renseignement militaire qui a accusé presque nommément (avec des informations faciles à les identifier) François Léotard et Jean-Claude Gaudin ("Encornet" et "Trottinette"). Les deux élus nationaux du PR ont gagné leur procès contre les auteurs et l’éditeur pour diffamation et atteinte à leur honneur et ont obtenu le retrait des librairies du livre en question qui n’a pas été redistribué ensuite sans ce passage. Ces journalistes, lourdement condamnés par la justice, auraient été manipulés par ce militaire à la retraite.

Il a fallu attendre plus de vingt ans pour avoir le témoignage public de François Léotard, à l’époque de l’assassinat, Ministre d’État, Ministre de la Défense dans le gouvernement d’Édouard Balladur et l’un des plus fervents balladuriens. Dans l’émission "13h15 le dimanche" diffusé le 18 mars 2018 sur France 2, François Léotard a en effet déclaré que Jacques Chirac (concurrent d’Édouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995 mais qui, bien que vainqueur, avait gardé des rancœurs) l’avait convoqué avec Jean-Claude Gaudin au Fort de Brégançon pour leur dire qu’il n’était pas impliqué dans cette manipulation politique visant à les discréditer.

Totalement blanchi par la justice, François Léotard a affirmé ainsi : « Je pense que le milieu le plus élevé de la République était, à travers le Ministre de l’Intérieur de l’époque, tout à fait informé et peut-être à l’origine de cette démonstration de bêtise. (…) En tout cas, c’est une façon étrange de laisser faire. Étrange… ce qui est malheureusement conforme au personnage. » (entre 1995 et 1997, le Ministre de l’Intérieur était un fidèle chiraquien, Jean-Louis Debré, puis, sous la cohabitation avec Lionel Jospin, ce fut Jean-Pierre Chevènement). Au cours de la réunion au Fort de Brégançon : « C’était à la fois solennel et familier. Chirac nous avait convoqués pour expliquer que ce n’était pas lui. Je n’ai pas ouvert la bouche. C’était un mensonge. ».

Profondément secoué par cette fausse accusation et par un triple pontage coronarien, François Léotard, qui alors était président du PR et président de l’UDF, a définitivement abandonné la vie politique le 26 décembre 2001 après la mort de son frère Philippe Léotard (le 25 août 2001).

Le procès des assassins de Yann Piat a commencé le 4 mai 1998 devant les assises du Var et le verdict très lourd a été prononcé le 16 juin 1998 avec la condamnation des six auteurs et complices, dont le commanditaire (perpétuité, mort en 2010 d’une opération du cœur), le tireur (perpétuité, libéré après seize ans de détention, mort en 2013 d’une méningite foudroyante) et le conducteur de la moto (vingt ans de réclusion, libéré en 2007, mais de nouveau en prison quelques semaines plus tard à cause d’une agression à main armée et séquestration).

Au cours de ce procès, les vrais commanditaires de cet assassinat n’ont jamais été révélés. Le tireur a dit au juge qu’il se serait agi de voyous et d’hommes politiques mais qu’il ne voulait pas les dénoncer car ils étaient encore très puissants. Comme les deux premiers protagonistes de l’assassinat sont morts maintenant, ces noms risquent de ne jamais pouvoir être divulgués un jour. Comme dans l’affaire Robert Boulin


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Yann Piat.
Jean-Marie Le Pen.
Rassemblement national.
François Léotard.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190612-yann-piat.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/06/09/37415315.html


 

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