« La politique, c’est savoir à qui on prend du fric pour le donner à qui. » (Abbé Pierre, 2006).
Cette semaine, c’était la rentrée judiciaire : audition de François Bayrou et Marielle de Sarnez le 11 septembre 2019, mise en examen de Richard Ferrand, Président de l’Assemblée Nationale, le 12 septembre 2019, au point que cette annonce a rendu inaudible le Premier Ministre Édouard Philippe sur la réforme des retraites (discours au CESE le matin, journal de 20 heures sur TF1 le soir), mise en examen de Jean-Marie Le Pen (91 ans)… mais l’information la plus importante reste que Patrick Balkany a dormi à la prison de la Santé cette nuit du 13 au 14 septembre 2019.
En effet, le verdict du premier volet du procès qui s’était ouvert le 13 mai 2019 a été rendu ce vendredi 13 septembre 2019 en début d’après-midi. De quoi confirmer la vieille tradition de malheur associée au vendredi 13 pour les époux Balkany jugés pour fraude fiscale. Patrick Balkany a été condamné à quatre ans de prison ferme avec mandat de dépôt et à dix ans d’inéligibilité, et sa femme Isabelle Balkany à trois ans de prison sans mandat de dépôt et à dix ans d’inéligibilité par le tribunal de Paris. Leurs avocats ont annoncé immédiatement qu’ils feraient appel et ont dénoncé la sévérité du verdict.
Patrick Balkany (71 ans), actuellement maire de Levallois-Perret, et Isabelle Balkany (72 ans dans une semaine), actuellement première adjointe au maire de Levallois-Perret (elle a annoncé dans la soirée qu’elle remplacerait le maire tant qu’il serait indisponible), sont un couple politique très connu des Hauts-de-Seine. Ce ne sont pas des intellos, mais quand Patrick Balkany a fait son service militaire, c’était à l’Élysée, à côté de la boutique de son père, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris, et à l’époque de Georges Pompidou. Il se lia d’amitié avec Michel Jobert et s’engagea à l’UDR puis au RPR. Jacques Chirac l’envoya aux législatives de mars 1978 au casse-pipe contre l’un des ministres giscardiens très en vue, Jean-Pierre Soisson à Auxerre.
Après cet échec, il décida de s’investir à Levallois-Perret, au même titre que d’autres jeunes du RPR s’étaient implantés dans les Hauts-de-Seine : Nicolas Sarkozy à Neuilly-sur-Seine (à l’époque promis à Charles Pasqua), Patrick Devedjian à Antony, etc. Contre toute attente, Patrick Balkany fut élu maire de Levallois-Perret en mars 1983. II fut réélu en mars 1989, battu en juin 1995 par un chiraquien (Olivier de Chazeaux qui s’est fait aussi élire sur sa circonscription en juin 1997), puis inéligible en 1996, puis réélu en mars 2001 (mais invalidé car il était encore inéligible), puis réélu en septembre 2002, mars 2008 et mars 2014. Et inutile de dire que malgré son âge, il avait bien l’intention, avant son procès, d’être candidat à sa réélection en mars 2020. Il faut préciser qu’en 1995, Patrick Balkany avait soutenu la candidature présidentielle du Premier Ministre Édouard Balladur.
Patrick Balkany a été élu député des Hauts-de-Seine à peu près au même moment où il était maire, de juin 1988 à juin 1997, et de juin 2002 à juin 2017. En 2017, le cumul des mandats l’empêcha de rester député mais il était de toute façon sérieusement concurrencé. Ses plus grands rivaux ont toujours été des personnalités proches de son parti. Et en juin 2017, parce que "son" candidat a été largement battu au premier tour, il a soutenu au second tour …la candidate de LREM qui a été élue (contre son rival de LR).
Son épouse Isabelle, elle, a voulu succéder en 2007 à Nicolas Sarkozy à la présidence du conseil général des Hauts-de-Seine, quand ce dernier, un grand ami du couple, a été élu Président de la République. Patrick Devedjian a cependant été élu, et en mars 2011, elle fut même battue sur son propre canton contre l’un de leurs rivaux, Arnaud de Courson.
Leur personnalité clive à l’évidence, ils ont des grands détracteurs et aussi des fidèles. Il faut dire que Patrick Balkany est un homme très convivial, qui a le sens de l’attachement, mais aussi, il peut être très odieux et arrogant. Celui qui aurait rêvé d’un ministère pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy est avant tout le maire de Levallois-Perret, et depuis plus de trente-cinq ans, il sait s’occuper des habitants avec une passion et une sincérité désarmantes.
Il suffit de rappeler le récent grave incendie du marché Barbusse complètement détruit, dans la nuit du 17 au 18 août 2019, où 160 pompiers ont dû intervenir. Par chance, il n’y a eu aucun blessé, mais il a fallu reloger plus d’une centaine d’habitants et le maire s’en est occupé personnellement, allant voir régulièrement les familles, vérifiant que tout allait bien, prenant le temps de rester en contact avec elles. Un responsable attentionné. On ne s’étonnera donc pas qu’il soit tant aimé de la population locale.
Homme d’un grand humour, dont la sonnerie de téléphone mobile est la musique des Tontons flingueurs, Patrick Balkany est pourtant également très détesté par ceux qui voient en lui une concentration de ce qu’ils n’apprécient pas. Une arrogance, renforcée quand l’ami de trente ans fut Président de la République, et aussi, un tempérament de flambeur, un tantinet machiste (il aurait fait partie des siffleurs en apercevant la robe à fleurs de la ministre Cécile Duflot dans l’hémicycle), et pouvant être très désagréable envers ses opposants.
Patrick Balkany n’est pas un intellectuel, c’est plutôt un représentant de commerce, qui ne cesse de vouloir se montrer, au point qu’il a même commencé (quand il était jeune) une carrière d’acteur dans un film retraçant la vie de Raspoutine. Se montrer, se montrer, se montrer. L’humour excuse beaucoup de choses. Encore récemment, puisque, au début de la semaine, il plaisantait sur le fait que peut-être que la justice allait lui offrir des nuits de repos à partir de vendredi.
Pour beaucoup des habitants de Levallois-Perret, l’emprisonnement de leur maire est vécu comme une violence injuste. Injuste car, avec l’appel, il reste encore présumé innocent de la fraude fiscale dont on l’accuse. On n’est considéré coupable que lorsqu’on est condamné définitivement, ce qui a été le cas pour le furtif sous-ministre socialiste Thomas Thévenoud qui a dû quitter le gouvernement neuf jours après sa nomination à cause de son oubli de payer ses impôts (il a été condamné définitivement aussi cette semaine, le 11 septembre 2019).
La mise en examen de Richard Ferrand et la condamnation de Patrick Balkany, ont discrédité, par les faits, les incantations de Jean-Luc Mélenchon (qui a fait sa rentrée politique le 12 septembre 2019 à la Maison de l’Amérique latine) car il accusait la justice d’être politisée (contre lui) : a priori, aucun parti n’a échappé, ne serait-ce que cette semaine, à une décision peu agréable de la justice. Et si la justice avait été téléguidée par l’Élysée, on imagine mal pourquoi l’un des trois plus fidèles soutiens du Président de la République, par ailleurs quatrième personnage de l’État, n’aurait pas été mieux protégé… C’est le problème d’une justice indépendante, son calendrier est défini hors du cadre politique, ce qui a nettement défavorisé, d’ailleurs, la candidature de François Fillon.
Revenons à Patrick Balkany. Fallait-il l’emprisonner ce vendredi 13 septembre 2019 alors qu’il a toujours été présent à chaque convocation de la justice et qu’il n’a jamais été question pour lui de fuir la justice ? Si Isabelle Balkany a échappé à la prison, c’est en raison de sa santé plus fragile, mais elle était condamnée, elle aussi, à plusieurs années de prison ferme. Son avocat a parlé de décision injuste et inutile, soumettant l’idée que le juge se serait "payé" Balkany.
Même son principal accusateur et opposant à Levallois-Perret a considéré que la prison était inutile et n’intéressait pas les habitants, alors que cet opposant considère que le maire aurait abusé de l’argent municipal et qu’il faudrait avant tout qu’il le rembourse. Car Patrick Balkany aurait parfois un peu mélangé les comptes entre personnel et public.
C’est cependant sa gestion municipale qui est mise en cause. Certes, la ville a connu un véritable essor, un développement économique sans égal, accueillant de nombreux sièges de grandes entreprises, des programmes de logements, des équipements pour les enfants, les familles, etc. Mais cela au prix d’un endettement excessif. La commune est endettée au point que cela correspond à une dette de 8 000 euros pour chaque habitant !
Il ne faut jamais se réjouir d’une personne qui va en prison, car cela reste une épreuve, malgré les fautes commises (et il faut évidemment bien différencier les délinquants des criminels). Il est probable d'ailleurs que le séjour en prison, à court terme, ne se prolongerait pas très longtemps puisqu’un procès en appel se profile dans un futur proche. Bien sûr, si un délit est commis, son auteur doit en payer le prix, c'est juste devoir du vivre ensemble. Personne ne remet en cause le principe de la peine.
Les opposants auraient sans doute préféré qu’au lieu de la prison ferme immédiatement appliquée, ce fussent les dix ans d’inéligibilité qui soient immédiatement applicables, ce qui ne sera pas le cas car la mesure sera suspendue avec l’appel. Concrètement, cela signifie que rien ne l’interdira de se représenter aux municipales de 2020 tout en restant en prison. Ce ne sera évidemment pas facile pour faire campagne, mais le sentiment d’injustice et surtout le manque d’équité (par rapport à d’autres justiciables qui ont fait bien pire et ont été bien moins sanctionnés) pourraient au contraire rassembler ses électeurs derrière lui pour le soutenir.
La seule raison de se réjouir de cette semaine très dense en décisions de justice dans des affaires politico-financières, c’est qu’il n’y aura jamais plus impunité dans un monde politique qui était surprotégé il n’y avait encore pas si longtemps, et que la justice est maintenant réellement indépendante et cette semaine l’a prouvée. Cela n’empêche pas que des juges puissent éventuellement être partiaux pour ne pas dire partisans, au même titre qu’il y a de mauvais enseignants, de mauvais médecins, etc., mais l’organisation de la justice est telle que si un juge a trop manqué de discernement, cela se verra en appel voire en cassation. Dans tous les cas, la justice n’est pas arbitraire.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Patrick Balkany.
Bernard Tapie.
Jérôme Cahuzac.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190913-balkany.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/patrick-balkany-en-prison-faut-il-217883
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/09/13/37634039.html
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