« Des bretelles, un gros cigare, des "cons" et des "gueules d’empeigne" lâchés en veux-tu en voilà à la télévision. Et puis, une façon de rester ostensiblement à la porte des églises même lors des enterrements, comme seuls les vrais "bouffeurs de curés" peuvent oser le faire. Et encore, un regard goguenard derrière les lunettes demi-lunes. Voilà ce qui frappait d’abord les esprits, lorsque apparaissait Michel Charasse. (…) Un genre de modèle en voie de disparition. Fort en gueule pour la galerie mais gardien de secrets d’État ou de confidences privées. » (Raphaëlle Bacqué, "Le Monde" le 21 février 2020).
Il était le conseiller de l’ombre de François Mitterrand, parfois appelé le "Pasqua des socialistes". Michel Charasse est mort ce vendredi 21 février 2020 à l’âge de 78 ans (il est né le 8 juillet 1941 à Chamalières). Il faisait partie du cercle très restreint de la Mitterrandie des affaires secrètes.
Socialiste à l’âge de 21 ans, Michel Charasse a vécu l’aventure mitterrandienne de la prise du PS puis de sa victoire à l’un des meilleurs postes d’observation, comme secrétaire général du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale de 1967 (alors FGDS) à 1981 (PS), groupe présidé par Gaston Defferre. Maire de Puy-Guillaume de mars 1977 à février 2010, il fut conseiller général du Châteldon (la ville natale de Pierre Laval) d’octobre 1988 à février 2010 (vice-président du conseil général de mars 1988 à mars 1992 et de mars 1998 à mars 2001) et fut exclu du PS le 28 mai 2008 après avoir soutenu un candidat dissident pour la présidence du conseil général.
La victoire de François Mitterrand l’a hissé au rang national puisque, suppléant de Roger Quilliot, nommé Ministre du Logement, Michel Charasse est ainsi devenu sénateur d’octobre 1981 à juin 1988 (élu en septembre 1983) et réélu en septembre 1992 pour un nouveau mandat jusqu’en février 2010 (réélu aussi en septembre 2001). S’il a quitté le Sénat, c’était parce qu’il fut nommé Ministre du Budget par François Mitterrand, du 26 juin 1988 au 2 octobre 1992 (d’abord comme ministre délégué auprès de Pierre Bérégovoy puis comme ministre à part entière dans le gouvernement Bérégovoy), ministère qu’il a quitté avant l’échec prévisible du PS aux élections législatives de mars 1993 pour retrouver son confortable siège de sénateur.
La nomination de Michel Charasse comme Ministre du Budget fut imposé aux Premiers Ministres Michel Rocard et Édith Cresson et en 1991 et en 1992, son influence politique était tellement importante qu’on évoquait son nom comme possible Premier Ministre…
Mais le poste qui devait susciter le plus de rumeurs et d’incertitudes était celui de conseiller politique à l’Élysée pendant les deux septennats de François Mitterrand, sauf lorsqu’il était ministre. D’ailleurs, le Budget était un poste stratégique de connaissance des dossiers fiscaux (il y a aussi réinstauré l’ISF), à tel point qu’il lui arrivait de menacer un interlocuteur un peu hostile de lui faire un contrôle fiscal : « On lui reproche de pouvoir d’un geste épargner un gros contribuable ou de déclencher contre un autre un contrôle fiscal dévastateur. Il dément mollement, préférant laisser planer ce doute qui renforce son pouvoir. » (Raphaëlle Bacqué, "Le Monde" le 21 février 2020). Il fut chargé notamment par François Mitterrand, sûr de sa fiabilité et de sa discrétion, de détruire à la broyeuse tout document d’archives de l’Élysée qui pourrait gêner la postérité du Président.
Mais l’étrangeté du personnage ne le permettait pas de le classer trop simplement. Copain inconsolable de Coluche, il était un farouche anticlérical au point de ne pas assister dans l’église à l’enterrement de son mentor à Jarnac le 11 janvier 1996. Son exclusion du PS pour des raisons très locales a eu une incidence sur le national puisqu’il a dû trouver un autre groupe que le groupe socialiste au Sénat, et il a choisi le groupe RDSE qui est un groupe de centre gauche (principalement radical) où il y a retrouvé un ancien collègue du gouvernement, Jean-Pierre Chevènement.
Inclassable, Michel Charasse ? Sans doute, car il y avait une évidente complicité lorsque Michel Charasse, sénateur-maire PS, a reçu dans sa ville de Puy-Guillaume le candidat Nicolas Sarkozy. Ce n’était pas seulement une rencontre républicaine, elle avait un sens politique puisque c’était le 27 avril 2007, entre les deux tours de l’élection présidentielle qui opposait le futur Président de la République à la socialiste Ségolène Royal (à l’époque où Michel Charasse était encore au PS). Michel Charasse entretenait des relations privilégiées avec Nicolas Sarkozy depuis 1993 lorsque ce dernier lui avait succédé au Budget, et il était un ami de Brice Hortefeux, un proche auvergnat de Nicolas Sarkozy.
Personne n’a ainsi été surpris lorsque le 24 février 2010, Nicolas Sarkozy l’a nommé membre du Conseil Constitutionnel, mission qu’il a remplie pendant les neuf ans de son mandat, à savoir du 12 mars 2010 au 12 mars 2019 (ce fut Jacques Mézard, ancien président du groupe RDSE au Sénat et ancien ministre qui lui succéda, nommé le 13 février 2019 par le Président Emmanuel Macron).
Cette inclassibilité et son côté "rentre-dedans" lui avaient fait soutenir la réforme des retraites défendue par François Fillon, alors Ministre des Affaires sociales en 2003. Michel Charasse a même confié que Lionel Jospin, candidat favori à l’élection présidentielle de 2002, avait prévu de faire la même réforme des retraites en cas d’élection (notez l’arnaque démocratique qui consiste à préparer une réforme en se gardant bien de le dire avant l’élection, ce qui est le contraire d’Emmanuel Macron à cet égard à propos de l’actuelle réforme des retraites).
Aurait-il soutenu cette nouvelle réforme ? Je ne sais pas. En tout cas, il s’entendait bien avec Emmanuel Macron qui, voyant sa santé décliner, s’est dépêché de lui remettre les insignes d’officier de la Légion d’honneur il y a moins d’un mois, le 27 janvier 2020. Michel Charasse était alors entouré de tous ses amis, y compris Eddy Mitchell…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 février 2020)
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Pour aller plus loin :
Michel Charasse.
Robert Badinter.
Jean-Pierre Chevènement.
Bernard Tapie.
Pierre Bérégovoy.
François Mitterrand.
Pierre Mauroy.
Pierre Mendès France.
Laurent Fabius.
Lionel Jospin.
Michel Rocard.
Jacques Delors.
Gaston Defferre.
Roland Dumas.
Henri Emmanuelli.
Alain Savary.
Le parti socialiste.
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