« On décompte à ce jour plus de 80 000 cas de coronavirus sur la planète et 3 000 décès. Chaque jour, de nouveaux lieux, parfois des villes entières, sont confinés. L’épidémie s’étend et commence à toucher notre pays. Pour notre population, ces nouvelles sont évidemment anxiogènes. Elles occasionnent d'ailleurs de déplorables réactions de racisme, que nous condamnons fermement. Nous devons aborder cette épidémie dans un esprit de responsabilité, soucieux de protéger nos concitoyens. Il ne faut ni minimiser le risque ni confondre la réalité sanitaire du virus, qui est loin de la grippe espagnole, avec ses effets psychologiques. Cette réalité appelle du sang-froid, sans dramatisation. » (Bernard Jomier, sénateur, le 26 février 2020 au Sénat à Paris).
Alors que l’épidémie voire la pandémie de COVID-19 semble être à son maximum en Chine, les places boursières européennes ont dévissé ce lundi 24 février 2020 en raison de très forte hausse, au cours du week-end dernier, de personnes infectées par le coronavirus SARS-CoV-2 en Italie, en Iran et en Corée du Sud.
Il paraît indécent de parler d’économie lorsque des personnes meurent de cette épidémie. Certes, la croissance va être plombée par cette épidémie. Les échanges internationaux sont beaucoup plus nombreux qu’auparavant. Il suffit de voir qu’en 2003, à l’époque de l’épidémie de coronavirus SRAS, les vols aériens à destination de la Chine représentaient seulement 3% des vols mondiaux. Aujourd’hui, 23%, ce qui signifie un manque à gagner pour les compagnies aériennes de 30 milliards d’euros. Quant au tourisme, l’absence de touristes chinois représente pour la France une perte de 4 milliards d’euros.
Mais ces considérations sont des conséquences secondaires, et rien ne prouve qu’il n’y aura pas, après la fin de l’épidémie, dans quelques semaines ou quelques mois, un réajustement de la croissance avec une relance en Chine. Car de nombreux produits du monde sont fabriqués en Chine et devront bien, un jour ou l’autre, être fabriqués de nouveau et livrés.
Mais il y a une indécence encore plus forte de parler de politique à propos du coronavirus. Certes, il y a aujourd’hui une position d’équilibriste, d’une part, à dire que cette épidémie est grave et qu’il faut prendre des mesures, se préparer au pire, et, d’autre part, à refuser toute panique car on sait bien que la peur ne résout aucun problème et que les émotions font le lit des démagogues.
Pourtant, la peur est justifiée. Ceux qui veulent voir dans le COVID-19 qu’une simple grippe devraient s’inquiéter un peu. Ce que dit par exemple le professeur Marc Gentilini, président honoraire de l’Académie de médecine, le 26 février 2020, est intéressant à cet égard : certes, le virus de la grippe tue beaucoup plus, en principe (sauf cette année où les victimes sont en faible nombre, tant mieux), plusieurs milliers en France, mais il y a deux éléments actuellement inquiétants sur ce nouveau coronavirus. D’une part, le coronavirus est beaucoup plus mortel (environ 2% au lieu de 0,2%, mais ce taux est toujours sujet à caution car on ne sait exactement que le nombre de décès, plus difficilement le nombre réel de personnes atteintes), et d’autre part, il est beaucoup plus contagieux (un taux d’environ 3,5).
Plus précisément, une étude du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies publiée le 24 février 2020 dans le "New England Journal of Medecine" a porté sur les 72 314 cas d'infection jusqu'au 11 février 2020. Sur ces cas, 889 (soit 1%) étaient des cas asymptomatiques. Il y avait 1 023 décès (soit 2,3%), 208 des personnes décédées (soit un taux de létalité de 14,8%) avaient au moins 80 ans (alors qu'il y avait 1 408 personnes infectées d'au moins 80 ans, soit 3% de toutes les personnes infectées). 2% des personnes infectées ont moins de 20 ans, et le taux de létalité est de 0% pour les 416 enfants infectés de moins de 10 ans. Sur les 44 672 cas d'infection confirmée avec signes cliniques, 2 087 cas (soit 5% sont des formes critiques de la maladie, avec un taux de létalité de 49% (1 023 décès). Le taux de létalité du coronavirus dans la seule ville de Wuhan serait de 5,5%, dans la province du Hubei hors la ville de Wuhan, il serait de 1% et au niveau national, en Chine, hors province du Hubei, il serait de 0,3%.
Or, pour le professeur Marc Gentilini, ce qui change tout, ce ne sont pas les statistiques (qui peuvent hélas évoluer), mais l’ignorance sur le comportement du coronavirus, et en particulier sur son mode de transmission, d’autant plus qu’il y a des cas, comme celui de ce Français de 60 ans, professeur dans un collège de l’Oise, décédé dans la nuit du 25 au 26 février 2020, qui n’était pas revenu d’un voyage dans un pays foyer de l’épidémie et qui n’avait a priori pas eu de contact avec des personnes issues de ces pays. Ce n’est pas la première fois que des cas d’infection se passe dans un pays sans rapport avec un pays de foyer, en Allemagne par exemple.
Autre ignorance inquiétante, parmi les victimes, il n’y a pas que des personnes âgées ou affaiblies par d’autres problèmes (hypertension, diabète, immunodéficience, etc.) mais aussi des personnes en bonne santé, parfois jeunes (Li Wenliang, le médecin lanceur d’alerte, n’avait que 33 ans).
Pour autant, il ne faut pas s’affoler car cela ne sert à rien. Sinon peut-être aux vendeurs de masques. Il faut rester vigilant, ce qui pose quelques questions sur le maintien par exemple d’un match à Lyon avec la venue de nombreux supporteurs de Turin. C’est cet équilibre qu’il faut trouver, de manière dynamique, car il faut aussi continuer à vivre tout en prenant le minimum de risques.
Les statistiques exposées ici sont du mercredi 26 février 2020. La situation en Chine est la suivante : il y a 78 064 personnes infectées dont 2 715 qui sont décédées (en moins de huit semaines). Des pays comme la Mongolie mais aussi la Corée du Nord ont fermé leurs frontières depuis plusieurs semaines.
La situation en Corée du Sud est elle aussi grave avec 1 261 personnes atteintes dont 12 décédées. Quatre personnes sont mortes du coronavirus, parmi les 705 personnes infectées qui étaient dans le bateau de croisière, le Diamond Princess.
Si la situation du Japon (178 personnes infectées dont 2 décédées), de Hong Kong (89 personnes infectées dont 2 décédées), de Singapour (93 personnes infectées) et de Thaïlande (40 personnes infectées) est grave aussi, ce sont surtout deux nouveaux foyers très graves de l’épidémie qui inquiètent car ils ont surgi ce week-end, l’Iran et l’Italie.
En Iran, avec pour l’instant 139 personnes infectées (la réalité devrait être bien plus grave) dont 19 décédées, ce foyer peut hélas s’expliquer par un refus de se préoccuper de ce sujet avant les élections du 21 février 2020. Même le Ministre iranien de la Santé a été dépisté positif le 25 février 2020, et il était la veille encore en conseil des ministres. C’est carrément tous les dirigeants iraniens qui risquent d’être atteints par le coronavirus.
En Italie, une négligence dans un hôpital du nord de l’Italie a, semble-t-il, fait bondir, en quelques jours, les statistiques à 453 personnes infectées dont 12 décédées.
En Afrique, on compte très peu de cas de personnes infectées, deux personnes, une en Égypte et une en Algérie. Mais rien ne dit que le continent n’est pas touché massivement. Cela veut surtout dire que les tests de dépistage sont quasi-inexistants et donc, qu’il est très difficile d’avoir une mesure réelle de la situation sanitaire en Afrique. Même remarque avec l’Amérique du Sud (seulement une personne testée positive au Brésil).
En France, le 24 février 2020, le nouveau ministre Olivier Véran avait annoncé qu’il n’y avait plus aucun patient hospitalisé atteint du coronavirus (des 12 personnes atteintes auparavant dont une est décédée), mais ce fut de courte durée. Au 26 février 2020, il y a 6 personnes atteintes (soit 18 en tout) dont une est décédée la nuit dernière (le professeur de l’Oise) et une autre (de 55 ans) en situation critique. Il est probable que ce nombre évolue.
Alors, faut-il fermer les frontières comme le préconisent Marine Le Pen depuis le 23 février 2020 ou encore d’autres extrémistes comme Nicolas Dupont-Aignan ? Évidemment non, car cela ne résoudra rien et au contraire, fera plus de mal que de bien (des infirmières transfrontalières ne pourraient même plus s’occuper des malades).
Lors d’une question au gouvernement au Sénat, le 26 février 2020, le Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran a tenu à rappeler : « Face à la menace d'une épidémie, l'union nationale est indispensable. De même, en présence d'un risque infectieux, il y a des réflexes, des gestes qui sauvent, comme tousser dans sa manche et se laver les mains régulièrement, et il y a des gestes qui peuvent être dévastateurs : les gestes de division, les gestes de repli. C'est pourquoi j'étais hier à Rome avec mes homologues ministres de la santé européens, pour dire à l'Italie que la France la soutient dans cette épreuve et que vous voulons travailler de façon intelligente, entre partenaires européens, pour trouver des solutions concertées. Nous avons évidemment, à cette occasion, acté qu'il était hors de question de fermer nos frontières. ».
Pour terminer ce tableau instantané de la situation du coronavirus, je propose ici de présenter la position de l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin. Au-delà de son expérience de Premier Ministre lors de la dernière grande épidémie (le SRAS en Chine en 2003), Jean-Pierre Raffarin est aussi un fin connaisseur de la Chine, et a proposé une analyse pertinente le mercredi 26 février 2020 sur LCI.
Jean-Pierre Raffarin a voulu d’abord rassurer : « Je pense très franchement que la situation est évidemment difficile dans le monde entier. Chaque gouvernement a un grand nombre de difficultés à surmonter. Je pense que notre gouvernement est raisonnablement bien mobilisé et il ne faut pas s'affoler sur cette question. ». Pour preuve, il est prêt à se rendre en Chine si c’est nécessaire : « Je n'aurais pas de problème à aller en Chine si cela était un devoir d'État. ».
Fustigeant les extrémistes, l’ancien Premier Ministre a rappelé l’importance des synergies internationales pour lutter plus efficacement contre l’épidémie : « C'est quand même très important de montrer la solidarité. Et je vois bien que tous ces gens extrémistes qui rappellent les frontières comme étant la solution à tout problème politique. Est-ce que les frontières arrêtent les problèmes climatiques ? Est-ce que les frontières arrêtent le virus ? Moi, ce qui me frappe aujourd'hui, c'est qu'on a une démagogie qui appelle toujours la frontière alors que tous nos problèmes reposent sur la coopération internationale. C'est la coopération qui est la solution. C'est de travailler avec les scientifiques chinois. C'est de renforcer le multilatéralisme de santé et l'OMS. C'est la coopération qui peut nous aider. Ce n'est pas de nous enfermer chacun dans nos problèmes. ».
Jean-Pierre Raffarin, comme Olivier Véran quelques heures plus tard, y a vu aussi un risque de racisme : « J'ai vu des Chinois dans la rue avec des pancartes : "Je ne suis pas un virus". Je pense qu'il faut faire très attention, et de ce point de vue-là, soyons extrêmement vigilants parce que si on devait avoir des contaminations avec l'Afrique, si on devait avoir un certain nombre d'autres sujets, on verrait que les tensions pourraient être très vives. Et donc soyons très vigilants et surtout, gardons le sang-froid, gardons un peu de sens des responsabilités. ».
Quant au régime de Xi Jinping, Jean-Pierre Raffarin a voulu bien distinguer le totalitarisme, ici plus efficace pour lutter contre l’épidémie (en Chine, on ne peut pas critiquer le manque d’autorité ni le manque d’organisation avec la construction d’un hôpital en dix jours), et le manque de liberté individuelle : « On peut critiquer Xi Jinping (...), le système autoritaire n'est pas le nôtre, moi, je n'adhère pas à l'organisation politique de la Chine. Mais là, aujourd'hui, le plus important, c'est quand même de faire preuve de compassion vis-à-vis du peuple chinois qui souffre. La solidarité, ça compte en matière internationale et pour l'équilibre du monde. Aujourd'hui, il y a un peuple qui souffre. ».
Les démagogues de tous poils se discréditeront d’eux-mêmes en utilisant l’épidémie de COVID-19 à des fins politiciennes. Quand des personnes meurent, il ne faut pas faire de la récupération électoraliste, mais il faut de la compassion, comme dit Jean-Pierre Raffarin, de la solidarité et l’esprit civique, à savoir, se conformer aux recommandations des autorités sanitaires du pays dans lequel on séjourne. Et c’est peut-être cet esprit collectif du bien commun qui peut manquer à l’esprit de certains citoyens français…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 février 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les frontières arrêteront-elles le coronavirus ?
Coronavirus : la croisière ne s’amuse plus.
Le docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte de l’épidémie de coronavirus.
Le coronavirus de Wuhan va-t-il contaminer tous les continents ?
L’apocalypse par l’invasion de paléovirus géants ?
Le virus de la grippe A(H1N1) beaucoup plus mortel que prévu.
"Estimated global mortality associated with the first 12 months of 2009 pandemic influenza A H1N1 virus circulation : a modelling study" ("The Lancet", 26 juin 2012).
Publication d’origine sur le Mollivirus sivericum du 08 septembre 2015 (à télécharger).
L’arbre de la vie.
Découverte du virus du sida.
Vaccin contre le sida ?
La grippe A.
Un nouveau pape de la médecine.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200226-coronavirus-frontieres.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/les-frontieres-nationales-221843
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/02/26/38057619.html