« J’ai été frappé, depuis le début de cette crise, par le nombre de commentateurs ayant une vision parfaitement claire de ce qu’il aurait fallu faire selon eux à chaque instant. La modernité les a souvent fait passer du café du commerce à certains plateaux de télévision. Les courbes d’audience y gagnent ce que la convivialité des bistrots y perd, mais cela ne grandit pas, je le crains, le débat public. » (Édouard Philippe, le 28 avril 2020 devant l’hémicycle de l’Assemblée Nationale).
Le calendrier public est désormais suspendu à quelques déclarations très importantes du Président de la République et du Premier Ministre. Celle du Premier Ministre Édouard Philippe qu’il a prononcée devant les députés ce mardi 28 avril 2020 (lire le texte intégral ici) était très attendue, attendue depuis l’allocution télévisée du Président Emmanuel Macron du 13 avril 2020, puisqu’il s’agissait de donner le cadre de la stratégie de déconfinement du gouvernement, ou plutôt, soyons précis, de la levée du confinement.
Ce discours d’environ une heure a donné un cadre général pour reprendre progressivement les activités normales de la nation. On pourra toujours contester beaucoup de choses au gouvernement mais certainement pas sa bonne volonté. Il a dû prendre des décisions qui, de toute façon, n’ont jamais été simples puisqu’il fallait trouver le juste équilibre entre la sécurité sanitaire des Français (insistons : préserver la vie des Français et en particulier, des plus faibles, ceux qui peuvent mourir du covid-19) et le maintien de l’activité économique (protéger la vie sociale et économique, et en particulier celle des moins favorisés) : « La France traverse un de ces moments où ceux qui l’aiment et la servent doivent être à la hauteur. Nous devons protéger les Français sans immobiliser la France au point qu’elle s’effondrerait. C’est une ligne de crête délicate qu’il nous faut suivre. Un peu trop d’insouciance et c’est l’épidémie qui repart ; un peu trop de prudence et c’est l’ensemble du pays qui s’enfonce. ».
La décision de la levée du confinement, sa date, le 11 mai 2020 (qui pourrait être remise en cause le cas échéant), c’est une décision foncièrement politique. Ce n’est ni sanitaire, ni économique, elle est politique. Parce que le sanitaire pourrait proposer de maintenir la France sous confinement jusqu’en septembre, mais ce serait l’asphyxie. Et les acteurs économiques pourraient au contraire se moquer des considérations sanitaires, du moment que les affaires reprennent. Le politique, le politique au sens le plus noble du terme, c’est de prendre une décision dans l’intérêt général. J’aurais personnellement trouvé que le 11 mai 2020 était trop tôt, vu le plateau dans lequel la France se trouve, mais il faut être clair, le 11 juin 2020 aurait été aussi difficile pour lever le confinement. Il n’y a pas de mesure simple dans cette situation. Du reste, les autres pays européens qui se sont retrouvés au même niveau de l’épidémie prennent des dispositions similaires aux mêmes dates.
La date du 11 mai 2020 peut, en effet, être remise en cause : « Nous préparons le 11 mai en surveillant tous les indicateurs pour nous assurer, département par département, que les opérations pourront bien être lancées à cette date. (…) Je le dis aux Français : si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas le 11 mai ou nous le ferons plus strictement. (…) Je le dis avec solennité devant la représentation nationale : ces incertitudes doivent inciter les Français à la plus grande discipline d’ici le 11 mai et à la lutte contre les risques de relâchement que nous sentons parfois monter dans le pays. ».
Décision politique, donc. Le plan du gouvernement a été de l’annoncer aux parlementaires, à l’Assemblée Nationale le 28 avril 2020 et au Sénat le 29 avril 2020. Qui s’en plaindrait ? Selon l’article 50-1 de la Constitution, cette déclaration est suivie d’un vote. Mais le plan de levée du confinement est presque entièrement d’ordre réglementaire et ne nécessite pas une loi. Édouard Philippe a ainsi insisté : il aurait pu présenter son plan à la télévision, directement aux Français. Mais il a voulu impliquer les parlementaires, et leur vote les oblige aussi. Il ne s’agit pas de commenter, mais d’agir, de prendre part à la décision, que le parlementaire soit pour, contre ou s’abstienne, ce vote est, lui aussi, foncièrement politique.
Ne pas laisser les réseaux sociaux s’emparer du débat public et redonner l’initiative aux parlementaires, c’est le but, également, de cette déclaration du Premier Ministre : « En ces temps de démocratie médiatique, de réseaux pas très sociaux mais très colériques, d’immédiateté nerveuse, il est sans aucun doute utile de rappeler que les représentants du peuple siègent, délibèrent et se prononcent sur toutes les questions d’intérêt national. (…) Dire ici plutôt qu’ailleurs ce que je viens de dire répond à la volonté du gouvernement de montrer qu’en dépit de l’état d’urgence sanitaire, en dépit des difficultés évidentes à exercer ses mandats dans une période de confinement, la démocratie parlementaire reste vivante, exigeante, parfois bruyante, mais indispensable toujours. (…) Les députés ne commentent pas, ils votent et, ce faisant, ils prennent des positions politiques. C’est votre honneur, c’est votre mission. ».
Je rappelle que le confinement, qui a été adopté dans la moitié de la population mondiale (ce n’est donc pas une spécificité franco-française), avait pour but de freiner l’épidémie et d’éviter la saturation des services de réanimation. En ce sens, cette stratégie a atteint son objectif en France puisque le pic du 8 avril 2020 dans les services de réanimation a eu lieu sans saturation complète.
La levée du confinement est donc la suite logique, avec cette difficulté qu’il ne s’agit pas de réamorcer l’épidémie à un niveau tel que les services de réanimation, encore sous tension bien que non saturés, ne puissent pas absorber une éventuelle seconde vague : « Le risque d’une seconde vague, qui viendrait frapper un tissu hospitalier fragilisé, qui imposerait un re-confinement, lequel ruinerait les efforts et les sacrifices consentis au cours de ces huit semaines, est un risque sérieux, un risque qu’il faut prendre au sérieux. Ce risque impose de procéder avec prudence, progressivement, sûrement, en reprenant notre vie selon des modalités qui permettent, semaine après semaine, de vérifier que nous maîtrisons le rythme de circulation du virus. ».
Sur le fond du plan, il m’a semblé qu’il était particulièrement réfléchi et reprend en fait la philosophie générale du président du conseil scientifique Jean-François Delfraissy : c’est la responsabilité individuelle qui, ici, est l’essentiel. Chaque acte de chaque citoyen aura une conséquence sur l’ensemble de la collectivité. C’est donc un appel au civisme.
Rétablissons d’abord une vérité. Contrairement à ce qu’on a voulu faire croire, Emmanuel Macron n’a jamais voulu obliger le maintien du confinement des personnes âgées après le 11 mai 2020. Dans son allocution télévisée du 13 avril 2020, il ne faisait que répéter celle du 12 mars 2020, c’était une recommandation, pas une obligation : « Pour leur protection, nous demanderons aux personnes les plus vulnérables, aux personnes âgées, en situation de handicap sévère, aux personnes atteintes de maladies chroniques, de rester même après le 11 mai confinées, tout au moins dans un premier temps. ». Deux jours plus tard, l’Élysée a fait un communiqué pour clarifier cet aspect de l’allocution : il ne s’agissait pas d’une obligation mais d’une recommandation. Du reste, d’un point de vue constitutionnel, il aurait été juridiquement impossible de confiner une population en raison de son âge ou de sa situation de santé, cela serait une discrimination parfaitement interdite par la Constitution et le bloc de constitutionnalité. En outre, l’application d’une telle mesure aurait été impossible : aurait-il fallu appliquer une sorte de macaron sur la figure pour savoir si on pouvait sortir ou pas ?
Le discours d’Édouard Philippe s’est divisé en deux parties : la première sur les mesures sanitaires, la seconde sur la manière de lever le confinement.
Dans la première partie, trois sous-parties, les plus attendues d’un point de vue politique : les masques, les tests virologiques et l’isolement des porteurs du virus et des personnes contacts.
Il n’est pas un secret que la France a manqué de masques et de tests et Édouard Philippe a rappelé l’humilité à garder sur le sujet, tant sur la capacité d’acquérir ce matériel (production et importation) que sur les doctrines les concernant. On reparlera sans doute après la crise sanitaire de l’urgence à réindustrialiser la France. Mais pour le moment, il faut bien agir avec la réalité de la situation. La pénurie s’explique du reste par la très forte demande des 185 pays touchés par la pandémie. Édouard Philippe assume donc ses décisions précédentes qui ont visé à réserver tous les masques chirurgicaux et FPP2 aux personnels soignants. En revanche, il a annoncé que des masques "grand public" seront disponibles lors de la levée du confinement.
À ma connaissance, à part les transports en commun, le masque ne sera pas obligatoire pour le grand public. Il le sera pour ceux qui seront amenés à reprendre leur travail soit au contact avec du grand public (ou des élèves pour les enseignants) soit dans l’impossibilité de maintenir une distanciation physique (exemple, les coiffeurs). En revanche, les magasins pourront refuser l’entrée des clients qui ne porteraient pas de masque.
Les tests virologiques est le point sanitaire stratégique pour une levée de confinement. Édouard Philippe table sur une augmentation quotidienne maximale de 3 000 cas de contamination. L’idée est de tester tout l’entourage des personnes contaminées ainsi que les personnes à risques. Cela signifie un besoin de 700 000 tests sérologiques par semaine. C’est probablement cette force de frappe sur laquelle sera jugé le gouvernement le 11 mai 2020. Il a affirmé que la France sera prête avec cet objectif.
Enfin, le troisième volet sanitaire, c’est de demander aux personnes contaminées l’isolement pendant la durée de leur contamination (deux semaines). Soit en restant chez elles, et dans ce cas, les personnes qui vivent avec elles devront elles aussi être isolées, soit, solution plus efficace, en s’isolant dans des hôtels réquisitionnés par l’État. Là encore, il s’agit de responsabilité individuelle. En Chine, les personnes contaminées étaient isolées de force, on ne leur demandait pas leur avis.
Le retour progressif d’activité a été exposé pour trois grands domaines.
Le domaine scolaire : d’abord, crèches et écoles maternelles et élémentaires, avec aménagement pour qu’il n’y ait pas plus de 15 élèves en même temps dans la salle de classe, distanciation physique, pas de masque pour les élèves (cela peut même être dangereux pour les tout-petits), ensuite, rentrée progressive dans les collèges et les lycées (avec masque obligatoire pour les élèves et les enseignants). Les crèches seront limitées à 10 enfants, et dans les critères de priorité, outre la situation sociale, le fait d’être enfant de soignant ou d’enseignant, mais là encore, le gouvernement laissera gérer ces priorités par ceux qui ont à les gérer d’habitude.
Le deuxième point est le retour à l’activité professionnelle avec un encouragement à rester en télétravail quand c’est possible (cela concerne 7 millions d’employés). Dans ce point, le point le plus problématique est le transport en commun, avec masque obligatoire et obligation de distanciation physique (une place sur deux occupée). Ce qui laisse très dubitatif quand on connaît les rames bondées du métro parisien par exemple. Sont encouragés aussi les décalages des horaires pour ne pas engorger les transports, etc. Tous les commerces pourront rouvrir, sauf les restaurants, bistrots, etc. dont l’ouverture sera étudiée à la fin du mois de mai 2020. Les marchés sont tous autorisés à rouvrir sauf s’ils ne respectent pas les consignes de distanciation physique.
Enfin, le troisième point, crucial aussi, concerne plus généralement la vie sociale. Il est question d’autoriser les rassemblements de moins de 10 personnes. Les petits musées pourront rouvrir mais pas les gros. Les cinémas, théâtres, salles des fêtes, gros musées, etc. resteront fermés, ainsi que les églises, temples, synagogues, mosquées, etc. Les festivals et salons ne pourront pas rouvrir avant septembre, le sport collectif interdit jusqu’en septembre. Les plages resteront fermées jusqu’au 15 juin 2020. Les parcs et jardins publics seront ouverts seulement dans les départements où le virus a peu circulé.
Enfin, la seule mesure contraignante sera de ne pas se déplacer à plus de 100 kilomètres du domicile sauf pour raison professionnelle ou d’urgence familiale.
L’une des premières critiques de la classe politique à ce discours, c’est que le gouvernement ferait reposer toute la responsabilité sur les élus locaux. Mais il faut savoir : les élus locaux doivent-ils être impliqués ou pas ? À mon sens, leur connaissance du terrain est sans égal.
Édouard Philippe en appelle surtout à la responsabilité individuelle. Par exemple, il demande que le pont de l’Ascension (21 au 24 mai 2020) ne soit pas l’occasion d’un départ en week-end dans une destination éloignée. Cet appel est un pari sur l’intelligence des Français. Et une grande marque de confiance. Certains ont critiqué le gouvernement parce qu’il verbalisait ceux qui, en période de confinement, ne respectaient pas les consignes. A priori, à part probablement les déplacements de plus de 100 kilomètres, il n’y aura plus de contrôle mais il faudra rester "raisonnable". Faut-il être pessimiste ? Hélas, en Allemagne, le début de la levée du confinement a déjà abouti à quelques excès qui font redémarrer l’épidémie. Angela Merkel a demandé plus de responsabilité.
De toute façon, il n’y a pas d’autre option que de faire confiance aux citoyens, car dans tous les cas, si les citoyens n’adhéraient pas à ce plan de levée de confinement, ce plan échouerait. Tout va donc porter sur la capacité de la France à faire des tests virologiques en grand nombre. Et à pouvoir isoler les nouveaux porteurs du virus.
Épilogue : les députés ont approuvé le plan de levée du confinement présenté par Édouard Philippe par 368 voix contre 100, et 103 abstentions.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 avril 2020)
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Pour aller plus loin :
Discours du Premier Ministre Édouard Philippe le 28 avril 2020 à l’Assemblée Nationale (texte intégral).
Le déconfinement selon Édouard Philippe.
Covid-19 : le confinement a sauvé plus de 60 000 vies en France.
Coronavirus : bravo au gouvernement français pour sa réactivité économique et sociale !
Allocution du Président Emmanuel Macron le 13 avril 2020 à la télévision (texte intégral).
Emmanuel Macron : plus humain et plus humble.
Confinement 2.0.
Attestation de déplacement dérogatoire obligatoire à chaque déplacement en France (à télécharger).
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Tout savoir sur le covid-19 et les mesures de confinement en France (mis à jour).
Allocution du Président Emmanuel Macron le 16 mars 2020 à la télévision (texte intégral).
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Allocution du Président Emmanuel Macron le 12 mars 2020 au Palais de l’Élysée (texte intégral).
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La guerre contre le séparatisme islamiste engagée par Emmanuel Macron.
La 5e Conférence nationale du handicap le 11 février 2020 à Paris.
Emmanuel Macron et la France de 2020 en effervescence.
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