« Ce n’est pas seulement un devoir d’humanité. C’est aussi l’intérêt bien compris des pays les plus favorisés. Car le monde ne s’arrête pas aux limites de leur prospérité. Il ne se borne pas aux certitudes de ceux que la fortune sert aujourd’hui. (…) En Afrique, dans les pays émergents, une immense majorité de la population, dans les campagnes ou dans les bidonvilles, attend encore, mais n’attendra pas indéfiniment, la concrétisation des promesses du progrès. Cette situation est lourde de menaces. Elle est moralement inacceptable. (…) Le développement constitue le premier défi et la première urgence de notre temps. C’est une question de morale. C’est, pour le système économique ouvert et la civilisation humaniste que nous avons en partage, la meilleure des garanties et le meilleur investissement pour l’avenir. (…) Vaincre la pauvreté par l’alliance du marché et de la solidarité. Telle doit être notre ambition partagée. » (Jacques Chirac, le 26 janvier 2005 au Forum de Davos).
Il y a vingt-cinq ans, le 7 mai 1995, le leader du parti gaulliste Jacques Chirac fut élu Président de la République par près de 15,8 millions de Français, soit 52,6% des suffrages exprimés avec une abstention de 20,3%. Il resta douze ans à l’Élysée, réélu le 5 mai 2020 par plus de 25,5 millions de Français, soit 82,2% des suffrages exprimés avec une abstention de 20,3%. Recordman du score le plus haut, à la limite d’un score de "république bananière" (ou d’un régime communiste), il fut battu par son ancien adversaire François Mitterrand pour la longévité à l’Élysée (mais pas pour la longévité cumulée à l’Élysée et à Matignon).
Alors que Jacques Chirac était parti dans la bataille présidentielle (dans un meeting à Lille le 4 novembre 1994, le jour de la Saint-Charles) avec des sondages particulièrement bas (Édouard Balladur et Jacques Delors étaient à l’époque les rois de la popularité), il a su gagner la confiance des Français sur le fameux thème (séguiniste) de la fracture sociale. C’était sa troisième tentative et il a fallu de la persévérance et de l’énergie pour croire encore en lui après deux échecs cuisants.
Après son départ de l’Élysée, il a été souvent taxé de "roi fainéant", par ceux de ses successeurs qui voulaient montrer qu’ils agissaient pour le pays (agir = réformer). Certes, Jacques Chirac a été loin d’être un Président "efficace", dans le sens où ses années au pouvoir n’ont pas toujours été très utiles au pays, et il est l’archétype de l’homo politicus de la Cinquième République, du début jusqu’à la fin de sa carrière, cumulant mandats et responsabilités, et se donnant tout entier à sa passion dévorante, l’ambition politique. Mais il y a une chose qu’on a pu apprendre de Jacques Chirac au fil de son existence, c’est son humanisme.
Très loin du l’image du "Chirac facho" associée à lui à la fin des années 1970 et début des années 1980, très commune finalement pour les jeunes loups prêts à tirer sans sommation et avec mauvaise foi par esprit partisan (Nicolas Sarkozy a eu la même image d'arrogance au même âge, tout aussi inappropriée et insultante pour les victimes du fascisme), Jacques Chirac était un authentique humaniste, c’est-à-dire une personne qui considère que l’être humain est le premier des trésors à protéger et promouvoir.
Oh, évidemment ! Tout le monde est humaniste de nos jours (et c’est heureux), certains sont même capables d’en faire une sorte d’étendard électoraliste (c’est moins heureux), mais ceux qui s’en revendiquent trop explicitement me font toujours peur : il y a ceux qui parlent et il y a ceux qui agissent ; ce sont rarement les mêmes.
D’ailleurs, la crise sanitaire actuelle est aussi une leçon de vérité pour beaucoup de monde, selon les déclarations des uns et des autres. Michel Houellebecq l’a évoqué lorsqu’il parle d’impudeur de trouver plus normal que des personnes âgées (âge limite à définir) meurent du covid-19 que des plus jeunes. Il n’y a rien de normal et d’acceptable quand on n’a pas tout fait pour empêcher, non pas la mort (personne n’a jamais prétendu à l’immortalité, ou alors quelques dérangés mentaux), mais la propagation de la pandémie. Les médecins ne sont pas des magiciens, n’ont pas de potion magique, et feront tout pour sauver toute personne qui a besoin de soins, quels que soient son âge, son statut, sa nationalité, son origine, etc. La seule limite est le refus d’un acharnement thérapeutique, dont, certes, les contours sont assez flous mais ne peuvent absolument pas se confondre avec l’euthanasie voire la volonté délibérée de refus de soins sous prétexte d’âge ou d’autre chose.
Jacques Chirac, lui, s’affichait rarement comme étant explicitement un "humaniste", surtout par pudeur personnelle. Le 14 juillet 2002, il a pourtant lancé de nombreux chantiers humanistes et consensuels, pour réduire les hécatombes : lutte contre le cancer, lutte contre l’insécurité routière, lutte contre le sida, et aussi, insertion dans la société des personnes en situation de handicap. C’est Jacques Chirac qui a révolutionné le regard que la société porte aux enfants en situation de handicap avec une loi en 2005 pour les scolariser comme les autres enfants. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Certes, la loi est imparfaite et surtout, son application est compliquée car il faut faire appel à des assistants de vie qui coûtent cher aux finances publiques, mais il y a eu changement de paradigme. Mais avant 2005, il n’y avait rien dans la législation.
Ce qui est révoltant et a révolté le Président de la cinquième puissance mondiale, c’était la situation sanitaire dans les pays surtout pauvres, où l’on meurt encore beaucoup de tuberculose, du paludisme, et du sida. Pour le sida, on n’en guérit toujours pas mais la trithérapie coûtait très cher, et pour les autres maladies, on était capable de les soigner, à condition d’y mettre le budget. C’est pour cela que pour lui, le développement est le premier défi de la diplomatie et sa position faisait qu’il pouvait faire quelque chose de constructif.
Lorsqu’il s’est rendu pour la première fois au Forum de Davos, le 26 janvier 2005, il n’y était pas allé avec beaucoup d’enthousiasme, peu favorable aux grand-messes du monde économique, mais il avait compris que c’était à cette tribune qu’il pouvait toucher le plus possible ses interlocuteurs, à savoir, les dirigeants des autres puissances économiques du monde. Quand il a parlé d’intérêts économiques bien compris, il ne fallait d’ailleurs pas y voir du cynisme mais de l’efficacité, au même titre que si la France décidait de ne pas financer le soin de personnes étrangères en situation irrégulière, cela coûterait très cher à la population française, car (encore une fois), non seulement les virus ne connaissent pas les frontières, mais ils ne connaissent pas non plus les nationalités.
L’efficacité, c’est de faire comprendre à ceux qui ont un pouvoir financier (dirigeants politiques et acteurs économiques) que la morale va dans le même sens que leurs intérêts économiques. On voit bien d’ailleurs que l’intérêt sanitaire va dans le sens de l’intérêt économique : si on ne casse pas l’épidémie du covid-19, les économies ne redémarreront jamais. Certes, le confinement a ébranlé les économies, mais l’absence de confinement aurait très largement aggravé la situation sanitaire au niveau mondial et aurait continué à paralyser les économies. C’est dans le même sens qu’on ne peut pas imaginer le succès d’une politique de transition écologique qui irait à l’encontre de l’intérêt économique. Si la vertu affronte l’argent, hélas, l’argent a de grandes chances de gagner la bataille, en revanche, les batailles se gagnent plus facilement si l’argent est l’allié de la vertu.
L’ONU a profité de l’an 2000 pour proposer des "Objectifs du Millénaire pour le développement" avec pour horizon 2015 (dépassé), en mettant la santé comme priorité à l’aide publique au développement, dans trois batailles contre les maladies : le sida, la tuberculose et le paludisme. Par exemple, en Afrique et en Asie, seulement 1,8 milliard de dollars ont été levés en 2010 pour le paludisme alors qu’il en faudrait 6 milliards (selon l’OMS). L’argent réglerait une partie du problème (pas tout, la recherche médicale aussi).
Jacques Chirac considérait qu’il était "assez facile" de venir à bout de grandes maladies comme la tuberculose et le paludisme, par exemple, avec des fonds finalement pas si élevés que cela à l’échelle mondiale. Mais comment trouver les fonds ? L’idée d’une taxation des vols aériens a rapidement fleuri. Notons que taxer et encore taxer est peu une position "libérale" et encore moins une position dite "de droite". Ce serait plutôt une position "collectiviste" (ou une facilité, faute de trouver d’autres moyens que la charité publique).
L’idée de cette taxe datait du rapport rédigé par Jean-Pierre Landau, inspecteur général des finances et conseiller financier à l’ambassade de France à Londres, publié le 1er septembre 2004 sur les nouvelles contributions financières internationales (lettre de mission du 21 octobre 2003, rapport remis le 14 mai 2004). Dans ce rapport, le groupe d’étude l’envisageait pour réduire la pollution aérienne : « la taxe directe des billets, qu permettrait de discriminer entre les passagers et, le cas échéant, les destinations, afin d’éviter de pénaliser le tourisme vers les pays en développement ». Et de l’évaluer : « Une taxe de 5% sur le prix des billets de première classe et de classe affaires dégagerait de l’ordre de 8 milliards de dollars US. ». À condition que tous les pays l’appliquent.
Dans le second tome de ses mémoires ("Le temps présidentiel", sorti en 2011 chez Nil), Jacques Chirac a explicité son idée : « Parmi les solutions de financement (…), je défends celle, moins ambitieuse que d’autres, mais sans doute plus commode à réaliser, d’un "faible prélèvement sur les trois milliards de billets d’avion vendus annuellement", à raison, dans l’immédiat, d’un dollar par billet. "Ce qui frappe, leur dis-je en conclusion, c’est la disproportion entre la modestie de l’effort nécessaire et les bénéfices qui en résulteraient pour tous". ».
Concrètement, le Président Chirac a fait adopter ce principe de taxe sur les vols aériens par la France, le Brésil (dirigé par Lula), le Royaume-Uni, la Norvège et le Chili, au cours d’une conférence ministérielle à Paris le 14 juillet 2005, puis il a écrit à cent quarante-cinq chefs d’État ou de gouvernement pour leur proposer d’instituer cette taxe qui était relativement facile à mettre en place. Finalement, très peu de pays ont répondu positivement à son appel, une trentaine, et encore moins ont réellement mis en place cette taxe (en 2013, huit autres pays ont rejoint les cinq premiers : Madagascar, la Corée du Sud, le Congo-Brazzaville, le Maroc, le Cameroun, le Mali, l’île Maurice et le Niger). Ajoutons que la solidarité européenne n’a pas joué dans cette "diplomatie sanitaire", ce qui est tout à fait regrettable (j’ai expliqué que "l’Europe de la Santé" n’existait pas et qu’il faudrait un jour la construire).
Sans attendre une entente internationale qui aurait peu de chance d’aboutir, Jacques Chirac a fait en sorte que la France appliquât cette mesure immédiatement, malgré la contestation de sa propre majorité UMP. Outre la réticence à augmenter taxes et impôts dans un pays déjà excessivement taxé et imposé, il y avait aussi cette crainte que si cette taxe était appliquée seulement en France, la compagnie aérienne Air France serait handicapée par rapport à ses concurrents. En effet, les seules taxes possibles portent sur les vols au départ du pays qui les met en place, et Air France est la compagnie qui a le plus de départs depuis la France (ce qui est normal), et donc, se voit désavantagé si les pays originaires de ses concurrents ne mettent pas également en place cette taxe.
Déposé le 23 novembre 2005, le projet de loi de finances rectificative pour 2005 a été adopté par les députés le 22 décembre 2005 après un débat houleux. L’article 22 de cette loi n°2005-1720 du 30 décembre 2005 a introduit la taxe de solidarité sur les billets d’avion : « Il est créé un fonds de solidarité pour le développement dont l’objet est de contribuer au financement des pays en développement et de tendre à réaliser les "objectifs du millénaire pour le développement", notamment dans le domaine de la santé. (…) Les montants (…) font l’objet d’une majoration au profit du fonds de solidarité pour le développement. Un décret fixe le montant de cette majoration, dans la limite respectivement de 1 euro et de 4 euros, ou, lorsque le passager peut bénéficier sans supplément de prix à bord de services auxquels l’ensemble des passagers ne pourrait accéder gratuitement, de 10 euros et de 40 euros. ».
Dans ses mémoires, Jacques Chirac l’a évoqué : « Dois-je encore m’étonner ? C’est dans les rangs de l’UMP que sont venues les critiques les plus assassines. Tel député prédisant que trois mille emplois allaient être supprimés du fait de cette taxe. Tel autre assurant qu’elle aurait des conséquences aussi désastreuses sur notre économie que les 35 heures. (…) J’ai apprécié, dans le même temps, le courage avec lequel Jean-François Copé, alors Ministre du Budget, a su défendre ce projet qui ne méritait pas d’être à ce point contesté par des éléments de notre propre majorité. ». Rappelons qu’à l’époque, l’UMP était présidée par …Nicolas Sarkozy.
La taxe, appelée "taxe Chirac", est appliquée en France depuis le 1er juillet 2006. Par la suite, elle a été relevée de 12,7% le 16 novembre 2016 lors d’une réunion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement. Les craintes économiques sur l’impact financier n’étaient pas vraiment fondées. Au Salon du Bourget, en juillet 2007, après un an d’application de la taxe, le PDG d’Air France-KLM a lui-même reconnu : « Bien sûr, au départ, nous avons constaté une incidence négative sur le transports, mais rapidement, cela s’est estompé, le niveau de taxe fixé étant raisonnable. ». Le rapport Emmanuelli (voir plus loin) a lui aussi affirmé : « En dépit de la levée de boucliers suscitée à l’époque de son lancement, la taxe n’a eu aucun effet négatif sur le trafic ou les emplois du secteur aérien et la collecte n’a pas trop souffert de la crise financière. » (12 juillet 2011).
D’un point de vue diplomatique, l’action de Philippe Douste-Blazy (homme politique et cardiologue) a été déterminante. Alors Ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille du 31 mars 2004 au 31 mai 2005, il fut nommé Ministre des Affaires étrangères du 2 juin 2005 au 15 mai 2007, dans le gouvernement de Dominique de Villepin. Ce fut donc avec ces deux casquettes, chef de la diplomatie française et grand connaisseur de la santé publique (médecin et ancien ministre de la santé), qu’il a réussi à mobiliser les forces vives de la "communauté internationale" (au concept très flou).
Ces actions ont débouché sur la création du fonds international Unitaid, lancée le 2 juin 2006 à New York au cours d’une conférence des Nations Unies sur le sida. Le 3 mars 2007, Philippe Douste-Blazy fut élu pour en assurer la présidence sous les auspices de l’ONU (jusqu’au 23 juin 2016 ; l’ancien ministre a également été candidat à la direction générale de l’OMS en 2016). Élue le 29 mai 2019, l’ancienne Ministre de la Santé Marisol Touraine est l’actuelle présidente d’Unitaid depuis le 20 juin 2019. Elle a succédé à Celso Amorim, qui fut le Ministre brésilien des Affaires étrangères lorsque Unitaid fut lancée.
Dans une déclaration à Paris le 3 novembre 2006, Jacques Chirac a justifié la création d’Unitaid : « La France a concrétisé ses promesses. En créant le Fonds de solidarité thérapeutique international, nous avons démontré qu’il n’y avait pas de fatalité : oui, l’accès aux traitements antiviraux dans les pays du Sud était possible. Depuis, la France a activement soutenu la création du Fonds mondial, premier instrument multilatéral de financement de la prévention et du traitement du sida, de la tuberculose et du paludisme. (…) C’est pourquoi la France a mis en place au 1er juillet dernier une contribution de solidarité sur les billets d’avion : l’essentiel de son produit sera affecté à Unitaid, la facilité internationale d’achat de médicaments. L’idée de ce type de financement innovant est simple, elle est aussi juste : affecter une proportion infime des immenses richesses générées par l’accélération des échanges, pour qu’à la mondialisation de l’économie réponde la mondialisation de la solidarité. ». C’est de l’humanisme par les faits, pas par de belles paroles.
Dans une tribune publiée dans "La Croix" le 26 septembre 2006, Philippe Douste-Blazy a, de son côté, expliqué la démarche de la France ainsi : « Les diplomates ont dû (…) s’emparer de nouveaux sujets, du réchauffement climatique à la lutte contre les pandémies. (…) La France a entrepris une démarche pionnière en lançant l’idée d’une contribution internationale de solidarité sur les billets d’avion et en proposant la création d’Unitaid. (…) Ce financement innovant permettra, à un niveau d’une ampleur inégalée, de sécuriser et de renforcer l’approvisionnement durable des pays du Sud en médicaments. (…) La santé publique est aujourd’hui une question politique et diplomatique de premier ordre, inscrite dans les grands agendas internationaux. Au-delà de la question éthique, nous devons prendre conscience de l’enjeu que représentent ces questions au niveau de la politique étrangère. Au-delà de l’exigence de dignité, un pays qui n’a ni système de santé, ni politique de prévention, ni accès aux médicaments est un pays fragilisé, sujet à toutes les déstabilisations. ».
Parallèlement à cette mission, Philippe Douste-Blazy a été nommé Secrétaire Général adjoint de l’ONU chargé de ce projet du 19 février 2008 au 19 février 2017 (fonction bénévole), et à ce titre, il a tenté également de lancer le programme humanitaire MassiveGood le 4 mars 2010, mais sans succès (cela coûtait plus cher que cela n’a remporté), dont l’idée était de permettre des micro-dons par les voyageurs de vol aérien (quelques euros ou dollars), mais le coût du logiciel (qui a été par la suite utilisé dans d’autres programmes) a plombé financièrement le projet. Ce projet était pourtant important car beaucoup de pays ont refusé d’imposer une nouvelle taxe et ont seulement encouragé les dons (volontaires).
En 2007, Unitaid a pu collecter 300 millions de dollars et en 2008, 500 millions. Parmi les actions très importantes d’Unitaid, la réussite, le 8 mai 2007, des négociations, par l’intermédiaire de la fondation de l’ancien Président américain Bill Clinton, avec l’industrie pharmaceutique a permis de réduire les prix des médicaments de la trithérapie pour soigner les personnes atteintes du sida de 25 à 50% dans soixante-six pays pauvres. Dans le monde, 5 millions de personnes malades du sida n’avaient pas accès aux soins sur les 7 millions qui en auraient eu besoin.
Selon Unitaid, entre 2006 et 2013, Unitaid a reçu au total 2,2 milliards de dollars de contributions (dont 1,3 milliard de dollars provenant de la France, soit 60%) et a engagé 1,9 milliard de dollars pour des projets de lutte contre le paludisme, le sida et la tuberculose (14% sont consacrés aux frais de fonctionnement). Rien que dans l’achat de produits (médicaments, vaccins, etc.), entre 2007 et 2015, Unitaid a consacré 560 millions de dollars dans la lutte contre le paludisme, 530 millions de dollars contre le sida et 162 millions de dollars contre la tuberculose. Quatre-vingt-huit pays ont bénéficié de subvention d’Unitaid dans l’achat de médicaments, en particulier ceux correspondant aux besoins en matière de diagnostic et de thérapeutique du sida ou de la tuberculose multirésistante (entre 2006 et 2011, plus de 270 000 enfants malades du sida et 750 000 enfants atteints de la tuberculose ont été traités grâce à l’action d’Unitaid). Rien que sur les fonds français, selon le Quai d’Orsay, 5,6 millions de malades ont été soignés en 2009, dont 5,1milllions pour le paludisme, 250 000 pour la tuberculose et 240 000 pour le sida.
Plus récemment, lors de la Journée mondiale du paludisme le 24 avril 2020, le directeur exécutif d’Unitaid Philippe Duneton a rappelé que les objectifs d’Unitaid restaient inchangés malgré la pandémie du covid-19 : « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les bénéfices de plus d’une décennie de travail dans la lutte contre le paludisme, et courir le risque d’une recrudescence d’une maladie qui tue plus de 400 000 personnes chaque année, dont beaucoup d’enfants. ». En 2018, il y avait 228 millions de cas de paludisme, et l’objectif ambitieux de l’OMS est d’éradiquer l’épidémie d’ici à 2030. Grâce à l’aide internationale, 600 000 personnes atteintes du paludisme sont sauvées chaque année. Unitaid fonctionne par de nombreux projets de développement. Son aide annuelle dans la lutte contre le paludisme est passée de 150 millions de dollars en 2015 à 350 millions de dollars en 2020.
Unitaid ne se préoccupe pas seulement du sida, du paludisme et de la tuberculose. En octobre 2018, Unitaid s’est engagée pour lutter contre l’hépatite C dont la situation mondiale est préoccupante : dans le monde, 71 millions de personnes souffrent d’une infection chronique au VHC (hépatite C) à comparer aux 37 millions de personnes qui vivent avec le VIH (sida). Mais seulement 4% des malades de l’hépatite C sont traités (à comparer aux 59% des porteurs du VIH traités). L’objectif d’Unitaid est d’éliminer l’hépatite C grâce à des nouveaux médicaments depuis 2015 (appelés des antiviraux à action directe).
Lors du dixième anniversaire d’Unitaid, le Ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a déclaré le 23 juin 2016 à Paris : « La naissance d’Unitaid est étroitement associée à celle des financements innovants et plus particulièrement à la taxe sur les billets d’avion. Cette taxe, adoptée à Paris en 2005, qui partait du principe qu’il était légitime de faire contribuer un secteur emblématique de la mondialisation à la solidarité internationale, apporte aujourd’hui plus de la moitié des financements d’Unitaid. (…) En agrégeant la demande mondiale, Unitaid a permis de diviser le prix des traitements contre le VIH par 10 et de multiplier le nombre de personnes bénéficiant de ces médicaments également par 10. En favorisant des diagnostics innovants, le plus tôt possible, elle fait aussi mieux : le taux de détection de la tuberculose pharmaco-résistante a doublé. Et innover, c’est également créer des solutions là où elles n’existent pas. Unitaid utilise sa position unique sur le marché mondial des médicaments pour inciter l’industrie à fournir des solutions à des besoins trop souvent négligés. (…) Le Président Jacques Chirac fait partie des pionniers qui ont suivi, on pourrait le dire, une intuition, celle du rôle majeur que devaient jouer les financements innovants dans le combat pour la santé mondiale. Je voudrais saluer l’œuvre qui a été la sienne car elle ne partait pas seulement de l’intuition dont je viens de parler mais elle partait aussi du cœur et du refus de cette inégalité majeure face aux exigences légitimes en matière de santé. ».
Revenons à la France. En 2012, la taxe Chirac (française) a levé 185 millions d’euros. 90% des produits de la taxe Chirac (taxe française) sont reversés à Unitaid : entre 2007 et 2010, la France a levé 546 millions d’euros, et elle a versé 496 millions d’euros à Unitaid, et 50 millions à un fonds créé par l’Agence française de développement (AFD). Selon un rapport parlementaire déposé à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 12 juillet 2011 par l'ancien ministre Henri Emmanuelli (rapport n°3645), la France a contribué à Unitaid à hauteur de 70% pour la période 2006-2010 (60% pour la période 2006-2013, information hors rapport, indiquée plus haut), ce qui montre son isolement international. Ce n’est pas la taxation des vols aériens qui pose des problèmes aux autres pays, mais son affectation à l’aide sanitaire dans les pays pauvres, souvent, la priorité est donnée aux enjeux nationaux comme la réduction du déficit public en Allemagne.
Lors d’une réunion de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, le 15 février 2011, celui qui était à l’époque son président, Jérôme Cahuzac, a déploré l’absence de reconnaissance à la France pour sa contribution majeure aux fonds : « Apparemment, les fonds sont bien mobilisés, plus de 540 millions d’euros en moins de quatre ans, et arrivent à leurs destinataires ; en revanche, ces derniers ignorent le rôle déterminant joué par la France dans cette aide. ».
C’est d’ailleurs l’un des titres de chapitre du rapport Emmanuelli : "Une collecte efficace mais une communication insuffisante pour un financement innovant" en insistant sur « l’insuffisante information des voyageurs et du Parlement sur cette taxe ». Et de suggérer : « Malgré son montant très faible, l’absence de toute mention de la taxe sur le billet d’avion acheté, et de promotion de la taxe dans la communication des compagnies aériennes, est regrettable. Pour minime que soit le montant du prélèvement, l’acheteur-contribuable a le droit d’être informé (…). Par ailleurs, la communication des objectifs de la taxe doit être mieux reprise par les compagnies aériennes si la France, plaque tournante du tourisme international, souhaite promouvoir le dispositif d la taxe auprès d’autres pays. ».
Certains ont alors considéré (en voulant la remettre en cause) que l’aide multilatérale de la France n’était pas efficace en termes de visibilité, mais Philippe Douste-Blazy, alors président (français) d’Unitaid, a rejeté ce genre d’arguments : « Quand les médicaments sont donnés par des Américains, Unitaid est américaine, mais elle serait française si les Français étaient sur place. Plutôt que de la remettre en cause, il faudrait faire en sorte que la France ait les moyens d’utiliser l’argent. ». Là aussi, le rapport Emmanuelli a un titre de chapitre très à-propos : "Faute d’opérateur français, la visibilité de l’effort français dans les pays aidés est inexistante". Le rapport constate en effet : « L’aide apportée par la France, quatrième bailleur de fonds de l’aide mondiale à la lutte contre le sida, reste largement méconnue (…). Compte tenu de l’effort contributif national, il est regrettable que les ONG françaises ne soient pas assez puissantes ou structurées pour faire partie des opérateurs. ».
Certes, cette taxe de solidarité sur les billets d’avion n’a pas été généralisée dans tous les pays du monde, ce qui aurait apporté des fonds supplémentaires pour combattre la malaria, la tuberculose et dans une moindre mesure, le sida, dans le monde, qui sont de terribles fléaux sanitaires. Certes aussi, la pandémie du covid-19 et la paralysie du transport aérien mondial pendant cette crise sanitaire ont anéanti l’effet de cette taxe pendant plusieurs mois cette année, ce qui va avoir des conséquences dramatiques dans les programmes sanitaires d’Unitaid.
Mais justement, s’il avait fallu attendre l’accord de toutes les nations du monde, le fonds de solidarité n’aurait jamais existé. Jacques Chirac n’a pas attendu, il a pris ses responsabilités et a agi avec les seuls leviers qu’il maîtrisait, c’est-à-dire la fiscalité nationale. C’est en cela que Jacques Chirac n’était pas seulement un "humaniste croyant" ; il était avant tout un "humaniste pratiquant".
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 mai 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le covid-19.
La malaria (le paludisme).
Le sida.
Unitaid et la taxe de solidarité sur les billets d’avion.
Chirac, l’humanisme sanitaire en pratique.
HiroChirac mon amour.
On a tous quelque chose de Chirac.
Le dernier bain de foule de Jacques Chirac, l’universaliste.
Chirac au Panthéon ?
À l’heure où Jacques Chirac entre dans l’Histoire…
Jacques Chirac a 86 ans : comment va-t-il ?
Présidence Chirac (1) : les huit dates heureuses.
Présidence Chirac (2) : les huit dates malheureuses.
Jacques Chirac contre toutes les formes d'extrême droite.
Jacques Chirac et la paix au Proche-Orient.
Sur les décombres de l'UMP, Jacques Chirac octogénaire.
Jacques Chirac fut-il un grand Président ?
Une fondation en guise de retraite.
L’héritier du gaulllisme.
…et du pompidolisme.
Jérôme Monod.
Un bébé Chirac.
Allocution télévisée de Jacques Chirac le 11 mars 2007 (texte intégral).
Discours de Jacques Chirac le 16 juillet 1995.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200507-chirac.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/chirac-l-humanisme-sanitaire-en-224057
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/05/03/38258000.html