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7 juin 2020 7 07 /06 /juin /2020 03:38

« Je vous comprends, c’est vrai, d’être tentés de voter contre la crise. Et d’ailleurs, si c’était si simple et si on pouvait s’en débarrasser par un vote, pourquoi ne pas le faire ? Malheureusement, il n’est pas plus efficace de voter contre la crise que de voter contre la maladie. La crise se moque des bulletins de vote. La crise est comme l’épidémie, elle nous vient du dehors. Si nous voulons la guérir, il faut bien choisir le médecin. Et si nous pensons nous en débarrasser par la facilité, l’économie se vengera, et elle se vengera sur vous. » (Valéry Giscard d’Estaing, le 27 janvier 1978 à Verdun-sur-le-Doubs).



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Quand on relit ce discours d’il y a plus de quarante-deux ans, quelques semaines avant des élections législatives très serrées, d’un des premiers de la classe de la France d’avant-hier, on se surprend à y voir quelques clefs d’actualité. On ne peut pas voter contre la maladie, on ne peut pas voter contre la crise. Il était très rigoureux dans le choix des mots et quand il disait : « L’application d’un programme collectiviste aggraverait la coupure de la France, en déclenchant de profondes divisions et en suscitant de rancunes durables », on a presque l’impression qu’il utilisait le mot "application" dans le sens moderne du terme, application de smartphone (StopProgrammeCommun).

Ce fort en thème, Valéry Giscard d’Estaing, aurait été consulté par son lointain successeur Emmanuel Macron sur la suite à donner à son quinquennat à l’issue de la grave crise sanitaire qui a bouleversé la planète entière. Il semblerait que Valéry Giscard d’Estaing (94 ans) colle au mimétisme politique du sage Antoine Pinay jusque dans ces consultations discrètes. Nicolas Sarkozy aurait aussi été consulté et ne se serait pas privé de lui donner quelques conseils et même quelques retours d’expérience comme celui-ci : « Quand tu nommes ton Premier Ministre, il te déteste au bout de six mois. Si tu le vires, il te déteste encore plus. Et le nouveau te déteste au bout de six mois aussi ! ».

C’était une indiscrétion publiée dans l’article de Nathalie Schuck dans "Le Point" le 15 mai 2020 qui a aussi cité un proche de l’Élysée qui aurait dit : « Le Président est décidé à se séparer d’Édouard Philippe, et ça se passera très bien. Il vise la première quinzaine de juillet, de façon à avoir le nouveau Premier Ministre à ses côtés à la tribune du défilé du 14 juillet, avant un grand discours au Congrès. ». Il m’avait semblé que le défilé était justement annulé pour cause de crise sanitaire.

Se séparer du Premier Ministre Édouard Philippe entre le 28 juin 2020 (second tour les élections municipales) et le 14 juillet 2020, serait ainsi "acté", afin d’amorcer son "acte III" du quinquennat, le dernier. C’est un vocabulaire très "journaliste", comme le mot "séquence" (à l’évidence, on a quitté la séquence du conoravirus et on est à la séquence terrasses et vacances afin d’encourager la consommation).

L’idée de changer de Premier Ministre est tellement dans les esprits depuis plusieurs semaines que l’information selon laquelle la cote de popularité d’Édouard Philippe grimpe alors que celle d’Emmanuel Macron stagne serait une raison supplémentaire pour changer le locataire de Matignon. Je dirais précisément l’inverse, que ce serait justement une raison pour le garder.

Je ne sais pas qui, des journalistes "au courant" ou des conseillers à l’Élysée (prêts à tester, à sonder des hypothèses), sont à l’origine de cette idée, mais elle me paraît très loufoque et peu caractéristique d’un sens politique. Au contraire, le fait d’avoir un Premier Ministre populaire est un atout exceptionnel dans la situation actuelle, de crise économique profonde et de dépassement massif des objectifs budgétaires, de crise sociale, etc. Et pour ainsi dire, c’est même son seul atout.

En effet, le problème d’Emmanuel Macron est d’avoir eu derrière lui trop peu de poids lourds politiques et trop de "société civile" (comme on dit). En situation normale et calme, cela aurait pu "tenir", mais en période de tempête voire de crise grave, cela ne pouvait pas tenir. On l’a vu pour la crise des gilets jaunes, on le voit encore pour la crise sanitaire : seuls, les ministres politiques ont tenu la route. Ainsi, au-delà d’Édouard Philippe, pour la crise sanitaire actuelle, Olivier Véran, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Marc Fesneau, et même Christophe Castaner ont tenu la route. En revanche, c’était beaucoup moins le cas avec Florence Parly (la gestion du "Charles-De Gaulle"), Nicole Belloubet, Élisabeth Borne, etc.

Il peut y avoir une secrète jalousie d’être tiré dans les sondages par un Premier Ministre populaire mais en fait, pour le Président de la République, c’est plutôt une grande chance, car cela lui permet de proposer un plan de relance et de reconstruction plus crédible et plus apprécié. Ce n’est pas nouveau que le Premier Ministre soit plus populaire que le Président de la République. Et c’est normal quand on considère que le chef de l’État est le seul responsable devant les Français (hors cohabitation). Ainsi, Manuel Valls avec François Hollande, François Fillon avec Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin avec Jacques Chirac, Michel Rocard et Laurent Fabius avec François Mitterrand

En vérité, renvoyer Édouard Philippe serait une grande injustice pour lui qui a géré avec dynamisme et sérieux la crise sanitaire et économique. Il a fallu penser à toute la vie sociale et économique du pays pour faire le confinement, puis, plus dur, le déconfinement, accompagner par des mesures économiques et sociales pour éviter que des pans entiers de la société ne s’effondre. Par exemple, la prise en charge du chômage partiel est absolument unique au monde et a fait, provisoirement, de la France le premier employeur au monde, on est loin du supposé libéralisme ! Sur tous les fronts, Édouard Philippe est présent et déjà que la fonction de Premier Ministre était épuisante en période ordinaire, elle doit être, en ce moment, archihyperépuisante. On doute qu’une personnalité, aussi valable que Jean-Yves Le Drian, à son âge, ait pu agir avec une même efficacité pendant cette crise et, dans un futur proche, dans un plan de relance qui sera également difficile à négocier. L’hypothèse Le Drian donnerait une ambiance de fin de règne comme ce fut le cas avec la nomination de Maurice Couve de Murville à Matignon en juillet 1968.

Certes, il n’y a jamais eu de justice pour le Premier Ministre sous la Cinquième République, emploi particulièrement éphémère (au statut d’intermittent du spectacle !). Georges Pompidou, à l’origine de la grande victoire gaulliste aux élections législatives de juin 1968, a été remercié quelques jours plus tard. Jacques Chaban-Delmas également alors qu’il venait de recueillir la confiance des députés. Michel Rocard, au sommet de sa popularité, a été également renvoyé comme un vulgaire domestique.

Le problème de l’Élysée, c’est qu’il y a peu de remplaçants vraiment crédibles qui serviraient ce fameux troisième acte du quinquennat. Bien sûr, le premier auquel on pense est Bruno Le Maire qui a beaucoup bossé pour rendre le confinement le plus économiquement viable possible. Mais ce serait faire entrer le loup dans la bergerie, un peu comme nommer Manuel Valls en avril 2014, ce qui a abouti à l’incapacité du Président à se représenter une nouvelle fois. Ce précédent doit évident servir de leçon. Faut-il mettre à Matignon un homme qui ne pense qu’à être candidat à l’élection présidentielle depuis dix ans ?

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Édouard Philippe a l’avantage de la loyauté et de l’absence d’ambition présidentielle, un peu comme Jean-Pierre Raffarin. C’est vrai, les ambitions présidentielles naissent beaucoup à Matignon (Georges Pompidou, Pierre Messmer, Raymond Barre, Édouard Balladur), mais qui, des Premiers Ministres ou anciens Premiers Ministres, ont été élus Présidents ? À part Georges Pompidou (la succession de De Gaulle était exceptionnelle) et Jacques Chirac (animal politique fait pour être candidat), personne, tous les autres ont échoué. Bruno Le Maire existait politiquement avant Emmanuel Macron, la preuve, c’était qu’il était même candidat à la candidature à l’élection présidentielle, tandis qu’Édouard Philippe, bien que présent dans la vie politique depuis une vingtaine d’années, n’a été connu du grand public et donc, n’existe politiquement que par la grâce d’Emmanuel Macron. Cela donne un lien plus fort de loyauté.

Ce serait une erreur de se débarrasser d’Édouard Philippe car il est l’homme idéal pour gérer la crise sociale grave qui va probablement arriver à la rentrée 2020. Au-delà de son intelligence vive et de sa combativité, il a la rigueur de choisir ses mots avec beaucoup de précaution pour éviter toute polémique inutile. Son expérience confortée par sa popularité en fait un homme incontournable pour Emmanuel Macron.

Le plus amusant, c’est évidemment la publication, par l’hebdomadaire "Marianne", le 5 juin 2020, d’une note confidentielle de Gilles Le Gendre, président du groupe LREM à l’Assemblée Nationale. On savait que Gilles Le Gendre n’était pas un grand politique, mais on peut s’étonner quand même d’une si grande naïveté, ne serait-ce que d’avoir couché par écrit des réflexions qui n’auraient jamais dû être que prononcer entre quatre yeux un soir après le travail.

Et que dit cette note ? D’abord, il a tiré sur Édouard Philippe dont le tort serait de ne pas avoir fait son boulot de président du groupe majoritaire, à savoir, faire la discipline dans ses rangs. On se demande d’ailleurs comment Gilles Le Gendre pourrait rester à son poste, car il a écrit qu’aucun membre de son groupe n’était capable d’occuper Matignon, les députés apprécieront ! Il a prévu son issue de secours puisqu’il s’est lui-même proposé (on n’est jamais mieux servi que par soi-même) pour le Ministère des Relations avec le Parlement. Que son titulaire actuel, Marc Fesneau, qui n’a pas démérité, ne s’inquiète pas puisqu’il l’a proposé au Ministère de l’Agriculture après l’avoir évoqué comme hypothèse à Matignon au même titre que Jean-Yves Le Drian, Olivier Véran, Didier Guillaume et même Jean Rottner, médecin urgentiste qui est président du conseil régional du Grand-Est et qui était sur le pont pendant la crise du coronavirus. François Bayrou et Richard Ferrand sont aussi évoqués pour Matignon (mais pas dans cette note du chef des députés LREM), mais leur mise en examen respective les empêche de réellement concourir.

Mais la seule hypothèse vraiment soutenue par Gilles Le Genre pour succéder à Édouard Philippe est Bruno Le Maire malgré, selon lui, son manque de charisme. Apparemment, et cela n’apparaît pas dans la note du député de Paris, l’une des hypothèse pour nommer une femme à Matignon serait …Nathalie Kosciusko-Morizet, très appréciée par les députés LREM et qui a fait un petit retour en février 2020 à l’Assemblée Nationale. Il faut rappeler que NKM a été battue aux législatives de juin 2017 à Paris par un certain …Gilles Le Gendre !

Ce dernier a plus d’un tour dans son sac et même s’il ne se voit pas à Matignon, il est prêt à proposer tout un gouvernement : Manuel Valls aux Affaires étrangères, Christophe Castaner aux Armées, Jean-Yves Le Drian à l’Intérieur, Anne Pannier-Runacher au Budget, Florence Parly au Travail, Gérard Darmanin aux Affaires sociales, etc.

Ce qui est troublant et très significatif, c’est que, dans cette note, Gilles Le Gendre ne s’occupe que de politique politicienne, du choix des hommes, et rien sur le choix de la politique suivie, de l’orientation économique, sociale et fiscale du troisième acte du quinquennat. En général, on choisit les hommes après les orientations politiques. Dans tous les cas, la position de Gilles Le Gendre, déjà contestée comme président de groupe parmi les députés LREM, va être difficile à tenir tant il a envoyé de scuds à ses nombreux petits camarades de parti.

À moins, bien sûr, que cette fuite n’ait été programmée par l’Élysée pour tester les différentes options et en particulier, l’éviction d’Édouard Philippe qui pourrait avoir comme point de chute et lot de consolation "sa" mairie du Havre. Et pourtant, sa victoire au Havre est loin d’être garantie.

En effet, au soir du premier tour du 15 mars 2020, la liste menée par Édouard Philippe n’a obtenu que 43,6% des voix (en mars 2014, il avait gagné dès le premier tour avec 52,0% des voix), et s’il n’aura qu’un seul adversaire, la liste de gauche menée par le député communiste Jean-Paul Lecoq qui a eu 35,9% des voix, le Premier Ministre n’a aucune réserve de voix alors que son concurrent pourrait récupérer les électeurs de la liste écologiste menée par Alexis Deck (8,3% des voix). Les électeurs de RN (seulement 7,3%) seront peut-être les arbitres… mais comme dans toutes les grandes villes, si le taux d’abstention au second tour est nettement moindre qu’au premier tour (il était alors très élevé avec 60,4% au Havre), toutes les cartes seront redistribuées et aucune surprise ne sera à exclure…

En tout cas, se séparer d’Édouard Philippe, ce serait surtout le jeter dans une démarche de candidature à l’élection présidentielle en 2022 qui pourrait être l’option rêvée pour le courant européen, social et démocrate, bref, anti-populiste, capable de rassembler au-delà de la majorité présidentielle jusque dans les rangs de LR dont il est issu. Le 7 juin 2020, le maire LR de Troyes et ancien ministre François Baroin, présidentiable, a d’ailleurs indiqué qu’il dirait cet automne s’il comptait "y aller" ou pas, à l’élection présidentielle de 2022. Nul doute que l’automne 2020 va cristalliser le paysage de la prochaine élection présidentielle, et probablement aussi le paysage sociale de la France d’après-coronavirus.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 juin 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Édouard Philippe, le grand atout d’Emmanuel Macron.
Annonce du second tour des élections municipales pour le 28 jun 2020 (22 mai 2020).
11 mai 2020 : Stop au covid-19 ! (et traçage ?).
Discours du Premier Ministre Édouard Philippe le jeudi 7 mai 2020 à Matignon sur le déconfinement (texte intégral).
Déconfinement : les départements verts et les départements rouges, la confusion des médias…
Discours du Premier Ministre Édouard Philippe le 28 avril 2020 à l’Assemblée Nationale (texte intégral).
Le déconfinement selon Édouard Philippe.
Coronavirus : bravo au gouvernement français pour sa réactivité économique et sociale !
Vous avez dit motion de censure ?
Article 49 alinéa 3 : le coronavirus avant la réforme des retraites ?
Retraites : Discours de la non-méthode.
Les deux projets de loi (ordinaire et organique) sur la réforme des retraites publiés le 24 janvier 2020 et leur étude d’impact (à télécharger).
Avis du Conseil d’État sur la réforme des retraites publié le 24 janvier 2020 (à télécharger).
Retraites : semaine de Sisyphe !
Édouard Philippe sur les retraites : déterminé mais pas fermé.
Les détails du projet de retraite universelle par points annoncé par Édouard Philippe le 11 décembre 2019.
Discours d’Édouard Philippe le 11 décembre 2019 au CESE (texte intégral).
Discours d’Édouard Philippe le 12 septembre 2019 au CESE (texte intégral).
Édouard Philippe, vainqueur par défaut des gilets jaunes et des européennes ?
Séance de l’Assemblée Nationale du 12 juin 2019 : vote de confiance (texte intégral).
Discours de politique générale d’Édouard Philippe le 12 juin 2019 (texte intégral).
Emmanuel Macron, deux ans après.
Emmanuel Macron et l’art d’être Français.
Conférence de presse du Président Emmanuel Macron du 25 avril 2019 (vidéo et texte intégral).
Édouard Philippe, l’étoffe d’un homme d’État ?
Édouard Philippe, invité de "L’émission politique" sur France 2 le 27 septembre 2018.
Édouard Philippe, invité de "L’émission politique" sur France 2 le 28 septembre 2017.
La France conquérante d’Édouard Philippe.
Édouard Philippe, nouveau Premier Ministre.
Le premier gouvernement d’Édouard Philippe du 17 mai 2017.
Le second gouvernement d’Édouard Philippe du 21 juin 2017.

_yartiPhilippeEdouardK04




http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200607-edouard-philippe.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/edouard-philippe-le-grand-atout-d-224991

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/06/07/38352812.html






 

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