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19 juillet 2020 7 19 /07 /juillet /2020 03:12

« Adieu, fantômes ! Le monde n’a plus besoin de vous. Ni de moi. Le monde, qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale, cherche à unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort. Une certaine confusion règne encore, mais encore un peu de temps et tout s’éclaircira ; nous verrons enfin apparaître le miracle d’une société animale, une parfaite et définitive fourmilière. » (Paul Valéry, 1919).



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Monstre sacré de la littérature française, reconnu et encensé de son vivant par mille et un honneurs, le poète (et philosophe) Paul Valéry s’est éteint à Paris il y a soixante-quinze ans, le 20 juillet 1945, à l’âge de 73 (il est né à Sète le 30 octobre 1871). Coïncidence, sa disparition a eu lieu trois jours avant le début du procès du maréchal Pétain devant la Haute Cour de justice, d’abord admiré par Paul Valéry comme l’homme de Verdun, puis détesté en 1940 comme l’honteux et odieux homme de la collaboration avec les nazis.

Enterré à Sète après des funérailles nationales, dans ce cimetière qu’il a si bien décrit : « Ce toit tranquille, où marchent des colombes,/ Entre les pins palpite, entre les tombes ;/ Midi le juste y compose de feux/ La mer, la mer, toujours recommencée !/ Ô récompense après une pensée/ Qu’un long regard sur le calme des dieux ! » dans "Cimetière marin", son deuxième chef-d’œuvre (qui se termine ainsi : « Le vent se lève !… Il faut bien vivre !/ L’air immense ouvre et referme mon livre,/ La vague en poudre ose jaillir des rocs !/ Envolez-vous, pages tout éblouies !/ Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies/ Ce toit tranquille où picoraient des focs ! »), sorti en 1920 (il y a cent ans), après son premier chef-d’œuvre, "La Jeune Parque", sorti en 1917 et avant "Charmes", sorti en 1922 : ces trois recueils de poèmes édités chez Gallimard ont eu beaucoup de succès et ont fait la renommée internationale de Paul Valéry, devenu rapidement, entre les deux guerres, la référence morale, intellectuelle, littéraire, au point qu’il pouvait lui-même s’en moquer tellement il trouvait cela exagéré. Il a fait de très nombreuses conférences et beaucoup de voyages officiels en cette qualité de maître incontesté de la poésie française.

Lorsqu’il décida, dans sa nuit mystique du 4 au 5 octobre 1892 (la "nuit de Gênes", il avait 20 ans), de ne plus faire de littérature, de s’éloigner de la poésie et de faire des sciences et des mathématiques, imaginait-il qu’il serait élu membre de l’Académie des sciences de Lisbonne, en 1935 ? Il s’intéressa aux travaux de Bergson, Einstein, Louis de Broglie, Henri Poincaré, Paul Langevin et Auguste Perret. Il échangea beaucoup de réflexion avec ces derniers.

Professeur au Collège de France (chaire de poétique à partir de 1937), grand officier de la Légion d’honneur (1938), président du Pen Club français (1924 à 1934), administrateur du Centre universitaire méditerranéen de Nice (1933 à 1941), président de la commission de synthèse de la coopération culturelle pour l’exposition universelle (1936), président d’honneur de la Sacem (1939), président de l’Union française pour le sauvetage de l’enfance (1941 à 1945), il fut élu le 19 novembre 1925, au quatrième tour par 17 voix, membre de l’Académie française et succéda à Anatole France (à qui il avait succédé à la présidence du Pen Club français). Il s’installa pour une petite vingtaine d’années dans le fauteuil de Malesherbes, Thiers (qui y siégea longtemps, de 1833 à 1877), Henri Martin, Ferdinand de Lesseps, Anatole France, et laissa son siège, après sa disparition notamment à Henri Mondor et au professeur François Jacob.

Ses premiers mots à ses confrères académiciens furent d’ailleurs ceux-ci : « Le passé saisit le présent, et je me sens environné d’une foule d’ombres que je ne puis écarter de mon discours. Les morts n’ont plus que les vivants comme ressource. Nos pensées sont pour eux les seuls chemins du jour. Eux qui nous ont tant appris, eux qui semblent s’être effacés pour nous et nous avoir abandonné toutes leurs chances, il est juste et digne de nous qu’ils soient pieusement accueillis dans nos mémoires et qu’ils boivent un peu de vie dans nos paroles. Il est juste et naturel que je sois à présent sollicité de mes souvenirs et que mon esprit se sente assisté d’une troupe mystérieuse de compagnons et de maîtres disparus dont les encouragements et les lumières que j’en ai reçus m’ont conduit insensiblement devant vous. Je dois à bien des morts d’être tel que vous ayez pu me choisir ; et à l’amitié je dois presque tout. ».

Sa réception sous la Coupole le 23 juin 1927 fut exceptionnelle car Paul Valéry refusa de prononcer une seule fois le nom de son prédécesseur dont il faisait l’éloge. La raison : il en voulait encore à Anatole France de ne pas avoir publié une œuvre de Mallarmé dans le journal "Le Parnasse contemporain". Car Mallarmé était en quelque sorte son inspirateur littéraire ; étudiant, il participait avec assiduité, aux côtés d’un autre grand ami, André Gide (qui insista plus tard pour qu’il publiât ses premiers poèmes), aux précieuses rencontres du mardi chez Mallarmé après avoir fait la connaissance de son ami Pierre Louÿs.

Car c’était bien sa conception de l’écriture qui a impressionné très vite les lecteurs de Paul Valéry. Il était à la recherche des vers "parfaits", plus importants que le sens et l’inspiration. La biographie de l’Académie française explique : « Quête de la "poésie pure", son œuvre se confond avec une réflexion sur le langage, vecteur entre l’esprit et le monde qui l’entoure, instrument de connaissance pour la connaissance. ».

Si Paul Valéry a rédigé finalement peu de poésie, il fut aussi très connu, après sa mort, pour avoir rédigé ses "Cahiers", tous les jours quelques heures pendant une cinquantaine d’années, où il couchait sur le papier l’état de ses réflexions, souvent inquiètes et sans illusions, qui ne furent publiés qu’après sa mort. Une masse incroyable, éditée la première fois par le CNRS entre 1957 et 1961, regroupant plus de 30 000 pages en 261 cahiers !

Chargé de prononcer (en tant que directeur) le rapport sur les prix de vertu le 20 décembre 1934 à la séance publique annuelle de l’Académie française, Paul Valéry déclara : « Voyez-vous, il n’est encore rien de tel comme une vieille Académie pour connaître bien des perfections qui ne se rencontrent pas dans les rues. N’oubliez point que ce qu’il y a de meilleur est toujours assez caché, et que ce qu’il y a de plus haut et de plus précieux au monde est toujours niable. ».

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Ses dernières années renforcèrent l’admiration qu’on pouvait déjà avoir de Paul Valéry. En effet, directeur de l’Académie française, le 22 janvier 1931, Paul Valéry a accueilli sous la Coupole, le maréchal Philippe Pétain (élu le 20 juin 1929 à l’unanimité pour succéder au maréchal Ferdinand Foch, dans le fauteuil de Lacordaire, Albert de Broglie, et après la guerre, d’André François-Poncet, Edgar Faure et Michel Serres) : « D’immenses services rendus à la France ; les mérites les plus solides couronnés par les dignités les plus relevées ; la confiance inspirée aux troupes, celle de la nation tout entière qui vous retient dans la paix à la tête de ses forces, tout vous portait au fauteuil vacant du grand capitaine, même le contraste le plus sensible, et sans doute le plus heureux pour le bon succès de la guerre dans le caractère, dans les conceptions, dans la conduite des idées. ».

Une occasion pour Paul Valéry de prononcer des mots de la fin curieusement prophétiques : « Que personne ne croie qu’une nouvelle guerre puisse mieux faire et radoucir le sort du genre humain. Il semble cependant que l’expérience n’est pas suffisante. Quelques-uns placent leurs espoirs dans une reprise du carnage. On trouve qu’il n’y eut pas assez de détresse, de déceptions, pas assez de ruines ni de larmes ; pas assez de mutilés, d’aveugles, de veuves et d’orphelins. Il paraît que les difficultés de la paix font pâlir l’atrocité de la guerre, dont on voit cependant interdire ça et là les effrayantes images. (…) Quels étranges esprits que les esprits responsables de ces pensées ! En plein conscience, en pleine lucidité, en présence de terrifiants souvenirs, auprès de tombes innombrables, au sortir de l’épreuve même, à côté des laboratoires où les énigmes de la tuberculose et du cancer sont passionnément attaquées, des hommes peuvent encore songer à essayer de jouer au jeu de la mort. Balzac, il y a juste cent ans, écrivait : "Sans se donner le temps d’essuyer ses pieds qui trempent dans le sang jusqu’à la cheville, l’Europe n’a-t-elle pas sans cesse recommencé la guerre ? Ne dirait-on pas que l’humanité, toute lucide et raisonnante qu’elle est, incapable de sacrifier ses impulsions à la connaissance et ses haines à ses douleurs, se comporte comme un essaim d’absurdes et misérables insectes invinciblement attirés par la flamme ?  » (c’était le 22 janvier 1931).

Malgré cette relation particulière qui lia les deux hommes, Paul Valéry refusa le principe de la collaboration et refusa que l’Académie, dont il était encore le directeur sous l’Occupation, fît allégeance à Pétain (au grand dam d’Abel Bonnard). Il osa même faire l’éloge de son ami Henri Bergson mort le 4 janvier 1941 malgré la "judéité" de ce dernier. Le philosophe Henri Bergson avait été élu à l’Académie française le 12 février 1914 et fut lauréat du Prix Nobel de Littérature en 1927. Paul Valéry le considéra ce 9 janvier 1941 comme « le plus grand philosophe de notre temps », enterré très discrètement en sa présence et celle de seulement une trentaine d’autres proches.

Berson loué et admiré : « Que sa métaphysique nous eût ou non séduits, que nous l’ayons ou non suivi dans la profonde recherche à laquelle il a consacré toute sa vie, et dans l’évolution véritablement créatrice de sa pensée, toujours plus hardie et plus libre, nous avions en lui l’exemplaire le plus authentique des vertus intellectuelles les plus élevées. Une sorte d’autorité morale dans les choses de l’esprit s’attachait à son nom, qui était universel. La France sut faire appel à ce nom et à cette autorité dans des circonstances dont je m’assure qu’il vous souvient. Il eut quantité de disciples d’une ferveur, et presque d’une dévotion que personne après lui, dans le monde des idées, ne peut à présent se flatter d’exciter. ».

Paul Valéry parla plus précisément de son style d’écriture : « La vraie valeur de la philosophie n’est que de ramener la pensée à elle-même. Cet effort exige de celui qui veut le décrire et communiquer ce qui lui apparaît de sa vie intérieure, une application particulière et même l’invention d’une manière de s’exprimer convenable à ce dessein, car le langage expire à sa propre source. C’est ici que se manifesta toute la ressource du génie de M. Bergson. Il osa emprunter à la poésie ses armes enchantées, dont il combina le pouvoir avec la précision dont un esprit nourri aux sciences exactes ne peut souffrir de s’écarter. Les images, les métaphores les plus heureuses et les plus neuves obéirent à son désir de reconstituer dans la conscience d’autrui les découvertes qu’il faisait dans la sienne, et les résultats de ses expériences interpellent. (…) Permettez-moi d’observer que cette reprise fut à très peu près contemporaine de celle qui se produisit dans l’univers de la musique, quand se manifesta l’œuvre très subtile et très dégagée de Claude Achille Debussy. Ce furent deux réactions caractéristiques de la France. ».

La fin de son éloge ne manquait ni d’amertume, ni de pessimisme : « Très haute, très pure, très supérieure figure de l’homme pensant, et peut-être l’un des derniers hommes qui auront exclusivement, profondément et supérieurement pensé, dans une époque du monde où le monde va pensant et méditant de moins en moins, où la civilisation semble, de jour en jour, se réduire au souvenir et aux vestiges que nous gardons de sa richesse multiforme et de sa production intellectuelle libre et surabondante, cependant que la misère, les angoisses, les contraintes de tout ordre dépriment ou découragent les entreprises de l’esprit, Bergson semble déjà appartenir à un âge révolu, et son nom, le dernier grand nom de l’histoire de l’intelligence européenne. ».

Exprimer une telle admiration pourrait apparaître de nos jours anodin et ordinaire, mais en 1941, en pleine période de collaboration "triomphante", c’était au contraire un acte de courage indéniable qui impressionna notamment De Gaulle et qui l’encouragea, en tant que Président du Conseil, à demander et organiser des funérailles nationales lors de sa disparition…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 juillet 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Paul Valéry.
François Jacob.
Edgar Morin, le dernier intellectuel ?
Michel Droit.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Vladimir Jankélévitch.
Marc Sangnier.
Michel Houellebecq écrit à France Inter sur le virus sans qualités.
Jean-Paul Sartre.
Pierre Teilhard de Chardin.
Boris Vian.
Jean Daniel.
Claire Bretécher.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200720-paul-valery.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/paul-valery-poete-d-etat-de-la-225834

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/07/17/38434337.html



 

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