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31 août 2020 1 31 /08 /août /2020 03:40

« Je regrette de l’avoir si peu connu car il était, paraît-il, d’une méchanceté qui n’avait d’égal que sa foi. Il crucifiait tous les contemporains qui lui tombaient sous la main. Mais au nom du Seigneur ! » (Philippe Bouvard sur François Mauriac).



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Le grand écrivain François Mauriac est mort il y a cinquante ans, le 1er septembre 1970 à Paris, à un mois de ses 85 ans (il est né le 11 octobre 1885 à Bordeaux). François Mauriac a eu tout ce qu’un écrivain pourrait prétendre, l’Académie française (élu le 1er juin 1933 très largement dès le premier tour, reçu le 16 novembre 1933, ses successeurs furent Julien Green et René de Obaldia) et le Prix Nobel de Littérature (en 1952), mais surtout, c’est l’essentiel, la reconnaissance de ses lecteurs.

Profondément catholique et anticommuniste, au sommet de sa réputation dans les années 1930 avec des œuvres majeures, des romans engagés ("Le Baiser au lépreux" en 1922, "Le Désert de l’amour en 1925, "Thérèse Desqueyroux" en 1927, "Le Nœud de vipères" en 1932, "Le Mystère Frontenac" en 1933, "La Pharisienne" en 1941), François Mauriac a pris position dans les troubles du monde, en dénonçant le montée du fascisme en Europe, en soutenant les républicains espagnols après Guernica, en s’engageant dans la Résistance et en étant fidèle à De Gaulle sous l’Occupation (même s’il a soutenu Robert Brasillach pour lui éviter, sans succès, l’exécution à la Libération, on le surnommait alors saint François des Assises), en épaulant, au début des années 1950, aux côtés de Raymond Aron et Albert Camus, les "hussards comme Michel Déon, en réaction aux "intellectuels" comme Jean-Paul Sartre qui régnait sur la pensée du monde culturel.

Au-delà de l’œuvre romanesque, François Mauriac est aussi très connu pour avoir publié ses "Bloc-notes", des chroniques politiques hebdomadaires à partir du début des années 1950 jusqu’à sa mort, qu’il proposait d’abord dans "La Table rond", puis "L’Express" et "Le Figaro", qui, pendant une vingtaine d’années, ont montré le témoin engagé et exigeant de la vie politique et ont été une référence de la pensée politique de l’époque (où est le François Mauriac d’aujourd’hui ?).

Comme Philippe Bouvard le disait au début de l’article, François Mauriac adorait crucifier de son verbe tranchant ses contemporains. Exemple pour Valéry Giscard d’Estaing (VGE), le 19 septembre 1963 : « Quant au ministre des Finances, naguère encore si empesé, il a aujourd’hui la désinvolture et la grâce de Gilbert Bécaud. ». Ou encore, le 30 mai 1964 : « Et de même, nous nous souvenons d’un Giscard d’Estaing, il n’y a pas si longtemps, emprunté, engoncé, "Science Po" monté en graine. Il a un peu tâtonné, n’a commis qu’une seule fois l’erreur du pull-over et, enfin, il a mis au point son personnage, qui correspond à une certaine idée, chez le téléspectateur et surtout chez la téléspectatrice, de l’homme jeune encore, fort, riche, puissant, intelligent, équilibré, détective, qui gagne à tous les coups et dont les films américains ont fixé le type. ». Plus aigu encore, le 13 janvier 1967 : « Ce qui intéresse Giscard, c’est d’Estaing. Ce qui intéresse d’Estaing, c’est Giscard. »

Autre victime, Jean Lecanuet, le 1er avril 1966 : « Son sourire et ses dents relèvent pour moi du cauchemar. ». Le 21 septembre 1966 : « Ce politicien avantageux nous paraît moins jeune qu’il n’imagine. Un spectre n’est jamais jeune : quoi qu’il fasse, il sera toujours un revenant, c’est-à-dire chargé d’un amas d’années, et de quelles années ! ».

Jean-Jacques Servan-Schreiber (JJSS), le 22 février 1963 : « Pourquoi notre Kennedillon resterait-il sur sa faim ? Il y restera, je l’en assure. Si loin qu’il ait toujours vécu du peuple, il l’a pourtant approché d’assez près durant la dernière campagne électorale pour mesurer les abîmes qui l’en séparent. ». Il faut préciser que François Mauriac avait publié pendant un temps, entre 1955 et 1961, ses chroniques dans "L’Express" fondé et dirigé par JJSS.

On peut aussi remarquer que, chacun avec sa personnalité, chacun ambitieux pour son pays et lui-même, Valéry Giscard d’Estaing, Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan-Schreiber ont tenté, dans les années 1960, d’être le Kennedy des Français (sans succès pour aucun, même pour VGE qui a été élu Président de la République en 1974).

De Michel Rocard, qui venait d’affronter Edgar Faure à la télévision, dans l’émission "À armes égales", François Mauriac écrivait le 6 juillet 1970 : « J’imagine que le succès de Michel Rocard à la télévision est du même ordre que celui d’un chanteur de charme, qu’il est politiquement nul. Parce qu’il n’a aucune chance d’espérer atteindre au pouvoir par les moyens légaux, il a une raison très personnelle d’être révolutionnaire : lui qui ne peut rien espérer que de la violence… ». Voilà un jugement peu pertinent, si l’on en juge par la suite de l’histoire de Michel Rocard.

François Mitterrand, le 19 septembre 1963 : « Aucun trait de François Mitterrand ne rappelle Alphonse de Lamartine : on ne saurait être moins lamartinien que ce personnage de la "Comédie humaine". ».

Guy Mollet, le 11 février 1956 : « Hélas ! Monsieur Guy Mollet n’a pas pris la foudre. Il a pris des tomates pourries, mais sur le nez. Et si ce n’était que sur le sien, nous nous serions fait une raison. Mais c’est l’État qui a reçu cet ouvrage. ». Le 14 juin 1957 : « On sait qu’il reste le maître du Parti socialiste, ses amis, dans la nouvelle équipe, occupent les premiers postes. Il demeurera ouvertement l’âme toute-puissante de ce corps débile. Mais il est vrai que la ruse de monsieur Guy Mollet a toujours été à ciel ouvert. Il a de gros sabots et on l’entend tout le temps venir. Au fond, est-il aussi malin qu’il en a l’air ? ». Le 10 octobre 1957 : « Monsieur le Président de la République doit savoir comme nous, qu’en politique étrangère, monsieur Guy Mollet n’y voit pas plus loin que son nez, qui est court. ».

Waldeck Rochet (chef du parti communiste français), le 26 février 1967 : « Qu’est-ce que c’est que ces communistes qui ne font plus peur à personne ? C’était leur raison d’être, après tout ! Comme épouvantail, il faut convenir qu’ils auront beaucoup servi (…). La révolution est à réinventer et ce n’est pas du cerveau de monsieur Waldeck Rochet qu’elle risque de surgir, avec son marteau et sa faucille. ». Le 13 mars 1967 : « Il n’existe pas de programme commun entre Gaston Defferre et Waldeck Rochet, entre une chauve-souris et un poisson rouge. ».

Jean-Louis Tixier-Vignancourt, le 8 septembre 1962, à propos de l’attentat du Petit-Clamart contre les époux De Gaulle : « L’avocat des tueurs… ».

Georges Bidault, le 13 juin 1962 : « Et Bidault ? Amnistié, pardonné, mais exilé à jamais du pouvoir, rien ne lui sera plus, plus ne lui sera rien. Il ira, la nuit, coller sa pauvre petite figure de défroqué MRP aux grilles du Quai d’Orsay. Depuis le trottoir, il verra flamber les grands lustres, il imaginera l’huissier, les secrétaires tremblantes, le bureau de Vergennes, et cette ivresse permanente du pouvoir dont aucun alcool ne nous console quand nous l’avons perdu. Alors Bidault pleurera, accroché des deux mains à la grille, jusqu’à ce qu’un agent paternel le prenne par l’épaule et lui dise doucement de circuler. ».

Antoine Pinay, le 20 août 1955 (quand il est revenu au gouvernement aux Affaires étrangères) : « Colas au Quai d’Orsay. D’autres se chargent de penser à sa place. (…) Il y a un mot de Chateaubriand sur Polignac (je cite de mémoire) : "Ces muets qui étranglent les empires…". À partir du moment où la suffisance et l’insuffisance de Colas risquent de devenir mortelles pour la France, il n’y a plus de charité qui tienne et je sens que la mienne va céder. L’effroyable disproportion entre l’histoire et les petits hommes qui se bousculent pour la faire… ».

Joseph Laniel, le 14 novembre 1953 : « Il faut rendre justice à monsieur Joseph Laniel : en voilà un qui ne trompe pas son monde ! Ce Président massif, on discerne du premier coup d’œil ce qu’il incarne : il y a du lingot dans cet homme-là. Sans doute ignore-t-il "le grand secret de ceux qui entrent dans les emplois" que nous livre le cardinal de Retz, et qui est "de saisir d’abord l’imagination des hommes". On ne saurait moins parler à l’imagination que monsieur Joseph Laniel. Ce Président-là nous ferait découvrir de la fantaisie chez monsieur Doumergue, et chez monsieur Lebrun, de la verve. ». Le 20 juin 1954 (après la chute du gouvernement Laniel) : « Plus de tête de Turc… Plus de tête de bœuf ! ».

Edgar Faure, le 1er octobre 1955, à propos de la décolonisation du Maroc : « "Du moins, celui-là est intelligent…". Ainsi nous rassurions-nous. Peut-être un imbécile eût-il mieux valu qui n’aurait rien fait que laisser faire. Des cartes, au moins, nous resteraient : aujourd’hui, elles ont été risquées et elles sont perdues. Monsieur Edgar Faure les a jouées au cours d’une partie qui n’était pas celle de la France, qui était celle de monsieur Edgar Faure. Son excuse est que, dans son esprit, les deux causes se confondent, et qu’il importe au salut de la patrie que tout soit subordonné au maintien de monsieur Edgar Faure à la Présidence du Conseil. Qui n’est saisi par ce contraste : un avocat roué, mais myope, le nez dans son jeu personnel, s’embrouille dans ses combinaisons ; et ce serait comique si l’enjeu de la partie qui se tient, pour monsieur Edgar Faure, dans la présence de monsieur Edgar Faure à l’hôtel Matignon, n’était, de surcroît, la destinée africaine de la France. ».

René Coty, le 10 octobre 1957 : « Cette énorme libellule se cogne follement à une vitre. (…) J’ai la plus grande considération pour monsieur le Président de la République. On n’occupe pas une si haute charge sans avoir témoigné de capacités particulières. Mais enfin, les plus nobles esprits ont leurs points faibles. Autant que nous en puissions juger du dehors et de la place infime que nous occupons, monsieur René Coty, dans les moments de sa carrière où il appartient de choisir un nouveau cheval, incline à revenir aux vieilles montures qu’il connaît. Ne se trouve-t-il donc, dans les haras du régime, que des chevaux de retour ? J’entends bien que monsieur René Coty est un classique : inventer en politique, risquer n’est pas son fort. Il joue correctement le jeu, quoi qu’il lui en coûte, et même si les règles de ce jeu l’obligent, chaque fois, à cogner contre un mur sa tête vénérable. ».

Je termine cette panoplie d’exemples par ce mot très connu sur Georges Pompidou, le 12 septembre 1963 : « Notre Raminagrobis de Premier Ministre, tout fourré, tout bénin, toutes griffes rentrées… ».

Mais ces avis tranchés n’étaient pas forcément méchants, puisque, "en même temps", l’académicien nobélisé se permettait aussi de faire des prophéties très flatteuses, comme pour Valéry Giscard d’Estaing, le 30 juillet 1968 : « Que celui-ci paraisse au petit écran moulé dans un pull-over ou qu’il renonce au pull-over, ou qu’il s’adresse au peuple comme l’autre jour, assis familièrement sur un coin de table, nous le voyons, avec plaisir, sous notre nez, retoucher jour après jour le personnage du plus jeune ministre des Finances qu’il a été et du plus jeune Président de la République qu’il sera, s’il plaît à Dieu et s’il n’y a pas d’accident de parcours. (…) L’ambition, chacun a la sienne, proportionnée aux dons qui lui furent dévolus dès le départ. Celle de Valéry Giscard d’Estaing est à la mesure de tout ce dont il fut comblé en naissant, mais il reste l’admirable usage qu’il a su en faire. Il n’a plus désormais qu’à prendre conscience, en observant le destin d’un Clemenceau, d’un De Gaulle, et, tout près de lui, celui d’un Georges Pompidou, que l’homme d’État ne naît vraiment que lorsqu’un destin particulier se confond avec celui de la nation et qu’on ne peut plus les dissocier. ». Michèle Cotta, qui avait cité cet extrait dans ses "Cahiers", a lâché à la fin, le souffle coupé : « Quel hymne à Valéry Giscard d’Estaing ! Je n’en reviens pas ! ». François Mauriac n’était pas pertinent pour Michel Rocard, mais était très anticipateur pour VGE.

François Mauriac était donc une grande référence dans le monde politique. Cela n’empêchait pas des critiques, comme celles, très acerbes, de Bernard Frank dans "France Observateur" le 25 mai 1961 : « Ce qui m’intéresse chez Mauriac, c’est que ce romancier médiocre, ce polémiste qui connaît bien, trop bien, trop scolairement la polémique d’antan, ce poète débile, ce dramaturge insignifiant, réussit à merveille, dans la grande presse et dans le grand public, à se faire passer pour un écrivain "capital". Un phare. Une conscience. Jules Renard disait : "Pour devenir un génie, il faut être un bœuf". Écrire, écrire, écrire. Mais non, c’est plus simple, il faut durer, louvoyer à travers les modes et les guerres, les armistices, les résistances et les libérations. L’astuce de Mauriac, c’est d’avoir, fort jeune encore, joué le vieillard ingambe. » (cité par Jean-Claude Lamy, voir référence plus loin).

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L’une des grandes fidélités de François Mauriac, dès le début des années 1940, a été à De Gaulle même dans sa version présidentielle entre 1958 et 1969. De Gaulle et Mauriac, c’était un véritable couple intellectuel qui a été l’objet de nombreuses études. L’un des fils de François Mauriac, Jean Mauriac, qui vient de mourir le 24 août 2020 à l’âge de 96 ans, était un journaliste de l’AFP auprès de De Gaulle et a pu le suivre dans tous ses actes et discours (cela a fait l’objet de plusieurs ouvrages dont "L’après-De Gaulle. Notes confidentielles 1969-1989" sorti en 2006 chez Fayard). Le fils aîné Claude Mauriac (1914-1996), journaliste et écrivain réputé, fut également le secrétaire de De Gaulle.

Le dernier ouvrage sur cette relation entre De Gaulle et François Mauriac est sorti ce jeudi 27 août 2020, "Demain la France, tombeaux de Mauriac, Michelet, De Gaulle" (les éditions du Cerf) où l’auteur, Xavier Patier, évoque les trois personnalités mythiques de la France de son adolescence (il avait 12 ans à l’époque), qui sont mortes en même temps, à quelques semaines d’intervalle : François Mauriac, Edmond Michelet et De Gaulle.

Une anecdote bien connue montre que De Gaulle estimait beaucoup François Mauriac. Il avait aussi beaucoup de considération pour André Malraux à tel point qu’il l’avait nommé Ministre d’État pour qu’il fût assis à sa droite au conseil des ministres. L’anecdote est ici proposée par Jean-Claude Lamy dans "Le Figaro" du 31 janvier 2008 : « En conseil des ministres, le Général déclara : "N’oublions pas que François Mauriac est le plus grand écrivain français vivant". Devant l’air renfrogné d’André Malraux, il ajouta : "Les personnes présentes étant toujours exceptées". ». Il y a d’autres variantes comme celle-ci, De Gaulle se retournant vers Malraux en le rassurant : "Vous excepté, cher maître !"

Alain Peyrefitte a évoqué certaines anecdotes des relations entre De Gaulle et François Mauriac. Ce qui suit provient de son grand livre de notes personnelles "C’était De Gaulle" (éd. Gallimard).

J’ai indiqué plus haut que, malgré son engagement dans la Résistance, François Mauriac avait plaidé auprès de De Gaulle la cause de Robert Brasillach, condamné à mort le 19 janvier 1945 et finalement fusillé le 6 février 1945. Le 31 juillet 1963, Alain Peyrefitte a voulu interroger De Gaulle sur ce sujet en lui demandant s’il aurait pris la même décision en 1963 et pas en 1945 : « Le Général reste silencieux. Va-t-il refuser de répondre sur une affaire qui relève de sa seule conscience ? ».

Et puis, De Gaulle confia à Alain Peyrefitte : « Aujourd’hui [31 juillet 1963], je ne sais pas. La roue a tourné. Mais, cet hiver-là, la guerre continuait, nos soldats tombaient sous le canon des Allemands. Tant de pauvres types ont été fusillés sommairement à la Libération, pour s’être laissé entraîner dans la collaboration ! Pourquoi ceux qui les ont entraînés, les Darnand, les Déat, les Pucheu, les Henriot, les Brasillach, seraient-ils passés entre les gouttes ? Un intellectuel n’est pas moins, mais plus responsable qu’un autre. Il est un incitateur. Il est un chef au sens le plus fort. François Mauriac m’avait écrit qu’une tête pensante ne doit pas tomber. Et pourquoi donc, ce privilège ? Une grosse tête est plus responsable qu’une tête de piaf ! Brasillach était intelligent. Il avait du talent. Ce qu’il a fait est d’autant plus grave. Son engagement dans la collaboration a renforcé les nazis. Un intellectuel n’a pas plus de titres à l’indulgence ; il en a moins, parce qu’il est plus informé, plus capable d’esprit critique, donc plus coupable. Les paroles d’un intellectuel sont des flèches, ses formules sont des balles ! Il a le pouvoir de transformer l’esprit public. Il ne peut pas à la fois jouir des avantages de ce pouvoir-là, et en refuser les inconvénients ! Quand vient l’heure de la justice, il doit payer. ».

Alain Peyrefitte a noté dans "C’était De Gaulle" que De Gaulle était très impressionné par les artistes, les écrivains, et s’ils étaient académiciens, Prix Nobel, cela renforçait son degré d’admiration. Il appréciait tant François Mauriac qu’il se permettait de court-circuiter les règles du protocole. Ainsi : « Pour un déjeuner dans l’intimité, il m’a dit à voix basse, au moment de passer à la salle à manger, le 3 février 1966 : "J’ai fait placer François Mauriac avant vous, vous ne m’en voulez pas". L’idée ne me serait pas venue que la question se posât : un écrivain illustre, mon aîné de presque un demi-siècle ! (Il est vrai, en théorie, qu’un membre du gouvernement en exercice passe avant un académicien, aussi chevronné soit-il). Dans l’idée que le Général se fait de l’ordre social (…), un grand écrivain chargé d’ans passe avant un jeune ministre. Pompidou, élevé à bonne école, me glissera cinq ans plus tard, avant de passer à table : "Vous ne m’en voudrez pas, j’ai placé Maurice Genevoix à la droite de Claude". ».

Quelques années auparavant, en 1964, il s’agissait de la réforme de l’audiovisuel public, à l’époque, de la RTF (Radiodiffusion Télévision française). Alain Peyrefitte a dû négocier ferme avec De Gaulle le 8 avril 1964 sur les statuts de la RTF. De Gaulle refusait toute ouverture démocratique tandis qu’Alain Peyrefitte voulait inclure dans le conseil d’administration des membres d’associations d’auditeurs et de téléspectateurs, et que le président fût élu par les membres du CA. Pour le convaincre, Alain Peyrefitte s’engagea que le candidat de leur choix serait élu : « Quant au président, je me fais fort de faire élire celui que nous aurons choisi. Je vous offre de le choisir vous-même, et je vous demande de mettre fin aussitôt à mes fonctions si celui que vous aurez désigné n’est pas élu. ». La démocratie était donc très "limitée" !

De Gaulle : « À qui pensez-vous ? ». Et Alain Peyrefitte de proposer le nom de deux académiciens, François Mauriac (« qui est un téléspectateur assidu ») et Wladimir d’Ormesson, ambassadeur de France, l’oncle d’un autre académicien, Jean d’Ormesson. De Gaulle s’est alors forgé son choix : « D’Ormesson n’a pas le génie littéraire de Mauriac. Mais Mauriac est un sensitif. Il s’enflammera pour le dernier chien perdu. Il vous fera part de ses états d’âme et la terre entière finira par le savoir. Wladimir d’Ormesson est un serviteur de l’État. Il saura faire la part des choses et couvrira bien la direction. Prenez donc d’Ormesson. ». Ce dernier fut le premier président de l’ORTF, finalement élu à l’unanimité.

C’était De Gaulle, mais c’était aussi Mauriac…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 août 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Mauriac.
Jacques Soustelle.
Michel Serres.
Paul Valéry.
François Jacob.
Edgar Morin.
Michel Droit.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Vladimir Jankélévitch.
Marc Sangnier.
Michel Houellebecq écrit à France Inter sur le virus sans qualités.
Jean-Paul Sartre.
Pierre Teilhard de Chardin.
Boris Vian.
Jean Daniel.
Claire Bretécher.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200901-francois-mauriac.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/francois-mauriac-ses-vacheries-et-226707

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/08/27/38500580.html







 

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