« La liberté dans notre République est un bloc. (…) C’est la liberté de conscience, et en particulier, la laïcité, ce régime unique au monde qui garantit la liberté de croire ou de ne pas croire, mais qui n’est pas séparable d’une liberté d’expression allant jusqu’au droit au blasphème. (…) Être Français, c’est défendre le droit de faire rire, la liberté de railler, de moquer, de caricaturer, dont Voltaire soutenait qu’elle était la source de toutes les autres. Être Français, c’est être toujours du côté des combattants de la liberté. » (Emmanuel Macron, le 4 septembre 2020 au Panthéon).
À l’occasion du 150e anniversaire de la proclamation de la Troisième République par Gambetta (le 4 septembre 1870), le Président de la République française Emmanuel Macron a prononcé ce vendredi 4 septembre 2020 un discours assez attendu dans l’enceinte même du Panthéon, à Paris, où est honorée la mémoire de grandes personnalités qui ont fait la France (dont on peut lire ou écouter l’intégralité ici).
Ce fut l’occasion, au-delà d’attribuer la nationalité française à six nouveaux Français, de donner les mots sans faux-semblants et sans hypocrisie, à un moment clef de la nation française puisque depuis quelques jours, a lieu le procès des auteurs des attentats islamistes de janvier 2015. Le point le plus fort, c’est d’avoir défendu le droit au blasphème ; c’est la première fois qu’un Président de la République, depuis la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité, l’a explicitement dit, avec ce mot si fort, pour qu’il n’y ait plus aucune ambiguïté, même si, pour être précis, on ne peut parler de "blasphème" que lorsqu’on est soi-même croyant.
Le discours d’Emmanuel Macron a donc zigzagué entre le présent direct, la montée des séparatismes, la cohésion républicaine en question, la naturalisation de nouveaux citoyens, et les leçons de l’histoire, des cent cinquante ans d’histoire de notre République, en citant de grands noms : Voltaire, Léon Gambetta, Marie Curie, Joséphine Baker, Félix Éboué, Gisèle Halimi, disparue récemment et qui va prochainement être honorée à la cour des Invalides, Charles De Gaulle, Victor Schœlcher, Charles Péguy, Jean Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendès France, Marc Bloch, Albert Camus, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Émile Zola, André Malraux, Aimé Césaire, François Mauriac, l’abbé Grégoire, Jean Bodin, Condorcet, Jean-Jacques Rousseau. D’autres figures ont été associées à cette cérémonie : Adolphe Crémieux, Maria Deraismes, Georges Clemenceau, Germaines Poinso-Chapuis, Jacques Chaban-Delmas, Germaine Tillion...
Emmanuel Macron a défini ce qu’est devenir puis être Français, notamment : « Devenir Français, c’est avoir ancré en soi-même la conscience que parce que la République est toujours fragile, toujours précaire, elle doit être un combat de chaque aube, une conquête de chaque jour, un patriotisme républicain de chaque instant. La République n’est pas donnée, jamais acquise, et je le dis ici aussi pour nos jeunes. C’est une conquête. Elle est toujours à protéger ou à reconquérir. ». En somme, la République est une création permanente.
Il a décliné la devise française. La liberté, notamment la liberté d’expression (voir plus haut). L’égalité : « Cette idée simple au fond : chaque citoyen, quel que soit le lieu où il vit, le milieu d’où il vient, doit pouvoir construire sa vie par son travail, par son mérite. Nous sommes encore loin, trop loin de cet idéal. Combien encore d’enfants de France sont discriminés pour leur couleur de peau, leur nom ? Combien de portes fermées à de jeunes femmes, de jeunes hommes, parce qu’ils n’avaient pas les bons codes, n’étaient pas au bon endroit ? L’égalité des chances n’est pas encore effective aujourd’hui dans notre République. C’est pourquoi elle est plus que jamais une priorité de ce quinquennat. ».
Cette égalité, elle est aussi pour tous, face aux lois de la République : « L’égalité devant la loi implique ainsi que les lois de la République sont toujours supérieures aux règles particulières. C’est pourquoi il n’y aura jamais de place en France pour ceux qui, souvent au nom d’un Dieu, parfois avec l’aide de puissances étrangères, entendent imposer la loi d’un groupe. Non, la République, parce qu’elle est indivisible, n’admet aucune aventure séparatiste. ». Ce mot "séparatisme" reprend la notion d’islamisme politique mais aussi d’aide des puissances étrangères qui est une accusation très forte.
Enfin, la fraternité : « Notre Nation a ceci de singulier qu’elle a développé un État providence, un modèle de protection sociale qui ne laisse personne au bord du chemin. Or, ce système unique au monde ne tient que par les liens toujours fragiles qui unissent nos concitoyens, liens du respect et de la civilité qu’à tout moment, la violence et la haine peuvent briser. C’est pour cela qu’en République, les policiers, les gendarmes, les magistrats, les maires, les élus de la République, plus largement, toutes celles qui luttent contre la violence, contre le racisme et l’antisémitisme jouent un rôle déterminant, et que, par symétrie, ceux qui s’en prennent à eux doivent être lourdement condamnés. ».
Ce sont des références communes qui peuvent lier les Français : « Le partage d’un commun est décisif et je ne peux en effet consentir des sacrifices pour mes compatriotes que si je me sens lié à eux non seulement par un contrat social, mais par des références, une culture, une histoire commune, des valeurs communes, un destin commun dans lequel nous sommes engagés. C’est cela, la République. ».
C’est pour cette raison qu’il ne faut pas déboulonner les statues, comme celle de Colbert : « Entrer en République française. Aimer nos paysages, notre histoire, notre culture en bloc, toujours. Le Sacre de Reims et la Fête d la Fédération, c’est pour cela que la République ne déboulonne pas de statues, ne choisit pas simplement une part de son histoire, car on ne choisit jamais une part de la France, on choisit la France. La République commence, vous l’avez compris, bien avant la République elle-même, car ses valeurs sont enracinées dans notre histoire. Et devenir Français, c’est l’épouser tout entière et c’est aussi épouser une langue qui ne s’arrête pas à nos frontière (…), mais qui fut aussi l’un des ciments de notre Nation. ».
Emmanuel Macron a voulu remettre la République et la citoyenneté dans son contexte historique, certes, mais aussi dans le réel d’aujourd’hui qui n’est pas "rose" : « La République, c’est une transmission. La République est une volonté jamais achevée, toujours à reconquérir. Et si elle tient depuis la Révolution, c’est parce qu’entre ceux qui l’ont rêvée,ceux qui l’ont fait advenir, ceux qui l’ont défendue parfois dans les heures les plus tragiques de notre histoire, ceux qui l’ont renouvelée dans le projet européen, entre toutes ces femmes et tous ces hommes s’est nouée une scène des temps qui a traversé les siècles. Et en ce jour anniversaire, ce n’est pas tant la joie qui domine, je dois bien l’avouer, qu’une forme de gravité lucide, face aux menaces qui pèsent sur elle. ».
Cette gravité, ce sont les multiples événements, parfois symboliques (les militants qui déboulonnent Colbert, les malfrats qui taguent le musée d’Oradour-sur-Glane, les menaces de dirigeants pakistanais contre "Charlie Hebdo", etc.), et parfois dramatiques (le chauffeur du bus assassiné pour non port du masque, le maire assassiné dans l’exercice de ses fonctions, les attentats islamistes, ceux commis et les plusieurs dizaines de tentatives déjouées depuis quelques années seulement, etc.).
Emmanuel Macron, dans un environnement quasi-religieux (les lieux résonnaient comme dans une église, ce qu’était le Panthéon à l’origine), a toujours su manier les mots : « Être Français n’est jamais seulement une identité. C’est une citoyenneté. Ce sont des droits qui vont avec. Ce sont aussi ses devoirs, c’est-à-dire l’adhésion à ses valeurs, à une histoire, à une langue, à une exigence qui tient la République debout, car elle dépend de chacune et de chacun d’entre nous à chaque instant. ».
On pourra reprocher au Président de la République de n’avoir rien fait d’autre que marquer un petit pas, que commenter une actualité très bouillonnante où la cohésion nationale a atteint un équilibre très fragile et toujours instable. On pourra regretter que la référence historique, la seule qui tenait en cet anniversaire, la proclamation de la République, n’ait pas été exploitée assez profondément, il aurait fallu rappeler que cette Troisième République si oubliée désormais était nos racines dans les valeurs républicaines, la liberté de la presse, la liberté d’association, la laïcité sont toutes issues de cette révolution pacifique que fut la chute du Second Empire.
Et bien entendu, la révolution par l’instruction. L’école obligatoire et gratuite fut une singularité dans l’histoire nationale. Elle provient d’une réflexion de Gambetta et d’autres républicains qui faisaient campagne dans les campagnes et qui voyaient que les non instruits s’en remettaient plus aisément aux monarchistes. Par une éducation éclairée, ils pourraient au contraire choisir la République et les libertés. Après un siècle d’horribles cafouillages institutionnels et sociaux (le pire étant la Terreur, à mon sens), la France s’est trouvé, avec la République, son système permettant enfin de mettre en pratique l’esprit des Lumières, celui de Voltaire et Montesquieu.
Ce discours du 4 septembre 2020 au Panthéon ne sera donc pas un grand discours référence sur la République et la laïcité, sur l’ordre et la justice. Il n’est qu’un petit jalon, parmi les sept ou huit autres, qu’Emmanuel Macron a posé pour bâtir une stratégie régalienne dont Gérald Darmanin (plus qu’Éric Dupond-Moretti) est sans doute la pièce maîtresse.
Malgré ces réserves que je viens de formuler, ce discours aura peut-être un effet salutaire : Emmanuel Macron a nommé un droit qu’il fallait nommer dans le contexte actuel, le droit au blasphème. Cette expression est malheureuse car le blasphème ne concerne que les croyants, mais la liberté de se moquer des religions, tout en respectant la dignité de ceux qui ont la foi, est un élément majeur du vivre ensemble. Pas étonnant qu’Emmanuel Macron, sans tradition politique historique clairement identifiée, puisse prendre siennes les quelques belles phrases de Marc Bloch qu’il a rappelées dans son discours : « La France est la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J’ai bu aux sources de sa culture. J’ai fait mien son passé. Je ne respire bien que sous son ciel et je me suis efforcé à mon tour de la défendre de mon mieux. ».
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 septembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Discours du Président Emmanuel Macron le 4 septembre 2020 au Panthéon à Paris (texte intégral et vidéo).
Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
150 ans de traditions républicaines françaises.
Discours du Premier Ministre Jean Castex le 3 septembre 2020 à Paris (texte intégral).
France Relance, 100 milliards d’euros pour redresser la confiance française.
Jean Castex et France Relance.
Roselyne Bachelot, la culture gaie.
Éric Dupond-Moretti, le ténor intimidé.
Barbara Pompili, "l’écolo" de service.
François Bayrou sera-t-il le Jean Monnet du XXIe siècle ?
Secrétaires d’État du gouvernement Castex : des nouveaux et des partants.
Nomination des secrétaires d’État du gouvernement Castex I.
Gérald Darmanin, cible des hypocrisies ambiantes.
Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !
Discours du Premier Ministre Jean Castex le 16 juillet 2020 au Sénat (texte intégral).
Discours du Premier Ministre Jean Castex le 15 juillet 2020 à l’Assemblée Nationale (texte intégral).
La déclaration de politique générale de Jean Castex le 15 juillet 2020.
Interview du Président Emmanuel Macron le 14 juillet 2020 par Léa Salamé et Gilles Bouleau (retranscription intégrale).
Emmanuel Macron face aux passions tristes.
L'enfant terrible de la Macronie.
Composition du gouvernement Castex I.
Le gouvernement Castex I nommé le 6 juillet 2020.
Jean Castex, le Premier Ministre du déconfinement d’Emmanuel Macron.
Discours du Président Emmanuel Macron devant la Convention citoyenne pour le climat le 29 juin 2020 à l’Élysée (texte intégral).
Après-covid-19 : écologie citoyenne, retraites, PMA, assurance-chômage ?
Édouard Philippe, le grand atout d’Emmanuel Macron.
Municipales 2020 (5) : la prime aux… écolos ?
Convention citoyenne pour le climat : le danger du tirage au sort.
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Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
Retraites : Discours de la non-méthode.
La réforme de l’assurance-chômage.
Emmanuel Macron explique sa transition écologique.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200904-macron.html
https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/au-pantheon-de-la-republique-226886
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/09/01/38510469.html
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