« Les sénateurs multiplient les offensives pour contrer les réformes visant à modifier les statuts du Sénat. Moins d’une dizaine de jours après la plainte qu’ils ont déposée (…) pour l’adoption de ce projet de loi controversé à l’Assemblée nationale, les voilà en train de demander l’annulation du décret de convocation des grands électeurs pour les sénatoriales (…). Une délégation de sénateurs (…) a déposé hier un recours (…). Ces sénateurs dénoncent cette fois-ci un décret illégal. » (17 septembre 2020).
Le titre surprenant et les quelques phrases introduisent un article de …"Madagascar-Tribune" publié par R. Mandimbisoa le 17 septembre 2020 et qui concerne les élections sénatoriales à Madagascar prévues le 11 décembre 2020. Situation politique tendue à Madagascar puisque le Président Andry Rajoelina s’est permis de réformer les institutions par voie de simples ordonnances qui n’ont même pas été ratifiées par les parlementaires dans les délais. J’évoque ces élections sénatoriales malgaches juste pour rappeler que la France n’est pas seule au monde. Mon introduction est un peu provocatrice car mon article veut en fait évoquer les élections sénatoriales françaises qui ont lieu dans quelques jours, le dimanche 27 septembre 2020, et la campagne électorale ne bénéficie que d’un très faible écho médiatique.
Pourtant, le Sénat, en France, est une instance importante et au contraire de l’Assemblée Nationale, ce n’est pas une chambre d’enregistrement. La manière très territorialisée de désigner les sénateurs, leur longévité, leur sagesse qui les décale de l’actualité survoltée et leurs couloirs feutrés ont toujours donné une valeur ajoutée au rôle du Parlement, dans la construction des lois, mais aussi dans le contrôle sur le gouvernement.
Le Président du Sénat Gérard Larcher, candidat à sa reconduction et très apprécié de tous les sénateurs, pas seulement de la majorité sénatoriale, a d’ailleurs une formule choc pour résumer l’état d’esprit du Sénat : « Le Sénat ne dit jamais oui par discipline et non par dogmatisme. ». Et c’est vrai que c’est précieux d’éviter de réagir par posture politicienne ou idéologique, et de simplement rechercher, sincèrement parfois de manière étonnante, l’intérêt général.
On l’a vu dans l’affaire Benalla où la commission d’enquête du Sénat a fait beaucoup plus d’investigations et a été beaucoup plus utile que celle de l’Assemblée Nationale. On verra d’ailleurs dans quelques semaines ou quelques mois, on pourra faire la comparaison entre la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale et celle du Sénat sur la gestion de la crise du covid-19 (qui n’est pas encore terminée).
Dans l’élaboration de la loi, tout ce qui relève du long terme a montré les atouts du Sénat, qui fut à l’origine des premières lois de bioéthiques (notamment avec le sénateur de Nancy Claude Huriet). Les sénateurs, capables de plus d’indépendance vis-à-vis des états-majors partisans, ont pu améliorer de nombreuses lois, ne se frottant pas aux diktats des chefs de partis, ont supprimé des dispositions très clivantes et contestées (par exemple les tests ADN pour les candidats à l’immigration), etc. Même si, parfois, leurs propositions ne sont pas prises en compte puisque, à part dans le cadre des révisions constitutionnelles et quelques autres exceptions, l’Assemblée Nationale garde toujours le mot de la fin.
Les sénateurs sont aussi très présents dans la vie de la société, ce qu’on pourrait appeler la "vie réelle", ou "forces vives", en organisant des journées spécifiques pour les chercheurs, pour les apprentis, pour les entreprises innovantes, etc.
Les sénateurs ont le temps de réfléchir, et il est faux de dire que le Sénat est une maison de retraite. Il suffit, pour donner un exemple, de demander à la conseillère régionale communiste de Rhône-Alpes depuis 2004, élue sénatrice de la Loire en 2011 à l’âge de 35 ans (réélue en 2017) et qui est loin d’être personne âgée agonisante et inactive ! Ou encore demander à Loïc Hervé, ancien maire UDI de Marnaz (élu pour la première fois à 28 ans), et élu sénateur de Haute-Savoie en 2014 à l’âge de 34 ans (il espère être réélu), par ailleurs capitaine de corvette de réserve dans la Marine nationale, qui n’est pas non plus un vieillard croulant.
Avec ce temps long, les sénateurs évitent de tomber dans l’émotionnel en pleine accélération des événements d’actualité. Cela ne les a pas exonérés de réformes internes et d’adaptation à cette accélération : sous l’impulsion de Christian Poncelet et du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, les sénateurs se sont réformés eux-mêmes. Ils ont ainsi réduit la durée de leur mandat de neuf ans (beaucoup trop long maintenant) à six ans.
Ils ont aussi renforcé leur représentativité dans les départements (avec plus de proportionnelle), et le Sénat a montré qu’il savait être représentatif du paysage politique : longtemps fief des partis centristes et radicaux, il a déjà eu une majorité gaulliste (depuis 1998) et même socialiste (entre 2011 et 2014), ce qui signifie que tous les partis peuvent, un jour, espérer conquérir la majorité sénatoriale, mais celle-ci ne sera jamais monolithique car cette majorité n’a jamais été autrement qu’une coalition de plusieurs partis ou groupes politiques, au contraire de ce qui se passe à l’Assemblée Nationale.
L’élection au suffrage universel indirect des sénateurs a l’avantage de leur faire représenter non seulement la population (ce qui est plus le rôle des députés) mais aussi les territoires. En effet, les sénateurs sont élus par les parlementaires, les conseillers régionaux et départementaux, mais surtout, pour 95% de leurs grands électeurs, par les délégués des conseils municipaux des 35 416 communes. C’est pourquoi il fallait absolument organiser les élections municipales avant les élections sénatoriales, afin d’être représentatives de l’évolution des territoires en 2020, et il y en a eu, notamment sur le front de l’écologie politique et des grandes villes. Par ailleurs, le suffrage universel indirect réduit les tentations démagogiques, puisque les grands électeurs sont souvent des personnes qui connaissent déjà les dossiers locaux et qui savent qu’il n’y a jamais de solution simple à des problèmes complexes.
En tout, 348 sénateurs siègent au Sénat, et 172 sièges sont renouvelables le 27 septembre 2020 (les départements du début et de la fin de la liste alphabétique, hors départements franciliens). Les autres sièges ont été renouvelés le 24 septembre 2017 et seront remis en jeu en septembre 2023. 6 autres sièges auraient dû être renouvelés en 2017, ceux des sénateurs représentant les Français établis hors de France, mais le report des élections consulaires pour cause de crise du covid-19 a fait repousser l’élection de ces 6 sénateurs à 2021.
Actuellement, issu des élections sénatoriales du 24 septembre 2017, le Sénat est composé de sept groupes politiques : le groupe LR présidé par Bruno Retailleau, actuellement candidat à la candidature LR à l’élection présidentielle de 2022, qui est le groupe le plus important avec 144 sièges (dont 76 renouvelables) ; le groupe socialiste présidé par l’ancien ministre Patrick Kanner, avec 71 sièges (dont 35 renouvelables) ; le groupe Union centriste (UC, notamment l’UDI, mais aussi MoDem, sur ce dernier point, sous réserve que je ne me trompe pas !) présidé par Hervé Marseille, avec 51 sièges (dont 24 renouvelables) ; le groupe RDSE (Rassemblement démocratique, social et européen, notamment les radicaux) présidé par Jean-Claude Requier, avec 24 sièges (dont 14 renouvelables) ; le groupe LREM présidé par François Patriat, avec 23 sièges (dont 10 renouvelables) ; le groupe communiste présidé par Éliane Assassi, avec 16 sièges (dont seulement 3 renouvelables) et le groupe LIRT (Les Indépendants et République et Territoires) présidé par Claude Malhuret, avec 13 sièges (dont 6 renouvelables). Ce dernier groupe était issu de LR mais Macron-compmatible. Parmi les 6 sénateurs sans appartenance à un groupe, il y a deux sénateurs issus des listes FN de 2014 qui sont renouvelables.
L’un des principaux enjeux de ces élections sénatoriales, c’est de savoir si la majorité sénatoriale sera reconduite ou pas. Ce scrutin dépend beaucoup des résultats des dernières élections municipales où LR et le centre droit ont maintenu leurs positions sauf dans quelques grandes villes. La majorité sénatoriale sortante était confortable, au moins 208 sièges (sans compter certains élus du groupe RDSE), pour une majorité absolue de 175. Il y a donc peu de chance, avec les résultats des municipales, qu’il y ait un grand bouleversement, d’autant plus que Gérard Larcher mène une campagne très active dans toute la France.
Il y a aussi deux autres enjeux : le parti présidentiel et les écologistes.
LREM n’a pas réussi à conquérir les "territoires", ni aux sénatoriales de 2017 (au moyen de transfuges du PS ou de LR), ni aux municipales de 2020. Il y a donc peu d’incertitude à ce sujet, les sénateurs LREM devraient rester un groupe assez peu nombreux et ne pas avoir plus d’influence qu’auparavant, ce qui, pour le Président Emmanuel Macron, lui empêche toute initiative vraiment sérieuse de révision constitutionnelle (le Sénat, comme contre-pouvoir, est donc une instance indispensable dans une démocratie équilibrée qui ne doit pas permettre à un seul homme de faire tout ce qu’il veut, comme c’est le cas, par exemple, à Madagascar, voir plus haut).
Plus intéressante sera surtout la connexion entre les sénateurs LREM et les sénateurs de la majorité sénatoriale sortante (LR, UC, LITR, etc.). Il y a des espaces de coopération évidents entre LR et alliés et LREM au Sénat. Intéressant par exemple, l’ancien Premier Ministre Édouard Philippe, issu de LR mais ancien chef de la majorité LREM, fait actuellement campagne, aussi en tant que maire du Havre, pour soutenir des candidats aussi bien de la majorité sénatoriale que de la majorité présidentielle (comme Sébastien Lecornu, actuel membre du gouvernement).
Son appel au rassemblement du 16 septembre 2020 à Octeville-sur-Mer n’est d’ailleurs pas passé inaperçu des observateurs avisés de la vie politique nationale : « Je suis assez insensible aux logiques partisanes. Je pense que les gens votent pour les conseillers départementaux, les maires, les sénateurs pour ce qu’ils connaissent de la personne, par adhésion à la personne, à ce qu’elle fait, à ce qu’elle comprend (…). Plutôt qu’aux logiques partisanes, intéressons-nous aux femmes, aux hommes, aux projets, à la méthode, aux valeurs, à ce pour quoi vous voulez vous battre. Le dépassement, le sens de l’État, le sens de la France, devraient pouvoir plus sûrement qu’une boussole partisane nous dire comment travailler ensemble. ».
Le troisième enjeu, qui, à mon sens, est la seule vraie inconnue, c’est le résultat des écologistes à ce scrutin très particulier. En juin 2017, les écologistes avaient perdu leur groupe qu’il avait pu former en janvier 2012 et qui était présidé par Jean-Vincent Placé (en juin 2017, un sénateur EELV a rejoint le groupe LREM, faisant passer le nombre de sénateurs EELV à neuf, soit en dessous du seuil requis pour créer un groupe). Le scrutin du 24 septembre 2017 n’a pas permis de recréer ce groupe.
La conquête de grandes métropoles (notamment Lyon, Strasbourg, Bordeaux, etc.) devrait avoir une traduction sur le scrutin sénatorial, d’autant plus que ces métropoles sont situées, pour la plupart (hasard du calendrier), dans des départements renouvelables (ce qui n’est pas le cas de Grenoble). Actuellement, il n’y a que cinq sénateurs écologistes sortants et la sénatrice EELV du Val-de-Marne Esther Benbassa espère bien que les écologistes pourront reformer un groupe politique (il faut dix sièges) et aussi, elle souhaite le présider !
Les dirigeants EELV comptent raisonnablement conquérir un siège en Gironde, dans le Rhône, dans le Bas-Rhin, en Haute-Savoie et en Ille-et-Vilaine. Le problème pour eux, c’est que la conquête des métropoles ne s’est jamais faite sans coalition avec des mouvements de gauche, et donc, la "distribution" des délégués de ces grandes villes va donner des résultats peu prévisibles, d’autant plus que EELV n’a pas gagné de banlieues dans les grandes agglomérations et que l’attitude doctrinaire récente des nouveaux maires écologistes pourrait rebuter plus d’un grand électeur.
Enfin, je rajoute un quatrième enjeu : le RN. En 2014, le FN avait créé la surprise en gagnant deux sièges de sénateurs, Stéphane Ravier, maire du 7e secteur à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône, qui devrait probablement être réélu, et David Rachline, maire de Fréjus, dans le Var, qui, en raison de la loi sur le cumul des mandats, a démissionné de son mandat de sénateur. Sa successeure en octobre 2017 comme sénatrice du Var est Claudine Kauffmann qui fut exclu du FN en 2018 en raison de ses positions très extrêmistes (sur les migrants, etc.), si bien …qu’elle a adhéré en 2019 à Debout la France ! de Nicolas Dupont-Aignan (qui, donc, récupère les trop extrémistes du RN !). Il y a peu de doute qu’elle ne sera pas réélue et le maintien d’un siège RN dans le Var n’est même pas certain (la personnalité de David Rachline avait beaucoup contribué à son élection en 2014).
Plus généralement, à l’exception de Perpignan, en Pyrénées-Orientales, le RN a fait des scores assez médiocres aux dernières municipales et le scrutin des sénatoriales devrait le refléter (notons que le département de Pyrénées-Orientales n’est pas renouvelable en 2020, la conquête d’un siège RN au Sénat dans ce département pourrait avoir lieu seulement en 2023, ou pas, en tout cas, pas avant 2023).
Sur le plan des personnalités, précisons enfin que les sénateurs sortants Claude Malhuret, Dominique Estrosi Sassone, Jean-Noël Guérini, Stéphane Ravier, François Patriat, Alain Houpert, Ladislas Poniatowski, Nicole Duranton, Hervé Maurey, Alain Cazabonne, Nathalie Delattre, Jean-Pierre Grand, François-Noël Buffet, Alain Joyandet, Loïc Hervé, Catherine Morin-Desailly, Claudine Kauffmann, Alain Milon, Bruno Retailleau, Daniel Gremillet, entre autres, sont candidats à leur réélection, tandis que Yves Daudigny, Philippe Adnot, Bruno Gilles, Bernard Cazeau, Jean-Marie Bockel, Jean-Pierre Vial, Jérôme Bignon, Yvon Collin et Alain Fouché, notamment, ne se représentent pas et quittent le Sénat.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 septembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les enjeux des élections sénatoriales du 27 septembre 2020.
Christian Poncelet.
Résultats des élections municipales de 2020.
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
80 km/h : le recul irresponsable adopté par les sénateurs.
Affaire Benalla : l’attaque frontale des sénateurs.
Benalla vs Sénat : 1 partout.
Gérard Larcher.
Élection du nouveau Président du Sénat (le 2 octobre 2017).
Résultats des élections sénatoriales du 24 septembre 2017.
Sénatoriales 2017 : état des lieux.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.
La Ve République.
La campagne des élections législatives de juin 2017.
Élections sénatoriales du 28 septembre 2014.
Jean-Pierre Bel.
René Monory.
Alain Poher.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200920-senatoriales-2020a.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-senateurs-exigent-l-annulation-227231
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/09/16/38536952.html