« Le Sénat ne dit jamais oui par discipline et non par dogmatisme. » (Gérard Larcher).
Évaporé définitivement le rêve de conquérir le Sénat par les troupes LREM du Président Emmanuel Macron. En fait, on le savait depuis trois ans mais ce nouveau renouvellement du Sénat qui a eu lieu le dimanche 27 septembre 2020 en a apporté une nouvelle démonstration éclatante.
En effet, le Sénat se renouvelle par moitié tous les trois ans si bien que ce Sénat "complet", au soir du 27 septembre 2020, a été complètement renouvelé par rapport à celui d’avant l’élection d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Les enjeux étaient assez faibles et très tournés vers l’intérieur du Sénat, à savoir la possibilité d’une recréation d’un groupe écologiste, le maintien du groupe communiste (dont certains membres, entre 2017 et 2020, étaient écologistes), le maintien du nouveau groupe des sénateurs ex-LR proches d’Emmanuel Macron, dirigé par Claude Malhuret (Les Indépendants, République et Territoires).
Et aussi le maintien du groupe historique RDSE, ancienne "Gauche démocratique" renommée "Rassemblement démocratique, social et européen", composé essentiellement de sénateurs radicaux (de gauche comme de droite) et donc, groupe unique où cohabitaient (avant 2017) des sénateurs de la majorité présidentielle et des sénateurs de l’opposition.
J’écris "avant 2017" car avec la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron, il est beaucoup plus difficile de savoir ce que signifie la majorité présidentielle au Sénat de nos jours, car le (grand) groupe Union centriste (lui aussi historique) rassemble tant des sénateurs UDI (plutôt de l’opposition) que des sénateurs MoDem (assurément de la majorité, puisque le MoDem est au gouvernement).
Mais ce flou ne concerne pas seulement les sénateurs centristes. Ainsi, dans l’Eure, l’ancien Premier Ministre Édouard Philippe a soutenu l’actuel Ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, tête d’une liste vaguement LR-LREM (officiellement "divers droite" ou plutôt "divers centre"). Sébastien Lecornu, ex-LR, est effectivement LREM, tandis que ses suivants de liste, sénateurs sortants, sont de LR : Nicole Duranton en deuxième position, et, placé en cinquième et dernière place (et donc prêt à quitter en fait le Sénat), Ladislas Poniatowski, proche de Bruno Le Maire.
Au contraire, le Président du Sénat sortant, Gérard Larcher, a fait campagne pour une autre liste, ayant reçu l’investiture de LR et de l’UDI, menée par un autre sénateur sortant, centriste cette fois-ci, Hervé Maurey (ancien président du groupe Union centriste), composée ensuite par différents maires du département, UDI et LR. Malgré le grand réseau local de Sébastien Lecornu, qui fut président du conseil départemental de l’Eure de 2015 à 2017, et la présence des sénateurs LR sortants sur sa liste, il n’a obtenu que 30,8% et un seul siège, tandis que la liste d’Hervé Maurey a "raflé" les deux sièges restants (sur les trois au total) avec 49,8%, presque la majorité absolue.
Il n’y avait pas, d’ailleurs, beaucoup d’incertitude sur l’évolution du groupe LREM, provenant principalement de sénateurs socialistes et de quelques sénateurs radicaux de gauche (hors les deux membres du gouvernement d’origine LR et candidats à ce scrutin). Son président, François Patriat, en difficulté dans son département de Côte-d’Or pour sa réélection, a finalement pu être réélu grâce à son réseau local, mais dans son ensemble, le groupe, qui comptait 23 sièges avant le scrutin de 2020 et dont 10 sièges étaient renouvelables, se retrouve après le scrutin avec seulement 20 sièges. Les trois candidats les plus "visibles" de LREM ont, en revanche, étaient élus ou réélus, à savoir, comme dit précédemment, Sébastien Lecornu et François Patriat, ainsi que le ministre Jean-Baptiste Lemoyne (ex-LR) dans l’Yonne, ce qui n’est pas étonnant : ce n’est pas le parti mais l’aura de ces personnalités qui les a servis, ou qui a compensé un préjugé négatif sur les candidats LREM des élus locaux.
Les écologistes d’EELV peuvent être heureux puisque, avec la conquête de plusieurs grandes villes en juin dernier, mécaniquement, ils ont obtenu six sièges : Guy Benarroche dans les Bouches-du-Rhône, Monique de Marco en Gironde, Daniel Salmon en Ille-et-Vilaine, Jacques Fernique dans le Bas-Rhin, enfin deux sièges dans le Rhône, Thomas Dossus et Raymond Poncet. Les autres grandes villes conquises ou conservée (Grenoble) par les écologistes n’ont pas eu d’effet sur le scrutin des sénatoriales cette année car ces villes sont dans des départements non renouvelables (comme à Tours, Grenoble, etc.). Il faudra donc attendre 2023 pour en voir les effets. Ce gain de 6 sièges va permettre, avec les 5 des départements non renouvelables, de créer à nouveau le groupe écologiste existant entre 2012 et 2017, et la sénatrice de Paris Esther Benbassa a d’ores et déjà proposé d’en être la présidente.
Cela dit, cette renaissance reste à la marge et ne modifie pas les équilibres politiques du Sénat, d’autant plus que ce gain de 6 sénateurs écologistes s’est fait principalement au détriment de leurs alliés naturels, les socialistes, qui ont perdu 5 sièges, passant de 71 à 66 sièges. Il faut noter l’échec, dans le Finistère, de l’ancien Ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas, ancien président de la commission des lois de l’Assemblée Nationale, qui était prévisible dans la mesure où il n’était placé qu’à la troisième place de la liste socialiste.
La vraie et seule caractéristique de ce scrutin sénatorial, c’est la large victoire de la majorité sénatoriale sortante, c’est-à-dire de la droite et du centre, plus exactement de LR et de l’UDI dont la plupart des listes étaient communes. En effet, le premier groupe du Sénat, LR, passe de 144 à 148 membres (gain de 4 sièges) et le groupe UC (Union centriste) de 51 à 53 (gain de 2 sièges), à eux deux seuls, ils rassemblent donc 201 sièges sur 348, soit largement plus que la majorité absolue. De quoi réjouir l’actuel Président du Sénat Gérard Larcher qui devrait, dans quelques jours, être réélu au Plateau sans beaucoup de suspense et avec une majorité confortable, d’autant plus qu’il est apprécié bien au-delà de sa majorité sénatoriale.
Non seulement c’est la principale leçon des élections sénatoriales de 2020, mais cela aurait dû être aussi la principale leçon des élections municipales de 2020, puisque les délégués des élus municipaux impactent pour 95% sur le résultat des sénatoriales : on ne l’a pas dit suffisamment en s’arrêtant un peu trop vite sur la victoire (exceptionnelle certes) de grandes villes par les écologistes vaguement de gauche ou par une gauche vaguement écologiste. Ces conquêtes, très médiatisées, ont caché en fait les véritables vainqueurs des dernières élections municipales qui étaient LR et l’UDI, d’autant plus que leur victoire avait eu lieu souvent dès le premier tour du 15 mars 2020, une époque où l’on ne parlait que du confinement sans qu’aucune analyse du scrutin du premier tour n’ait réellement imprimé dans la mémoire collective.
Cette victoire de LR-UDI est confirmée également lors du second tour des six élections législatives partielles qui ont eu lieu ce dimanche 27 septembre 2020 qui s’est soldé, pour cette alliance, par le gain de 1 siège supplémentaire à l’Assemblée Nationale (après le désastre électoral du premier tour, le 20 septembre 2020, pour LREM), des résultats obtenus avec une très forte abstention (aucune médiatisation et sujets autres très prenants : attentat terroriste, crise du covid-19, etc.).
Quant aux autres "petits" enjeux, indiquons que le groupe communiste a gagné 1 siège ce qui lui donne 17 membres, mais il faut lui retrancher les 5 membres actuels qui iront probablement dans le groupe écologiste, si bien que le groupe survivra avec 12 sièges (il en faut au moins 10). Le groupe RDSE, lui aussi dont l’existence était incertaine, est parvenu tant bien que mal à conserver 5 sièges sur les 14 renouvelables, ce qui donne un total de 15 sièges. De même, le groupe LIRT (Les Indépendants, République et Territoires) de Claude Malhuret, lui-même réélu, maintient son existence malgré la perte de 3 sièges avec 13 sièges au total.
Terminons sur les "non inscrits", ces sénateurs trop peu nombreux pour créer un groupe politique homogène, ils sont passés de 6 à 4, avec la perte de 2 sièges qui sont celui de Philippe Adnot, qui ne se représentait pas, et de la successeure du sénateur RN David Rachline qui a préféré la mairie de Fréjus en 2017. Je l’ai évoqué dans mon précédent article, cette sénatrice a été exclue de RN pour propos extrémistes (!), candidate soutenue par Nicolas Dupont-Aignan sans aucune chance de conserver son siège.
Restons avec le RN pour aller dans les Bouches-du-Rhône. Contrairement à certaines prévisions, mais que je trouvais farfelues, Stéphane Ravier, l’unique sénateur RN, a été réélu à Marseille, ce qui ne m’étonne pas car il fait son travail de sénateur et les grands électeurs non RN qu’il avait réussi à convaincre en 2014 ont maintenu leur vote en sa faveur. Sa liste a en effet obtenu 10,0% des voix dans le département, ce qui lui donne 1 siège.
À noter que Jean-Noël Guérini a réussi à se faire réélire, en recueillant quand même 15,6% des voix, tandis que la liste de gauche rassemblant socialistes, écologistes et communistes a obtenu 3 sièges avec 28,7% des voix, dont l’ancienne ministre socialiste Marie-Arlette Carlotti. Enfin, la liste LR-UDI est la grande gagnante avec 36,1% des voix, mais n’obtient pas plus de sièges, 3 seulement, dont la députée de Marseille Valérie Boyer qui a pu sentir sa circonscription fragilisée avec la victoire de Michèle Rubirola à la mairie de Marseille dans l’optique des élections législatives de 2022. À noter aussi que parmi les candidats de cette liste, on peut citer en fin de liste Renaud Muselier, l’actuel président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, ainsi que Martine Vassal, l’actuelle présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, tous les deux LR.
Enfin, en plus des élus ou réélus cités, précisons notamment l’élection ou la réélection (avec *) des personnalités suivantes : Philippe Tabarot, Dominique Estrosi Sassone*, Alain Houpert*, Alain Cadec, Nathalie Delattre*, Alain Cazabonne*, Jean-Pierre Grand*, Étienne Blanc, François-Noël Buffet*, Alain Joyander*, Cédric Vial, Loïc Hervé*, Catherine Morin-Desailly*, Stéphane Demilly, Philipp Folliot, Alain Milon*, Bruno Retailleau*, Jean Hingray et Daniel Gremillet*.
À l’issue de ce scrutin des élections sénatoriales du 27 septembre 2020, ce qu’il en ressort, c’est donc le renforcement du poids politique de Gérard Larcher, Président du Sénat, dans un paysage politique français particulièrement éclaté. Une conclusion qui pourrait lui donner quelques …"envies" !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 septembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Sénatoriales 2020 (2) : large victoire de la droite et du centre.
Les enjeux des élections sénatoriales du 27 septembre 2020.
Christian Poncelet.
Résultats des élections municipales de 2020.
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
80 km/h : le recul irresponsable adopté par les sénateurs.
Affaire Benalla : l’attaque frontale des sénateurs.
Benalla vs Sénat : 1 partout.
Gérard Larcher.
Élection du nouveau Président du Sénat (le 2 octobre 2017).
Résultats des élections sénatoriales du 24 septembre 2017.
Sénatoriales 2017 : état des lieux.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.
La Ve République.
La campagne des élections législatives de juin 2017.
Élections sénatoriales du 28 septembre 2014.
Jean-Pierre Bel.
René Monory.
Alain Poher.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200927-senatoriales-2020b.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/senatoriales-2020-2-large-victoire-227408
https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/09/20/38544217.html
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