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4 novembre 2020 3 04 /11 /novembre /2020 03:50

« Un bulletin de vote est une balle. On ne vote pas tant qu’on ne voit pas la cible, et si la cible est hors d’atteinte, on garde le bulletin dans la poche. » (Malcom X, 3 avril 1964 à Cleveland).



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Les électeurs américains étaient convoqués ce mardi 3 novembre 2020 pour élire leur nouveau Président des États-Unis. Comme on pouvait sérieusement le craindre, la situation n’est pas encore très claire à la fin de la nuit électorale. Les deux principaux candidats Joe Biden et Donald Trump ont annoncé leur victoire, l’un moins assuré que l’autre. Je ne suis pas madame Soleil et je me garderais de faire quelques pronostics, mais il y a déjà un certain nombre d’enseignements qu’on peut faire.

Certes, à l’heure actuelle, Joe Biden jouit d’une légère avance avec 227 délégués élus face à Donald Trump, seulement 214 délégués. Pour être élu, il faut au moins 270 délégués (sur 538 au total). Chaque État apporte son "lot" de délégués (proportionnel au nombre d’habitants), avec cette règle que (dans la plupart des États, il y a néanmoins deux exceptions), le candidat qui arrive en tête de l’État remporte tous les délégués attribués à l’État. Cette règle permet à des candidats minoritaires en voix (nombre de voix dans tout le pays) de gagner en obtenant malgré tout la majorité absolue des délégués (c’était le cas de Donald Trump en 2016, de George W. Bush en 2000, etc.). Cette règle rappelle l’importance historique de chaque État, qui doit rester libre et écouté, respecté, au sein de la fédération.

S’il y a une légère avance pour Joe Biden, ce n’est qu’un trompe-l’œil car la position de Donald Trump est un peu plus enviable à l’heure actuelle, puisqu’il a déjà remporté deux gros États, la Floride et le Texas, qui étaient pourtant incertains, ce qui montre une très forte résilience de la candidature de Donald Trump, malgré les affaires, les scandales et aussi les détestations qu’il a pu susciter au cours de son mandat et autour de sa personne. Plus généralement, les résultats en Pennsylvanie, en Géorgie et dans le Michigan seront certainement déterminants dans l’identification du vainqueur.

Parmi les enseignements, évoquons déjà les opérations électorales, puis la situation de 2020.

J’ai rappelé plus haut très succinctement la règle électorale. Elle peut être injuste (un minoritaire en voix peut être majoritaire en délégués) mais elle est la règle commune depuis plus de deux siècles et le liant de la fédération des États-Unis. Les candidats qui acceptent de concourir à l’élection acceptent bien entendu la règle et aucun Président des États-Unis n’a souhaité, une fois élu, dépoussiérer (car il s’agit bien de cela) cette règle. C’est un ciment national qu’on ne veut pas toucher. Cela peut donc paraître étrange, mais tout le monde respecte "religieusement" cette règle, et probablement que cela continuera ainsi dans l’avenir.

Le plus étrange est la manière dont les opérations électorales, les opérations de vote se déroulent. Il ne s’agit plus de mode de scrutin mais de la manière très basique de voter.

Un citoyen français qui observerait les opérations de vote aux États-Unis aurait raison d’être fier de son pays : la France a des procédures électorales qui garantissent, d’une part, la sincérité du vote, c’est-à-dire qu’il n’est pas "forcé" (par exemple, une représentant des forces de l’ordre qui vérifie que tout se passe bien dans un bureau de vote n’a en fait pas le droit de pénétrer dans un bureau de vote car il est armé, or le code électoral interdit qu’une personne armée soit présente dans un bureau de vote pour éviter de faire pression sur un électeur, ce qui n’est pas du tout interdit aux États-Unis et dans certains endroits, tous les électeurs viennent voter armés de peur de leur sécurité !), d’autre part, le secret du vote (or, si l’on veut voter par correspondance, il faut s’inscrire et indiquer pour qui on vote, aux États-Unis).

De plus, le vote doit rester libre, et équitable (ce qui signifie qu’on doit tous voter de la même manière, indépendamment d’un mode de scrutin plus ou moins "juste"). Enfin, cette sincérité, ce secret, cette liberté et cette équité doit être vérifiable par tout électeur (et observateur éventuel) pour s’assurer que le scrutin se déroule dans les bonnes conditions (ce que ne permettent pas le vote électronique, ni le vote par correspondance).

Et ensuite, il y a le dépouillement et les résultats. En France, généralement, sauf dans des cas extrêmement rares où le scrutin est très serré, on connaît le résultat dès la minute de la fermeture du dernier bureau de vote. Sondages sortie des urnes, dépouillement de bureaux de vote de petits villages qui votent habituellement comme la moyenne nationale, sondes dans des bureaux de vote clivants (un bureau habituellement acquis à gauche qui se retourne à droite ou l’inverse), bref tout est bon pour avoir le nom du gagnant avec une marge d’erreur plus faible que l’écart entre les candidats, nom d’ailleurs souvent connu avant 20 heures, plutôt vers 18 heures 30 (avant la fin du scrutin) en raison des sondages sortie des urnes (interdits d’être publiés sauf …sur Internet à l’étranger !).

À chaque élection présidentielle américaine, on peut donc rester toujours étonné par ce contraste très fort d’un pays qui est à la fois dans l’ultramodernité technologique (inutile de donner des exemples) mais aussi dans un état de vétusté très important (des outils de production qui ont plus de quarante ans, de l’eau non filtrée qui sort rougeâtre du robinet dans des appartements à New York, etc.). Or, ce contraste est sensible aussi dans les opérations de vote.

D’une part, on n’a pas le nom du gagnant à la fin du scrutin. Un pays si moderne incapable de cela, c’est très étonnant, d’autant plus que s’il y a des États où les résultats sont serrés, apparemment, cela ne semble pas aussi serré qu’en 2000. D’autre part, il y a vraiment l’impression que pour cette démocratie, c’est l’industrie qui l’emporte pour la campagne (il faut compter le nombre de milliards dépensés pour la campagne, 2020 est un sommet, et, au contraire de la France depuis une trentaine d’années, il n’y a pas de plafond, c’est donc le candidat qui a su le plus recueillir de l’argent qui va avoir un avantage marketing, donc des suspicions de collusion avec des grands groupes financiers capables de financer ces campagnes), mais c’est l’artisanat et le bricolage amateur pour les opérations matérielles de vote et de dépouillement.

Et l’équité, aux États-Unis, n’est pas assurée. Ainsi, il est possible de voter par correspondance. Plus de 97 millions d’électeurs ont voté par correspondance, c’était environ 55 millions en 2016. La raison principale est évidemment la pandémie de covid-19 mais certains États acceptent de recevoir les bulletins de vote après le 3 novembre 2020 (si postés avant), d’autres non. De toute façon, avec les fuseaux horaires, certains électeurs de la côte ouest pouvaient avoir les premiers résultats de la côte est avant de voter.

Il n’y a rien de nouveau dans ce constat, et cela donc reste très étonnant pour un Français qui sait que son pays est très bien rôdé, très efficace, dans les opérations de vote (ce n’est pas pour rien qu’on fait souvent appel à la France lorsqu’un pays est en processus de démocratisation sincère).

Venons-en maintenant au scrutin particulier du 3 novembre 2020. Je ne sais pas qui va gagner finalement l’élection mais je peux dire déjà que les sondages, une fois encore, se sont trompés. Les sondages envisageaient que la participation serait favorable à Joe Biden. C’est faux, la participation va bénéficier aux deux candidats. D’où l’incertitude.

Beaucoup de monde a voté pour Donald Trump. Apparemment, s’il était réélu, ce ne serait pas par défaut mais par adhésion. Ce que les journalistes et observateurs, pas seulement étrangers mais aussi américains, ont toujours du mal à comprendre : le problème, une fois encore, n’est pas Donald Trump mais ceux qui l’ont élu et qui sont toujours là, voire se renforcent. La société américaine est très clivée, très divisée, très contrastée, et les candidats qui accentuent ces clivages est avantagés par rapport aux candidats plus "centristes", plus "tièdes". Même si ces candidats clivants sont parfois plus détestés, ils sont capables de plus mobiliser leur électorat.

D’ailleurs, si Joe Biden gagnait, la société américaine resterait autant divisée et il faudrait alors beaucoup d’habileté pour reconstruire une société unie, pour réconcilier le peuple américain, pour réduire le fossé entre "l’etablishment" et le "peuple d’en bas". (On peut toujours s’étonner que le milliardaire Donald Trump puisse être apprécié par les plus pauvres : son parler très simpliste est audible et permet l’identification ; les personnes plus éduqués, plus dans la nuance et la complexité, ne peuvent que détester la manière dont Donald Trump s’exprime en tant que Président des États-Unis).

Plus généralement, il y a les impressions de campagne à côté des "chiffres". Je pourrais faire l’analogie avec une maladie : il y a les tests PCR, il y a les analyses de sang, etc. qui donnent des chiffres, qui donnent une situation quantitative, avec des seuils de normalité dépassés ou pas, et puis, il y a les signes cliniques : quand on a la grippe, on ne fait pas des tests pour savoir quel est le virus en cause.

Or, dans les signes cliniques de la campagne présidentielle américaine de 2020, il y a incontestablement, comme en 2016 du reste, l’évidence qu’il n’y a eu qu’un seul candidat qui a fait campagne, Donald Trump, avec beaucoup de ténacité, malgré l’adversité de sa contamination (qui, finalement, l’a plutôt rendu sympathique auprès d’électeurs hésitants). Joe Biden, à cause de son âge, sa crainte de se faire contaminer, probablement son caractère (il est très gaffeur), a fait très peu campagne et cela ressort probablement dans les temps d’occupation d’antenne à la télévision ou dans le nombre d’articles dans la presse. Celui qui faisait l’actualité, c’était Donald Trump, pas Joe Biden.

Autre élément qu’il faudra probablement démentir, c’est lorsqu’on a évoqué la contestation de la légitimité du futur candidat proclamé élu. Les Américains sont des légitimistes et des légalistes. Le légitimisme se traduit par un avantage au Président sortant sauf s’il a fait des énormités. C’est une incompréhension à l’étranger : peu de monde aux États-Unis considèrent que Donald Trump a fait des énormités. Au contraire, selon leur point de vue, il a plutôt agi dans l’intérêt des États-Unis, la rupture du multilatéralisme, la focalisation sur les relations commerciales avec la Chine, le désengagement des troupes américaines un peu partout dans le monde (et probablement, il est le Président américain qui a fait ou poursuivi le moins de guerres, malgré des sorties verbales inquiétantes sur la Corée du Nord ou l’Iran).

Le légalisme se traduit par le respect des règles. Et à ceux qui penseraient qu’une guerre civile éclaterait à la suite d’une non-reconnaissance du candidat proclamé élu, je leur dirais que les déclarations de Donald Trump durant cette nuit le confirment : il s’est placé en victime, en disant qu’on voulait lui voler la victoire. Ce n’est pas la déclaration d’un futur dictateur, c’est la déclaration d’un candidat qui craint d’être lésé. Au contraire, Donald Trump montre son "légalisme" en annonçant qu’il allait "se plaindre" à la Cour Suprême.

Bien entendu, c’est du "théâtre" (Joe Biden a été plus prudent dans sa conviction d’avoir été élu). Lorsque les résultats seront proclamés dans les derniers États, et même s’il faut passer par la Cour Suprême, la reconnaissance sera au rendez-vous parce qu’apparemment, la situation de 2000 (j’y reviendrai) ne semble pas devoir se répéter avec une marge de seulement quelques centaines de voix (les écarts seraient plutôt de quelques centaines de milliers de voix, ce qui reste très faible mais suffisamment significatif pour être acceptable par tous).

Enfin, je termine sur une petite observation : les Vice-Présidents n’ont jamais eu beaucoup de chance avec les élections présidentielles. Je parle de ceux qui n’ont pas eu à succéder au Président en cours de mandat et qui ont repris le flambeau, mais deux ceux qui, après la fin régulière du ou des mandats de leur Président, ont voulu lui succéder. Depuis la fin de la guerre, la liste des échecs est éloquente. Deux seuls ont réussi, et encore, à moitié !

Alben William Barkley, Vice-Président d’Harry Truman, a été battu en 1952 aux primaires démocrates par Adlai Stevenson, lui-même battu par Dwight Eisenhower. Richard Nixon, Vice-Président de Dwight Einsenhower, a été battu en 1960 par John Kennedy (mais a quand même été élu et réélu en 1968 et 1972). Hubert Humphrey, Vice-Président de Lyndon B. Johnson, a été battu en 1968 par Richard Nixon. Spiro Agnew, Vice-Président de Richard Nixon, n’a même pas eu la possibilité de faire quoi que ce fût car poussé à la démission en 1973 dans un scandale. Walter Mondale, Vice-Président de Jimmy Carter, a été battu en 1984 par Ronald Reagan. Dan Quayle, Vice-Président de George H. W. Bush (père), a été battu en 2000 aux primaires par George W. Bush (fils). Al Gore, Vice-Président de Bill Clinton, a été battu en 2000 par George W. Bush (fils). Dick Cheney, Vice-Président de George W. Bush, n’a pas été candidat. Le seul Vice-Président qui a gagné l’élection présidentielle directement à la fin de son mandat, ce fut George H. W. Bush (père), Vice-Président de Ronald Reagan, qui a été élu en 1988, mais il a été battu ensuite en 1992 par Bill Clinton. Enfin, il reste Joe Biden, Vice-Président de Barack Obama, dont le destin national va être très rapidement réglé dans les heures ou jours qui viennent (ou semaines ?).

À cette heure, il manque encore les résultats de neuf États. Allez, je vais quand même me risquer à un pronostic : je donnerais un léger avantage à Donald Trump, il a réussi à maintenir un fort niveau électoral et surtout à déjouer les sondages. Mais je regretterais sa réélection si elle devait survenir. Dans tous les cas, on pourrait imaginer que débute dès maintenant le match de 2024 : Mike Pence vs Kamala Harris…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 novembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
USA 2020 : le suspense reste entier.
Bill Gates.
Albert Einstein.
Joe Biden.
Rosa Parks.
Jean-Michel Folon.
Henri Verneuil.
Benoît Mandelbrot.
Covid-19 : Donald Trump, marathonman.
Bob Kennedy.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201103-presidentielle-us2020a.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/usa-2020-le-suspens-reste-entier-228345

https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/03/38628177.html







 

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