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14 novembre 2020 6 14 /11 /novembre /2020 03:39

« La musique que vous faites résonner ici, cher Piem, est celle d’un artiste authentique, d’un humaniste lucide, d’un témoin critique de notre temps. À l’éclat du rire que l’on qualifie parfois d’assassin, vous préférez la lumière du sourire, qui pare à notre cœur, l’ironie des choses et des hommes, l’amour de l’humour, jamais totalement noir, la flamme et le souffle de la vie, les couleurs du bonheur, l’éclat de la rencontre, la vivacité du regard, la netteté du trait. » (Renaud Donnedieu de Vabres, le 14 janvier 2005, lors de la remise des insignes de commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Piem).



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Pirouette à la vie, s’éteindre le jour même de son anniversaire ? Le dessinateur de presse Piem est mort ce jeudi 12 novembre 2020 le jour de son 97e anniversaire. Il aurait pu pousser jusqu’au siècle, non ?! Piem, comme un acronyme qui signifierait Prodigieux, Irrésistible, Extraordinaire, Modeste.

Piem était l’un des dessinateurs dont l’image est parmi les plus connues. Le visage célèbre, cheveux en bataille (encore nombreux à la fin de sa vie), avec sa pipe, ses grosses lunettes et son crayon.

D’habitude, les dessinateurs sont plutôt des êtres timides qui aiment bien se réfugier derrière leur table à dessin (ouh, que de généralités fumeuses !!) parce que le dessin est pour "eux" (j’ai l’impression de parler d’une espèce d’extraterrestre) le mode d’expression le plus confortable… Je ne sais pas du tout si ce que je viens d’écrire a un sens car depuis environ Michel Polac et son "Droit de réponse" truffé de dessins incrustés en direct à l’écran de TF1, les dessinateurs sont devenus des êtres médiatiques à part entière, au point même d’être accueillis comme chroniqueurs réguliers dans des émissions de télévision (par exemple, Philippe Geluck chez Ruquier il y a déjà quelque temps, dans les années 2000, "On a tout essayé").

Piem, c’est un peu différent, car il était déjà un chroniqueur connu à la télévision dès les années 1970, dans la célèbre (et mythique) émission animée par Jacques Martin, "Le Petit Rapporteur" sur TF1, avec pour collègues et compères Pierre Desproges, Daniel Prévost, Stéphane Collaro, Pierre Bonte, Robert Lassus, etc. (suivie de "La Lorgnette" sur Antenne 2). Piem (déjà quinquagénaire) était alors le plus "ancien" de la bande et se plaisait, apparemment, à apparaître tous les dimanches midi à faire des dessins devant les téléspectateurs (toutefois, je ne sais plus si l’émission était en direct).

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Et si Piem était si à l’aise à la télévision, c’était parce qu’il était déjà un invité récurrent d’une autre émission, un jeu télévisé, "Tac au tac", où il rivalisait à coup de caricatures et de dessins avec d’autres dessinateurs, notamment Gotlib, Franquin, Claire Bretécher, Hugo Pratt, Cardon, Gébé, etc.

Bien sûr, le métier de Piem n’était pas la télévision mais l’écrit (il a sorti une quarantaine de livres). Avoir 20 ans en 1942 ne devait pas être chose aisée pour celui qui fut l’oncle de l’éditorialiste Dominique de Montvallon ainsi que le parrain de baptême religieux de Philippe Bouvard : engagé à la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), il est sorti de la guerre en janvier 1945, avant de poursuivre ses études artistiques (il se destinait à la gravure et à la fresque). Piem avait traversé la France pour atteindre le front à Nancy afin de remettre un exemplaire d’un numéro de "Témoignage chrétien" à André Malraux (qui, en fait, l’avait déjà reçu grâce à la poste militaire !). Une aventure qui lui a donné envie de la raconter et de faire du journalisme.

Piem fut donc journaliste et dessinateur, et ses dessins parfois naïfs (François Mitterrand disait de ses dessins : « votre trait dépouillé et savamment naïf »), parfois satiriques, ont paru dans plusieurs journaux et magazines, en particulier dans des revues chrétiennes comme "La Croix", "La Vie catholique" et "Témoignage chrétien", mais aussi dans "Le Figaro", "L’Est républicain", "Le Point", "Télé 7 jours", "Impact médecin", "Valeurs actuelles", "L’Unité" (journal du PS), etc. François Mitterrand disait du dessinateur : « C’est un redoutable pédagogue déguisé en témoin satirique. ».

Comme Sempé, Piem est parvenu à faire des dessins sobres, épurés, alors qu’il était doué pour en faire plus : « Un bon dessin doit pouvoir se passer de légende et de bulles. ».

Tous les thèmes ont été abordés par Piem, politique, économie, social, sport, mais il y avait un thème qu’il appréciait particulièrement, c’était le thème religieux. Il fut même invité en 2009 par Mgr Jean-Michel Di Falco à "égayer" certaines rencontres (épiscopales)… mais il était aussi très demandé par des chefs d’entreprise pour participer à des séminaires avec les employés.





Très touché par les attentats de "Charlie Hebdo" du 7 janvier 2015, car il y a perdu un grand ami, Cabu, Piem expliquait deux jours plus tard à France 3 qu’il soutenait le combat du magazine satirique contre les intégrismes religieux.





La famille était aussi un thème de prédilection, ce qui lui a valu de sortir un livre en décembre 1994 : "Petits-enfants grands-parents, mode d’emploi" (éd. du Cherche Midi). Très touché par des drames personnels (le suicide d’une petite-fille par exemple), Piem a vécu les malheurs du monde comme ses contemporains. Invité de France Culture le 2 janvier 1999, entouré notamment de Raymond Devos, Huguette Bouchardeau, François Cavanna, Hubert Reeves, etc., Piem confiait : « Il me semble que la grande maladie de notre époque, c’est un peu pompeux ce que je dis là, c’est la solitude. Alors quand vous vous retrouvez dans une famille, quand vous vous trouvez dans un groupe, vous perdez l’angoisse de la solitude. Les cauchemars, cette impression redoutable que personne ne vous aime, s’estompent. ».

Une idée de ses dessins : dans son livre "Mon stress, mon psy et moi" sorti en novembre 2004 (éd. du Cherche Midi), on peut y voir un dessin représentant un conférencier dans une salle de conférence complètement vide avec le thème de la conférence indiqué sur une affichette : "Comment guérir l’agoraphobie" !

Dès 1947, Piem (à 23 ans) était déjà une star de la caricature, avec un dessin de Paul Ramadier (alors Président du Conseil) qui est passé en une dans "Le Figaro". Ont suivi de nombreux autres responsables politiques croqués par Piem (dont Valéry Giscard d’Estaing), mais son sentiment n’était pas très positif envers les dirigeants politiques en général : « Le pouvoir est capable d’enlever le sens de l’humour même à ceux qui ne l’ont jamais eu. ».

Très étonnamment, Piem s’est aussi produit dans des cabarets parisiens où il a rencontré du beau monde, Fernand Reynaud, Juliette Gréco, Georges Brassens, etc. Il y a rencontré aussi Jacques Martin, ce qui expliquait sa présence au "Petit Rapporteur".





Parmi les blagues que l’animateur de télévision avait faites au dessinateur : « [Jacques Martin] avait dit que j’étais le châtelain de Montvallon [son vrai nom de famille]. Voilà. Et comme tout ce qui se voit, et tout ce qui est exagéré est crédible, les gens ont cru que j’étais propriétaire du château de Chambord. Mais tout cela est faux. » (France Culture le 2 janvier 1999).

Mais Pierre de Barrigue de Montvallon (alias Piem) était pourtant bien propriétaire d’une (belle) maison en Touraine, à Notre-Dame-d’Oé où il s’est retiré et éteint : « On a eu des moutons, des lapins et des chevaux. Ma famille nombreuse pouvait évoluer, grandir dans un bel équilibre entre nature et éducation. Maintenant que les enfants ont grandi, maintenant certains sont partis, même si on les a enterrés à deux pas d’ici. Il y a une certaine nostalgie. La nostalgie est un luxe. Pouvoir avoir à portée de main ses regrets, sa tristesse et ses passions, c’est quand même un luxe. ».

La naïveté de Piem était une arme, comme l’a rappelé le Ministre de la Culture Renaud Donnadieu de Vabres lorsqu’il l’a décoré le 14 janvier 2005 : « Sans être Candide, vous avez compris, avec Voltaire, que la naïveté est parfois la meilleure arme contre l’absurdité et l’ironie un miroir tendu à la prétention et à la vanité humaines. C’est pourquoi votre œuvre explore les plis et les replis de la nature humaine (…). Faussement naïf, sincèrement engagé dans la lutte pour le juste et le vrai, contre la bêtise et la médiocrité, vous avez trouvé dans l’humour la meilleure et la plus tendre des lorgnettes. Vous n’avez jamais versé dans la dérision gratuite, ni méchante. (…) Vous n’hésitez pourtant pas à porter votre plume dans les plaies. ».

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Piem aimait bien partager ses recettes : « Une nourriture métallurgique vaut mieux qu’un repas gastronomique. ». Dans "Bonne santé, mode d’emploi" sorti en août 1994 (éd. du Cherche Midi), il proposait ainsi : « Pour deux personnes. Faites bouillir un mètre cinquante de gouttière en zinc dans une casserole en cuivre, n’oubliez pas que la gouttière réduit beaucoup à la cuisson. Pendant ce temps, découpez en fines rondelles une belle barre de fer, que vous aurez préalablement désoxydée, laminée, tréfilée. Lorsque votre gouttière est cuite, jetez vos rondelles dans la casserole en cuivre et portez à ébullition. Égouttez, saupoudrez de cinquante grammes de magnésium. Servez chaud. Vous aurez ainsi une santé de fer. ». (Attention : c’est de l’humour !).

Toujours dans le même ouvrage, une intéressante question : « Avons-nous le droit d‘utiliser des cobayes humains en laboratoires pour sauver des animaux ? La question mérite d’être posée. ».

Et il la précisait : « Imaginons qu’une personne qui vous est chère souffre depuis longtemps d’un chat dans la gorge ; faudra-t-il sauver le chat, au risque de perdre l’être cher, ou sacrifier le chat ? ». La suite ? Encore d’autres exemples : « Cette situation cornélienne pourra se retrouver dans le cas du ver solitaire, bien que cet animal d’intérieur ne bénéficie pas des mêmes attentions affectives. En cas de fracture du métacarpe, faut-il sacrifier la carpe ? Des fourmis dans les jambes entraînent-elles obligatoirement l’amputation ? Et pour un œil de perdrix, faut-il accepter d’être borgne, pour sauver ce gallinacé ? Soulever ces problèmes, c’est vous mettre la puce à l’oreille. Dans ce cas, il faut à tout prix sauver l’oreille, pour rester attentif au propos. ».

Comme on le voit, on peut se régaler de Piem avec ses mots d’humour à la Raymond Devos autant qu’avec ses dessins, et qu’avec ses sketchs à la télévision. Humoriste polyvalent et humaniste permanent.

Pour terminer, je n’ai pas pu m’empêcher de revisiter quelques dessins de Piem réalisés dans un autre contexte. Les revisiter dans le contexte de cette pandémie de covid-19 qui est loin d’être jugulée dans le monde (actuellement, au 13 novembre 2020, 10 000 décès dus au covid-19 sont hélas à déplorer chaque jour). Tout ce qui est écrit en rouge a été rajouté par moi, trouvant certains dessins hélas très d’actualité…

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Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 novembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


(Tous les dessins ici proviennent des œuvres de Piem).


Pour aller plus loin :
Piem.
Le départ d'Uderzo.
Claire Bretécher.
Le peuple d’Astérix.
Pluralité dissonante.
Peyo.
Jacques Rouxel.
Pétillon.
Jean Moulin, dessinateur de presse.
Les Shadoks.
F’murrr.
Christian Binet et monsieur Bidochon.
Goscinny, le seigneur des bulles.
René Goscinny, symbole de l'esprit français ?
Albert Uderzo.
Les 50 ans d’Astérix (29 octobre 2009).
Cabu.
"Pyongyang" de Guy Delisle (éd. L’Association).
Sempé.
Petite anthologie des gags de Lagaffe.
Jidéhem.
Gaston Lagaffe.
Inconsolable.
Les mondes de Gotlib.
Tabary.
Hergé.
"Quai d’Orsay".
Comment sauver une jeune femme de façon très particulière ?
Pour ou contre la peine de mort ?

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201112-piem.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/piem-humoriste-polyvalent-et-228663

https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/14/38649467.html







 

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