« Souvent c’est faire un grand gain que de savoir perdre à propos. » (Fénelon, 1687).
Où en est-on avec l’élection présidentielle américaine du 3 novembre 2020 ? Donald Trump vient de reconnaître (enfin) implicitement sa défaite en acceptant la collaboration de son gouvernement pour la transition. Le Président élu Joe Biden a annoncé ce lundi 23 novembre 2020 ses premières nominations (voir plus loin). Depuis le samedi 7 novembre 2020, il n’y a plus de suspense : Joe Biden a bel et bien gagné l’élection. Ce samedi-là, tout le monde était au rendez-vous car tous les médias américains ont proclamé Joe Biden Président élu, notamment CNN et AP (Associated Press).
Cela peut paraître étonnant mais en raison de la structure fédérale des États-Unis, aucun organisme officiel (fédéral) ne s’occupe de recueillir et de comptabiliser officiellement les résultats de tous les États des États-Unis. Il faut donc attendre soit la tendance en cours de dépouillement soit les résultats officiels de chacun des États et faire les totaux soi-même pour avoir une idée du vainqueur. Je rappelle que ce qui compte, ce n’est pas le nombre de voix mais le nombre de grands électeurs, obtenus ou perdus par État. Ce sont donc quelques États qui étaient cette année très intéressants à observer scrupuleusement.
Le 7 novembre 2020, même Fox News, chaîne pourtant ouvertement trumpiste, a reconnu l’élection de Joe Biden. Il faut dire que Fox News jouit d’une grande réputation sur la justesse de ses résultats électoraux. Risquer de mettre à mal cette crédibilité, au profit d’un combat perdu d’avance, c’est perdre l’une de ses valeurs ajoutées. Le journal républicain "New York Post" lui a titré "Trump, you’re fired !" qu’on peut traduire par : Z’êtes viré ! de la célèbre exclamation de l’ancien animateur de télévision Donald Trump qui saluait ainsi un candidat ayant échoué dans son émission de téléréalité.
Le même jour (7 novembre 2020), la plupart des chefs d’État et de gouvernement étrangers ont adressé leurs félicitations à Joe Biden, en particulier Emmanuel Macron, Boris Johnson, Angela Merkel, le dalaï-lama (beaucoup, mais pas tous, pas Vladimir Poutine qui a préféré attendre la consolidation des résultats électoraux).
Le 13 novembre 2020, avec la victoire de l’Arizona (11 grands électeurs), même le site Real Clear Politics, pourtant hyperprudent dans le comptage des résultats, a attribué la majorité absolue des grands électeurs à Joe Biden.
La plupart des recours judiciaires sur la sincérité des votes, faits par le camp Trump, ont été rejetés le 14 novembre 2020 par les tribunaux. Toute l’armée d’avocats au service de Donald Trump s’est désistée sauf son patron, Rudy Giuliani, l’ancien maire de New York (au moment des attentats du WTC) et ancien candidat aux primaires républicaines en 2008, qui, à 76 ans (moins que Biden), s’est trompé de sujet dans une plaidoirie. La vieillesse est un naufrage, écrivait De Gaulle… Là, ce naufrage a un prix qui va ruiner Donald Trump : Rudy Giuliani a accepté sa mission impossible de plaider les fausses fraudes massives en raison de son salaire, 20 000 dollars par jour ! Les électeurs de Donald Trump apprécieront sans doute de le savoir.
Le 21 novembre 2020, la Géorgie a certifié la justesse de ses résultats donnant gagnant Joe Biden dans cet État. Le 23 novembre 2020, ce fut au tour du Michigan de certifier les résultats en faveur de Joe Biden. Plus rien, plus d’incertitude ne s’oppose au serment que va prêter Joe Biden le 20 janvier 2021 lors de la cérémonie d’investiture très particulière, sans public, pour cause de covid-19.
Au total, Joe Biden a recueilli 306 grands électeurs sur 538, soit supérieur à la majorité absolue (270) et Donald Trump 232. En nombre de voix, la victoire est éclatante : Joe Biden a obtenu 79 815 509 voix, soit 51,0% et Donald Trump 73 786 569 voix, soit 47,2%. Les deux candidats ont fait exploser les records d’obtention de voix par un candidat à une élection présidentielle américaine, car jamais la participation n’a été aussi forte depuis le début du siècle dernier : ont voté 66,9% des 239 247 182 électeurs inscrits, soit 11,2 points de plus qu’en 2016. Cela a fait 160 millions de votants, et 153 millions de suffrages exprimés.
Comme on le voit, la victoire de Joe Biden est triplement large : large en grands électeurs (c’est l’essentiel pour gagner), un écart de 74 grands électeurs (soit presque 14%) ; large en électeurs tout court, une avance de plus de 6 millions de voix (soit presque 4% !) ; enfin, comme je viens de l’écrire, une large participation, historique, inédite depuis 120 ans. Bref, il n’y a pas "photo".
Et la réalité, c’est que, de ceux qui criaient aux fraudes massives, il ne reste plus que Donald Trump lui-même, dans le rôle de l’enfant capricieux aux désirs refoulés, sa famille (et encore, demandez à sa nièce Mary Trump ce qu’elle en pense !), quelques fidèles de fidèles du clan, Poutine (qui avait tout fait pour faire battre Hillary Clinton en 2016), et, chose très curieuse, une bande de quelques excités complotistes français qui ont besoin d’une univocité de pensée (Trump-hydroxychloroquine-antivaccin) même si cette univocité est un peu incohérente (Trump a abandonné depuis longtemps l’hydroxychloroquine et est sans doute le meilleur agent commercial des vaccins contre le covid-19) et totalement hors sol (puisqu’ils ne votent pas aux États-Unis).
Je me réjouis bien sûr de l’éviction de Donald Trump de la Maison-Blanche et du retour d’une certaine responsabilité et sagesse d’État. Dans ses premiers entretiens téléphoniques avec les dirigeants européens, Joe Biden a voulu rassurer en disant que l’Amérique était de retour (qui était le slogan de Ronald Reagan). L’Europe et plus généralement, le monde vont pouvoir reprendre des relations diplomatiques de confiance avec les États-Unis, sans peur de se faire tirer dans le dos dès qu’on l’aura tourné.
Dès le début du processus électoral, mon analyse portait sur deux éléments qui m’ont paru évidents et qui contredisaient généralement ce qu’en disaient les médias français.
Premier élément, la réélection de Donald Trump était largement possible, et il ne fallait pas tomber comme en 2016 sur l’impossibilité de sa réélection, comme on avait dit l’impossibilité de sa première élection. Certes, il n’a pas été réélu, et de loin (le scrutin n’était pas si serré que cela), mais en électeurs net (c’est-à-dire, en valeurs absolues), Donald Trump a convaincu plus d’électeurs qu’en 2016, insuffisamment pour gagner, mais cela montre quand même une Amérique coupée en deux, très clivée, avec une ligne de clivage où les pauvres votent pour le triple milliardaire Trump, une ligne qui sépare "l’etablishment" et les élites d’une part, les petites gens, d’autres part, les "États-Unis d’en bas" pour parodier la "France d’en bas". Près de 74 millions de citoyens américains ont voté pour un second mandat de Donald Trump, ce n’est pas rien. Il faut se rappeler qu’une première élection peut se faire par défaut, par hasard, grâce aux circonstances, mais jamais une réélection (ce sera le pari du Président Emmanuel Macron en 2022). La nuit de l’élection, j’ai même cru que Donald Trump avait pris un léger avantage sur Joe Biden parce que le Texas et la Floride avaient donné ses grands électeurs au candidat républicain. Cette crainte s’est vite dissipée.
Second élément, il n’y aurait pas de révolution dans les rues et pas de contestation du résultat des élections. Je ne savais pas qui allait gagner, mais je savais que le vainqueur serait accepté par le peuple américain. Pour une raison simple : les Américains sont des citoyens légitimistes et loyalistes, ils reconnaissent l’autorité du Président même s’ils sont dans l’opposition, c’est pour cela qu’ils comprennent mal comment nos Présidents français peuvent être aussi ouvertement malmenés par des supposés citoyens français car pour eux, cela relèverait de l’antipatriotisme. Le Président est une institution, la première du pays, et il faut la soutenir une fois qu’elle est pourvue. Les États-Unis sont le pays de l’État de droit par excellence, le pays des juristes et des avocats. Impossible donc qu’il y ait un fort courant d’insoumission face à une élection.
Du reste, malgré les jérémiades et les dénis infantiles de Donald Trump, la très grande majorité du peuple américain reconnaît l’élection de Joe Biden. Un sondage donnait environ 95% des sondés dans cette reconnaissance, ce qui est énorme. Depuis plusieurs semaines, il pleut des CV provenant de collaborateurs de la Maison-Blanche, pas fous, il faut bien qu’ils se recasent. Et surtout, les parlementaires républicains, qui restent discrets car Trump vaut quand même 74 millions d’électeurs, il ne faut pas hypothéquer l’avenir, ils ont déjà tourné la page (Mike Pence et Mike Pompeo sont déjà dans la course pour 2024) et souhaitent déjà rendre la tâche de Joe Biden difficile au Sénat (où les républicains restent majoritaires).
D’ailleurs, l’un des arguments pour discréditer complètement les accusations de fraudes massives, c’est-à-dire, de fraudes qui auraient changé le sens de l’élection, c’est que les hypothétiques méchants fraudeurs démocrates (accusés même dans des États dont le gouverneur est républicain !) auraient transformé le vote en faveur de Trump par un vote en faveur de Biden, mais n’auraient pas été jusqu’au bout : en effet, les bulletins sont uniques pour élire les sénateurs et le Président et les fraudeurs auraient "oublié" de faire élire un sénateur démocrate. Pourtant, cela serait très utile pour un gouvernement démocrate car, en cas de majorité opposée, le régime risque rapidement de se paralyser (ce fut le cas à l’époque de Barack Obama avec des shutdown).
De toute façon, cette lubie de la fraude massive est désormais levée et l’actualité est passée à autre chose. Pour Joe Biden, à la préparation de son futur gouvernement, en particulier, car c’est l’urgence, à la capacité à faire une campagne de vaccination contre le covid-19 rapidement. Sur ce point, Donald Trump pourra espérer que cette campagne commence avant le 20 janvier 2021, ce qui sera pour lui une petite victoire à l’intérieur de sa grande défaite. Pour Donald Trump, cela continue en vaudeville, peut-être plus pitoyable que rigolo, d’un homme blessé dans son amour-propre qui pleurera jusqu’au bout. Et jusqu’au bout, il aura montré, à la grande honte de bien des élus républicains, à quel point Donald Trump n’a jamais été à la hauteur d’un homme d’État dont la première qualité est de respecter la démocratie et le verdict des urnes.
Depuis le 3 novembre 2020, Joe Biden a fait un parcours sans-faute. Il aurait pu, comme pendant la campagne (ce qui n’était pas très heureux), faire du Trump, mais il s’est bien gardé de riposter, polariser, hystériser, en revendiquant sa victoire. Il n’a jamais revendiqué sa victoire, il a toujours été très prudent, il a au contraire fait profil bas, sûr de sa victoire. Il veut avoir le triomphe modeste car il a une ambition forte, celle de réconcilier le peuple américain particulièrement clivé, comme je l’ai indiqué plus haut. Or, réconcilier, c’est donner aux adversaires d’hier des raisons de se calmer. Plus Donald Trump s’agite, plus Joe Biden reste calme. En gardant sa hauteur de vue, Joe Biden évite d’humilier ses adversaires.
Le 20 janvier 2021, il y aura donc deux nouveautés : Joe Biden sera le Président des États-Unis investi le plus âgé et Kamala Harris sera la première femme Vice-Présidente des États-Unis. Cette dernière, à 56 ans, avec déjà une solide expérience et de grandes compétences en droit, aura probablement un rôle majeur à jouer dans son parti et dans son pays dans les années à venir. Jusqu’en 2020, il n’y a eu que deux femmes candidates à la Vice-Présidence, la démocrate Geraldine Ferraro en 1984 et la républicaine Sarah Palin en 2008. Sans oublier évidemment Hillary Clinton, candidate à la Présidence en 2016.
Dès ce 23 novembre 2020, Joe Biden a déjà fait ses premières nominations, dont certaines devront être ratifiées par le Sénat. J’en citerai deux importantes. Antony Blinken (58 ans) sera le futur Secrétaire d’État (Ministre des Affaires étrangères). Il a fait ses études secondaires en France et parle couramment le français (ce qui est rare pour un ministre américain). Il a été le numéro deux du Département d’État à la fin de la Présidence de Barack Obama (du 9 janvier 2015 au 20 janvier 2017). En outre, John Kerry, ancien candidat démocrate en 2004, a été nommé représentant spécial du Président pour le climat (ne fera pas partie du gouvernement).
J’ajoute deux autres nominations intéressantes : Alejandro Mayorkas (61 ans) sera Secrétaire à la Sécurité intérieure (il en était le numéro deux sous Obama) et Avril Haines (51 ans) sera directrice du renseignement national (director of national intelligence) avec rang de ministre, ce sera la première femme de l’histoire à occuper ce poste stratégique (elle en était sous-directrice sous Obama). On le voit, le gouvernement Biden reprend beaucoup d'acteurs du gouvernement Obama.
Par ailleurs, parmi les conseillers du Président pour la transition, ont été nommés notamment Pete Buttigieg (ancien candidat aux primaires démocrates en 2020), Susan Rice (ancienne ambassadrice auprès des Nations Unies) et Cindy MacCain (la veuve de l'ancien candidat républicain John MacCain).
Joe Biden a défini quatre priorités pour son mandat de 2021 à 2025 : la lutte contre la pandémie de covid-19, trop longtemps sous-estimée dans son pays, le redressement de l’économie, la lutte contre le bouleversement climatique et l’équité sociale. Le monde entier lui souhaite donc bonne chance !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
USA 2020 : and the Winner is Joe Biden !
Il y a 20 ans : George W. Bush vs Al Gore.
USA 2020 : le suspense reste entier.
Bill Gates.
Albert Einstein.
Joe Biden.
Rosa Parks.
Jean-Michel Folon.
Henri Verneuil.
Benoît Mandelbrot.
Covid-19 : Donald Trump, marathonman.
Bob Kennedy.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201123-presidentielle-us2020b.html
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/usa-2020-and-the-winner-is-joe-228944
https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/22/38666751.html
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