« Je pense qu’on fait du cinéma par cupidité parce que c’est bien mieux payé et par vanité parce que c’est plus prestigieux. Mais le cinéma, c’est de la conserve par rapport au théâtre. » (Jean-Louis Trintignant, "Première" d’octobre 2012).
90 ans, c’est l’âge que vient d'atteindre le très grand acteur français Jean-Louis Trintignant ce vendredi 11 décembre 2020. J’ai pour Jean-Louis Trintignant une énorme admiration, cette idée confuse qu’il fait partie de la famille, son regard rarement accessible, un visage si familier, si naturel dans le cinéma français : « J’ai une voix et un physique un peu tristes, mais j’aurais adoré faire rire, j’aurais adoré être Coluche. » (11 décembre 2018).
Fils d’un futur résistant (et homme politique de gauche) et d’une future tondue (sauvée par son mari), ce qui devait être assez curieux comme mélange, Jean-Louis Trintignant a eu la passion du théâtre dès l’adolescence et a commencé sa très longue carrière en 1950. D’abord au théâtre, puis au cinéma à partir de 1956 où il est devenu très rapidement une jeune star consacrée par "Et Dieu créa la femme".
Comme Alain Delon, il a multiplié ses participations cinématographiques, à tout âge, donnant la réplique à de très nombreuses actrices de rêve, au cinéma ou, parfois, dans la vraie vie (Brigitte Bardot, Anouk Aimé, Romy Schneider, Catherine Deneuve, Françoise Fabian, Stéphane Audran, Isabelle Huppert, etc.), dirigé par les plus grands réalisateurs (Roger Vadim, Abel Gance, Georges Franju, Rober Hossein, Jacques Demy, Costa-Gavras, René Clément, Claue Lelouch, Claude Chabrol, Éric Rohmer, Yves Boisset, Pierre Granier-Deferre, Michel Deville, Francis Girod, Claude Berri, François Truffaut, André Téchiné, Bertrand Blier, Jacques Audiard, Alain Robbe-Grillet, etc.).
Très récompensé par la profession, l’acteur a reçu un Ours d’argent à la Berlinale (1968), un prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes (1969), une Palme d’or au Festival de Cannes (2012), un César du meilleur acteur (2013), sans oublier quatre nominations pour les Césars et une pour les Molières.
Difficile de résumer une carrière de plus de cent trente films, et pourtant, horreur de l’arbitraire, je propose d’évoquer trois films où Jean-Louis Trintignant a été au sommet de son talent de comédien, à trois âges différents (trentaine, cinquantaine et quatre-vingtaine).
Dans "Z" de Costa-Gavras (sorti le 26 février 1969) qui retrace les conditions de l’arrivée du terrible régime des colonels en Grèce, Jean-Louis Trintignant est le "petit juge" qui a fait vaciller la future dictature, à savoir Khristos Sartzetakis, dans la vraie vie, qui a été élu Président de la République hellénique du 30 mars 1985 au 5 mai 1990. Il mène l’enquête sur l’assassinat d’un député incarné par Yves Montand. Beaucoup de très bons acteurs dans ce film : Irène Papas, la femme d’Yves Montand, Charles Denner et Bernard Fresson, deux avocats amis d’Yves Montand, Jean Bouise, député et ami d’Yves Montand, François Périer le procurer, Julien Guiomar le colonel de gendarmerie, Pierre Dux le général de gendarmerie, Jacques Perrin le journaliste…
Dans "Le Bon Plaisir" de Francis Girod (sorti le 18 janvier 1984), le sujet reste politique mais est beaucoup plus léger. Jean-Louis Trintignant est le Président de la République, très bourgeois, Michel Serrault son Ministre de l’Intérieur, celui des coups tordus. Une histoire d’enfant adultérin caché qui fait ses études aux États-Unis et le risque que l’information soit connue du grand public juste avant sa possible réélection. Catherine Deneuve est la mère de l’enfant en question, mise sur écoutes téléphoniques, et il y a un jeu pas très clair entre Michel Auclair et Hyppolite Girardot, le vieux journaliste et le jeune journaliste, par qui le scandale va arriver.
Autant dire qu’à l’origine, j’avais cru qu’il s’agissait de la Giscardie. En effet, Jean-Louis Trintignant et Michel Serrault miment à merveilles le couple Valéry Giscard d’Estaing et Michel Poniatowski. On pouvait aussi imaginer François Mitterrand avec Mazarine. Cependant, l’auteure du roman d’origine, Françoise Giroud pensait à un tout autre homme politique, pas moins ambitieux, qui a eu de très hautes responsabilités mais que je me garderai d’indiquer ici ! Wikipédia évoque une précision de Laure Adler dans sa biographie sur Françoise Giroud (éd. Grasset) en ces termes : « cette histoire, qui relaterait plutôt une situation similaire vécue par un ministre du gouvernement de l’époque, restant inconnu à ce jour » (ce que je confirme de source sûre et je m’étonne que son nom n’ait pas encore été révélé, ce ne sera pas par moi dans tous les cas car je suis pour le respect de la vie privée).
Dans "Amour" de Michael Haneke (sorti le 24 octobre 2012), un film très intimiste, Jean-Louis Trintignant joue un vieillard avec sa femme Emmanuelle Riva et leur fille Isabelle Huppert. Un couple de professeurs de musique très cultivés (un ancien élève de la femme… le célèbre jeune pianiste Alexandre Tharaud !), mais la femme a un AVC. Terrible histoire de la dépendance et de l’amour. Ce film, par sa manière d’être tourné et par le sujet très délicat, a été mille fois récompensé en France et à l’étranger, un Oscar, cinq Césars, un Palme d’Or à Cannes, Golden Globes, BAFTA Awards, etc.
Dans ce film "Amour" qui fut tant primé, Jean-Louis Trintignant ne pouvait que féliciter le réalisateur, Michael Haneke avec qui il a participé à d’autres films ultérieurement, comme "Happy End" (sorti le 22 mai 2017). Dans une interview au "Journal du dimanche" du 30 septembre 2017, il expliquait ce qu’était un grand réalisateur en parlant de Michael Haneke : « Je n’ai jamais vu un metteur en scène qui connaît autant toutes les techniques du cinéma. (…) J’aime aussi sa direction d’acteurs, toujours par et pour le film. Sur "Amou", j’avais improvisé. J’étais assez content et, après la prise, je le lui dis : "C’est bien, non ?". Lui me répond : "Oui, je comprends que ça vous plaise, c’est peut-être bien pour le personnage mais pas pour le film". J’ai trouvé cette réponse épatante. Un grand réalisateur n’est pas forcément quelqu’un qui dirige, mais quelqu’un qui sait vous mettre en valeur à votre juste place. (…) J’insiste, c’est un vrai bonheur de tourner avec lui. Si je devais payer pour ça, je le ferais. Il est peut-être le plus grand cinéaste. ».
Dans cette même interview, Jean-Louis Trintignant a d’ailleurs abordé beaucoup de sujets, comme celui de l’amour : « Comme on dit dans le Midi [il est originaire du Vaucluse], c’est un pistachier, c’est-à-dire un cavaleur. Moi, j’ai pu être ça au début, mais voilà longtemps que je ne le suis plus. Je suis, au contraire, une victime des femmes, je dis ça en riant. ». Son projet ? Assurément dit avec cynisme : « Réussir mon suicide peut-être ? Le vieillissement est une suite de problèmes. Le premier est qu’on perd ses amis. Je dois en connaître une cinquantaine qui m’ont touché et qui sont morts. (…) Finalement, j’ai bien fait de rester vivant, j’ai fait des rencontres très intéressantes. ». L’argent : « Comme disait Delphine Seyrig, je pense à gauche et je dépense à droite. (…) Comme Laurent Terzieff, qui disait faire du cinéma pour se payer quarante chèvres, j’ai envisagé d’autres métiers comme berger. Mais je savais que ça n’était pas bien payé. » (propos recueillis par Alexis Campion).
L’acteur ne sortira aucun livre de sa plume, à la rigueur a-t-il répondu à des questions dans un livre entretien, "La Passion tranquille", avec le journaliste André Asséo (2002, éd. Plon) : « Pour faire des livres, il faut vraiment avoir des choses importantes à dire. Ma vie est très agréable. Je préfère la vivre. Au théâtre, j’ai un contact direct avec le public. Je trouve que c’est plus important. ». Quand il a prononcé ces paroles, c’était "avant", c’était le 27 mars 2002 dans "La Dépêche du Midi" (propos recueillis par Annie Hennequin). Un autre livre entretien avec le même journaliste est sorti en 2012 chez Le Cherche-Midi ("Du côté d’Uzès").
Jean-Louis Trintignant est toujours "en activité", au théâtre encore le 22 décembre 2018 au Théâtre de la Porte Saint-Martin où il lisait du Jacques Prévert, Robert Desnos et Boris Vian dans un spectacle musical : « Je vois la fin, qui grouille et qui s’amène avec sa gueule moche (…). Je voudrais pas crever avant d’avoir goûté la saveur de la mort. » (c’est du Vian). C’est sa manière à lui de survivre à sa fille Marie avec qui il avait commencé ce genre de spectacle en 1999 sur scène avec Apollinaire : « Je devrais m’arrêter, mais je ne veux pas. Les moments les plus heureux de ma vie, c’est quand je travaille, quand je fais du théâtre. » ("Première" de septembre 2017).
Et il va fendre l’actualité au cinéma pour un film de Claude Lelouch qui sortira en 2021 (quand les conditions sanitaires le permettront). Et cela, cette activité, malgré de nombreuses blessures dont la principale, effectivement, le chagrin infini depuis dix-sept ans, c’est le meurtre de sa fille Marie à Vilnius, alors que le couple qu’il formait avec Nadine avait déjà perdu un enfant, Pauline, la sœur de Marie, en bas âge.
Sa dernière "blessure", c’est la grave maladie depuis plus de trois ans : « Avant, j’avais peur du cancer. Plus maintenant, j’en ai un (…). Quand je signe des autographes (…), je signe "Jean-Louis Trintignant" et je précise en dessous "à la fin de sa vie". » se confiait-il avec une légère ironie traduite en amertume le 7 septembre 2017 dans "Première". Dans le JDD du 30 septembre 2017, sur sa maladie : « J’y ai tellement pensé que ça m’a libéré quand on m’a dit que j’avais un cancer. (…) Mais allez savoir, je ne vais peut-être pas mourir de ça et vivre encore longtemps ! ». Dans "Nice-Matin", il expliquait en septembre 2019 : « Je ne me bats pas. Je ne fais pas de chimio, même si j’y étais prêt. ».
Le 11 décembre 2018, dans "Le Parisien", il évoquait sa crainte de la mort, ce qui est rare pour un "vieillard", encore plus quand il est un ancien pilote de course automobile : « Je m’étais dit que la maladie était grave, mais qu’on supportait très bien la mort…. Et puis quand on est près de mourir, on s’aperçoit que c’est beaucoup plus dur… Personne n’en est jamais revenu pour dire si c’est bien ou pas. Est-ce que c’est l’enfer après ? Est-ce que c’est comme quand on dort ? Si c’est ça, je signe tout de suite… Mais j’ai peur que ce soit pire que cela… ». Il disait aussi : « Chacun a ses problèmes, on se débat dans son coin, je me suis rendu compte de cela… Enfin, la vie est ainsi faite et c’est déjà une chance d’avoir été invité à y participer… Un ami m’a récemment dit qu’il aurait préféré ne pas vivre. Ça m’a ému parce qu’il était sincère… C’est vrai que c’est un peu difficile à vivre, une vie… (…) Je suis content d’être venu, quand même, cela valait la peine de la vivre, cette vie… » (propos recueillis par Sylvain Merle).
Alors, vœux de santé améliorée pour cet anniversaire qui siffle le début d’une nouvelle décennie. Bon anniversaire, Jean-Louis Trintignant et protégez-vous bien !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (06 décembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean-Louis Trintignant.
Jean-Luc Godard.
Michel Robin.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201211-jean-louis-trintignant.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/jean-louis-trintignant-amoureux-229393
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/30/38681692.html