« Il s’agit d’un effort absolument majeur, qui témoigne avant tout de la volonté du gouvernement et du Président de la République, de faire de la France un des acteurs majeurs de ces technologies au niveau européen et international. » (Communiqué de l’Élysée, le 21 janvier 2021).
Le Président Emmanuel Macron a visité l’Université Paris-Saclay ce jeudi 21 janvier 2021. Ce n’était pas son premier déplacement dans l’une des universités phares de la France, qui a compté déjà de nombreux Nobel de sciences dures et où sont regroupés de nombreux laboratoires de recherche contribuant à l’excellence scientifique française, pôle exceptionnel du Grand Paris en pleine ébullition avec la perspective de la ligne de métro 18 prévue pour 2026 (dans cinq ans seulement).
Emmanuel Macron a notamment rencontré des étudiants pour leur annoncer quelques mesures importantes visant à rendre aux étudiantes la crise sanitaire plus facile à vivre, tant socialement que psychologiquement (le repas au restaurant universitaire à 1 euro pour tous les étudiants, 20% de présentiel dans les établissements universitaires, création de chèque-psy pour ne pas avancer les frais de consultation d’un psychologue).
Dans sa volonté de ne pas faire seulement de la "gestion de crise covid-19" mais aussi des impulsions pour préparer l’avenir national, Emmanuel Macron a fait le déplacement également pour lancer ce qu’il a appelé la stratégie quantique de la France.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’investir massivement dans l’un des domaines scientifiques majeurs du XXIe siècle, à savoir l’informatique quantique. Je vais tenter en quelques trop courts mots d’expliquer très grossièrement l’enjeu.
Depuis l’apparition des ordinateurs (depuis la fin de la guerre et plus particulièrement à partir du début des années 1980 avec le développement des ordinateurs individuels, l’informatique se faisait avec le basique "bit" qui est un composant binaire : soit en position 0, soit en position 1. Toute la programmation et les calculs ne sont qu’une suite logique de bits.
En cinquante ans, les ordinateurs ont bénéficié d’énormes progrès, notamment de la science des matériaux, dans l’électronique, dans l’énergétique, etc. Toute personne âgée de plus 50 ans qui a pu toucher des ordinateurs dans les années 1980 ont pu voir le chemin parcouru : la taille des composants et des ordinateurs, leur rapidité, la capacité des mémoires (vive ou de stockage), tout s’est miniaturisé et s’est "purifié". Plus le matériau du composant est "pur", plus il augmente ses performances physico-chimiques. Plus les circuits imprimés sont fins, plus les équipements associés sont petits, ou à taille constante, plus ils sont puissants.
Beaucoup de technologies ont été développées notamment pour graver plus finement (laser, etc.). Mais on peut comprendre aisément qu’il va y avoir une limite matérielle irréductible : la taille des atomes (on prévoyait qu’on atteindrait cette dimension en 2020, ce qui est un peu en avance sur la réalité). Actuellement, on en est à des couches d’une dizaine d’atomes. Il va donc être compliqué de renforcer la puissance des ordinateurs sans technologie disruptive, en restant dans l’informatique qu’on pourrait qualifier de classique.
Deux voies sont possibles pour lever ce verrou matériel, il y en a peut-être d’autres d’ailleurs. Le premier que je n’indique que par simple intérêt, c’est l’ordinateur biologique : l’utilisation de synapses ou même d’ADN pourrait contourner les limites de la matière en permettant de faire des opérations logiques complexes sur un "matériel biologique" plus compact que les simples matériaux utilisés jusqu’alors.
L’autre voie, très importante depuis une quarantaine d’années (proposée notamment par le célèbre Prix Nobel Richard Feynmann en 1982), et renforcée depuis une vingtaine d’années, c’est l’ordinateur quantique.
Qu’est-ce que l’informatique quantique ? Eh bien, au lieu d’être constitué de "bits" qui ne peuvent dire que 0 ou 1, l’ordinateur quantique est constitué de "qubits", autrement dit, de "bits quantiques" qui auraient bien plus de possibilités qu’être 0 ou 1, il y aurait en fait une grande possibilité d’états probabilistes. En théorie, le qubit pourrait même transporter une infinité d’informations (une infinité de combinaisons), ce qui pourrait rendre un ordinateur doté de qubits des centaines de milliards de fois plus puissant que les ordinateurs actuels.
Un ordinateur quantique calcule de manière parallèle et pas séquentielle. Sur l’article sur le sujet, Wikipédia cite Thierry Breton. À l’époque, il était le patron d’Atos (une entreprise qui a beaucoup investi avec Bull et le CEA dans l’informatique quantique) et aussi le président de l’ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie). Il évoquait ce sujet passionnant sur France Culture le 27 juin 2017 en prenant un exemple pour servir son analogie. On cherche dans une salle de mille personnes celles qui mesurent plus de 1,80 mètre et qui savent parler anglais. L’ordinateur classique va interroger chaque personne succeessivement et leur poser les deux questions, mettre un oui ou un non aux deux colonnes (taille, anglais) et ensuite, il va sélectionner ceux qui ont deux oui. L’ordinateur quantique, lui, va juste interroger la salle en demandant que ceux qui mesurent plus de 1,80 mètre et qui parlent anglais lèvent la main. On a immédiatement l’information souhaitée. C’est un peu cela, l’informatique quantique, un traitement généralisé en parallèle, d’autres algorithmes plus futés pour réduire leur durée, mais aussi une base matérielle à effet quantique.
Bien entendu, c’est l’idée théorique, il y a énormément de technologies déployées pour réaliser un ordinateur quantique. On peut utiliser de nombreux effets, dont l’intrication quantique. Pour être en zone d’effet quantique, il faut se débarrasser la plupart du temps des agitations atomiques dues à la température et donc être proche du zéro absolu (0 Kelvin, soit –273,15°C). Cela nécessite donc un environnement industriel lourd (un liquéfacteur pour fournir en hélium liquide).
Gagner en puissance de calculs, c’est-à-dire en gros, faire en quelques secondes ce que nos ordinateurs actuels ne pourraient faire qu’en plusieurs milliards d’années, c’est nous ouvrir de très nombreuses portes sur le progrès : meilleure modélisation de la météo, reconnaissance vocale, fonctionnement de l’univers, modélisation moléculaire plus complexe que la simple molécule de dihydrogène, et même, puisqu’on est en pleine pandémie, découverte de nouveaux médicaments.
Mais il y a aussi des inconvénients, car cette puissance de calculs peut aussi servir le "mal" et pas seulement le "bien" : les protections sur les transactions bancaires, sur les processus nucléaires, etc. pourraient être facilement détruites avec ces ordinateurs quantiques. Parallèlement au développement de cette nouvelle génération d’ordinateurs, il faut donc développer ce qu’on appelle la cryptographie quantique.
La France compte des laboratoires d’excellence dans ce domaine, en particulier à Paris-Saclay et à Grenoble. Le physicien français Serge Haroche a même reçu le Prix Nobel de Physique en 2012 sur ce sujet (avec son collègue américain David Wineland).
Emmanuel Macron, peut-être par sa génération, mais pas par sa formation, est sans doute le Président de la République qui a le mieux compris les enjeux des hautes technologies. On l’a vu pour le développement des vaccins : ce n’est plus des grands groupes, comme dans les années 1960 et 1970, qui arrivent le mieux et le plus rapidement à sortir une technologie nouvelle, ce sont d’abord des petites structures, des start-up, qui ensuite s’associent à des groupes industriels pour leur phase de production.
À Paris-Saclay, le Président de la République a d’abord rappelé les mesures pour doper la recherche scientifique depuis 2017 : la loi de programmation pour la recherche (c’est sans précédent, et j’espère que cette loi sera renouvelée par les majorités suivantes), le programme d’investissements d’avenir, le plan France Relance, et enfin, le plan sur l’intelligence artificielle lancé à la suite du rapport remis le 29 mars 2018 par le député et mathématicien Cédric Villani.
Le plan quantique a pour objectif de mettre à la disposition des chercheurs, des start-up et des industriels, de nouveaux moyens dont la formation, de développer l’informatique quantique et d’investir massivement dans les technologies associées : communications, capteurs et cryptographie.
D’un point de vue financier, Emmanuel Macron a posé 1,8 milliard d’euros sur cinq ans, dont 1,050 milliard d’euros provenant pour moitié de l’État (programme d’investissements d’avenir) et pour moitié d’établissements affiliés (CEA, CNRS, INRIA), 200 millions d’euros de crédits européens et 550 millions d’euros du secteur privé (c’est un classique du genre qu’un représentant de l’État annonce un financement avec une partie qui ne vient pas du secteur public, donc, qu’il n’a pas).
Si on reste en dépenses publiques, cela signifie que la France va passer en rythme annuel de 60 millions d’euros à 200 millions d’euros, soit plus du triple, ce qui n’est pas négligeable, même si cela ne correspond qu’à une grosse moitié des dépenses publiques américaines (400 millions de dollars). Ces dotations placeront la France en troisième position d’investisseur public sur le quantique derrière les États-Unis et la Chine. Pour avoir une petite idée de l’évolution dans le temps, en 2005, seulement 75 millions d’euros avaient été consacrés en dépenses publiques aux États-Unis pour le quantique, 25 millions d’euros au Japon, 12 millions d’euros au Canada, 8 millions d’euros en Europe et 6 millions d’euros en Australie.
Cette enveloppe budgétaire permettra de financer notamment une centaine de bourses de thèse, une cinquantaine de bourses post-doctorales, et le recrutement d’une dizaine d’excellents chercheurs étrangers en séjour pendant une année dans un laboratoire français.
La répartition du 1,8 milliard d’euros selon les secteurs est le suivant : 350 millions d’euros pour les simulateurs quantiques, 430 millions d’euros pour les prototypes d’ordinateur quantique, 150 millions d’euros pour la cryptographie post-quantique, 250 millions d’euros pour les capteurs quantiques, 320 millions d’euros pour les communications quantiques. Le reste est consacré aux technologies à développer pour construire des machines quantiques comme 300 millions d’euros pour la cryogénie. Le quantique, c’est en effet, avant tout, l’étude de l’ultra-froid et de l’infiniment petit. Hypermétropes frileux s’abstenir !
Ce qui a été bien compris par le gouvernement, au-delà du besoin en investissements sonnants et trébuchants, c’est l’important d’une synergie complète entre les grands laboratoires universitaires ou issus de grands organismes publics, des industries, les start-up et les grandes entreprises, sans oublier, essentielles, les relations internationales qui oscillent toujours entre coopération et concurrence.
C’est donc très heureux qu’avec ce plan quantique, la France, fort de son potentiel très fort de recherche, se donne les moyens de se placer parmi les grands leaders mondiaux d’un des domaines essentiels à horizon 2030 voire 2050. On aura peut-être oublié qui a pris cette décision, mais on n’oubliera pas qu’elle a été prise…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 janvier 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
1,8 milliard d’euros pour le plan quantique en France.
Apocalypse à la Toussaint ?
Bill Gates.
Benoît Mandelbrot.
Le syndrome de Hiroshima.
Au cœur de la tragédie einsteinienne.
Pierre Teilhard de Chardin.
Jacques Testart.
L’émotion primordiale du premier pas sur la Lune.
Peter Higgs.
Léonard de Vinci.
Stephen Hawking, Dieu et les quarks.
Les 60 ans de la NASA.
Max Planck.
Georg Cantor.
Jean d’Alembert.
David Bohm.
Marie Curie.
Jacques Friedel.
Albert Einstein.
La relativité générale.
Bernard d’Espagnat.
Niels Bohr.
Paul Dirac.
Olivier Costa de Beauregard.
Alain Aspect.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210121-strategie-quantique.html
https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/paris-saclay-la-strategie-230377
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/01/21/38772765.html
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