« C’est dans le moule de l’action que notre intelligence a été coulée. La spéculation est un luxe, tandis que l’action est une nécessité. » (Henri Bergson, 1907).
Voici un témoignage personnel, le mien. J’ai passé deux après-midi, la première quinzaine du mois de février 2021, à aider bénévolement dans un centre de vaccination contre le covid-19. Disons-le clairement, ce n’est pas dans mon ADN de me vanter de mes actions de bénévolat, d’autant plus que j’en fais assez peu, trop peu en tout cas à mon goût, et le bénévolat ne se comprend qu’associé à la discrétion, faire du bénévolat et en faire la publicité, c’est déjà du bénévolat intéressé, ce qui n’est pas ici mon intention. Mais il faut bien que je le dise pour expliquer pourquoi j’étais une petite souris dans ce centre de vaccination.
Je considère que la mise sur le marché des vaccins à ARN messager contre le covid-19 dès décembre 2020 a été une excellente nouvelle pour de nombreuses raisons. D’une part, c’est une excellente nouvelle à moyen terme, pour pouvoir imaginer 2021 comme une année de fin de crise sanitaire mondiale (sans vaccin, il faut bien comprendre que la crise sanitaire aurait pu durer une dizaine d’années). Voir le début du bout du tunnel est un élément psychologique essentiel face à un virus, ses variants, et à une maladie inconnus qui étonnent encore beaucoup aujourd’hui.
D’autre part, c’est un point de singularité dans l’histoire des sciences. On reparlera longtemps de cette avancée historique du vaccin à ARN messager, j’en ai déjà parlé et je ne me lasserai jamais de le répéter : l’ARN messager est une innovation de rupture majeure qui va trouver de nombreuses nouvelles applications médicales. Rien n’est certain, évidemment, c’est le principe de la recherche scientifique, mais l’efficacité incroyable et exceptionnelle de ces vaccins et de cette technologie va apporter un flux très important d’investissements dans ce domaine. On pourra dire que ce sera à la mode, comme ce fut le cas des supraconducteurs il y a quelques décennies, mais il faut être convaincu que l’avancée de la science, aujourd’hui, ne se fait qu’avec de l’argent (et ceux qui refusent de payer à leur juste prix les vaccins oublient qu’en les achetant seulement à prix coûtant de production, ils condamnent à court terme les recherches futures, et l’on voit aujourd’hui à quel point elles sont cruciales pour tous les humains).
Enfin, plus généralement, je reste surpris en bien par le génie humain qui, face à l’adversité, est capable de la gérer et de la contourner, de l’affronter, même si je ne doute pas que ce ne sera pas (hélas) la dernière crise sanitaire de l’histoire humaine.
Agir est toujours plus intelligent que papoter. Comme je l’ai écrit plus haut, il n’est pas question de me vanter ou de me valoriser sur ce sujet mais plutôt d’être honoré de pouvoir faire partie, comme micromaillon, de la longue chaîne de la vaccination.
Honoré et ému. J’ai eu en effet l’occasion de pouvoir aider dans un petit centre de vaccination et plus que j’ai apporté (une présence, une activité essentiellement administrative sans beaucoup de valeur ajoutée), j’ai beaucoup reçu aussi, de l’humain et du technique. Je resterai donc dans le flou de la géographie des lieux puisque je n’écris pas sous anonymat, mais la précision de ce qui se passe réellement dans un centre de vaccination (et qu’on ne me parle pas de vaccinodrome comme on le fait trop souvent maintenant, ce sont simplement des "centres de vaccination", qu’ils soient petits, c’était le cas du mien, ou qu’ils soient gigantesques, à Paris, à Lyon, à Grenoble, etc.).
Évoquons rapidement ma relation au vaccin : je ne suis pas hélas, ou plutôt, tant mieux, parmi les personnes à risques, et par conséquent, je ne peux pas prendre de rendez-vous pour me faire vacciner (et travailler dans un centre de vaccination ne permet pas, je l’assure auprès des suspicieux, de se faire une p’tite injection en douce ! Tout est noté, millimétré, tracé). De plus, je n’ai pas, pour moi, peur du covid-19 pour une ou deux raisons inutiles ici à développer. En revanche, j’attends impatiemment de pouvoir me faire vacciner, plus pour tâter charnellement cette nouvelle technologie que pour être protégé (même si j’apprécierai cette protection par ailleurs, ne serait-ce que pour ne pas risquer d’être un vecteur de contamination à des personnes à risques).
Je n’ai pas peur pour moi mais j’ai beaucoup peur pour des personnes très proches qui, elles, sont vulnérables, et je ne peux qu’éprouver un sentiment de colère, larvée car j’en connais les raisons, contre l’impossibilité de certaines d’entre elles à prendre rendez-vous pour se faire vacciner. Vacciner 7,8 milliards d’humains est une tâche qui n’a jamais existé dans l’histoire du monde. Les moyens industriels ont beau être modernes et monumentaux, il faut le temps pour fabriquer le vaccin. La patience est là. Après tout, n’appelle-t-on pas ceux qui consultent patients ? En revanche, je n’ai pas de colère de ne pas être prioritaire. Au contraire, j’approuve qu’on fasse les choses dans l’ordre logique pour réduire au maximum le nombre de décès de cette saleté de maladie (2,8 millions de morts, ça suffit !). Le nombre de décès par rapport à l’explosion du nombre de cas depuis février 2021 laisse d’ailleurs entrevoir un premier effet très rapide de la vaccination parmi les plus vulnérables, c’est heureux, c’est rassurant.
Alors, venons-en au fait. J’ai travaillé dans un petit centre de vaccination, avec seulement deux unités, c’est-à-dire deux endroits complets pour se faire vacciner en parallèle. Les lieux, un petit gymnase dans une commune de taille moyenne, avec la possibilité d’aérer en hauteur et avec une rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite. L’entrée est la même pour tous, si bien qu’on fait quelques dizaines de mètres supplémentaires pour atteindre la porte d’entrée.
J’ai eu des tâches différentes selon le jour où j’étais venu. La première après-midi, j’étais installé à l’entrée du centre et j’accueillais les nouveaux arrivants. Je pouvais les voir à l’avance (la rampe est longue), ce qui permettait de leur ouvrir la porte. Mains nettoyées au gel hydroalcoolique et prise de température au front avec un pyromètre. Comme il faisait froid dehors, ou alors il y avait un temps variable (cela a oscillé entre belle éclaircie et très grosse averse), j’ai eu des résultats très variables sur mon pyromètre qui mesurait plus la météo extérieure que celle intérieure des arrivants, et une personne sur dix ne semblait même pas vouloir que la température s’affichât !
Mon travail consistait aussi à vérifier que leur nom était bien inscrit sur ma liste de rendez-vous sortie directement du site Doctolib et je leur montrais ensuite où se rendre pour se faire vacciner. Certains candidats à la vaccination étaient des patients habituels d’un des deux médecins, que je leur envoyais en donc.
L’ambiance était généralement bon enfant. L’ambiance était bon enfant entre les personnes qui y travaillaient, à savoir des agents municipaux des différentes communes concernées par ce centre, des bénévoles (comme moi) et évidemment, un médecin et une infirmière par unité (je dis ainsi, mais dans une unité de ce centre, c’était plutôt une médecin et un infirmier).
L’ambiance avec les personnes qui venaient se faire vacciner était globalement bon enfant aussi, mais pas toujours. Sans vouloir être irrespectueux dans mes termes, j’ose dire que j’adore discuter avec les "p’tits vieux" ! Je me rends compte que j’étais sur le même mode de communication avec mes grands-parents lorsqu’ils étaient encore de ce monde. Un mode à la fois bienveillant, intimiste et souriant. Ils étaient plutôt curieux des autres, ouverts, un peu timides. Quand je dis souriant, c’est optimiste, positif. Négliger les nuages noirs et insister sur le ciel bleu. C’est soulageant. Cela nous changeait des râleurs professionnels, même si certains en étaient.
La plupart appréciaient de discuter, toujours avec le sourire donc, et étaient même très "scolaires", ils arrivaient généralement avec une demi-heure en avance, ayant trop peur de rater le rendez-vous, ils avaient peur de ne pas avoir leur carte d’identité, ou d’autres papiers (ce qui n’était pas grave, voir plus loin). Et je me suis rendu compte que le lien social ayant été tellement distendu, tellement "sinistré" par la crise sanitaire, que pouvoir parler avec un inconnu (lui aussi souriant) était une bulle d’oxygène. Ah, je ne cesse d’écrire souriant, sourire… eh oui, tout le monde était masqué, mais le masque n’a jamais empêché de lire un sourire !
Même si je n’étais pas en manque de relations sociales, moi aussi, cela me faisait plaisir de discuter avec eux, de les comprendre, d’avoir leurs réactions, d’avoir cette ouverture sur le monde. Souvent, d’ailleurs, ils arrivaient avec un enfant (adulte), un membre de la famille, ou un ami, et souvent aussi, c’était le fiston qui leur avait pris le rendez-vous sur Internet, parce que eux, Internet, c’était compliqué, même si la plupart semblaient savoir assez bien naviguer sur leur complexe smartphone. Une fois, c’était carrément deux brancardiers qui sont venus accompagner une personne qui venait de se fracturer je ne sais plus quel os, le coccyx, je crois.
À l’accueil, j’étais aussi au premier rang (à les recevoir) des "problèmes". Par exemple, cette personne qui a pris rendez-vous sur Doctolib il y a une ou deux semaines et qui voulait vérifier qu’il était bien prévu. Hélas, ma liste ne le contenait pas. Dans l’ordinateur (je n’avais pas accès à l’ordinateur à l’entrée), pas de rendez-vous indiqué à son nom, mais son nom était bien dans la base de données.
Le problème ? Un bug : tous ceux qui avaient leur rendez-vous ce jour-là l’avaient pris dès les premiers jours d’ouverture, c’est-à-dire trois ou quatre semaines auparavant. Mais parfois, il y a des rendez-vous qui se libèrent pour une raison ou une autre. Si, dans cette situation, deux personnes s’y inscrit au même moment, bizarrement, le site les admet tous les deux, mais seulement le premier, peut-être avec deux microsecondes d’avance, est inscrit et l’autre est rejeté mais il ne le sait pas. Apparemment, c’était le deuxième ou le troisième dans ce cas dans ce centre.
Parfois, il y avait des mauvais coucheurs. Eh oui, il y en a à tout âge ! Un par exemple qui est venu sur place pour se prendre un rendez-vous. J’ai eu beau lui dire et répéter que le centre n’avait aucune possibilité de prendre des rendez-vous, il ne le comprenait pas. Après une longue discussion totalement inutile (qui pourrait faire croire que j’étais dans un sketch des Inconnus), il est reparti en disant "Je ne vous remercie pas, je ne vous salue pas". Une conclusion qui nous faisait évidemment sourire, une collègue et moi. J’aime bien les râleurs, cela me fait adorer les bienveillants.
Heureusement, il n’y a pas eu de violence mais je crois que dans certains quartiers "chauds", des forces de police municipale seraient vraiment nécessaires car on pourrait même imaginer des commandos pour se faire vacciner (heureusement, à ma connaissance, il n’y en a eu nulle part encore, mais pourquoi pas ? Les pharmacies de garde sont parfois braquées la nuit).
En revanche, il y a eu une dizaine de personnes qui sont venues dans le centre pour savoir s’il restait une injection de disponible. En effet, le flacon fait cinq ou six injections et dès qu’il est ouvert, il n’est plus conservable. S’il manquait de candidat au vaccin, les doses restantes seraient jetées. Donc, de doux rêveurs qui n’ont pas réussi à obtenir de rendez-vous pensaient ainsi trouver en fin de journée des possibilités de se faire vacciner. Démarche inutile. Hélas pour eux, il n’en était pas question ; beaucoup de rendez-vous ont dû être annulés en février à cause d’une rupture d’approvisionnement, si bien que le centre de vaccination avait déjà une très longue liste d’attente et lorsqu’il y a des doses restantes (ce qui est très rare, le cas simplement d’un rendez-vous non honoré mais là encore, c’est quasiment jamais), on appelle au téléphone les personnes dont le rendez-vous a été annulé pour leur proposer de se faire vacciner immédiatement. Résultat, on ne manque jamais de candidats à la vaccination. Pas de gâchis des doses, donc.
Comme je l’ai écrit, le centre de vaccination est petit. Il a vacciné soixante-six personnes en une journée. Un rendez-vous toutes les dix minutes par unité et deux unités. Sur ma feuille, j’avais donc le nom de la personne et l’heure du rendez-vous, ainsi que la marque du vaccin (tous étaient vaccinés en première injection de Biontech/Pfizer). J’avais l’impression d’être un assesseur, de faire voter. Mouvement de l’urne par la seringue ! En fait, je n’ai jamais vu une seule seringue de mes deux jours à ce centre de vaccination. Elles étaient manipulées dans des box à l’abri des regards. Pas de photographe (mais pas de ministre non plus !).
Je notais aussi le nom de la commune à côté du nom de la personne sur la liste. Enfin, pas systématiquement, car il fallait que je le demandasse à la personne et quand il en arrivait plusieurs en même temps, pressé par l’afflux, le pyromètre, le gel, la porte, j’oubliais généralement de poser cette question. La médecine est libre en France, cela signifie que n’importe qui peut choisir n’importe quel médecin pour se faire soigner. C’est le cas aussi pour se faire vacciner. Je peux habiter à Marseille et me faire vacciner à Alençon. C’est pourquoi certains Parisiens avaient été en colère en voyant que tous les rendez-vous dans le 20e arrondissement avaient été pris d’assaut pas des non-Parisiens. Ici aussi, il y avait beaucoup de personnes "étrangères" aux communes qui ont organisé le centre de vaccination, parfois habitant à plus de trente kilomètres, n’ayant pas eu de chance pour obtenir un rendez-vous plus près de chez elles. En tant qu’usager, j’apprécie cette liberté de choix, en tant qu’organisateur, c’est difficile et souvent injuste dès lors que les communes investissent dans les moyens de l’organisation, qui devraient, en principe, ne servir que leurs contribuables (c’est le principe par exemple des piscines municipales dont le prix d’entrée est plus élevé pour les non habitants de la commune).
J’ai écrit que je n’avais vu aucune seringue. Si cela se trouve, dans ces box, ils ne se faisaient pas vacciner… Je plaisante ! Aucun complotisme évidemment dans le bâtiment : ceux qui étaient venus, que ce soit pour vacciner ou pour être vaccinés, étaient venus librement et volontairement, ils savaient à quoi s’en tenir et étaient plutôt pressés d’être vaccinés. Pas de méchants dominateurs du monde, pas de puce imaginaire dans l’injection, pas d’antivaccinisme primaire, pas de Bill Gates (on se demande ce qu’il vient faire là, apporter une aide sans pareil à la recherche médicale est un grand atout pour l’humanité ; il ne donnerait rien, on critiquerait son égoïsme), pas non plus de déni de la pandémie. Le seul signe d’éventuelle animosité, c’était sur la difficulté de prendre un rendez-vous. Ce que tout le monde pouvait comprendre. L’un me parlait même d’une situation "kafkaïenne" pour prendre rendez-vous. Je compatissais puisque ce fut le cas aussi pour un membre de ma famille.
Il faut savoir aussi, je l’écris car cela peut être utile à quelques lecteurs, que certains rendez-vous ont été pris directement par la mairie des villes des personnes en question. Beaucoup de communes se chargent en effet, si les habitants concernés le souhaitent, de prendre à leur place les rendez-vous dans le centre de vaccination (dans mon centre, des plages horaires sont même réservées pour toutes les communes impliquées) et même, le cas échéant, de les conduire dans une navette, ce qui enlève tous les obstacles que peuvent rencontrer certaines personnes âgées (qui ne savent pas utiliser Internet, qui n’ont pas de voiture, qui n’ont pas d’enfants proches qui peuvent les aider, etc.). L’intérêt de passer par la mairie pour un couple, c’est d’avoir les rendez-vous en même temps, car c’est très difficile sur Internet de prendre deux rendez-vous à la même heure.
L’autre après-midi, j’étais affecté à l’une des deux unités de vaccination, chargé de l’aspect administratif de la procédure. Il venait de neiger dans la nuit et apparemment, tous les rendez-vous ont quand même été honorés, ce qui n’était pas évident (cela glissait bien sur la chaussée et même sur les trottoirs). D’ailleurs, plusieurs personnes avaient bravé la neige pour tenter leur chance de l’injection restante sans patient (inutilement donc), se disant que des rendez-vous ne seraient pas honorés par la neige (ce qui n’aurait rien changé, vu la très longue liste d’attente par ailleurs).
Ma prestation était plus "subtile" (si j’ose écrire ainsi). Dans un petit box intimiste, je prenais en charge la ou les personnes à vacciner. Je leur demandais la carte vitale et la carte d’identité. Ce qui m’intéressait dans la carte d’identité, c’était juste la date de naissance (vérifier l’âge) mais certains n’en avaient pas, avaient oublié, etc. et évidemment, je ne leur refusais pas l’accès à la vaccination. J’avais deux formulaires papier à remplir avec leurs coordonnées. Je vérifiais la condition d’âge, et aussi si leur nom était bien dans l’ordinateur dont je disposais, afin de leur donner l’heure et la date du rendez-vous pour la seconde dose.
Le remplissage de formulaire était particulièrement long, surtout avec mon écriture illisible (j’essayais de m’appliquer !), ce qui permettait un peu de conversation. Par exemple, cette dame qui était presque traumatisée de ne plus pouvoir voir ou toucher ses petits-enfants et qui me demandait si elle pourrait les toucher dans la semaine. Je faisais un peu le rabat-joie, je disais qu’il fallait attendre la seconde injection, encore une quinzaine de jours pour son effet, et que le vaccin n’était efficace qu’à 95%, c’est-à-dire que 5% des personnes vaccinées n’étaient donc pas protégées et pouvaient quand même être contaminées et développer peut-être une forme grave, et donc, dans tous les cas, il fallait rester prudente tant que la circulation du virus était très active. Du reste, la communication institutionnelle du gouvernement à la télévision en faveur de la vaccination me paraît dangereuse, montrant une grand-mère qui veut embrasser ses petits-enfants.
Et surtout, je donnais les directives aux personnes. Souvent, un accompagnant était là pour l’aspect matériel ou organisationnel. J’ai fait vacciner au moins trois ou quatre nonagénaires (j’ai d’abord écrit nanogénaires !), d’ailleurs, qui paraissaient en excellente forme, mais un peu fatigués ou parfois dépassés par les événements. Comme c’était la commune qui avait pris les rendez-vous, j’avais souvent des couples, et c’est toujours très bien, les couples, il y en a toujours un qui est l’organisateur pour l’autre un peu plus distrait. C’est plus facile à "gérer".
Je donnais aussi à "mes clients" deux documents qui expliquent ce qu’est la vaccination proposée, et qui donnent des coordonnées Internet et téléphone en cas d’effet indésirable, pour la pharmacovigilance, pouvoir noter toute remarque, même mineure, concernant leur vaccination (en général, l’accès aux messages de pharmacovigilance est réservé aux seuls médecins, pour cette vaccination, tous les patients y ont accès). La plupart des candidats à la vaccination étaient déjà bien informés sur le sujet, ce qui me semblait assez rassurant sur la maturité et la rationalité des postulants au vaccin. Je concluais toujours ce laïus par le fait qu’à la moindre hésitation, la moindre question, la moindre inquiétude, il faut contacter son médecin.
Ensuite, je leur expliquais la marche à suivre : d’abord, se rendre dans le box de la médecin avec mes deux formulaires, juste à côté du mien. Là, ils répondraient à un certain nombre de questions et la médecin jugerait s’il y avait ou pas des contre-indications pour la vaccination. Si tout allait bien, alors ils iraient dans le box de l’infirmier pour avoir ladite dose. Là, je récupérerais l’un des deux formulaires pour y inscrire définitivement la date du rendez-vous de la seconde dose (je l’avais inscrite initialement sur un post it), et ensuite, après l’injection, ils iraient s’asseoir dans une salle d’attente pendant un quart d’heure. Ce temps a deux fonctions : une fonction administrative sans importance, cela me permettait de photocopier le formulaire que j’avais récupéré et de donner l’original au patient en leur disant de le rapporter pour la seconde dose.
Mais l’attente d’un quart d’heure a surtout, une fonction médicale : la plupart des effets secondaires ont lieu dès les premières minutes. En attendant un quart d’heure, on sait à peu près l’effet du vaccin sur les patients. Ainsi, comme sur mon formulaire, l‘infirmier avait indiqué l’heure de l’injection, je devais surveiller l’heure et venir un quart d’heure plus tard aux nouvelles : savoir s’il y avait un mal de tête, s’il y avait des rougeurs etc.
À ma connaissance, mon centre de vaccination n’a connu aucun effet secondaire indésirable depuis son ouverture, mais comme c’est un petit centre, cela ne donne aucune statistique représentative. Si j’en crois la littérature récente sur le sujet, il y a un effet indésirable par 100 000 personnes vaccinées, ce qui est minime mais pas nul : à l’époque où j’ai aidé, dans le monde, plus de 200 millions de doses avaient déjà été injectées, en France, plus de 3 millions, et pour 3 millions, cela correspondait à 30 personnes ayant des effets indésirables (ce sont eux que les complotistes vous montreront, pas les 2 999 970 personnes pour qui tout s’est bien passé). Pas de chance si cela tombe sur vous. Mais c’est beaucoup plus rare que de choper le coronavirus dont le taux se situe, en France, autour de 5 500 par 100 000 habitants, soit plus de 5 000 fois plus ! (chiffres toujours à l’époque où j’ai vacciné, c’est-à-dire première quinzaine de février).
Bref, de cette expérience qui m’a certainement plus enrichi qu’elle n’a enrichi les autres, c’est-à-dire de ces quelques trop courtes heures consacrées à la vaccination, je me suis forgé une conviction très forte : grâce aux structures locales, disons-le clairement, grâce aux élus municipaux, la France est en total état de marche pour une vaccination à grande échelle. D’ailleurs, toujours en février, la France vaccinait plus de personnes par jour que l’Allemagne, ce qui est un repère pour ceux qui voudraient faire des comparaisons.
Aujourd’hui, il manque certes le grain à moudre, les doses, car il faut les fabriquer, mais tout le reste sera capable de suivre : il suffira de faire fonctionner les centres de vaccination la nuit, le week-end, il suffira donc de mobiliser des bénévoles et du personnel soignant et administratif pour que tout roule plus rapidement. C’est donc bien un problème industriel à l’échelle mondiale qui est la cause d’une trop lente vaccination, mais comme pour les masques et les tests PCR, cette production s’amplifiera avec les semaines et les mois à venir. Le problème n’est pas donc tant les personnes capables de vacciner (médecins, internes, infirmières, dentistes, vétérinaires, pompiers, etc.) ni les lieux pour vacciner (on a des espaces publics disponibles, plus même car ils sont interdits aux rassemblements publics en ce moment) que les doses qui doivent être fabriquées.
On ne fabrique pas des milliards de doses d’un claquement des doigts, et l’on ne construit pas des usines en trois jours. Il fallait évidemment attendre les autorisations de mise sur le marché avant d’investir massivement dans l’outil productif, et encore, dans ce cas précisément, la plupart des fabricants de vaccins avaient anticipé ces autorisations pour commencer le lancement de leur production (avec donc un réel risque financier). Maintenant que tout est confirmé, les financements arrivent pour les investissements productifs. Il n’y a pas non plus de problème de propriété intellectuelle dans cette apparente lenteur, il faut juste le temps de délivrer.
Cet esprit bon enfant et bienveillant ressenti dans ce centre de vaccination m’a semblé être un grand moment de communion républicaine. Une expression que j’aime beaucoup, qui mélange le religieux et le laïc mais qui est assez réel, comme le furent les moments de joie quand la France a gagné une coupe du monde de football. Un destin commun. Solidaire et commun. Ces petits moments méritent qu’on les savoure, ils sont trop rares pour qu’on les ignore. Quant aux complotistes, laissons-les dans leurs petites rancœurs, ce ne sont pas eux qui font avancer le monde…
NB. Au dimanche 28 mars 2021, 7 742 466 personnes ont déjà reçu leur première injection de vaccin contre le covid-19 en France et 2 651 777 leur seconde injection. Depuis le 27 mars 2021, la vaccination est ouverte aux personnes de plus de 70 ans. Au bout de trois mois de vaccination, la France n’a pas à rougir de son bilan vaccination même si tout le monde aimerait que cela aille plus vite.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 février 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Témoignage : au cœur d’un centre de vaccination contre le covid-19.
Tribune de 41 médecins du 28 mars 2021.
Origine du coronavirus SARS-CoV-2 : détecté et en circulation en France depuis le 5 novembre 2019 ?
Les bons alexandrins de Santé Publique France.
Dedans avec les miens, dehors en citoyen (comportements en temps de covid-19).
Mesures renforcées, confinement et confusion.
Les nouvelles attestations de déplacement à partir du 20 mars 2021 (à télécharger).
Conférence de presse du Premier Ministre Jean Castex le 18 mars 2021 à Paris (texte intégral).
Alors, confinement ou pas confinement ?
Gilbert Deray.
Covid-19 : un an après, toujours le cauchemar ?
Covid-19 : le mot interdit.
Les jeunes, génération sacrifiée ?
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210210-cy-centre-vaccination.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/temoignage-au-coeur-d-un-centre-de-231553
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/03/06/38851239.html