« Jarvis avait toujours considéré l’évolution ainsi : une bataille de longue haleine entre l’intelligence, fruit de milliers d’années de développement qui tirait notre espèce vers le haut, et ses racines bestiales, terreau de nos instincts les plus vils qui nous avaient permis de survivre si longuement au milieu d’un territoire pourtant hostile. » (Maxime Chattam, "Que ta volonté soit faite", éd. Albin Michel, 2015).
Dans les années 1920, mon arrière-grand-père, quadragénaire qui avait survécu à l’épreuve terrible (pour sa génération) de la guerre, possédait une traction-avant (malgré des revenus plutôt instables) et roulait allègrement sur les routes de Lorraine. Puis, fut institué le permis de conduire dont il fallait passer l’examen. Indigné par le fait qu’on lui demandait de refaire ses preuves alors qu’il avait déjà une longue expérience de la conduite, il refusa de se soustraire au diktat du code de la route et la belle traction-avant resta garée dans son garage…
Effectivement, le code de la route a exactement 100 ans en France. Il a été institué par le décret concernant la réglementation de l’usage des voies ouvertes à la circulation publique qui a été signé le 27 mai 1921 par le Ministre des Travaux publics de l’époque, Yves Le Trocquer, dans le gouvernement d’Alexandre Millerand.
Ce décret a mis plus d’une dizaine d’années à être rédigé à partir des travaux d’une commission nationale créée par le décret du 1er juin 1909. Certes, depuis Napoléon Ier, il y avait déjà une certaine réglementation sur la circulation mais aucun texte d’ensemble qui rassemblait toutes les interdictions et autorisations (et il y avait aussi depuis plus d’une quinzaine d’années un code privé adopté spontanément par des associations d’automobilistes).
Un an et demi plus tard, le 31 décembre 1922, un nouveau décret a complété le code de la route par l’obligation d’avoir un permis de conduire. L’article 29 de ce décret explique : « Nul ne peut conduire un véhicule automobile s’il n’est porteur d’un certificat de capacité délivré par le préfet du département de sa résidence, sur l’avis favorable d’un expert accrédité par le ministre des Travaux publics. Ce permis ne pourra être délivré à l’avenir qu’à des candidats âgés d’au moins 18 ans. Il ne pourra être utilisé pour la conduite soit des voitures affectées à des transports en communs, soit des véhicules dont le poids en charge dépasse 3 000 kilogrammes, que s’il porte une mention spéciale à cet effet. ». Ce fut le 16 mars 1923 qu’on différencia explicitement les différents types de permis de conduire (A, B, C, etc.).
Là encore, il existait déjà un document administratif qu’il fallait avoir depuis le 10 mars 1899 pour rouler (et même depuis le 14 août 1893 à Paris), le certificat de capacité délivré aussi par le préfet mais sur l’avis favorable du service des mines. Ce certificat a d’ailleurs failli être supprimé après la Première Guerre mondiale, pour réduire les contraintes administratives, mais l’accroissement des accidents de la circulation a favorisé au contraire le renforcement de la réglementation.
Ainsi, à partir de l’année 1923, il fallait pouvoir justifier de sa capacité à conduire auprès d’experts agréés, et avec l’augmentation du trafic routier, deux évolutions ont eu lieu : d’une part, la création d’un monitorat d’auto-école par la professionnalisation de l’enseignement (surtout à partir de la circulaire du 5 juillet 1930) ; d’autre part, une série de sanctions a été instaurée dans le cas où un automobiliste contreviendrait au code de la route, qui va de la simple amende pour contravention au retrait du permis de conduire pour délit (la suspension fut prévue par le décret du 12 avril 1927).
Le premier feu rouge (unique) en France fut installé le 5 mai 1923 à Paris au croisement du boulevard Saint-Denis et du boulevard Sébastopol. Ce fut dix ans plus tard que les premiers feux tricolores (rouge, orange, vert) furent installés en France.
Le code de la route a été rénové plusieurs fois dans son histoire, par le décret du 20 août 1939, par le décret du 10 juillet 1954, par l’ordonnance du 15 décembre 1958 (qui précise le domaine de la loi et le domaine réglementaire en matière de code de la route), enfin par l’ordonnance n°2000-930 du 22 septembre 2000.
La loi du 15 avril 1954 a permis de rechercher la présence d’alcool dans le corps en cas d’accident (la loi du 18 mai 1965 a complété par le dépistage d’alcool dans l’air expiré des conducteurs). Le décret du 10 juillet 1954 a en particulier instauré une limitation de vitesse en ville à 60 km/h.
À partir de 1969, les pouvoirs publics ont pris la mesure de l’insécurité routière, avec un parc automobile qui se développait, un réseau routier également renforcé, et un nombre de morts sur la route insupportable (qui est allé jusqu’à 18 034 morts l’année 1972). Le code de la route fut alors régulièrement modifié depuis une cinquantaine d’années, s’adaptant à la fois au contexte sociétal (stupéfiants, smartphone, etc.) et se donnant des objectifs très ambitieux (le dernier étant d’arriver en dessous de la barre des 2 000 morts sur la route par an, à partir de 2020).
Parmi les dirigeants à l’origine des grandes modifications pour améliorer la sécurité routière, on peut citer Jacques Chaban-Delmas (Premier Ministre), Michel Rocard (Premier Ministre), Jacques Chirac (Président de la République) et Édouard Philippe (Premier Ministre).
Le décret du 5 février 1969 a réglementé la vitesse des nouveaux conducteurs (limitée à 90 km/h pendant la première année). La loi du 9 juillet 1970 a fixé un seuil maximal d’alcoolémie à 0,8 g/l de sang (délit au-delà de 1,2 g/l). Le décret du 5 juillet 1972 a créé le Comité interministériel à la sécurité routière (CISR) avec un délégué interministériel à la sécurité routière. Le décret du 28 juin 1973 a limité la vitesse à 110 km/h sur les routes à grande circulation et à 100 km/h sur les autres routes, a rendu obligatoire le port du casque pour les conducteurs de cyclomoteur (l’arrêté du 16 octobre 1979 a généralisé le port du casque) et le port de la ceinture trois points, hors agglomération, aux places avant (l’arrêté du 1er octobre 1979 a étendu l’obligation sur tous les réseaux routiers et l’arrêté du 9 juillet 1990 a rendu obligatoire le port de la ceinture de sécurité aussi à l’arrière).
Le décret du 6 novembre 1974 a limité la vitesse à 130 km/h sur les autoroutes, 110 km/h sur les routes à chaussées séparées et 90 km/h sur les autres routes. La loi du 8 décembre 1983 a baissé le seuil du délit d’alcoolémie de 1,2 à 0,8 g/l dans le sang (la loi du 17 janvier 1986 a rendu possible le retrait du permis de conduire en cas de dépassement de l’alcoolémie autorisée). L’arrêté du 4 juillet 1985 a instauré le contrôle technique pour les véhicules d’occasion de plus de cinq ans, uniquement lors de leur vente et sans obligation de réparation. Le décret du 20 novembre 1990 a réduit la vitesse maximale en agglomération à 50 km/h.
Le gouvernement de Michel Rocard a introduit deux innovations majeures qui ont eu des conséquences heureuses sur la mortalité routière : le contrôle technique obligatoire pour tous les véhicules d’occasion (applicable au 1er janvier 1992) et le permis à points (applicable au 1er juillet 1992). Le décret du 24 novembre 1993 a créé l’Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR) qui a pour mission de collecter toutes les statistiques sur la sécurité routière. Le décret du 19 août 1995 a baissé le seuil d’alcoolémie à 0,5 g/l dans le sang (le décret du 11 juillet 2003 a fixé un retrait de 6 points du permis de conduire en cas de dépassement du seuil d’alcoolémie de 0,5 g/l ; le décret du 24 juin 2015 a abaissé le seuil d’alcoolémie à 0,2 g/l pour les conducteurs en permis probatoire). Le décret du 28 août 2001 a créé le Conseil national de la sécurité routière (CNSR) dont la mission est de proposer de nouvelles mesures de sécurité routière.
Autre innovation majeure, la fin de l’impunité. Conformément aux déclarations du Président Jacques Chirac du 14 juillet 2002, le CISR a développé un système de contrôle et de sanction automatisés (radars automatiques pour contrôler la vitesse sur la route). Le premier radar automatique fut inauguré le 27 octobre 2003 sur la RN20 dans l’Essonne (route Paris-Orléans). Le premier radar embarqué fut mis en service le 28 janvier 2004. La loi Perben II du 9 mars 2004 a créé deux nouveaux délits : la conduite sans permis et la conduite avec défaut d’assurance. Le port du casque pour les cyclistes de moins de 12 ans a été rendu obligatoire à partir du 22 mars 2017.
Enfin, la dernière mesure phare fut décidée par le CISR du 9 janvier 2018 avec la réduction de la vitesse maximale sur les routes à une voie à 80 km/h à partir du 1er juillet 2018, mesure qui fut assouplie par la loi LOM du 24 décembre 2019 (les conseils départementaux pouvant rétablir les 90 km/h sous leur responsabilité).
Par ailleurs, signalons que la loi du 18 mai 1999 (gouvernement de Lionel Jospin) a étendu au code de la route le principe la responsabilité pénale pour fait d’autrui, en rendant pécuniairement responsable le propriétaire du véhicule (titulaire de la carte grise) des infractions routières, sauf en cas de délation du véritable conducteur.
Toute cette réglementation, de plus en plus contraignante, a permis de ramener la mortalité routière de 18 034 morts en 1972 à 3 239 morts en 2019, soit une baisse de 82% en 48 ans, parallèlement à une augmentation du trafic de 235 à 606 milliards de kilomètres parcourus, soit 2,6 fois plus de trafic. Cela reste cependant en deçà de l’objectif de 2 000 morts en 2020, et les années 2020 et 2021 seront plus difficiles à analyser en raison des trois confinements provoqués par la crise sanitaire due à la pandémie de covid-19.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 mai 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210527-code-de-la-route-qi.html
https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/100-ans-de-code-de-la-route-et-des-233320
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/05/26/38987364.html