« Si les chercheurs portent en eux cette soif de connaissance qui a un intérêt certain, dans le cadre d’une loi de bioéthique, d’autres intérêts sont en présence. C’est l’essence même de la bioéthique : poser les limites aux intérêts scientifiques pour garantir l’intérêt de l’homme, y compris du petit de l’homme. Placer la connaissance des chercheurs comme intérêt supérieur sans protéger l’embryon humain de la destruction et de la modification de son patrimoine génétique, sans envisager d’alternative à la recherche les cellules souches embryonnaires humaines (qui détruit l’embryon humain), (…)… c’est abandonner la bioéthique. » (Lucie Pacherie, le 21 juin 2021).
Ce mardi 29 juin 2021 dans l’après-midi, à 18 heures 40, a eu lieu l’adoption définitive de la loi de bioéthique par l’Assemblée Nationale. Au cours de ce scrutin n°3855, il y a eu 483 votants, 326 pour, 115 contre et 42 abstentions.
Le vote étant public, on peut voir qui exactement a voté quoi. Le texte a été principalement adopté par le groupe LREM (209 pour, 6 contre), le groupe MoDem (32 pour, 8 contre), le groupe PS (24 pour, 2 contre), le groupe Agir Ensemble (12 pour, 2 contre), le groupe Libertés et Territoires (7 pour, 1 contre), le groupe FI (16 pour) et le groupe PCF (10 pour). Et le texte a été rejeté principalement par le groupe LR (5 pour, 77 contre), le groupe UDI (3 pour, 10 contre) et par une courte majorité des députés non-inscrits (8 pour, 9 contre). À part pour le groupe FI, la conscience l’a emporté sur l’appartenance politique puisqu’il y a des votes hostiles à la majorité du groupe de leurs auteurs. Cette liberté de vote laissée à chacun dans son groupe politique montre une fois encore les défauts d’un mandat impératif que certains voudraient imposer à nos élus parlementaires.
À l’issue de ce scrutin, le Président de l’Assemblée Nationale Richard Ferrand a donné quelques indications statistiques de cet examen : « En près de deux années et avec quatre lectures, l’examen de ce projet de loi a donné lieu à 62 réunions de la commission spéciale, pour un total de 160 heures, et à 44 séances, soit plus de 109 heures de discussion dans l’hémicycle ; près de 12 700 amendements ont été déposés en commission et en séance publique, dont 714 ont été adoptés. Je suis convaincu que notre assemblée s’est honorée en prenant ainsi le temps du débat et de la réflexion sur des sujets fondamentaux pour l’avenir de notre société, en respectant les convictions de chacun. ». La fin de la phrase est inexacte puisque ce texte n’a finalement pas été consensuel, le respect des convictions de chacun est donc ici une vitrine inexacte, une coquille vide.
Après la loi du 25 juillet 1994 défendue par Simone Veil qui a ouvert la possibilité de faire des PMA pour les couples (hétérosexuels) ne pouvant pas avoir d’enfant naturellement, ce projet de loi élargit cette possibilité aux couples de femmes et aux femmes seules aussi, donc sans mission thérapeutique. L’objectif du gouvernement est que les premiers enfants issus de cette loi soient conçus à la fin de l’année 2021.
Je l’ai écrit et répété de nombreuses fois ici : cette loi, qui passera sans doute par une validation par le Conseil Constitutionnel avant sa promulgation, n’est pas seulement un texte qui propose la PMA pour toutes les femmes, mais a complètement supprimé les protections pour l’embryon humain, sujet qui n’a rien à voir et qui a été très peu médiatisé à cause de la mesure phare de la PMA. Il aurait fallu deux lois, il n’est pas possible de faire du sociétal dans une loi de bioéthique, c’est absolument antagoniste.
C’est pour cela que je regrette très amèrement cette adoption définitive : d’une part, à cause du fond, parce qu’elle met en danger les embryons humains qui vont être considérés comme du simple matériau biologique pour les recherches à venir, et d’autre part, à cause de la forme : ce texte est brouillon, évoque trop de sujets très différents, mélange, comme je viens de l’écrie, sociétal et éthique. Et surtout, je considère que c’est une honte qu’une loi de bioéthique ne soit pas consensuelle, comme cela a été le cas depuis les premières lois il y a une trentaine d’années. C’est une honte car chaque citoyen, dans la République, doit se sentir à l’aise avec les valeurs que les lois républicaines déclinent. Le minimum moral aurait dû être d’aboutir à un consensus au sein de la commission mixte paritaire et de ne pas purement et simplement éliminer les travaux du Sénat dans le texte final.
Il est d’ailleurs notable de voir combien ces débats ont été mal compris de la population. J’en veux pour preuve la position de Jean-Marie Le Pen, qui n’est pas un baromètre pour ma pensée, heureusement !, mais qui n’est pas ce qu’on pourrait appeler une personne naïve ou une personne qui n’a pas de sens politique. Il soutient la PMA pour toutes selon le raisonnement très simpliste suivant (et pas du tout suivi par la plupart des partisans de cette mesure) : ce serait une mesure pro-vie, puisque cela augmenterait le nombre de naissances. Peut-être mais est-ce si pro-vie que cela ? Pour une naissance par PMA réussie, combien d’embryons humains produits, détruits ou stockés ? Et j’ajoute maintenant : combien d’embryons humains utilisés pour des expérimentations scientifiques destructives ? Monsieur Le Pen devrait savoir un peu mieux étudier les textes avant de donner son avis. Certes, le grand âge peut excuser la paresse intellectuelle.
J’imagine qu’il n’est pas le seul à être tombé dans le panneau, à savoir de n’avoir vu que l’arbre PMA sans avoir vu la forêt d’embryons humains. Comme l’exprimait Lucie Pacherie, juriste de la Fondation Jérôme Lejeune, le 21 juin 2021, cela fait une quinzaine d’années que personne dans le monde n’a réussi à faire aboutir les recherches sur les cellules souches d’embryon humain. Ce texte adopté est en retard de quinze ans et d’autres solutions scientifiques sont maintenant bien maîtrisées qui ne provoquent pas la destruction d’embryons humains, comme les cellules souches pluripotentes (iPS) à partir de cellules prélevées sur une personne adulte sans la mettre en danger.
La majorité a refusé de rajouter au texte des interdictions clairement exprimées, comme celle de la GPA. Patrick Hetzel (LR) l’a évoqué dans son intervention à l’Assemblée : « Parmi les déceptions à relever, la majorité porte la responsabilité de n’avoir pas voulu explicitement inscrire certains interdis dans le texte. Nous pouvons d’aillurs nous interroger sur les raisons de ce refus. Il en va ainsi, par exemple, pour l’interdit de la GPA. Pourquoi ne pas l’avoir explicitement inscrit dans le texte de loi ? Il en va d même pour l’interdit strict de toute forme d’eugénisme. Ce sont des valeurs humaines fondamentales ! Vous avez pourtant refusé que cela soit inscrit dans le texte de loi. Nous pouvons véritablement nous demander pourquoi. ».
Ce texte ne réfléchit pas sur les conséquences éthiques d’un développement expérimental d’embryons humains pendant quatorze jours (quatorze jours !), sur les conséquences du non-respect du consentement des parents qui ont donné leurs embryons (issus d’une PMA) pour la recherche, et surtout sur les conséquences d’une création de chimère, le mélange génétique animal/homme en utilisant des cellules souches d’embryon humain dans une gamète animale (l’inverse reste interdit). Ce n’est plus une loi de bioéthique, c’est une loi d’anti-éthique !
Je propose ici de transcrire quelques interventions de députés qui, le 29 juin 2021, avant le vote définitif, ont exprimé leur opposition frontale à ce texte.
Emmanuelle Ménard (proche du RN) : « Ce texte (…) nous positionne au seuil d’un véritable équinoxe moral. (…) L’adulte qui crée, même s’il s’en défend, un droit à l’enfant, à sa marchandisation, à sa programmation et à sa sélection. Pourquoi s’en priverait-il d’ailleurs, puisque, dans votre monde, les seules limites sont celles de la science ? (…) Un monde qui ne sourcille déjà plus à l’idée de créer des chimères entre animaux et humains ou des gamètes et des embryons synthétiques. Un monde qui voit l’embryon humain non comme un enfant à naître mais comme une matière première sur laquelle on peut faire des recherches jusqu’à quatorze jours et que l’on peut modifier génétiquement. Un monde glacial qui supprime le délai de réflexion d’une semaine pour une interruption médiale de grossesse au nom, vous ne reculez devant rien !, de l’émancipation de la femme. Un monde qui s’interroge : est-il éthique d’avorter un enfant jusqu’à la veille de sa naissance lorsque sa mère se trouve dans une situation psychosociale ? Étrange époque dans laquelle la science sert de caution aux pires égarements. Finalement, vous proposez une société qui a perdu la tête, qui a perdu la raison. Un jour, le père est sacralisé au point que vous allongez le congé paternité à vingt-cinq jours ; le lendemain, vous construisez une femme toute-puissante qui décidera seule, en cas de diagnostic prénatal, si le père a le droit ou non de savoir si son enfant est malade. ».
Agnès Thill (UDI) : « Le Président de l’Assemblée Nationale lui-même, qui est un proche du Président de la République, n’a pas été réélu conseiller régional, ce week-end. Veuillez m’excuser de le rappeler, mais on se demande parfois quelle légitimité vous avez pour faire passer ce projet de loi relatif à la bioéthique, avec toutes ses conséquences ! (…) Désormais, on fabrique un être humain à notre convenance, selon notre désir. Qu’un malade parvienne au pouvoir et le pire sera à nouveau possible, à cause de vous. L’enfant serait un "projet". Et si le résultat ne vous convient pas, que ferez-vous ? Vous le jetterez ? Prévenez-nous tout de suite. (…) Oui, on peut craindre le pire, votre seul argument étant que cela se fait ailleurs. Sachez que les territoires ne vous suivent pas. (…) Avec les dispositions qui concernent l’autoconservation des ovocytes, les centres privés lucratifs, l’absence de raison médicale, les bébés médicaments, la filiation et ainsi de suite, la question n’est même pas de savoir quelle planète nous laisserons à nos enfants, mais quels enfants nous laisserons à notre planète. ».
Patrick Hetzel (LR) : « Je tiens à rappeler une nouvelle fois que, sur le plan éthique, ce texte conduira à franchir de nombreuses lignes rouges, pour aboutir à un moins-disant évident (…). Ce projet de loi ne remplira pas le rôle de régulation et de garantie de la bioéthique qui lui est assigné. En outre, il est d’inspiration scientiste car il vise à légaliser quasiment tout ce que permettra la technologie. Enfin, il menace l’espèce humaine, puisque l’animal et l’environnement seront mieux protégés que l’homme. L’enjeu de la bioéthique est pourtant la protection de l’être humain face aux avancées médicales et scientifiques qui pourraient lui porter atteinte. (…) Encadrer les progrès de la science et de la médecine pour éviter les dérives : tel est normalement l’objectif des lois de bioéthique. Celles-ci visent aussi à trouver un point d’équilibre entre la protection des droits fondamentaux de la personne et l’absence d’entrave aux progrès de la recherche. Or, avec ce texte, les droits fondamentaux de la personne et la protection de l’être humain régresseront. (…) La compétitivité internationale, la sécurité juridique des chercheurs, le besoin de développer les connaissances sont les premiers arguments à avoir été avancés et repris, tandis que la question de la protection de l’être humain est, hélas, devenue de plus en plus secondaire (…). Ce projet de loi contribue à ce renversement inédit des priorités, et c’est une rupture très forte par rapport à d’autres textes de bioéthique. (…) Ce projet de loi n’est plus bioéthique, il est, hélas, d’inspiration scientiste. Sans prendre en compte la réalité anthropologique de l’embryon humain, la loi valide toutes les nouveautés de la science. Parce que l’on sait faire, il faut légaliser, c’était l’argument des rapporteurs. (…) Dans le domaine pharmacologique, par exemple, l’animal est désormais mieux protégé que l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines. Là encore, cela devrait nous conduire à nous interroger sur ce que doivent être nos lignes rouges en matière d’éthique. ».
Valérie Six (UDI) : « La mesure phare du projet de loi (…) est l’assistance médicale à la procréation. Nous continuons à croire que cette disposition ne devrait pas se trouver dans un projet de loi de bioéthique, mais dans un projet de loi sociétale et politique. (…) Le projet de loi de bioéthique touche également à la vie et à la valeur que nous y attachons collectivement. Nous ne pouvons que nous interroger lorsque vous entendez autoriser l’hybridation de cellules souches humaines avec des cellules souches animales, ou encore la recherche sur des embryons humains surnuméraires. Les embryons surnuméraires, destinés à la destruction puisque n’étant plus rattachés à un projet parental, pourront être l’objet d’expériences. On tente de nous rassurer en disant qu’un seul embryon pourrait être utilisé durant plusieurs années grâce à la division cellulaire, mais cela ne fait qu’exacerber nos interrogations et nos inquiétudes. Si, à l’appui de diverses publications scientifiques, vous considérez qu’un embryon peut être réduit à un amas de cellules, à une potentialité, on peut aussi considérer, à l’inverse, au plus intime de soi, qu’il y a déjà de la vie dans un embryon. La destination de l’embryon, un projet parental ou la destruction, n’en altère pas la nature. La valeur qui lui est attachée ne dépend que de notre conscience collective. ».
Ces quatre députés font partie des 115 députés qui ont rejeté ce texte, mais ils étaient minoritaires. Le texte a donc été adopté. Malgré le caractère définitif du vote, la procédure n’est pas encore totalement achevée puisque l’opposition souhaite saisir le Conseil Constitutionnel sur certaines dispositions du projet de loi. Valérie Six a en effet déclaré : « Personne ne dit qu’un couple de femmes élèvera moins bien un enfant qu’un couple composé d’un homme et d’une femme. Il apparaît évident que la mère qui n’accouche pas doit être reconnue comme la mère de l’enfant. Là où nous sommes en complet désaccord avec vous, c’est sur la manière dont vous établissez la filiation : l’expression d’une simple volonté ne peut être suffisante pour fonder une filiation. Ce débat juridique sera, à n’en pas douter, tranché par le juge constitutionnel. ».
Le cas échéant, je reviendrais donc sur ce projet de loi si le Conseil Constitutionnel émettait un avis pour valider ou invalider certaines dispositions du texte. Il est patent que cette loi revêt un caractère politique de première importance même si le Président Emmanuel Macron semble s’en être totalement désintéressé. La PMA pour toutes les femmes fera partie de son bilan, après avoir fait partie de ses engagements. À l’approche du renouvellement de son mandat, c’est un élément stratégique de première importance… Et tant pis pour les embryons humains !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 juin 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bioéthique 2021 (11) : adoption définitive du texte, les embryons humains protestent !
Un allié inattendu pour les partisans de la PMA pour toutes.
Bioéthique 2021 (10) : à partir de quand l’humanité commence ?
Euthanasie : soigner ou achever ?
Protection des mineurs (2) : pas d’imprescriptibilité pour la pédocriminalité.
Protection des mineurs (1) : 15 ans, âge minimal du consentement sexuel ?
Bioéthique 2021 (9) : le rejet par les sénateurs de la PMA pour toutes.
En quoi le progrès médical est-il immoral ?
Bioéthique 2020 (8) : diagnostic préimplantatoire (DPI) et interruption médicale de grossesse (IMG).
Bioéthique 2020 (7) : l’inquiétante instrumentalisation du vivant.
Document : le rapport approuvé le 3 juillet 2020 de la commission spéciale de l’Assemblée Nationale sur la bioéthique (à télécharger).
Bioéthique 2020 (6) : attention, un train peut en cacher un autre !
Vincent Lambert.
La Charte de déontologie des métiers de la recherche (à télécharger).
Claude Huriet.
Document : le rapport approuvé le 8 janvier 2020 de la commission spéciale du Sénat sur la bioéthique (à télécharger).
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
La PMA et ses sept enjeux éthiques.
Les 20 ans du PACS.
Harcèlement sexuel.
Pédophilie dans l’Église catholique.
Le projet de loi sur la bioéthique adopté par les députés le 15 octobre 2019.
Texte du projet de loi sur la bioéthique adopté le 15 octobre 2019 par l’Assemblée Nationale (à télécharger).
Quel député a voté quoi pour la loi sur la bioéthique ? Analyse du scrutin du 15 octobre 2019.
Attention, les embryons humains ne sont pas que des "amas de cellules" !
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Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Jacques Testart.
Simone Veil.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210629-bioethique-ak.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/bioethique-2021-11-adoption-234087
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/07/01/39039587.html
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