« Exister n’est pas utile. Vivre, c’est utile. » (Bernard Tapie, le 8 juillet 2021 sur LCI).
Depuis plusieurs années, Bernard Tapie se bat contre la maladie. Une double maladie, de la saloperie (désolé pour le mot). Deux cancers. J’ai toujours apprécié Bernard Tapie. Certes, je n’aimais pas le symbole des années 80, celui des "années fric", l’arrivée de l’argent en France (c’est bien de cela qu’il s’agit), celui qui corrompt, qui assouvit, qui rend dingue. La frime, la vie au-dessus de ses moyens, l’oubli de son origine modeste. Tout cela, je n’ai pas apprécié chez Bernard Tapie.
En revanche, j’ai beaucoup admiré sa fascinante énergie. Son refus de la fatalité. Ses répliques contre Jean-Marie Le Pen, et au corps à corps, le Narnard, il gagnait à la télé contre l’ancien d’Algérie ! Cette audace, ce courage aussi, de dire les quatre vérités. Évidemment, ça ne faisait pas plaisir à tout le monde.
Son arrivée dans le monde politique a créé un grand malaise. Déjà au sein du parti qui a dû l’accueillir. Certes, Bernard Tapie n’a jamais été socialiste (il n’a été que "radical de gauche"), mais quand même, c’était François Mitterrand qui l’avait installé non seulement au Palais-Bourbon en 1988, mais carrément au conseil des ministres, au sommet suprême, en 1992. Mais partout il faisait peur, car il n’était pas "contrôlable" et l’on s’inquiétait qu’il participât à une élection présidentielle.
Il n’en a pas eu le temps, les affaires judiciaires pleuvaient sur sa carrière écourtée. Probablement qu’il a commis des erreurs, peut-être des fautes, des infractions voire des délits vis-à-vis de la loi, je ne suis pas juge de ses éventuelles élasticités avec la loi, et de toute façon, quand on dirige des entreprises, vu le nombre de décisions à prendre, dont la loi parfois donne un aperçu flou, on peut rapidement être dans le rouge du gendarme. C’est Emmanuel Macron qui a apporté le droit à l’erreur face à l’administration. Ne pas être coupable a priori.
Je n’écris pas cela pour l’excuser, mais sur l’affaire Adidas, il paraît quand même dans la position plus de la victime d’une banque géante dirigée par l’État que du prédateur calculateur. Une telle affaire, qui dure depuis si longtemps, est si complexe qu’il n’est pas sûr que quelque chienne juriste que ce soit y retrouve ses chiots, surtout quand on sait que des personnalités comme Pierre Mazeaud, ancien Président du Conseil Constitutionnel et juriste au-dessus de tout soupçon, ont des implications tortueuses dans celle-là.
Cette énergie, Bernard Tapie la déploie maintenant contre la maladie et c’est impressionnant, émouvant même, au même titre, mais d’une bien autre manière, que le professeur Axel Kahn qui avait joyeusement tiré sa révérence au début de l’été. Il est des personnalités fortes et qui impressionnent. Ils en font partie, tous les deux.
Comble du manque d'humanité d’une justice qui interroge, le procès en appel d’un module de cette affaire (écrirais-je) s’est fait sans le principal prévenu le 26 mai 2021 pour cause de …maladie. En effet, Bernard Tapie a vécu le mois qui a suivi de manière particulièrement difficile. Il a beaucoup souffert.
C’est avec une voix quasi-inaudible qu’il s’est confié au journaliste Darius Rochebin le 8 juillet 2021 sur la chaîne LCI : « J’ai vécu un mois de douleurs très intenses (…). Je suis dans une phase un peu moins douloureuse. Mais j’ai été pendant un mois à souffrir le martyre du matin au soir, à ne pas pouvoir me lever, manger. Vous vous battez contre cette volonté d’y mettre un terme. ».
Oui, la souffrance est horrible et je ne me la souhaite pas, ni à personne d’ailleurs. Je souhaite à Bernard Tapie tout le courage nécessaire à son combat. Ce qui m’a paru scandaleux, c’est que ses déclarations personnelles ont été tout de suite "récupérées" par les zélateurs de l’euthanasie pour tous. Ce qui est d’un fort mauvais goût lorsqu’on est en pleine pandémie et qu’on cherche à sauver des vies humaines, y compris dans les services de réanimation.
Je ne peux pas m’empêcher de rappeler cette réflexion de Pierre Mazeaud sur l’intérêt général : « Il y a donc pour moi une démission du politique, donc affaiblissement de l’État, pour ne satisfaire que des intérêts catégoriels et bruyants face au seul intérêt général combien plus éminent mais plus diffus. En réalité, la politique est devenue plus compassionnelle que rationnelle. L’individu, en effet, tel un électron libre, tente de trouver refuge dans le communautarisme dont les exigences contribuent à dissoudre la conception et la détermination de l’intérêt général. Un État digne de ce nom doit s’opposer à de telles dérives, sauf à y perdre son autorité. Ne laissons pas "un véritable droit à l’autonomie pour tous". Que penser de cette dernière proposition de loi d’un député UMP tendant à la reconnaissance d’un droit à la sexualité pour les [personnes handicapées] ? » (le 7 février 2011).
Personne n’a rappelé que la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 était déjà suffisante dans sa situation : d’abord, basée massivement sur les soins palliatifs, c’est-à-dire des soins de confort dont le but est qu’ils réduisent sinon suppriment les douleurs, au risque d’abréger la vie (mais je crois, je n’en suis pas sûr, que Bernard Tapie n’en est pas encore là puisque, si j’ai bien compris, il a reçu des traitements pour combattre sa maladie), ensuite, si l’épreuve est trop insupportable, le patient en fin de vie peut choisir la sédation profonde et continue, en d’autres termes, choisir de s’endormir définitivement et sans douleur, ce qu’a choisi le professeur Axel Kahn, qui était un opposant résolu à l’euthanasie.
Du reste, Bernard Tapie est bien conscient de cette possibilité de la loi, puisqu’il a poursuivi l’entretien avec le journaliste par ce qu’il disait à son épouse : « Je lui disais : "que penses-tu si, à un moment donné, je ne peux plus supporter les douleurs au point d’être mis dans un état comateux, d’anticiper le rendez-vous définitif ?". Et elle m’a répondu : "moi, non". ». Les lobbyistes de la culture de la mort se sont bien gardé de retranscrire cette partie-là de la confession de Bernard Tapie. Aujourd’hui, la loi permet d’abréger si c’est trop épouvantable. Elle permet de résoudre la quasi-totalité des situations des personnes en fin de vie.
Cette loi a pris des années, quasiment onze à douze ans, pour être rédigée avec précision, en pesant chaque mot, et surtout, pour être adoptée avec un consensus, car sur ces sujets-là, il y a un besoin évident de consensus, il faut en finir avec ceux qui vendent les valeurs de la vie au rabais, et il y en a beaucoup tant dans la majorité que dans les oppositions.
Qu’on laisse au moins le temps d’évaluer la loi avant d’en soumettre une autre, qu’on poursuive voire étende le développement des soins palliatifs (c’est ce qu’a annoncé le ministre Olivier Véran le 8 avril 2021), en particulier en unités mobiles pour de la médecine ambulatoire, pour permettre aux patients en fin de vie de vivre leurs derniers instants chez eux. Mais arrêtons de penser que pour supprimer le mal, il faut supprimer le malade au lieu de supprimer la maladie !
C’est sûr que les propos de Bernard Tapie pouvaient être ambigus quand il a lâché : « Faut arrêter de nous faire chier à vouloir nous faire vivre comme eux l’ont décidé. (…) Est-ce que moi, je vais m’occuper de la manière dont va mourir tel ou tel ministre ? ». Cette phrase en elle-même résonne de vie et de vigueur car les propos expriment de la colère, une colère un peu démago mais on ne s’y arrêtera pas car il n’a plus rien à vendre.
C’est justement parce qu’il n’y a pas eu de loi sur l’euthanasie que Bernard Tapie a pu exprimer sa colère. Parce que ce qu’il raconte, son témoignage, c’est qu’il a lutté entre plusieurs forces, celles du renoncement, de l’abandon, de la mort, et celle de la vie, de la combativité, de l’énergie. Dans la douleur, je n’imagine pas autrement mes pensées qu’une succession d’impressions opposées, des oscillations du doute à la certitude.
La plupart des médecins qui suivent les patients en fin de vie peuvent attester qu’en dehors de cas très limités, parfois militants, ceux qui réclament l’euthanasie, ce sont des personnes en bonne santé pour un avenir dont ils ne connaissent rien. Ceux en mauvaise santé, en dépendance, ils ont revu leurs ambitions à la baisse, ils se disent qu’ils peuvent encore vivre, avoir des émotions, rire, pleurer, être en colère comme Bernard Tapie, et cela même diminuées, même sans pouvoir plus jamais marcher, même sans voir, etc.
Quant à la douleur, elle a été déjà mise hors-la-loi dès 2002, et il est temps que chaque patient qui en formule le besoin puisse en bénéficier immédiatement. C’est dans la loi mais c’est la loi de finances qui compte pour le coup (pour le coût). À l’exception de très rares situations médicales, on est aujourd’hui capable de combattre les douleurs. Ne perdons pas de vue les raisons d’un combat. La vie, elle persiste parfois au-delà de nos propres espérances, et c’est ce qui la rend si belle. Assez des vautours de la morgue, préférons l’espérance de la vie !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou tuer ?
Bernard Tapie et "choisir sa mort".
Éric de Montgolfier, les pieds dans le Tapie.
Le combattant Bernard Tapie.
Bernard Tapie : faut-il encore s’acharner sur cet homme ?
Aquarius : 630 vies humaines et les sales eaux.
Grandeur et décadence de Bernard Tapie.
"Un jour, un destin" rediffusée le 4 janvier 2011 sur France 2.
Bernard Tapie, victime ?
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210708-bernard-tapie.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/bernard-tapie-et-choisir-sa-mort-234293
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/07/11/39054674.html
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