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15 septembre 2021 3 15 /09 /septembre /2021 03:11

« La société française ne semble plus capable de secréter en son sein des sauveurs. L’école de la République n’enseigne même plus leur histoire. Comme des sales gosses nihilistes, nous prenons plaisir à casser le moule de notre grandeur passée. » (Éric Zemmour, le 7 mars 2012 dans "Le Bûcher des vaniteux", éd. Albin Michel).


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Depuis quelques semaines, une nouvelle question torture le cerveau des éditorialistes politiques : l’un de leurs collègues, Éric Zemmour sera-t-il candidat à l’élection présidentielle de 2022 ? Et si oui, pourrait-il être élu ?

Cela semble s’accélérer pour Éric Zemmour. D’où l’emploi du mot "virus" dans mon titre, parce que c’est une candidature typiquement virale. Il fait partie des candidats possibles dans les sondages d’intentions de vote, ce qui permet de voir qu’il représente une part non négligeable de l’électorat dit de droite.

L'un des derniers sondages, réalisé par Ispos-Sopra Steria pour franceinfo et "Le Parisien/Aujourd’hui" publié le 3 septembre 2021, a montré un score flatteur pour celui qui n’a pas encore déclaré sa flamme. Il obtiendrait 8% d’intentions de vote, ce qui, pour une candidature "à froid" serait déjà un socle remarquable.

On pensait au départ qu’il irait manger sur l’électorat de Marine Le Pen, puis on s’est dit qu’au contraire, ils rognerait sur l’électorat de LR. En fin de compte, et quel que soit le candidat soutenu par LR, du moins les deux principaux, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse (j’y reviendrai), Éric Zemmour handicaperait autant Marine Le Pen que LR, mais plus encore Nicolas Dupont-Aignan qui se verrait reléguer à un score de microcandidat (de l’ordre de 2%). En effet, Éric Zemmour prendrait 2% d’intentions de vote tant à Marine Le Pen qu’au candidat LR et 4% à Nicolas Dupont-Aignan, disparaissant ainsi du paysage présidentiel.

Un autre sondage réalisé par Harris Interactive pour "Challenges" publié le 14 septembre 2021 place même le polémiste à 10% en prenant 3 points à Marine Le Pen et 1 point au candidat LR.

Répétons-le, ce ne sont que des sondages, c’est-à-dire des photographies furtives et immédiates d’une "opinion publique" particulièrement hésitante et instable, mais on voit à quel point ce sont des outils indispensables aux partis et aux candidats hésitants pour déterminer leur stratégie. Surtout lorsque l’idée de primaire peut être synonyme d’échec et de divisions.

Pour Éric Zemmour, ce sondage, comme les autres qui donnent à peu près les mêmes enseignements du moment, c’est plutôt encourageant. À 63 ans, c’est en effet la dernière occasion sérieuse de participer au débat électoral. Éric Zemmour a des idées, et voudrait contribuer à élargir la campagne présidentielle. D’un point de vue politique, l’électorat ne semble pas surpris de cette perspective.

Des jeunes zemmouriens avaient étonné au lendemain des dernières élections régionales en collant des affiches pour souhaiter la candidature d’Éric Zemmour : que cela fût concerté ou à la propre initiative de ces jeunes zélateurs (qui se font du coup appeler la génération Z, ce qui fait un tantinet Zorglub !), cette action a permis de diffuser très progressivement l’idée d’une candidature Zemmour.

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Il y a aussi une autre caractéristique qui compte : Éric Zemmour déteste Marine Le Pen et pour lui, elle ne gagnera jamais une élection présidentielle car elle a montré ses limites lors du débat de second tour le 3 mai 2017. Il serait ainsi partisan plutôt du TSMLP : tout sauf Marine Le Pen ! Donc Éric Zemmour.

Laurent Wauquiez, qui n’était déjà plus président de LR, doit se mordre les doigts d’avoir laissé entendre à Éric Zemmour qu’il avait toute sa place dans la grande famille de la droite, lors de la "Convention de la droite" organisée le 28 septembre 2019. Car aujourd’hui, Éric Zemmour pourrait lui répondre qu’il a tout sa place dans la planète Zemmour. Encouragés par Laurent Wauquiez, les électeurs traditionnels de LR pourraient considérer que le journaliste est un membre de la droite comme un autre.

Dans un certain nombre de médias, il n’est pas du tout qualifié de droite, mais d’extrême droite, placé bien plus à droite que Marine Le Pen (qui fait figure de gauchiste comparée à lui). C’est cela qui est un peu paradoxal. La personnalité est plus "modérée" que les idées.

Quand, il y a quelques mois, François Bayrou, dont on ne pourra pas soupçonner un seul doute sur ses idées contre l’extrême droite, fut interrogé sur l’éventualité d’une candidature d’Éric Zemmour, il ne l’a pas chargé comme un méchant extrémiste. Il était resté assez neutre, assez discret, refusant d’entrer dans la polémique. C’est qu’Éric Zemmour est bien connu des centristes, il était même chargé de couvrir le parti centriste il y a une trentaine d’années et des sympathies se sont nouées. Comme d’ailleurs Nicolas Dupont-Aignan, qui a voté pour François Bayrou en 2007 et qui avait été son chef de cabinet lorsqu’il était ministre.

Ce qui est certain, c’est que l’éditorialiste jouit d’une belle culture historique, mais il la met au service d’une idéologie qui en fait des interprétations erronées, ce que de nombreux historiens ont dit ou au contraire refusé de dire car la loi de Brandolini s’applique aussi à lui. Napoléon, Pétain, De Gaulle… revisités à en faire froid dans le dos.

Qu’importe ! Éric Zemmour a trouvé son lectorat. Il l’avait testé dans les médias : sa notoriété a grimpé lors de sa participation à l’émission de Laurent Ruquier le samedi soir sur France 2, une émission à forte audience. Bon "produit" de communication, il a été recruté par d’autres chaînes après son éviction du service public et déjà quelques affaires en justice, aujourd’hui encore, il est sur CNews et comme ses idées sont clivantes, il provoque soit une forte détestation, soit au contraire un soutien très fort, selon l’opinion des uns et des autres. Le journaliste Éric Dupin l’a défini ainsi le 2 février 2017 : « Enivré par ses succès télévisuels, le gaulliste anticonformtiste qu’il était il n’y a pas si longtemps s’est mué en démagogue d’extrême droite. ». Au point que certains le comparent maintenant à Charles Maurras !

Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a décidé le 8 septembre 2021 que son temps de parole serait décompté à partir du lendemain pour maintenir tous les candidats dans une situation d’égalité. Éric Zemmour a pour l'occasion quitté temporairement "Le Figaro" pour faire sa future campagne (électorale ou de promotion éditoriale) et CNews vient, le 13 septembre 2021, de le renvoyer provisoirement pour se conformer au CSA. Imagine-t-on Jean-Luc Mélenchon ou Yannick Jadot ou Anne Hidalgo tenir une chronique quotidienne dans un grand média à forte audience et trouver cela normal alors qu'ils sont candidats à l'élection présidentielle ? La conséquence, c'est qu'Éric Zemmour n'est plus sur CNews mais il est partout ailleurs, France 2, RTL, LCI, BFM-TV, etc. Il y a même gagné en couverture médiatique !

Il est donc assez risible de voir comment Éric Zemmour se victimise à cet égard, évoquant la liberté d'expression dévoyée, alors qu'il est juste que tout candidat potentiel puisse jouir d'une exposition médiatique sensiblement équivalente. Du reste, un polémiste doit toujours s'attendre à des réactions hostiles, mais ici, c'est la simple règle de l'égalité entre les candidats qui est en cause. D'ailleurs, il avait déjà habitué son public à cette défense de la liberté d'expression lorsqu'il avait dû rendre des comptes à la justice pour certaines déclarations publiques (que je ne détaille pas ici, le lecteur intéressé saura où trouver). Et la défense de la liberté, elle n'est que dans un sens, pour sa liberté à lui, pas pour la liberté des parents par exemple à choisir le prénom de leur enfant (j'y reviendrai).

Ce qui est incontestable, c’est qu’Éric Zemmour vend beaucoup d’exemplaires de ses livres. "Le Suicide français", sorti le 1er octobre 2014 chez Albin Michel, a été un grand succès, qui s’est autoalimenté par la polémique, parce qu’Éric Zemmour est avant tout un polémiste, ce qui est nécessaire dans une vie intellectuelle saine. Entre 300 000 et 400 000 exemplaires du livre auraient été vendus en deux ans, peut-être plus.

Extrait du pamphlet : « L’idéologie de la mondialisation, antiraciste et multiculturaliste, sera au XXIe siècle ce que le nationalisme fut au XIXe siècle et le totalitarisme au XXe siècle, un progressisme messianique fauteur de guerres ; on aura transféré la guerre entre nations à la guerre à l’intérieur des nations. ».

Le 22 novembre 2014, Alain de Benoist commentait ce succès ainsi : « L’un [des sondages] révèle que 37% des Français (20% à gauche, 53% à droite) sont d’accord avec Zemmour, qu’ils se reconnaissent dans ce qu’il dit, qu’ils découvrent dans son livre ce qu’ils n’osaient dire tout haut ou qu’ils ne formulaient que de façon confuse. (…) Ceux qui méprisent le peuple y verront la confirmation que l’ouvrage n’est qu’une accumulation de lieux communs et de propos de bistrots. Mais il ne faut pas s’y tromper ; cet adoubement populaire, c’est une consécration. ».

Qui gênerait Éric Zemmour à l’élection présidentielle ?

À l’évidence, aucun candidat se réclamant de gauche. C’est un bon point pour ces candidats de gauche : ils ont tous intérêt à renforcer la confusion à droite et à l’extrême droite. Éric Zemmour pourra donc compter sur des maires divers gauche si jamais il manquait de parrainages. Ces 500 parrainages, répartis de manière homogène sur tout le territoire, a un avantage : ils obligent le candidat à avoir une force de frappe locale, des équipes un peu partout en France pour collecter ces signatures. Pas la peine de se présenter si on n’est même pas capable de ce travail qui implique surtout de l’organisation militante.

Est-ce que son éventuelle candidature avantagerait Emmanuel Macron ? Oui et non, à l’heure actuelle. D’une part, en affaiblissant la principale adversaire, Marine Le Pen, Éric Zemmour valoriserait la candidature d’Emmanuel Macron… sauf si l’effet est amplifié et permet, d'autre part, au candidat LR de prendre la place du second tour promise à la candidate RN. Auquel cas, l’issue du duel LREM vs LR serait beaucoup plus incertaine et il n’y aurait plus le risque du RN, donc, plus de vote utile au second tour. Ni vote utile, ni vote forcé pour éviter l’extrême droite.

Du côté du RN, la candidature d’Éric Zemmour recentrerait radicalement celle de Marine Le Pen. Elle ne pourrait plus être la candidate de la transgression, mais elle s’en moquerait car son socle "transgressif" est solide et fidèle. En revanche, la quête de nouveaux électeurs ne pourraient se faire que parmi des plus modérés, et donc, le recentrage aurait l’avantage de rassurer ces électeurs que le vote Marine Le Pen ne serait plus un vote extrémiste. En d’autres termes, Éric Zemmour jouerait une sorte d’épouvantail qui rabattrait les électeurs modérés vers Marine Le Pen. Un peu comme Georges Marchais avait finalement réussi à faire de François Mitterrand le meilleur barrage, le plus rassurant, contre le communisme.

Enfin, Les Républicains sont partagés sur les conséquences d’une candidature d’Éric Zemmour. Lui-même candidat à la candidature LR, le député niçois Éric Ciotti a annoncé très stupidement qu’il choisirait Éric Zemmour face à Emmanuel Macron. En clair, il n’est plus candidat, car lorsqu’on est candidat, même si on ne pèse pas très lourd, la moindre des choses, c’est d’abord de vouloir voter pour soi. Si ce n’est pas le cas, pourquoi demander aux autres de faire ce qu’on ne ferait pas soi-même ?

Mais c’est un épiphénomène. Comme je l’ai écrit plus haut, la candidature d’Éric Zemmour pourrait réduire les chances de Marine Le Pen d’accéder au second tour, donc augmenter celles du candidat LR. Toutefois avec une condition qui risque d’être fatale lors du combat du second tour où le choix des électeurs centristes un peu en déshérence va beaucoup compter : la présence dans le débat présidentiel d’Éric Zemmour va hystériser les candidats LR vers des positions assez dures contre l’immigration. On le voit déjà, même le mesuré et posé Michel Barnier a demandé un gel total de l’immigration pendant plusieurs années, et lui-même sait très bien que c’est une mesure impossible à appliquer pour beaucoup de raisons et pas seulement humanitaires.

Dans son nouveau livre "La France n'a pas dit son dernier mot", Éric Zemmour cite une Américaine qui lui aurait dit : « Il faudrait en France la même chose que chez nous. Il vous faudrait le même que le Donald pour donner un grand coup de balai. (...) Le Trump français, c'est vous. ». Pas sûr que ce soit très flatteur pour un prétendu intellectuel !

Et il faut le croire sur parole, car c'est typiquement le genre d'information invérifiable puisqu'il ne donne pas le nom de la dite Américaine qui pourrait confirmer ...ou pas. Procédé classique des propos de bistrot. Le frère du voisin de l'ami qui a vu l'ours. Café du commerce. Ce genre d'extraits, publiés par "Le Figaro" le 9 septembre 2021, n'a rien à voir avec une analyse fouillée et rigoureuse de la société française. Un pilier de bar ferait aussi bien. Dommage car il peut mieux (ce que j'exprime vaut sauf si l'extrait est trompeur et que le nom de la personne est effectivement indiqué).

Dans la réflexion, il faut bien comprendre qu’Éric Zemmour, qui a dû changer d’éditeur à cause des perspectives militantes de sa candidature, va sortir ce livre programme (à l'extrait cité) ce jeudi 16 septembre 2021. Or, l’objectif est de réussir cette sortie éditoriale, plus il y aura d’attente avec une candidature associée, plus le livre se vendra. C’est d’ailleurs devenu un réel business, avant chaque élection présidentielle, tel leader plus ou moins connu qui laisse miroiter sa candidature pour vendre son bouquin. Il y a cela, et il y a en plus le business Zemmour lui-même qui fonctionne à fond.

Je crois néanmoins en la sincérité d’Éric Zemmour à vouloir réellement influer sur les débats et les thèmes de la campagne présidentielle. Ce serait même comme le morceau de sparadrap du capitaine Haddock, les débats seraient pollués par les propositions controversées du polémiste et on ne parlerait pas des choses les plus importantes (par exemple, comment avoir un emploi ? un logement ? une école qui apprend ?). Des propositions controversées et dérisoires quand on songe aux enjeux et aux attentes.

En revanche, je ne suis pas encore convaincu que cette éventuelle candidature irait jusqu’au bout. Pourquoi ? Parce que si Éric Zemmour est un bon débatteur sur un plateau de télévision, il est un très médiocre orateur dans un meeting. Il suffisait de l’écouter à la Convention de la droite le 28 septembre 2019 pour s’en rendre compte. Il lassera vite les éventuels électeurs intéressés. Éric Zemmour est un homme d’idées, pas un homme d’action. Il serait assez nul à gérer un établissement public, et surtout, cela ne l’intéresserait pas. Alors, gérer la France…

Une autre raison, c’est qu’un candidat à l’élection présidentielle ne peut pas être un candidat monomaniaque qui n’est obsédé que par un seul thème (ici l’immigration, mais cela peut être le climat pour le futur candidat EELV). Un candidat à l’élection présidentielle doit développer une vision globale de la société et avoir son avis sur tout, tant sur ses sujets de prédilection que tous les autres, jusqu’à la stratégie sanitaire contre la pandémie de covid-19.

Enfin, en dernière remarque, je rappelle qu’avoir des centaines de milliers de lecteurs (ce qui est un exploit éditorial dont peu d’auteurs peuvent s’enorgueillir) ne signifie pas savoir capter des dizaines de millions d’électeurs. Nicolas Sarkozy en a fait l’amère expérience lors de la primaire LR de novembre 2016, lui qui était pourtant une bête de scène, un homme politique aguerri plus qu’un écrivain célébré (et "cérébré").

Ce sera aux autres candidats de ne pas se faire préempter les thèmes de la campagne présidentielle. Après tout, Éric Zemmour n’est qu’un citoyen comme un autre, et il n’y a pas lieu que ses éventuels adversaires se mettent au garde-à-vous devant lui pour faire de la surenchère. Chers autres candidats, n’oubliez jamais la fameuse règle d’or de Jean-Marie Le Pen : les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 septembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le virus Zemmour.
Le chevalier Zemmour.
Élysée 2022 (1) : un peuple d’ingouvernables ?
Les Républicains et la tentation populiste.

_yartiZemmourEricB03





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210904-eric-zemmour.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/elysee-2022-3-le-virus-zemmour-235577

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/09/05/39122286.html














 

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