« Zemmour progresse sur certains sujets. Il le fait un peu au détriment de Marine qui est plus passive que lui, moins présente. Notre monde adore le changement, adore la nouveauté. Éric Zemmour a l’avantage de la nouveauté. Il arrive, il est étonnant, il est percutant. Et bien sûr, il secoue un petit peu les édifices existants. » (Jean-Marie Le Pen, le 6 octobre 2021 sur LCI).
Lucide mais dur pour sa fille. Ce qu’a dit le vieux patriarche de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen de la montée vertigineuse du polémiste Éric Zemmour dans les sondages d’intentions de vote semble signer la fin de l’aventure Le Pen dans la vie politique française. Une nouvelle enseigne concurrente paraît plus dynamique et plus à l’écoute des clients, Zemmour.
Il ne faut pas s’étonner qu’on vive actuellement dans la politique des sondages. À six mois de l’élection présidentielle (oui, seulement six mois !), l’incertitude demeure sur l’identité du candidat de LR et sur le maintien de nombreuses candidatures qui, à droite ou à gauche, font finalement le jeu du candidat central, supposé, le Président Emmanuel Macron qui ne sait toujours pas s’il doit se réjouir ou s’inquiéter d’un nouveau larron dans la cour de récréation.
Dans la dernière édition du sondage Harris Interactive pour "Challenges" rendu public ce mercredi 6 octobre 2021, ce que Marine Le Pen craignait est arrivé : après avoir dépassé le candidat LR, quel qu’il soit, la semaine dernière, le polémiste vient de dépasser la candidate du RN, quel que soit le candidat LR, au point de se qualifier au second tour à sa place. Et le "match" du second tour est loin d’être joué quand on connaît les intervalles d’incertitude des sondages.
Ainsi, au premier tour, Éric Zemmour progresserait encore en intentions de vote en atteignant 17% à 18%, devançant Marine Le Pen à 15% ou 16% selon les différentes configurations. Le candidat LR est alors en quatrième position. Au second tour, il perdrait avec 45%, ce qui est un score très solide quand on se rappelle que le Président actuel avait gagné avec 66% des voix.
À l’évidence, la volonté de combattre Éric Zemmour par la morale non seulement ne fonctionne pas mais semble même contreproductive. Ainsi, quand le Président du Sénat Gérard Larcher a dit à la journaliste Sonia Mabrouk, le 29 septembre 2021 sur Europe 1 : « J’ai l’impression d’entendre radio Kaboul » pour décrire la considération que le polémiste aurait des femmes, non seulement cela paraît excessif, mais il renforce la situation victimaire du polémiste (tout le monde m’en veut) et donc, sa cote dans les sondages. Du reste, Gérard Larcher était resté dans le domaine de la morale en étant particulièrement écœuré d’une énième polémique créée par l’éventuel futur candidat à propos des assassinats antisémites de Merah : « J’ai sur le cœur quelque chose. Quand on parle des enfants assassinés à Toulouse, qui n’étaient pas des nôtres parce qu’ils avaient choisi de se faire enterrer en terre d’Israël, pour moi, c’est insupportable. ».
Incontestablement, il y a une dynamique Zemmour qui est en train de prendre le pas sur tous les autres phénomènes. La dynamique de la primaire EELV n’existe pas et Yannick Jadot ramerait à 6% des intentions de voix. La proposition de référendum sur l’immigration de Marine Le Pen lors de sa conférence de presse du 28 septembre 2021 a été repoussée dans les oubliettes de l’actualité immédiate. Quant aux candidats à la candidature LR, ils restent inaudibles et le supposé mieux placé, Xavier Bertrand, peine à montrer qu’il pourrait amorcer une dynamique favorable, même s’il serait le mieux placé pour affronter Emmanuel Macron au second tour (il n’y aurait que 2% d’écart, soit bien moins que la marge d’erreur du sondage).
Si on totalisait l’ultradroite (en y incluant les intentions de vote pour Nicolas Dupont-Aignan), on atteindrait entre 34 et 36% d’intentions de vote, ce qui est considérable. Et parallèlement, la gauche est à un niveau très bas, moins de 30% répartis ainsi : 11% pour Jean-Luc Mélenchon, 6% pour Yannick Jadot, 6% pour Anne Hidalgo, 2% pour Arnaud Montebourg, 2% pour Fabien Roussel (le candidat du PCF) et les candidats d’extrême gauche inaudibles (Nathalie Arthaud et Philippe Poutou).
En bousculant ainsi le jeu chaudement installé des différents partis, Éric Zemmour apporte du suspense et donc de la passion (positive ou négative, puisqu’il fait partie des personnalités les plus détestées de France !) dans une perspective de réélection d’Emmanuel Macron voulue par une majorité de l’électorat.
Comme on le dit souvent, un sondage n’est qu’un sondage, c’est-à-dire une photographie relativement fine d’une situation très instable et mouvante. La cristallisation des électeurs ne se fera pas avant février voire mars 2022. Se baser sur les sondages d’intentions de vote pour choisir un candidat paraît complètement stupide, je l’écris à l’attention des dirigeants LR, car les électeurs, eux, ne sont pas stupides et savent qu’une élection présidentielle, qui engage l’avenir de la nation, n’est pas simplement une course de petits chevaux. Doit y figurer avant tout le choc des projets or, pour les candidats LR, qui pourrait expliquer clairement et simplement les projets des différents candidats à la candidature ? On ne vote pas pour un visage, on vote pour des convictions.
Éric Zemmour a un avantage considérable sur la droite et l’extrême droite : il est le seul à permettre leur unification éventuelle, alors qu’on pouvait penser que seule Marion Maréchal pourrait réaliser un tel exploit. Mais cela signifie aussi la fin définitive de ce qu’était l’ancienne coalition UDF-RPR, puis l’UMP, puis LR qui était au pouvoir pendant la majeure partie du temps de la Cinquième République (dix législatures sur quinze), écrasée qu’elle serait entre un bloc d’ultradroite et un bloc d’ultracentre autour d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe et François Bayrou.
Son avantage sur le RN est sans égal : Éric Zemmour n’a aucun passé sulfureux et a toujours fait partie du paysage de la droite dite classique. Du reste, ses idées économiques, s’il en a, restent plutôt libérales et ne détonnent pas avec les idées de LR, ce qui a pour conséquence un attrait supplémentaire de l’électorat de la droite parlementaire.
En revanche, parler de nouveauté comme le dit Jean-Marie Le Pen est assez osé dans la mesure où Éric Zemmour est connu du monde politico-médiatique depuis une bonne trentaine d’années et à l’instar des autres grands éditorialistes, il fait partie complètement du système, bénéficiant de la notoriété que lui apporte la télévision pour diffuser ses idées et vendre ses bouquins.
On pourrait toutefois faire l’analogie, très audacieuse, de cette montée d’Éric Zemmour avec la montée dans les sondages du Premier Ministre Édouard Balladur en 1994. Certes, l’un est dans l’opposition et l’autre était le chef de la majorité, mais la perspective d’une candidature d’Édouard Balladur avait réjoui les électeurs de droite qui ne voulaient plus de la candidature perpétuellement perdante de Jacques Chirac.
Éric Zemmour aussi permet de faire bouger les lignes, d’en finir avec la perpétuelle candidature Le Pen (père et fille, huitième édition depuis 1974), qui préempte beaucoup d’électeurs mais dans le vide puisqu’il n’y a pas de perspective de victoire (c’était très clair en 2017). Avec son commentaire acide, le père a implicitement reconnu qu’il fallait sortir de la logique perdante de la PME Le Pen depuis un demi-siècle ! Et la candidature d’Éric Zemmour a aussi la faculté de détruire la perspective maintes fois martelée depuis cinq ans d’un second tour Macron/Le Pen.
Dès lors qu’il pourrait se qualifier au second tour, le polémiste, qui n’est toujours pas officiellement candidat et qui a eu beaucoup de succès dans son débat avec Michel Onfray le 5 octobre 2021 (devant 3 700 personnes qui ont payé leur place), change complètement la donne de toutes les stratégies. Car rappelons bien ce fait de l’histoire des élections présidentielles : dans aucun sondage d’intentions de vote, malgré une dynamique ascendante, un troisième homme n’avait pu se qualifier au second tour, ni Jean-Pierre Chevènement en 2002, ni François Bayrou en 2007, ni non plus Jean-Luc Mélenchon en 2017.
On imagine mal les candidats professionnels laisser leur place à un extraterrestre de la vie politique. Mais E. T. a encore de beaux jours devant lui, tant qu’il suscite la cristallisation du vide politique, en particulier chez LR…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (06 octobre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Radio Kaboul dans les sondages : Éric Zemmour au second tour !
Bygmalion : Éric Zemmour soutient Nicolas Sarkozy.
Les prénoms d’Éric Zemmour.
Le virus Zemmour.
Le chevalier Zemmour.
Élysée 2022 (1) : un peuple d’ingouvernables ?
Les Républicains et la tentation populiste.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211006-zemmour.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/radio-kaboul-dans-les-sondages-236338
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/10/06/39166262.html
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