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20 octobre 2021 3 20 /10 /octobre /2021 03:31

« J’ai dégrafé ma robe. Oui, je l’ai dégrafée. C’était une robe blanche qui avait appartenu à maman et que j’avais resserrée à la taille. Il m’a regardée longtemps. Il m’a regardée comme si j’étais une vue imprenable. » (Valérie Perrin, "Les oubliés du dimanche", éd. Albin Michel, 2015).



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Une association féministe que je ne nommerai pas a trouvé un nouvel angle d’attaque pour combattre le principe (séculaire) de l’élection de Miss France. Comme les candidates sont toutes obligées de passer un mois et demi pour préparer la fameuse grande soirée de l’élection en direct à la télévision, cette association considère qu’il y a travail dissimulé et donc, par la même occasion, discrimination à l’embauche.

Ce sujet paraît simple et pourtant aborde plusieurs sujets très importants. Je vais essayer de les aborder distinctement. Laissons d’abord de côté nos Miss France et prenons le principe du travail. Souvent par une action en justice puis par jurisprudence, les concurrents des émissions de téléréalité ont pu être considérés comme des travailleurs et par conséquent, non seulement ils ont droit à un salaire, mais aussi à tout ce que le code du travail leur accorde. Peut-être faudrait-il d’ailleurs rédiger une nouvelle convention collective les caractérisant spécifiquement.

On peut imaginer que passer par exemple vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant un ou deux mois dans un loft est un véritable travail, avec des obligations et donc aussi des compensations sous forme d’une rétribution. Pour les Miss France, actuellement, les concurrentes participent au concours bénévolement et ne sont donc pas considérées, pour l’instant du moins, comme des salariées. Personne ne les oblige à participer et les quelques semaines de préparation peuvent être considérées comme du coaching, on pourrait même penser que ce devrait être les concurrentes elles-mêmes qui rémunèrent les coachs et pas l’inverse. Après tout, j’avais été sélectionné dans un concours particulier et j’avais eu droit à quelques heures de coaching auprès d’un cabinet très renommé pour peaufiner ma présentation orale et je connaissais leurs honoraires, qui m’avaient été offerts. Qui est client, qui est fournisseur ?

C’est d’ailleurs le problème récurrent des émissions culturelles. Quand par exemple un auteur ou un artiste fait le service après-vente de son livre ou de son disque ou autre dans les médias, qui paient qui ? On pourrait penser que les éditeurs, producteurs, etc. paient les médias en question qui font la promotion de l’objet culturel. Inversement, on peut penser que les médias qui invitent, au contraire, rémunère l’artiste qu’ils invitent car c’est lui qui fait le contenu de l’émission et sans lui, pas d’émission. En fait, la situation dépend des cas de figure, de la notoriété, de qui fait vendre à qui. Car finalement, c’est le plus gros qui sera rémunéré. Un peu comme l’histoire du producteur agricole et de l’hypermarché qui référencie, ou pas, ses produits.

Pour les Miss France, c’est un peu différent. Les sélections régionales sont des opérations bénévoles. En revanche, l’élection nationale est un grand business, l’émission à la télévision le samedi soir est longue et très suivie, la minute de publicité très chère, beaucoup s’en mettent plein les poches chaque année. Pas les candidates de Miss France qui sont les seuls acteurs de l’émission (avec le public) à être bénévoles.

La requalification du concours en travail est donc toujours possible. On pourra toujours donner des arguments valables pour ou contre cette idée et la décision des juges résultera surtout d’une connaissance très fine du droit qui permettrait de départager ce qui, au premier regard, serait équivalent. C’est l’intérêt des études de droit, tout comme des études (longues) de médecine permettent de réagir (plus efficacement) face à une nouvelle maladie.

Mais les Miss France, ce n’est pas que du travail ou de la représentation de jeunes filles. C’est aussi des valeurs véhiculées depuis un siècle, et ces valeurs seraient mises à mal si tout était requalifié en travail. En effet, le choix des candidates devrait alors se faire exactement dans les mêmes conditions que dans un recrutement ordinaire : l’employeur n’a pas le droit de discriminer les personnes mariées, ou divorcées, voire veuves, ou encore mères de famille, ou ayant un tatouage, ou fumant en public, ou plein de choses qui sont pourtant imposées aux postulantes mais qui relèvent exclusivement de la vie privée. Ne nous leurrons pas, certaines des valeurs en question sont passéistes et décrivent une société qui n’est plus en cours aujourd’hui. Un toilettage des valeurs ne ferait de toute façon pas de mal, surtout si imposé par la justice.

On comprend aisément qu’élire une Miss qui serait mariée n’est pas très logique, et c’était d’ailleurs l’origine des Miss : on élisait pour la meilleure femme possible à marier, et bien sûr (soyons macho !), la beauté physique pourrait primer sur tout le reste. Notons cependant que si la taille requise est imposée (au moins 1 mètre 70), aucun poids n’a semble-t-il été imposé, ce qui laisse la possibilité à celles qui ont une certaine corpulence de participer quand même (la taille ne devrait pas être un motif recevable de discrimination, au contraire du poids). Rappelons que le principe de discriminations liées au contenu d’un emploi est non seulement admis mais souvent nécessaire, je peux citer par exemple la myopie pour être pilote d’avion.

On le voit bien, et j’y viens, l’élection chaque année de Miss France est une opération essentiellement sexiste. Pour preuve, il n’y a pas d’élection de Mister France (et ce n’est pas l’élection présidentielle, les femmes aussi y participent, et à ce jour, deux d’entre elles ont atteint le second tour, en 2007 et en 2017), et si oui, s’il y a une telle émission, je ne la connais pas et donc, il n’y a en tout cas pas d’équivalent médiatique à l’élection de Miss France. Donc, oui, je comprends la colère des féministes qui s’en prennent à Miss France, même si je trouve malheureux de dépenser une telle énergie pour cela alors qu’elle serait sans doute bien mieux utilisée à défendre le droit des femmes en Afghanistan (par exemple).

Je dois avouer une erreur de jeunesse : dans ma petite ville d’une dizaine de milliers d’habitants à une époque beaucoup trop lointaine pour ne pas regretter ma jeunesse, "on" avait créé l’élection d’une miss. Attention, ce n’est pas juste une décision municipale, cela s’intégrait dans le concours départemental et régional (je ne sais plus trop l’architecture). La ville était collée à une très grande ville qui devait déjà avoir sa propre miss (enfin, je n’ai pas vérifié). Le "on", c’était la municipalité avec le comité des fêtes. Insistons : toutes les bonnes âmes ici sont des bénévoles.

J’ai été préposé aux saucisses. C’était un samedi soir, en juin, donc très doux, l’élection se déroulait dans la salle municipale, mais la vente des boissons et sandwichs avait lieu sur le parvis, dehors, avant le début de la soirée. Ne connaissant rien à une telle vente, je m’étais renseigné sur la quantité probable à approvisionner, afin d’acheter chez les grossistes les boissons et l’alimentation nécessaire. Je m’étais même engueulé avec un boulanger à qui j’avais commandé quand même trois cents baguettes et qui m’a fourni des baguettes décongelées rassises et molles à la fois, dont j’avais honte pour mes futurs sandwichs (si vous voulez, je vous refile en privé le nom de la boulangerie). J’avais renoncé aux frites qui nécessitaient de chauffer de l’huile, car il me manquait une personne (pour le buffet buvette, nous étions trois dont un à la caisse et deux aux fourneaux).

Cette soirée s’était très bien déroulée. D’un point de vue buvette, c’était inespéré, mes stocks s’épuisaient et j’ai dû foncer dans une supérette ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre (cela existait encore) pour acheter des centaines de litres de bières, c’est la bière qui coulait comme dans un puits (la police n’était pas loin !). D’un point de vue miss à proprement parler, la soirée aussi avait été un grand succès : environ quatre cents personnes étaient venues, pas des hommes célibataires en peu en manque de maillot de bain, non, plutôt des familles entières, les parents et surtout les enfants, adolescents ou même plus jeunes, qui avaient attendu avec impatience cette soirée.

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J’ai assisté aux présentations de la dizaine de candidates et j’avais plutôt pitié pour elles. Elles s’exprimaient plutôt mal et intellectuellement, c’était plutôt désolant, du genre : que voulez-vous faire quand vous serez plus grande ? Je voudrais être avocate. Et actuellement, où en êtes-vous dans vos études ? Je suis en quatrième technologique. Dans l’assistance, il y avait des jeunes filles beaucoup plus belles et certainement beaucoup plus intelligentes que les candidates, mais elles étaient quand même venues les écouter et les voir. À l’époque, la jeunesse étant sans complaisance, j’ai bien ri dans le sens du "dîner de c@ns". En fait, c’était plutôt malheureux. La misère humaine se juge ainsi, on met en scène soit le très beau soit le laid, histoire de dire qu’il y a pire que soi (c’est le principe des jeux de téléréalité, cela fait remonter très vite l’estime de soi). Mais qu’importe, l’essentiel, c’était de participer, et pour ces adolescentes, il leur a fallu du cran pour se présenter devant une assistance nombreuse et heureusement bienveillante. C’était une excellente expérience de la vie.

La conclusion de cette soirée (où tous les acteurs, je le répète, étaient bénévoles, organisateurs, managers, et candidates), c’est qu’il y avait une gagnante très heureuse, deux dauphines un peu déçues mais heureuses quand même, d’autres candidates complètement déçues mais pas mécontentes d’avoir été stars d’un soir, avec plein de souvenirs, de photos, peut-être de films des parents, et toute une assistance, familiale, qui avait passé un bon moment de divertissement, certaines filles se sont peut-être mises à rêver de devenir candidate l’année suivante. Le maire était content (la participation était convaincante), et les vendeurs de saucisses aussi, il faut bien l’avouer.

Pourquoi ai-je parlé de cette expérience personnelle ? Parce que ce qui se passe au niveau local est de même nature qu’au niveau national, à la différence près qu’on y introduit des "professionnels", donc, des personnes rémunérées (directeurs artistiques, ingénieurs du son, etc.) comme dans n’importe quel spectacle professionnel. Et cette même nature, c’est quoi ? Ces soirées sont des divertissements populaires ! POPULAIRES ! Au même principe que les matchs de football, les soirées de Miss France sont suivies par tout le peuple, y compris des personnes intellectuelles, mais qui parfois aiment bien se détendre.

Cet aspect populaire est même l’essentiel. C’est la raison du business médiatique (comme pour le football), mais c’est aussi la raison de sa pérennité, de sa durée dans le temps. Quand une soirée s’est déroulée une année dans la ville d’une amie, celle-ci a immédiatement réservé une place pour elle et pour sa fille, petite à l’époque, une époque où elle ne rêvait que princesse et fée. Oui, Miss France reste encore dans l’imaginaire non seulement des enfants mais aussi de leur maman (peut-être moins de leur papa ?). C’est ce qui a fait la fortune de Walt Disney, et pourtant, tous les dessins animés pourraient être assommés par la critique, mais il y a un côté populaire inégalable.

Alors, oui, l’élection de Miss France, comme de toutes les miss du monde, c’est un événement sexiste, c’est une manifestation qui n’a rien à voir avec le droit des femmes. Cela ne les avilit pas non plus, personne ne les obligent à postuler, personne n’est humilié même si parfois, cela peut être pitoyable (j’ai vu un jour un extrait de Miss Guadeloupe, je crois, et c’était effectivement pitoyable). Il y a certainement des regards libidineux qui se perdent dans le délire de rêve de celles qui voudraient être reines pendant un quart d’heure. Il y a assurément des votes suscités par des raisons pas très avouables, mais tout le monde a eu sa part de rêve, sa part d’attente, et aussi sa part de déception, mais c’est le lot de tous les concours.

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Finalement, l’action en justice du droit social (les prud’hommes) de l’association féministe aura peut-être l’effet de renforcer la soirée des Miss France. En effet, si cela apportait, en jurisprudence, un meilleur cadre, plus de considération, voire une rémunération à ces candidates (qui souvent sont des étudiantes parfois très intellectuelles, c’est peut-être la différence avec une petite ville), ce serait un mieux. Si elle permettait d’en finir avec des conditions passéistes et irrespectueuses de la liberté individuelle, ce serait un mieux.

Améliorez, cadrez mieux, respectez mieux le sort des candidates à Miss France, oui, mais ne nous enlevez pas un divertissement populaire, familial et bon enfant. Je mets "nous" dans cette "supplique" même si personnellement, cela m’intéresse peu d’y participer, mais c’est comme le football, on a le droit de ne pas vouloir regarder les matchs mais vouloir qu’on puisse les regarder malgré tout.

Car les activités populaires, finalement, elles ne sont pas si nombreuses que cela, et ce sont les liants de la communauté nationale. On n’est jamais ensemble que lorsqu’on vibre avec la même fréquence. Comme le football, l’opération Miss France est une opération juteuse pour certains, mais justement, elle est juteuse parce qu’elle est populaire. C’est une conséquence, jamais une cause. Ce vivre-ensemble, ce principe de communion populaire, ils sont fragiles, ils sont rares, ils sont nécessaires, ils ne sont pas virtuels, ils sont des ouvertures vers d’autres possibles. Il nous faut précieusement les garder avant d’être complètement déstructurés, désincarnés, déshumanisés.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Ne nous enlevez pas les Miss France !
Combien valez-vous ?
Loft Story.
Abus d'autorité (1).
Abus d'autorité (2).
Maître Capello.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211019-miss-france.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/ne-nous-enlevez-pas-les-miss-236630

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/10/19/39184612.html












 

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