« Un miracle se produisit. Je sentis monter en moi une impulsion d’une force inconnue. (…) Sans réfléchir une seconde (…), j’ouvris la porte et, les yeux exorbités, je dévisageai mon adversaire. » (Amélie Nothomb, "Les Catilinaires", 1995, éd. Albin Michel).
À la suite des élections fédérales du 26 septembre 2021, un accord de gouvernement a été conclu ce mercredi 24 novembre 2021. Moins de deux mois de négociations, c’est un exploit vu la situation particulièrement confuse des résultats électoraux. Le principe d’une coalition avec le SPD (sociaux-démocrates), les Verts et les libéraux (FDP), une coalition inédite depuis le début de l’histoire de l’Allemagne, a été adopté le 15 octobre 2021. On se souvient que la précédente coalition, lors des précédentes élections avait nécessité près de six mois pour aboutir à un accord.
C’est le leader du SPD, Olaf Scholz, qui devrait donc devenir le futur Chancelier d’Allemagne, en début du mois de décembre 2021 (probablement au début de la semaine du 6 décembre 2021). Il succédera alors à Angela Merkel, qui a dirigé l’Allemagne pendant seize ans, mais laissant de quelques semaines le record de longévité à son mentor, Helmut Kohl.
L’homme au visage un peu sévère, mais paradoxalement capable de faire de grands sourires, avait misé sur l’humour pendant sa campagne, alors qu’on disait le SPD anéanti par les élections régionales successives. Il disait en effet qu’il état capable d’être Chancelière (son affiche disait : "Er kann Kanzlerin"). Il avait d’ailleurs misé sur les femmes, promettant un gouvernement paritaire et parlant de meilleures chances pour les 42 millions de femmes dans le pays.
Olaf Scholz, à 63 ans, n’est pas un novice en politique. Il est même le Ministre fédéral des Finances sortant et le Vice-Chancelier depuis le 14 mars 2018, dans la grande coalition avec le CDU/CSU. Il n’avait pas repris la présidence du SPD après l'échec et la démission de Martin Schulz. Il avait déjà été Ministre fédéral du Travail et des Affaires sociales du 21 novembre 2008 au 27 octobre 2009, puis il avait conquis Hambourg, métropole ravie à la CDU, et est devenu le "premier bourgmestre" de Hambourg (sorte de maire et de président de conseil régional) du 7 mars 2011 au 13 mars 2018 (démission à cause de son retour au gouvernement comme numéro deux). Il s’était fait élire député fédéral dès 1998 à l’âge de 40 ans.
Cette victoire était inespérée. Lorsqu’Olaf Scholz a été désigné candidat à la Chancellerie par la direction du SPD le 10 août 2020, ce parti ne représentait que 14% d’intentions de vote dans les sondages. Son atout a été d’avoir mené une campagne tranquille et sans boulette tandis que ses deux rivaux, Armin Laschet (CDU) et Annalena Baerbock (Verts) avaient multiplié les faux pas et les gaffes.
Même si la CDU/CSU (24,1% des voix, 197 sièges sur 736) n’a pas eu beaucoup de retard par rapport au SPD, le parti démocrate-chrétien a subi cependant une défaite cinglante, historique depuis 1949. Avec le SPD, à peine en avance mais premier (25,7% et 206 sièges sur 736), son leader Olaf Scholz est devenu naturellement la première personnalité susceptible de former le prochain gouvernement, dans une coalition dite de feu tricolore (rouge, jaune, vert) avec les libéraux du FDP (11,5% et 92 sièges), dirigés par le jeune Christian Lindner, et les Verts (14,8% et 118 sièges), dirigés par la non moins jeune Annalena Baerbock. À eux trois, ces partis rassemblent 416 sièges, soit largement plus que la majorité absolue du Bundestag (369). On peut même dire, en audience, que la nouvelle coalition a recueilli la majorité absolue des électeurs, 51,9%. La semaine qui vient sera donc consacrée à la ratification, par les adhérents des trois partis de la coalition, du programme présenté le 24 novembre 2021.
En revanche, il faut insister sur le mode de scrutin : le scrutin proportionnel ne permet pas aux électeurs de choisir le gouvernement futur et la coalition future. En fonction des résultats, tout pouvait en sortir. Au lieu de s’esbaudir devant les institutions allemandes (qui ont aussi beaucoup de contestation), les Français devraient plutôt préférer le système français qui contraint les candidats à se mettre d’accord avant le scrutin et pas après le scrutin, pour permettre aux électeurs de choisir le parti ou la coalition qu’ils voudraient voir diriger le pays en toute clarté. Ce serait plus transparent et honnête que la cuisine postélectorale de recherche de combinaisons politiques.
Et d’ailleurs, qu’y a-t-il dans cet accord ? Plusieurs mesures provenant des trois partis de la coalition. C’est un contrat très complet de 177 pages ! Voici les mesures les plus importantes.
Économie et social :
* Augmentation du salaire minimum de 9,60 à 12,00 euros brut par heure à partir de 2022.
* Maintien de l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans et maintien du niveau des pensions.
* Introduction d’une dose de capitalisation dans les pensions de retraite.
Lutte contre le réchauffement climatique :
* 80% d’énergies renouvelables d’ici à 2030.
* Sortie définitive du charbon ravancée à 2030 au lieu de 2040.
* Confirmation de l’arrêt des centrales nucléaires.
* Abandon de la volonté de limiter à 130 km/h la circulation sur les autoroutes (demandée par les Verts et refusée par le FDP).
Sociétal :
* Légalisation de la vente du cannabis réservée aux adultes avec évaluation de la mesure dans quatre ans.
(Pour cette dernière mesure, on imagine l’impact que cela pourrait avoir en France, en particulier dans les régions frontalières, par exemple à Strasbourg).
L’accord évoque aussi la composition du nouveau gouvernement. Les sociaux-démocrates ont donc la Chancellerie avec Olaf Scholz et vont récupérer trois ministères importants occupés actuellement par la CDU/CSU : la Défense, l’Intérieur et la Santé (et la Santé est cruciale dans une période où l’Allemagne est submergée par la pandémie de covid-19 : 76 132 nouveaux cas en une seule journée !). Les écologistes auront cinq ministères dont deux gros : Robert Habeck à l’Économie et à l’Écologie (et Vice-Chancelier) et Annalena Baerbock aux Affaires étrangères (ce n’est pas nouveau que les écologistes soient dans ce ministère, Joshka Fischer y avait brillé sous Gerhardt Schröder). Enfin, le leader des libéraux Christian Lindner obtient son bâton de maréchal comme Ministre des Finances et il entend bien défendre l’orthodoxie financière et limiter les déficits publics dès 2023.
C’est donc paradoxalement cet aspect financier qui est sans doute le plus important dans les relations entre l’Europe et la future Allemagne. Bien que "de gauche", le nouveau gouvernement allemand sera probablement plus strict en matière budgétaire et en matière d’endettement par rapport au précédent gouvernement (dans lequel Olaf Scholz s’occupait des Finances). "Le Figaro" y voit un difficulté pour Emmanuel Macron qui comptait négocier un assouplissement des critères de Maastricht et du Pacte de stabilité, tandis qu’au contraire, "Les Échos" y voit un gouvernement en phase avec Emmanuel Macron (les élus LREM siègent dans le même groupe, Renaissance, que les élus libéraux au Parlement Européen).
Le nouveau gouvernement allemand voudrait conditionner le versement des subventions de la relance au maintien de l’État de droit, et souhaite faire des avancées sur la souveraineté européenne, attendant les résultats de la Conférence sur l’avenir de l’Europe pour s’acheminer vers un État fédéral européen. Olaf Scholz parviendra peut-être à faire ce qu’Angela Merkel n’a jamais fait pour toutes sortes de raisons : renouer avec la construction européenne et proposer un nouveau traité qui renforcerait la solidarité européenne. Somme toute, c’est bien cet esprit européen du nouveau gouvernement allemand qui a de quoi enchanter Emmanuel Macron à la veille de prendre la Présidence de l’Union Européenne.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 novembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Législatives allemandes 2021 (2) : Olaf Scholz bientôt Chancelier.
Bonne retraite, Frau Merkel !
Législatives allemandes 2021 (1) : INCERTITUDE !
L’Allemagne en pleine fièvre extrémiste ?
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211124-olaf-scholz.html
https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/legislatives-allemandes-2021-2-237415
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/11/25/39234558.html