« Elle devient très vite un symbole d’émancipation, en acceptant de danser nue. » (Angélique de Saint-Exupéry, qui a racheté le château des Milandes, sur France Culture le 26 novembre 2021).
Le mardi 30 novembre 2021 à 17 heures 30 commencera une cérémonie qui durera environ une heure trente, la panthéonisation de Joséphine Baker. La "panthéonisation" est un grand mot car dans le cercueil, qui ne sera pas un cercueil mais un cénotaphe puisqu’il sera vide, il n’y aura que de la terre. La famille a refusé de transférer son corps qui repose aujourd’hui à Monaco. Son amie Grace Kelly l’a accueillie en 1969 à Monaco lorsqu’elle était ruinée et expulsée, après son entreprise d’animation au château des Milandes (en Dordogne). Le choix de la date correspond au quatre-vingt-quatrième anniversaire de son mariage avec un Français qui a eu pour effet immédiat sa naturalisation comme Française.
On peut se poser la question : pourquoi de nombreux médias se sentent obligés de parler de la "première femme noire" à entrer (plus ou moins) au Panthéon ? Pourrait-on dire la première blonde ? ou rousse ? etc. Quel est l’intérêt d’évoquer la couleur de la peau et pas celle des ongles, des cheveux, des yeux, etc. ? Faut-il réduire une personne par sa seule couleur de peau ? Faut-il croire qu’elle entre au Panthéon pour cette raison ?
En revanche, parler de la sixième femme à entrer au Panthéon, oui, cela a un sens. Car elles sont trop peu nombreuses. La première femme n’a été inhumée au Panthéon le 25 mars 1907 que pour accompagner son mari : Sophie Berthelot, la femme de Marcellin Berthelot, l’un des représentants les plus typiques de l’élite de la Troisième République, chimiste renommé et homme politique influent. Les deux étaient morts le même jour. L’ont suivie très tardivement Marie Curie (avec Pierre Curie) le 20 avril 1995, ensuite Germaine Tillion et Geneviève Anthonioz-De Gaulle le 27 mai 2015, enfin, Simone Veil le 1er juillet 2018 (également avec son mari Antoine Veil, toujours ce clin d’œil aux Berthelot).
C’est le 22 août 2021 que l’Élysée a annoncé cette cérémonie. Le premier à avoir proposé l’idée de la panthéonisation de Joséphine Baker a été l’écrivain Régis Debray le 18 décembre 2013 : « Cette sirène des rues pourrait bien nous aider à dégeler les urnes et les statues, à mettre un peu de turbulences et de soleil de cette crypte froide et tristement guindée (…). Légèreté peut rimer avec liberté. ». Il a été suivi bien plus tard par une pétition intitulée de la fameuse chanson d’Alain Bashung "Osez Joséphine" mise en ligne le 8 mai 2021 pour demander la panthéonisation de la star du music-hall des années 1930.
Joséphine Baker (1906-1975) est venue en France en 1925 et a brillé comme la pépite des années folles à Paris. Sa vie, qu’il ne s’agit pas de rappeler ici, a été d’une richesse colossale. Elle était une Américaine d’origines afro-américaine, espagnole et amérindienne, le résultat d’un métissage complexe, et elle ne se sentait pas libre aux États-Unis, si bien que son arrivée en France a été pour elle une délivrance tant sociale qu’artistique. Initialement objet de curiosité exotique, elle est devenue chanteuse, danseuse (son déhanché est mondialement célèbre), meneuse de revue, actrice… elle a explosé de charisme et de succès pendant cet entre-deux-guerres, elle rivalisait même Mistinguett, elle était la mieux payée des artistes de Paris. Elle a aussi contribué à la promotion de la haute couture à une période où il n’y avait pas de budget publicitaire pour ce domaine (parce qu’elle était l’amie de Christian Dior).
Naturalisée (car mariée) en 1937, elle fut résistante pendant la guerre, elle a répondu à l’appel du 18 juin 1940, elle s’est engagée dans l’armée de l’air et était agente de renseignement (Croix de guerre, Médaille de la Résistance, Volontaire de la France libre, etc.). Elle continuait à faire des tournées, les Allemands lui demandaient des autographes et elle cachait des messages codés dans ses partitions. C’est dès 1939 qu’elle a fait savoir à un haut officier qu’elle devait tout à la France et qu’il pouvait disposer d’elle (elle avait 33 ans).
Après la guerre, elle a été à l’avant-garde des droits civiques aux États-Unis, elle fut d’ailleurs à la seule femme à avoir prononcé un discours aux côtés de Martin Luther King lors de la Marche sur Washington, le 27 août 1963, où elle portait sa veste militaire avec toutes ses décorations militaires françaises. Elle a aussi fait une conférence à La Havane où elle a sympathisé avec Fidel Castro, et elle a poursuivi ses combats antiracistes un peu partout dans le monde.
Diva aux relations affectives tumultueuses (marié cinq fois, elle aurait été, entre autres, l’amante de Colette et de Frida Kahlo), elle n’était pas forcément appréciée dans la "communauté afro-américaine" car on lui reprochait de reprendre des clichés racistes (comme sa ceinture de bananes), alors qu’au contraire, elle venait les désamorcer par son humour et sa légèreté.
Dans l’impossibilité de faire des enfants, elle a adopté avec son mari de l’époque (elle en a eu cinq) douze enfants d’origines diverses et a fait du château des Milandes le foyer d’une famille cosmopolite qu’elle appelait sa "tribu arc-en-ciel" aux origines : françaises, marocaine, coréenne, japonaise, colombienne, finlandaise, algérienne, ivoirienne et vénézuélienne (onze de ses douze enfants adoptés sont encore vivants aujourd’hui).
Toutes les facettes de son existence sont intéressantes même si les plus connues suffisaient à l’apprécier, sa capacité à divertir, son corps si remuant, sa beauté très en adéquation avec les canons parisiens de l’époque (on parlait de "négrophilie"), son visage qui inspirait tant la bonne humeur que le bon humour, avec ses grands yeux expressifs (un jour, elle a dansé en louchant, inspirée par le moment, ce qui est devenu très célèbre), une bouche également très expressive, joyeuse, simplement joyeuse. Elle aimait la vie et est passée dans le siècle comme une comète qui soutenait les peuples.
Alors, évidemment, la décision du Président Emmanuel Macron n’est pas anodine. Elle pourrait être politique, elle l’est d’ailleurs car dans tous les cas, on projettera sur cette panthéonisation les arrière-pensées politiques de son organisateur. On pourra au moins lui faire grâce de l’hypothèse d’une éventuelle réponse aux nombreux propos choquants du polémiste Éric Zemmour puisque son envolée dans les sondages a eu lieu après la décision présidentielle.
Joséphine Baker est un exemple plus-que-parfait de la richesse de l’immigration. Elle a apporté mille fois plus à la France qu’elle n’a coûté. Bien qu’étrangère à l’origine, elle a contribué à la culture nationale, à la culture française. Mais aussi à sa défense, à sa Libération. Elle a montré, par son engagement auprès de De Gaulle, dans les FFL, qu’elle a mis sa vie en danger pour son pays d’adoption et en ce sens, elle a été beaucoup plus utile, elle a été beaucoup plus patriote que bien des Français qui sont restés chez eux à attendre en pantoufles que la guerre se terminât.
Mais probablement que le message le plus important de Joséphine Baker à faire passer à l’occasion de sa panthéonisation, c’est son idée très républicaine, très française, plus française qu’américaine en tout cas, son message principal qui, dans les années 1960, était très moderne, c’était qu’il n’existe qu’une seule race humaine et que le racisme n’a donc que des préjugés aux prémices fausses. La science confirma par la suite cette vérité intuitivement plus sociale que génétique : on ne peut pas distinguer un humain d’un autre par sa seule identité génétique. Probablement que son meilleur déterminant est la culture.
À l’heure où le contraire de l’esprit de Joséphine Baker règne dans les débats politiques, où l’on rejette la fraternité, où le xénophobie est élevée au rang de valeur suprême, où l’immigration est devenue un phénomène à combattre par principe idéologique, la panthéonisation sera peut-être l’occasion de remettre les points sur les i et de reprendre les fondamentaux de l’esprit républicain. Le Président de la République est le gardien de la Constitution et donc, aussi de la République, c’est aussi son rôle de rappeler ces fondamentaux. Près de cinquante ans après sa mort, elle décoiffera encore les aigris et les guindés et c’est tant mieux : Osez Joséphine !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 novembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Joséphine Baker.
L’unicité de l’espèce humaine.
Noëlla Rouget.
Thierry Le Luron.
Jean Amadou.
Frédéric Fromet.
Sim.
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