« Je ne sais pas ce que vous pourriez dire d’une journée au cours de laquelle vous avez vu quatre magnifiques couchers de soleil. » (John Glenn).
L’astronaute John Glenn est né il y a 100 ans, le 18 juillet 1921 dans l’Ohio. Il a fait partie de cette génération de héros américains qui ont redoré le blason spatial des États-Unis après la double victoire de l’URSS de Spoutnik (le 4 octobre 1957) et de Youri Gagarine (le 12 avril 1961).
John Glenn fut le premier Américain à avoir fait un vol orbital autour de la Terre, lors de la mission Mercury-Atlas 6. John Glenn a décollé le 20 février 1962 au bord de la capsule Friendship 7 lancée par une fusée Atlas LV-3B, il fut ainsi mis sous orbite et après cinq heures de vol et après avoir effectué trois tours de la Terre, John Glenn a atterri dans l’Océan atlantique. Il fut également le troisième homme au monde à avoir fait un vol orbital dans l’Espace. Il a ouvert la voie de la conquête de l’Espace par la face américaine qui a abouti au programme Apollo puis aux navettes spatiales.
À l’âge de 20 ans, après l’attaque de Pearl Harbor, John Glenn s’est engagé dans les Marines pour être pilote de chasse. Il a continué son engagement militaire dans la guerre de Corée puis il est resté pilote d’essai (il a accumulé 9 000 heures de vol dont 3 000 dans un avion à réaction). Il fut sélectionné par la NASA le 9 avril 1959 pour faire partie des sept pilotes d’essai de la première promotion d’astronautes, dans le cadre du programme Mercury. De justesse pour la limite d’âge.
Cette sélection fut très rigoureuse puisqu’ils étaient 550 candidats sur la ligne de départ. Parmi les critères de sélection, une grande forme physique, un excellent esprit intellectuel, des grandes capacités de travail tant en équipe que seul, et puis, une force psychologique exceptionnelle. Au-delà de l’âge (37 ans), John Glenn avait un autre handicap, il n’avait pas de diplôme universitaire car il avait abandonné ses études pour s’engager dans la guerre. Les sept sélectionnés furent considérés comme des héros à l’instar de Christophe Colomb avant même que voler dans l’Espace. John Glenn fut à la fois le doyen d’âge de ces sept héros et en même temps le dernier survivant pendant trois ans jusqu’à sa mort le 8 décembre 2016 dans l’Ohio, à l’âge de 95 ans.
Le (futur) colonel John Glenn aurait pu être considéré comme un héros de la guerre avant d’avoir été sélectionné comme astronaute, et il était déjà connu comme un des meilleurs pilotes d’essai après un vol supersonique le 16 juillet 1957 en battant le record de vol transcontinental (il a parcouru 3 935 kilomètres en 3 heures 23 minutes et 8 secondes). Il a évidemment été encore plus un héros après avoir effectué le premier vol orbital américain.
Il ne faut pas sous-estimer le courage et surtout les risques encourus. Parmi les sept têtes brûlées sélectionnées, une, Virgil Grissom, qui a fait un vol suborbital le 21 juillet 1961 et un essai habité du vaisseau Gemini le 23 mars 1965, a péri le 27 janvier 1967 avec deux autres coéquipiers dans un incendie lors d’un essai au sol en conditions réelles dans le cadre de la mission Apollo 1 (les trois hommes devaient voler au bord du module Apollo du 21 février 1967 au 7 mars 1967).
Force de caractère : ces sept premiers astronautes ont assisté le 18 mai 1959 à Cap Canaveral, au premier lancement d’une fusée Atlas, la même que celle qui les lancerait plus tard, mais la fusée a explosé en plein vol devant leurs yeux stupéfaits. Aucun n’a démissionné et l’un d’eux, Alan Shepard (qui fut par la suite commandant de la mission Apollo 14, il fut, le 5 février 1971, l’un des rares hommes à avoir marché sur la Lune), a juste lâché à John Glenn : « Eh bien, je suis content qu’on l’ai éliminée ! ».
Alan Shepard (1923-1998) a été l’astronaute de la première mission, celle du premier vol suborbital américain, le 5 mai 1961, soit trois semaines après Youri Gagarine, alors que ce vol avait été prévu initialement pour le 26 avril 1960, puis le 5 décembre 1960, etc. John Glenn a regretté de n’avoir été que le pilote de remplacement pour les deux premières missions de leur petit groupe, des vols suborbitaux, car il se jugeait le plus apte, mais en fait, pour lui, c’était plus valorisant de faire le premier vol orbital. Il était devenu d’ailleurs si populaire que, comme Gagarine du côté soviétique, il était peu question de prendre le risque d’un second vol.
La carrière d’astronaute de John Glenn s’est terminée le 16 janvier 1964 à sa demande. En effet, il se savait probablement trop âgé pour être recruté dans les futures missions Apollo et il a donc donné sa démission (il fut officiellement à la retraite le 1er janvier 1965).
La raison de son retrait avait une autre motivation : dès décembre 1962, il fut poussé par Bob Kennedy, à l’époque l’équivalent de Ministre de la Justice, à s’engager dans la vie politique au sein du parti démocrate et à prendre le siège d’un sénateur démocrate dans l’Ohio, son État natal. Il fut donc candidat dès le 17 janvier 1964 aux élections primaires pour désigner le candidat démocrate aux sénatoriales. Malheureusement, un accident domestique l’a empêché de faire campagne et il retira sa candidature le 30 mars 1964.
Après avoir été recruté par une entreprise privée, John Glenn n’a pas lâché la politique pour autant et a soutenu activement Bob Kennedy lors des primaires démocrates de 1968. John Glenn était très proche de Bob Kennedy au point de l’avoir accompagné à l’hôpital lorsqu’on a tiré sur lui. Le couple Glenn s’est alors occupé des enfants de Bob Kennedy et John Glenn fut parmi ceux qui ont porté le cercueil du candidat assassiné.
Malgré le soutien de la famille Kennedy à John Glenn dans l’Ohio, ce dernier n’a pas pu avoir le soutien du parti démocrate de l’Ohio en 1970 pour un siège sénatorial. Le vieux sénateur démocrate sortant Stephen M. Young ne s’est pas représenté et John Glenn fut battu de justesse aux primaires (49% contre 51%), mais le candidat démocrate Howard Metzenbaum a été battu par le candidat républicain Robert Taft Jr (Howard Metzenbaum a fini par gagner ce siège en 1976, faute d’avoir conservé son siège de 1974).
Autre sénateur de l’Ohio, le républicain Walter Bart Saxbe fut nommé procureur général des États-Unis (l’équivalent de Ministre de la Justice) par le Président Richard Nixon après un épisode de l’affaire Watergate (démission du procureur général précédent, etc.). Par conséquent, son siège de sénateur fut vacant et c’était au gouverneur de l’État de nommer un remplaçant jusqu’aux prochaines élections. Ce gouverneur, démocrate, John Gilligan, dont l’ambition était de se présenter à l’élection présidentielle, a proposé à John Glenn de le nommer lieutenant-gouverneur, ce qui l’amènerait à lui succéder lorsque le gouverneur aurait des responsabilités fédérales. Néanmoins, John Glenn refusa cette combine car il voulait être sénateur.
Pour autant, Howard Metzenbaum fut nommé sénateur en janvier 1974 par le gouverneur, mais lors du renouvellement en novembre 1974, John Glenn a fait une campagne très efficace, si bien il a arraché l’investiture démocrate à 54% contre le sortant Howard Metzenbaum qui avait été particulièrement méprisant pour les militaires ayant risqué leur vie, comme John Glenn, courageux militaire qui est parvenu à gagner le siège face au candidat républicain, Ralph Perk, le maire de Cleveland.
Ce fut ainsi que John Glenn, le héros de l’Espace, fut élu sénateur de l’Ohio, en novembre 1974, et il fut réélu sénateur en novembre 1980, en novembre 1986, et en novembre 1992, jusqu’en novembre 1998 où il ne s’est pas représenté (il a annoncé son futur retrait le 20 février 1997 et est resté en fonction jusqu’en janvier 1999). Sa parole était importante car il était ultraconnu.
En été 1976, John Glenn comptait tellement au sein du parti démocrate qu’il faisait partie de la "short list" des candidat possibles à la Vice-Présidence de Jimmy Carter qui venait de remporter les primaires démocrates. Jimmy Carter nomma en fin de compte un homme politique très expérimenté, Walter Mondale, protégé d’Hubert Humphrey, et le ticket gagna l’élection générale contre Gerald Ford (en équipe avec Bob Dole).
En 1984, John Glenn était donc un homme politique déjà expérimenté lorsqu’il a retenté l’investiture présidentielle, mais cette fois-ci comme candidat à la Présidence. Son concurrent était justement l’ancien Vice-Président Walter Mondale (Carter et Mondale avaient été battus en 1980 par Ronald Reagan). Au départ, John Glenn militait pour la candidature de Ted Kennedy, le jeune frère de JFK, mais Ted Kennedy refusa toute idée de candidature (après ses échecs en 1972 et 1980).
L’ancien astronaute pensait que seul un candidat de forte notoriété pouvait battre le charismatique Ronald Reagan. John Glenn a alors annoncé sa candidature le 21 avril 1983. Il était le favori des démocrates dans les sondages. Au cours de sa campagne, un fait nouveau aurait pu l’aider, la sortie le 21 octobre 1983 du film "L’Étoffe des héros" de Philip Kaufman. Loin de l’aider, ce film, qui pourtant l’encensait et le couronnant en héros, l’a placé dans un rôle qui n’avait rien à voir avec Président des États-Unis. Rapidement, il a perdu les primaires dans les premiers États, et abandonna la course présidentielle le 16 mars 1984. Walter Mondale fut choisi et échoua face à Ronald Reagan en novembre 1984.
Comme on le voit, John Glenn, bien que populaire, est toujours resté à la marge du parti démocrate, c’était un homme peut-être trop franc et sincère, probablement aussi parce qu’il avait une position centriste, or le climat très conservateur des années Reagan incitait les démocrates à vouloir un leader de l’aile progressiste.
Malgré cela, l’ancien astronaute était un sénateur on ne peut plus traditionnel, travaillant beaucoup, très actif sur de nombreux sujets pendant ses vingt-quatre ans de mandat. Il prônait l’arrêt de la prolifération de l’arme nucléaire, souhaitait plus d’attentions écologiques, etc. Il s’intéressa particulièrement aux problèmes de la vieillesse, non seulement trouver des moyens de financement pour se soigner (son père a failli vendre la maison familiale pour soigner son cancer), mais aussi sur le plan scientifique : il estimait qu’il fallait faire des recherches sur la vieillesse dans l’Espace et évidemment, il se proposa à partir de 1995 de retourner une seconde fois dans l’Espace. C’était à l’époque de la Présidence de Bill Clinton.
On ne sait pas très bien s’il y a eu des pressions du gouvernement pour cela (probablement), mais toujours est-il que John Glenn fut sélectionné pour faire partie de l’équipage de la navette Discovery dans le cadre de la mission STS-95. Ce dernier avait réussi tous les tests nécessaires pour confirmer cette sélection. Il avait un double rôle dans cette mission : observer son corps pour avoir une connaissance scientifique approfondie du vieillissement dans l’Espace et réaliser les photographies de la mission. L’équipage de six personnes a décollé le 29 octobre 1998 et atterri le 7 novembre 1998, le temps de tourner 134 fois autour de la Terre (au lieu des trois ou quatre fois en 1962). À ce titre, John Glenn, qui fut le premier Américain à être allé dans l’Espace, fut aussi l’homme le plus vieux ayant été dans l’Espace, à l’âge de 77 ans. Il était encore sénateur et se retirait de la vie politique quelques semaines plus tard.
Une polémique a eu lieu pour savoir si cela avait été utile ou pas que John Glenn fît partie de la mission spatiale. Par la suite, pour justifier son vol, il a toujours prôné une utilité scientifique à faire des tours d’orbite, au point de fustiger le premier vol spatial "touristique". En effet, l’homme d’affaire californien Dennis Tito a payé 20 millions de dollars à l’Agence Roscosmos (l’équivalent de la NASA pour la Russie) pour faire un vol spatial et même un arrimage à la Station spatiale internationale dans le cadre de la mission Soyouz TM-32. Avec six coéquipiers, le millionnaire a décollé le 28 avril 2001 et est revenu sur Terre le 5 mai 2001. Il y a peu de doute que John Glenn aurait également critiqué avec la même fougue l’initiative du milliardaire britannique Richard Branson (71 ans, il est né le même jour de l’année que John Glenn) à faire un vol suborbital "pour le plaisir" le 11 juillet 2021 dans son avion spatial VSS Unity de Virgin Galactic.
Cependant, les études sur le vieillissement dans l’Espace n’ont pas été poursuivies après John Glenn et sont apparues comme un prétexte pour permettre à John Glenn de reprendre du service. Par la suite, n’ayant jamais eu sa langue dans sa poche, John Glenn a vivement critiqué, le 19 avril 2012 près de Washington, l’arrêt des missions des navettes spatiales.
John Glenn fut l’un des quatre astronautes les plus honorés des États-Unis, avec le fameux équipage d’Apollo 11, Neil Armstrong (1930-2012), Buzz Aldrin (toujours vivant) et Michael Collins (1930-2021). À sa mort le 8 décembre 2016, il y a bientôt cinq ans, John Glenn fut honoré par toute la classe politique, tant le Président sortant Barack Obama que le Président élu Donald Trump, ainsi que l’adversaire de celui-ci, Hillary Clinton. Barack Obama : « Avec le décès de John, notre Nation a perdu une icône et Michelle et moi avons perdu un ami. John a passé sa vie à briser les barrières. ». John Glenn représentait bien le symbole de l’Amérique qui gagne, prête à prendre des risques, prête aussi à prendre ses responsabilités, voire à diriger politiquement. Néanmoins, il n’est pas sûr que la popularité de l’exploration spatiale soit compatible avec la dureté du combat politique.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 juillet 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
John Glenn.
John Glenn est mort.
Michael Collins.
Atterrissage de la navette Atlantis le 21 juillet 2011.
SpaceX en 2020.
Thomas Pesquet.
60 ans après Vostok 1.
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Rosetta, mission remplie !
Le dernier vol des navettes spatiales.
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Le syndrome de Hiroshima.
L’émotion primordiale du premier pas sur la Lune.
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Les 60 ans de la NASA.
La relativité générale.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211208-john-glenn.html
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