« Le cynisme, c’est connaître le prix de tout, et la valeur de rien ! » (Oscar Wilde).
L’information s’est diffusée lentement dans les médias mais elle a été rarement commentée : l’ancien bras droit de Nicolas Sarkozy et ancien ministre Claude Guéant a été placé en détention le lundi 13 décembre 2021 au matin à la prison de la Santé, à Paris. On ne peut pas dire qu’il a reçu beaucoup de soutien de la part de ses "amis politiques". C’est, il me semble, une première pour un ancien Ministre de l’Intérieur (j’écris "il me semble" car dans certaines époques troublées, on pouvait incarcérer pour des raisons politiques), en tout cas, c’est une première pour un délit de droit commun. Sur décision du parquet de Paris, en effet, Claude Guéant est incarcéré pour une durée de neuf mois à partir du 13 décembre 2021, pour non-paiement de ses dettes à l’État. Il ne passera donc pas Noël 2021 ni Pâques 2022 libre.
Poursuivi dans plusieurs affaires judiciaires, Claude Guéant est en prison pour sa condamnation définitive le 23 janvier 2017 par la cour d’appel de Paris à deux ans de prison dont un ferme, assortis d’une amende de 75 000 euros et d’une interdiction d’exercer tout fonction publique pendant cinq ans, condamnation confirmée le 16 janvier 2019 après le rejet de son pourvoi en cassation par la Cour de cassation. À cette date, il a été déchu de toutes ses décorations nationales (chevalier de la Légion d’honneur et Commandeur de l’ordre national du Mérite) et est interdit de porter des décorations étrangères sur territoire national. Il devait en outre rembourser 105 000 euros de dommages et intérêts.
Cela concernait une affaire de détournement de fonds publics par des "primes de cabinet" reçus en espèces et sans déclaration à une époque où il n’y avait déjà plus de fonds secrets dans les ministères (il était alors directeur de cabinet du Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy de 2002 à 2004 et de 2005 à 2007). Selon un rapport de l’inspection générale de la police nationale de juin 2013, il aurait "pioché" des espèces dans le budget destiné aux frais d’enquête et de surveillance de la police, à raison d’environ 10 000 euros par mois de l’été 2002 à l’été 2004, soit un "détournement" de 210 000 euros.
Selon son avocat Philippe Bouchez El Ghozi, Claude Guéant aurait eu des difficultés à payer les 180 000 euros qu’il doit à l’État, et a eu un plan d’échelonnement de 3 000 euros par mois prélevés sur sa retraite de 4 622 euros. Mais il n’a pas indiqué ses autres revenus, obtenus notamment dans le privé, ainsi que la vente, selon une enquête de Mediapart publiée le 2 décembre 2021, d’une montre à 6 100 euros (offert par l’intermédiaire Alexandre Djouhri), d’une pièce en or à 40 000euros (offerte par un sénateur russe) et du rachat partiel d’une assurance-vie de 130 000 euros.
Personne ne trouve plaisir à voir une personne en prison, même une personnalité politique qui a pris des positions suffisamment "clivantes" (c’est une litote) pour rester détestée par de nombreux opposants politiques (notamment sur l’immigration). Mais visiblement, son incarcération n’a pas ému beaucoup de monde. Selon un mot de Smaïn, "chacun sa m…".
Claude Guéant aura 77 ans dans un mois. Selon son avocat : « C’est quelqu’un qui est dans une situation médicale extrêmement fragilisée. ». Énarque, préfet des Hautes-Alpes en 1991, il a été nommé par Charles Pasqua en 1994 directeur général de la police nationale. Il a été ensuite préfet de Franche-Comté en 1998, préfet de Bretagne en 2000, puis directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy de 2002 à 2004 et de 2005 à 2007. Le Président Jacques Chirac a refusé de le nommer préfet de police de Paris.
Élu Président de la République, Nicolas Sarkozy en a fait son bras droit incontournable, comme Secrétaire Général de l’Élysée du 16 mai 2007 au 27 février 2011. Pendant cette période, il était une sorte de fondé de pouvoirs du Président de la République, avec un rôle d’influence déterminant, d’éminence grise. On l’a appelé ainsi "Vice-Président", "Premier Ministre bis" mais c’est surtout "Cardinal" qui fut le plus approprié. Il inspirait la crainte voire la terreur même parmi les ministres. Il aurait imposé aussi des recrutements dans les cabinets ministériels.
À la fin du quinquennat, il a souhaité traverser l’autre côté des coulisses, en devenant Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration dans le gouvernement de François Fillon, du 27 février 2011 au 10 mai 2012. Il a pris un certain nombre de mesure contre l’immigration, en particulier une circulaire particulièrement stupide contre les étudiants étrangers (la circulaire Guéant).
Après l’échec de Nicolas Sarkozy en mai 2012, au contraire de l’autre conseiller influent Henri Guaino qui s’est fait élire député dans les Yvelines, Claude Guéant a échoué à se faire élire député à Boulogne-Billancourt, battu de justesse par le candidat UMP dissident Thierry Solère (lui-même réélu en 2017). Il a par la suite travaillé pour le privé tout en soutenant François Fillon dans sa conquête de l'UMP en novembre 2012.
Entre autres positions, celle-ci, prononcée au cours d’un colloque le 4 février 2012 (il était ministre), très controversée et très paradoxale car la défense de l’humanité devrait lui donner, au contraire, une position beaucoup ouverte sur l’immigration : « Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethniques. Et tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation. » (avec un "nous" qu’il serait bien compliqué de préciser car certains à l’UMP ont protesté à la suite de cette déclaration). Du reste, parler de civilisations au pluriel dans ce monde globalisé n’a plus beaucoup de sens.
Ou alors celle déclaration-ci, juste après sa nomination de ministre, chez Jean-Pierre Elkabbach le 17 mars 2011 sur Europe 1, dans une obsession contre l’immigration aussi grande que celle du candidat polémiste Éric Zemmour : « Ça veut dire tout simplement [sa phrase : "les Français veulent que la France reste la France", un slogan repris par Éric Ciotti il y a quelques semaines] que les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou bien ils ont le sentiment de voir des pratiques (…) qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale. ».
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 décembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La circulaire Guéant dans le reliquaire (06 juin 2012).
Claude Guéant.
Valérie Pécresse.
Éric Ciotti.
Renaud Muselier.
Philippe Juvin.
Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211213-claude-gueant.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/claude-gueant-en-prison-pour-noel-237923
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/12/14/39261736.html
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