« Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu’il faut augmenter les droits de succession à tout-va, au contraire. Nous sommes une nation de paysans dans notre psychologie collective, ce qui est une force. Nous avons cela dans notre ADN et donc la transmission est importante pour nous. Donc, je pense qu’il y a des choses à améliorer. Il faut plutôt accompagner les gens pour les aider à transmettre les patrimoines modestes. » (Emmanuel Macron, "Le Parisien", le 4 janvier 2022).
Occultée par la loi de l’emmerdement maximal contre les personnes non-vaccinées, les propos du Président de la République Emmanuel Macron sur les droits de succession, lors de son interview dans "Le Parisien", le 4 janvier 2022, sont passés inaperçus. Ce sont pourtant, peut-être, les plus stratégiques.
Il faut toujours replacer ces petites phrases dans leur contexte : selon le journaliste du "Parisien" David Doukhan qui a participé à l’entretien, Emmanuel Macron n’a été à l’origine d’aucune question ni sujet, ni du reste "Le Parisien" lui-même (sinon, on aurait parlé de régalien, de sécurité) ; les thèmes abordés ne provenaient que du choix (arbitraire) des sept "citoyens" (lecteurs du quotidien) choisis pour l’occasion.
Néanmoins, Emmanuel Macron a su rattraper la balle au bond et au bon moment. Actuellement, les droits de succession sont énormes pour une rentabilité faible. Très largement supérieurs à nos voisins européens, ils ne rapportent au budget de l’État que 14,4 milliards d’euros (en 2019, y compris les taxes sur les donations), alors qu’ils sont une surimposition puisque l’argent ou le patrimoine taxés avaient déjà été imposés auparavant.
À l’époque du Président Nicolas Sarkozy, par la loi TEPA (loi en faveur du travail, de l’emploi et de la protection du pouvoir d’achat), il avait allégé et simplifié les droits de succession (et taxes sur les donations). En ligne directe (parents/enfants), l’abattement applicable aux successions et aux donations était de 159 500 euros par enfant et le délai de rappel fiscal pour les donations était fixé à six ans. Par la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011, cela s’est durci en prolongeant le délai de rappel fiscal à dix ans et en ne réévaluant plus les montants des abattements (ce qui a augmenté le nombre de successions taxables, 12% au lieu de 5%). En outre, Nicolas Sarkozy avait entièrement exonéré les transmissions entre époux.
Mais ces dispositions, qui ont été allégées sous Nicolas Sarkozy (puis un peu réalourdies après la crise financière de 2011), ont été les premières cibles idéologiques du Président François Hollande juste après son élection. En effet, il a fait voter très rapidement la loi de finances rectificative du 16 août 2012 qui a modifié les avantages précédents : l’abattement en ligne directe a chuté à 100 000 euros et le délai de rappel fiscal prolongé à quinze ans ! (Le rappel fiscal, c’est la période pendant laquelle l’abattement est pris en compte dans les donations et les successions : plus ce rappel est court, plus le contribuable est avantagé). Les seuls avantages maintenus par François Hollande furent l’exonération fiscale des transmissions entre époux et la majoration spécifique pour les héritiers en situation de handicap instaurée par Nicolas Sarkozy, dont le montant est 159 3325 euros.
Les droits de succession sont, comme l’impôt sur la grande fortune, des marqueurs idéologiques (de gauche ou de droite), alors que la plupart des personnes qui ont épargné toute leur vie pour transmettre un petit patrimoine à leurs enfants ne sont pas forcément de grands fortunés. En 2017, Emmanuel Macron n’a pas voulu y revenir dans son programme ni depuis, dans sa politique. Comme mesure phare en faveur du pouvoir d’achat, il avait proposé (puis mis en application un fois au pouvoir) l’abrogation de la taxe d’habitation.
En 2022, ce sera probablement un thème de campagne fort. Le premier à avoir senti le vent passer a été Éric Ciotti pendant la campagne de la primaire LR de décembre 2021. Dans son programme assez complet, il a, sans complexe, proposé une réduction massive des taxes et impôts, considérant que l’impôt tuait l’impôt et que le regain d’activités économiques engendré par cette réduction massive allait compenser le manque à gagner.
Les propositions de celui qui est arrivé en tête du premier tour de la primaire LR sont les suivantes : « supprimer l’impôt sur les successions en ligne directe (plafond à 5 millions d’euros) ; supprimer l’impôt sur les donations en ligne directe ; exonération des droits de succession et de donation d’entreprises en ligne directe conditionnée la continuité de l’activité ; exonérer les donations entre grands-parents et petits-enfants jusqu’à 150 000 euros ; diminuer à cinq ans le renouvellement périodique des abattements sur les donations. ».
Éric Ciotti a ainsi testé cette baisse drastique des droits de succession dans son électorat, et a considéré que ce serait plus juste, favorisant le travail et la famille : « L’impôt sur les successions et sur les donations représente un impôt sur la mort profondément injuste qui vient taxer le fruit d’une vie de travail. Mon projet défend puissamment la transmission. Je supprimerai ces impôts pour faire circuler le patrimoine plus facilement vers les générations qui en ont besoin. ».
Ces propositions fortes ont contribué, indépendamment du volet régalien déjà bien connu d’Éric Ciotti, à son succès interne parmi les militants de LR. Et même elles ont reçu un écho très favorable de la part de la sacro-sainte "opinion publique".
Il faut bien comprendre que le marqueur idéologique est très prégnant. Du côté de l’étatisme, le principe de succession est une hérésie sur le plan de l’égalité, du moins de l’égalité des chances à la naissance, selon que sa famille est riche ou pauvre. Remettre à la naissance tout le monde au même niveau est une tentation totalitaire et gauchiste (confiscation totale du patrimoine du défunt et redistribution). Mais il n’y a pas que la bataille pour l’égalité. Il y a aussi cette stupidité idéologique de haine contre les riches, ce qui avait déjà motivé l’impôt sur les grandes fortunes.
Au contraire, chez les partisans de la liberté, la taxation du patrimoine du défunt est une hérésie fiscale, puisque ce patrimoine est déjà le résultat d’un argent déjà taxé et imposé. Non seulement la valeur de la famille est en jeu, mais aussi celle du travail : la motivation d’un chef d’entreprise peut être tout autre, mais elle est aussi de retransmettre ce patrimoine à ses enfants, parfois sur plusieurs générations. Pas seulement que d’un chef d’entreprise, d’ailleurs, mais de toute personne dont la profession bien rémunérée est très prenante ; pendant toutes ses journées, pendant toute sa vie, il s’est refusé des loisirs, du repos, pour pouvoir in fine transmettre à ses enfants. Plus on taxera ses donations et sa succession, plus il se dira "à quoi bon ?" et pourquoi donc ne pas occuper un emploi de "fonctionnaire", pris ici dans le sens trivial, caricatural et parfois profondément injuste (je vois tous les jours des fonctionnaires dévoués et consciencieux qui en font largement plus que leur salaire) si c’est pour transmettre son patrimoine plutôt à l’État qu’à ses enfants ou à d’autres bénéficiaires choisis par lui (j’ai mis au masculin, cela peut s’entendre au féminin bien évidemment).
Désignée candidate LR, Valérie Pécresse a bien compris l’importance des propositions d’Éric Ciotti sur les droits de succession et il me semble qu’elle est en cours de les prendre pour elle (en tout cas, c’est à suivre). Je le répète, c’est un impôt qui apporte peu d’argent à l’État et qui clive idéologiquement.
C’est ainsi que la "sortie" d’Emmanuel Macron est très intéressante : il faut se préoccuper, dit-il, des « transmissions populaires ». En gros, c’est le même problème que le discours des entreprises (il faut par exemple écouter le candidat communiste). Dire entreprises ne signifie rien : à gauche, c’est soit des grandes entreprises du CAC40 (bouh, les vilains, riches, à taxer !), soit des petites entreprises, l’artisan du quartier, qu’il faut soutenir, des ouvriers de qualité, des pauvres, etc. C’est pareil pour les successions, soit les petites transmissions, un père maçon qui a travaillé toute sa vie en se privant pour épargner et transmettre un petit capital à ses enfants. Ou la succession de Serge Dassault ou de Jean-Luc Lagardère.
Bien sûr, les Français sont pour les impôts qu’ils ne paient pas et contre les impôts qu’ils paient. Donc, tout revient à mettre au bon endroit le curseur. Que signifient les "petites successions" ? Pour Nicolas Sarkozy, c’est 159 500 euros par enfant. Pour François Hollande, c’est 100 000 euros par enfant. Il devient probable que le futur candidat Emmanuel Macron fasse bientôt une proposition sur ce sujet au cours de la campagne présidentielle.
À la pointe de l’innovation, le candidat Jean-Luc Mélenchon n’est pas en reste sur les droits de succession, mais dans sa version "égalitaire". Au "Grand Jury" RTL LCI "Le Figaro" du 9 janvier 2022, le leader de la France insoumise a en effet évoqué ce sujet qui sera peut-être l’un des thèmes majeurs de la campagne, dans le cadre de la protection du pouvoir d’achat.
Jean-Luc Mélenchon a d’abord fait le "modéré" en comprenant que les successions "modestes" ne devraient pas être taxées. Il est d’ailleurs plus généreux que François Hollande puisqu’il pose 120 000 euros la limite d’exonération des droits de succession (mais je pense, à sa manière de parler, qu’il croit que c’est le seuil actuel alors qu’il est seulement de 100 000 euros). Mais sa "modération" a chuté quand lui, qui a déclaré l’un des patrimoines personnels les plus élevés en 2017 (de plus d’un million d’euros), a estimé que 120 000 euros était déjà "beaucoup". Rien qu’une résidence principale du parent décédé, s’il est propriétaire, doit faire deux à trois fois plus, à moins d’en être resté au stade d’étudiant et de vivre dans un studio (certes, tout le monde n’est pas propriétaire, mais on ne peut pas dire qu’on est "riche" quand on a une résidence à transmettre qui vaut maintenant une ou deux ou même trois fois 120 000 euros, selon le nombre d’enfants).
Jean-Luc Mélenchon a ensuite fait état d’une autre catégorie, celle entre 120 000 et 12 millions d’euros, soit 100 fois plus. Là, c’est selon le barème actuel, si j’ai bien compris. Donc, rien de nouveau. Ce qui est nouveau, c’est les deux choses suivantes.
La première est idéologiquement totalitaire et égalitariste, ce seraient des droits de succession de 100% au-delà de 12 millions d’euros. Bref, ce serait confiscatoire et c’est clairement assumé comme tel. On n’aurait pas le droit de transmettre plus de 12 millions d’euros à ses enfants. Pour l’ultramajorité des Français, ils ne seraient pas concernés par une telle mesure.
Il le dit d’ailleurs : « Je propose de mettre en place un héritage maximum à 12 millions d’euros. Au-delà, on prend tout. Cela concerne 0,01% de la population. Cet argent permettra de financer l’allocation d’autonomie pour les jeunes étudiants et dans l’enseignement pro à 1 063 euros par mois. ». Il faudra vérifier si ses calculs sont justes, et dans un premier temps de réflexion, on pourrait être d’accord avec cette mesure : 12 millions d’euros, le bénéficiaire aurait déjà de quoi tenir, et cela éviterait les gros abus de dynasties bourgeoises, 100 millions, 1 milliard d’euros… qui sont de toute façon ultrarares et je doute que cela financerait l’allocation en question.
L’argument idéologique est bien rappelé : « Il y a un phénomène social qui a été repéré. L’héritage prend une part considérable dans la différenciation sociale. Notre société est de plus en plus inégalitaire. ». Je ne comprends pas le problème des inégalités qui est structurel à l’âme humaine. Je m’en moque que des gens soient plus riches que moi, ce que j’aimerais, comme tout le monde, c’est que les plus pauvres soient suffisamment riches pour vivre décemment (à définir). Cette idéologie égalitariste est surtout une forme de jalousie, voire pire, d’envie.
Dans un second temps, d’ailleurs, on pourrait dire : la personne défunte aurait alors travaillé toute sa vie pour un patrimoine confisqué qui va servir à financer des étudiants glandeurs qui vont s’éterniser dans leurs études… Piètre motivation pour continuer à s’esquinter la vie par le travail !
Dans l’émission sur LCI, à aucun moment on ne rappelle un petit B.A. BA d’économie. Qui sont les plus riches en France ? Pas des propriétaires terriens, mais des propriétaires d’entreprises, de grandes entreprises encore plus ou moins familiales. Et même, des fleurons de l’industrie française (j’ai cité Dassault et Lagardère, mais on peut penser aussi à L’Oréal, LVMH, Kering, Bolloré, Bouygues, etc.). En clair, leur richesse est principalement virtuelle, bien réelle mais également virtuelle, c’est le prix de leurs entreprises, fluctuant, dépendant de leur propre succès.
Avec cette mesure totalitaire, qui démantèlerait tous les grands groupes français, il ne faudrait pas une décennie pour que toutes ces entreprises soient rachetées par des intérêts étrangers ! Et je ne parle même pas de l’effet de fuite des entrepreneurs, et tous ceux qui peuvent avoir de gros revenus (artistes, sportifs, etc.). Je préfère la méthode Ciotti, beaucoup plus efficace (et rentable pour l’État) : « exonération des droits de succession et de donation d’entreprises en ligne directe conditionnée la continuité de l’activité ».
Toutefois, Jean-Luc Mélenchon a fait une seconde proposition, celle-ci très innovante et moins idéologique, qui traduirait sa volonté de solidarité entre les citoyens. Je le cite sur Twitter : « Je propose de créer un nouveau statut, celui de l’adoption sociale. Celui-ci permettrait de créer un partenariat civil dans lequel chacun doit s’occuper de l’autre. Et dans ce cas, l’héritage obéirait aux règles qui sont celles dans les cas d’un héritage familial. ». C’est-à-dire, d’une transmission en ligne directe. C’était du reste "son annonce du jour" (« Je mets la bombe sur la table ! »).
Il y a même deux innovations en une : celle d’adopter quelqu’un pour l’aider dans la vie, et cela à n’importe quel moment de la vie, et l’autre innovation, c’est la réciprocité de la relation, du "partenariat civil". Chacun est chargé d’aider l’autre, mutuellement. C’est déjà le cas entre époux ou entre parents et enfants, mais ce lien d’adoption particulier rendrait aussi obligatoire ce devoir de charge. Ce serait très utile pour des personnes qui vivent seules, notamment, et l’avantage fiscal est un bon incitatif. C’est une idée qui mérite d’être creusée et qui ne concerne d’ailleurs pas seulement les droits de succession.
Bref, cette petite excursion hors covid-19 de la campagne présidentielle est intéressante. Les droits de succession vont sans doute être un sujet important sur lequel les différents candidats devront se positionner. Je ne pense pas que le vent électoral soit dans le sens confiscatoire, comme le souhaite Jean-Luc Mélenchon, mais ce dernier a suffisamment de créativité qu’entre deux ou trois idées stupides et génératrices de destruction économique, il y ait une petite pépite d’innovation sociale qu’il s’agit d’isoler et de faire fructifier. C’est pour cela qu’il est indispensable : il pense par lui-même ! Et c’est rare quand beaucoup de ses concurrents ne pensent qu’à lire les sondages (à l’instar des journalistes et autres éditorialistes).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (09 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Élysée 2022 (23) : les morts s’invitent dans la campagne présidentielle.
Un référendum sur l’ISF ? Chiche !
Legs et indécence.
Assurances sur la vie : les "monstres du Loch Ness" enfin domptés ?
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220109-melenchon.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/01/10/39297716.html
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