« Il n'y a aucun doute que cet épisode va frapper durement Djokovic. Maintenant, il y a une incertitude au sujet de Roland-Garros, il devra être vacciné pour y jouer, et qu'en est-il de Wimbledon ? Il ne se soucie pas de ces autres tournois, donc c'est vraiment, vraiment malheureux pour un gars qui avait travaillé si dur pour être aimé. (...) L'Australie est l'endroit qu'il aime le plus et il n'a même pas joué, alors cela devient ridicule. » (John McEnroe, le 21 janvier 2022 sur Eurosport).
Après son expulsion d'Australie, le joueur de tennis serbe Novak Djokovic, numéro un mondial, pourra-t-il participer au tournoi de Roland-Garros de cette année ? La question se pose puisqu'il n'a pas pu séjourner en Australie pour raison sanitaire. Alors que le passe vaccinal vient d'être mis en application en France ce lundi 24 janvier 2022, beaucoup considèrent que ce tournoi français lui sera interdit tant qu'il n'est pas vacciné contre le covid-19. Il avait gagné le tournoi de Roland-Garros l'an dernier, en 2021.
Le champion en titre devrait au contraire pouvoir y participer grâce à une disposition du passe vaccinal : il est en effet valide si la personne qui le détient s'est rétablie du covid-19 il y a moins de six mois à partir de la contamination. Or, le tribunal fédéral australien a annoncé avoir lu les documents attestant que Novak Djokovic avait contracté le virus le 16 décembre 2021, si bien que le joueur devrait donc être autorisé à entrer et séjourner sur le territoire français, non-vacciné, jusqu'au 15 juin 2022. Le tournoi de Roland-Garros a lieu du 22 mai au 5 juin 2022, ce qui conviendrait donc au joueur serbe.
Mais indépendamment de cet élément, le sportif aurait quand même, en principe, eu droit d'accès à Roland-Garros, malgré les déclarations du président du groupe LREM à l'Assemblée Nationale Christophe Castaner le 17 janvier 2022 expliquant que la loi serait la même pour tous et donc, aussi pour Novak Djokovic. En effet, dès le 7 janvier 2022, interrogée par France Info, la Ministre déléguée aux Sports Roxana Maracineanu avait rassuré le champion de tennis : « Il y a des protocoles sanitaires imposés pour les grands événements par les fédérations en question, qui viennent s'ajouter, s'additionner au protocole du pays et donc, c'est ce qui permettra en France à quelqu'un comme Novak Djokovic de pouvoir entrer sur le territoire. (...) [Un sportif] qui ne sera pas vacciné (...) pourra participer à la compétition parce que le protocole, la bulle sanitaire de ces grands événements sportifs le permettra. ».
En revanche, la ministre a cependant nuancé ses propos : « Tout joueur, tout sportif qui s'entraîne en France, qu'il soit français ou étranger, s'il est domicilié sur notre territoire, pour s'entraîner, il faudra qu'il ait un passe vaccinal tout le temps pour entrer dans l'équipement sportif. ». Avant de préciser : « En France, aujourd'hui, nous n'avons pas la même réglementation que l'Australie pour rentrer sur le territoire, pour les sportifs comme pour les autres citoyens des autres pays. ». Et puis, en mai 2022, on sera dans une situation sanitaire très différente de celle de maintenant, la situation devrait nettement s'améliorer d'ici à cette date, et les protocoles sanitaires devraient s'alléger.
Revenons sur les mésaventures du joueur en Australie. Novak Djokovic a été effectivement expulsé d’Australie le dimanche 16 janvier 2022. La raison ? Il ne s’était pas mis en conformité avec les règles sanitaires de ce pays. Ainsi, il n'a pas participé à l’Open d’Australie qui commençait le lendemain à Melbourne, alors qu’il avait participé au tirage au sort le 13 janvier 2022.
Il n’est pas question ici de disserter sur son talent de sportif reconnu par tous. Il est considéré comme le numéro un mondial du tennis depuis le 3 février 2020, et même l’un des meilleurs joueurs de tennis de tous les temps avec Roger Federer et Rafael Nadal. Il a multiplié les records, il a été pendant 360 semaines en tête du classement ATP, dont 122 semaines consécutives entre 2014 et 2016. À 34 ans, ce qui est déjà âgé, après dix-huit ans d’exercice, il a remporté 86 victoires sur le circuit ATP, dont 20 tournois du Grand Chelem.
La personnalité de Novak Djokovic est également très forte, il n’hésite pas à utiliser son grand sens de l’humour et à montrer beaucoup d’originalité. C’est peut-être cela qui a attiré sur lui une sorte de polarisation dans les deux dernières semaines. À cela, il ne faut pas négliger l’aspect nationaliste, car il est considéré en Serbie comme un héros national et le Président de la République de Serbie Aleksandar Vucic est un fervent soutien de Novak Djokovic, au point parfois de mettre de l’huile sur le feu politique. Le Président a été un homme politique à l'origine d’extrême droite nationaliste puis a cofondé un parti conservateur et nationaliste pro-européen (favorable à l’adhésion de la Serbie dans l’Union Européenne).
L’Open d’Australie à Melbourne est l’un des quatre tournois du Grand Chelem et une compétition que Novak Djokovic a remportée 9 fois, dont trois fois de suite depuis 2019, et il comptait bien gagner une quatrième fois successive en 2022. C’est le tournoi qu’il a le plus gagné depuis 2008. Dans sa carrière de joueur, rater l’Open d’Australie est donc très grave. Il a surestimé ses capacités à sauter les barrières administratives, réglementaires et judiciaires (et sanitaires bien sûr).
Parlons maintenant de l’Australie. Le principe d’une île, même gigantesque, c’est plus un continent-île qu’une simple île, a fait que la doctrine sanitaire des autorités australiennes a toujours été très restrictive. L’objectif était le zéro covid, ce qui signifiait beaucoup de contraintes : des confinements localisés, en particulier à Sydney, Melbourne et Camberra, localisés ne signifie pas légers puisqu’il y a eu plusieurs dizaines de millions d’habitants qui ont été impactés par ce genre de restrictions "à la chinoise". D’ailleurs, de nombreuses manifestations ont eu lieu dans ces villes pour contester une telle politique, et ce choix de renfermement a aussi engendré un grand retard à la vaccination. Le 1er août 2021, seulement 32,9% de la population avait reçu au moins une dose, ce qui était très faible mais mainteant rattrapé (au 15 janvier 2022, 81,4% de la population a reçu au moins une dose, ce qui est légèrement plus que la France, et 19,5% la troisième dose, ce qui à peu près la moitié du taux en France).
Il faut reconnaître que cette méthode, qui n’aurait jamais été acceptée dans un pays d’Europe ou d’Amérique, a été efficace puisque, en nombre de décès dus au covid-19, il y a eu, au 16 janvier 2022, "seulement" 2 673 décès, soit 103 décès par million d’habitants (dans les pays d’Europe occidentale, c’est autour de 20 fois plus). Toutefois, depuis Noël 2021, une quatrième vague est en train de surpasser tous les records de mortalité du covid-19, en passant du 1er janvier 2022 d’une moyenne de 5 à 10 décès par jour à une véritable courbe exponentielle avec plus de 50 décès par jour en moyenne le 15 janvier 2022.
Parmi les mesures très restrictives, il y a eu les entrées aériennes. Les protocoles étaient tellement drastiques que même les ressortissants australiens à l’étranger étaient interdits de rentrer dans leur pays pendant un certain temps, ensuite, pouvaient rentrer sous condition d’une période d’isolement de quatorze jours. Cela s’était assoupli dans les derniers mois, mais avec l’obligation de vaccination : aucune personne ne peut entrer en Australie sans avoir été vaccinée.
Donc, pour résumer, l’Australie a mis en place depuis 2020 des mesures sanitaires très contraignantes (beaucoup plus qu’en France), et cette politique a fonctionné jusqu’à la fin de l’année 2021 avec un contrôle des contaminations et une faible mortalité (20 fois moins qu’en Europe de l’Ouest). Les Australiens ont beaucoup souffert pour arriver à ce résultat et ne souhaitent donc pas voir leurs efforts "gâchés" par des arrivants étrangers. De plus, malgré la campagne de vaccination très dynamique, il y a, depuis le début de l’année 2022, une flambée épidémique très inquiétante qui a aussi effet sur les décès. Jusqu’au 15 décembre 2021, il n’y avait pas plus que 2 000 nouveaux cas par jour. Or, depuis la mi-décembre 2021, la flambée se mesure aussi avec les nouveaux cas, au nombre de 112 867 au 15 janvier 2022, sur une pente continue. Le gouvernement australien craignait donc de ne plus avoir la maîtrise de l’épidémie et la politique du zéro covid, longtemps définie comme l’objectif, est maintenant à revoir (la situation de la troisième semaine de janvier 2022 s'est nettement améliorée).
Alors, tout est posé pour le psychodrame tennistique des deux premières semaines du mois. Une personnalité exceptionnelle, une célébrité mondiale viendrait en Australie mais sans se prêter à la réglementation sanitaire. Novak Djokovic a refusé d’indiquer son statut vaccinal mais a confirmé le 4 janvier 2022 qu’il participerait à l’Open d’Australie. Il s’y est rendu dès le lendemain, 5 janvier 2022 où une dérogation médicale lui a été fournie pour éviter l’obligation d’être vacciné. Mais le Premier Ministre Scott Morrison, le même qui avait dénoncé la commande des sous-marins à la France, est intraitable et a voulu connaître les raisons de cette dérogation médicale et les contester. Le 5 janvier 2022, le visa du sportif serbe a donc été annulé et son expulsion programmée au 6 janvier 2022.
Cependant, grâce à ses (bons) avocats, Novak Djokovic a eu un sursis pour faire appel et a été logé dans un centre de rétention des personnes en situations irrégulières (on a les mêmes en France, enfin, non, c’est pire en Australie, au point que nos zélateurs de l’anti-immigration primaire citent régulièrement l’Australie comme un pays modèle).
Les avocats du joueur ont alors révélé que l’exemption vaccinale était justifiée car Novak Djokovic a eu un test covid positif le 16 décembre 2021. Stupeur : à cette date, Novak Djokovic n’était pas isolé et répondait à des interviews, se faisait photographier aux côtés de jeunes fans… Aucun isolement : soit le test positif est un mensonge, soit le joueur n’a pas respecté la règle (dans tous les pays) de s’isoler en cas de contamination. Qu’importe, un juge australien a rétabli son visa le 10 janvier 2022. Le Serbe a pu commencer son entraînement pour la compétition qui commençait la semaine suivante.
Le gouvernement a cependant de nouveau annulé le visa le14 janvier 2022. Le joueur a fait encore appel et en attendant, il est retourné dans un centre de rétention le lendemain. La cour fédérale a rejeté le recours dans la nuit du 15 au 16 janvier 2022 (heure de Paris, le matin du 16 en Australie), sans possibilité de faire appel. L’expulsion de Novak Djokovic par avion a eu lieu quelques heures plus tard. Il ne participerait donc pas à l’Open d’Australie 2022. Fin de l’histoire.
Pendant ces quinze jours de psychodrame, la figure de Novak Djokovic a été préemptée dans les réseaux sociaux par les antivax comme leur porte-parole involontaire dans leur contestation de la vaccination (d’où son surnom de Novax Djocovid). Figure populaire, appréciée de beaucoup de monde (y compris de personnes vaccinées, par exemple, Bruno Le Maire), il a, visiblement, sur ce sujet-là, trop misé sur une immunité administrative que sa célébrité, sa popularité et son talent de sportif auraient été susceptibles de lui apporter.
Heureusement, la loi est la règle pour tous, il n’y a aucune raison de faire des exceptions sous prétexte de vouloir privilégier un grand sportif, aussi sympathique soit-il, du moins dans un État de droit. Et cela d’autant plus que la réglementation sanitaire australienne a été élaborée (on peut la contester ou pas) pour ne pas mettre en danger la santé des Australiens, qui ont déjà très souffert des mesures de confinement (qui ont fait exploser le chômage et la paupérisation) et qui voient l’épidémie "s’exponentialiser" de manière inquiétante. Faire une exception aurait réduit à néant l’autorité du gouvernement australien qui doit déjà faire face à une forte (et violente) contestation. Le Président serbe a crié à la décision politique, et il a raison, c’était une décision très politique de ne tolérer aucune exception dans le dispositif sanitaire australien. Ce refus est même exemplaire.
Les antivax franco-français seraient donc bien inspiré de s’apercevoir qu’il existe ailleurs qu’en France des pays beaucoup moins "libéraux" que la France en matière de mesures sanitaires (je rappelle que le principe du passe vaccinal est bien moins "liberticide" qu’un confinement sévère).
Et ceux d’entre eux qui militent à tout va contre l’immigration peuvent aussi observer que lorsque leur héros est mis dans la même situation que des réfugiés clandestins ou des personnes en situation irrégulière qu’ils abhorrent, dans des hôtels ou centres de rétention, ils pourront alors repenser un peu mieux au respect qu’on doit à toute personne humaine, quelle qu’elle soit, quelle que soit sa situation administrative, car, comme pour le handicap, une situation d’immigré rejeté peut très vite arriver à tout le monde un jour ou l’autre, ne serait qu’en cas de catastrophe climatique…
Pour conclure, laissons exprimer ce coup de gueule du docteur Michel Cymes le 12 janvier 2022 sur France 5 : « Djokovic est anti-vaccin. Il l’a dit et pas seulement avant l’Open d’Australie. C’est un antivax (…). Je trouve ça dramatique que quelqu’un qui représente l’exemplarité que doit avoir un sportif de haut niveau vis-à-vis des jeunes dise ouvertement qu’il est contre le vaccin. (…) Qu’il le soit, c’est son problème. Il n’a pas besoin de le dire parce qu’il sert de contre-exemple à la vaccination. ».
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Roland Garros.
Novak Djokovic.
Novax Djocovid.
Jean-Pierre Adams.
Bernard Tapie.
Kylian Mbappé.
Pierre Mazeaud.
Usain Bolt.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220124-novak-djokovic.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/apres-l-open-d-australie-novak-238926
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/01/19/39310588.html