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28 janvier 2022 5 28 /01 /janvier /2022 03:50

« Le fait d’exister, de compter parmi les milliards d’individus qui s’agitent sur notre planète, est une aventure à la fois commune et singulière, et qui prête à réfléchir. Pour ma part, dès ma naissance, dès ma trouée dans ce bas monde, je fus ébaudi. » (René de Obaldia, le 15 juin 2000 à Paris).




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Ou une autre réflexion du même genre, dans "Exobiographie" (éd. Grasset, 1993) : « D’habiter la même planète, à la même époque, une fraction minuscule de temps comprise entre les milliards de siècles et, miracle ! de se rencontrer tout de go dans la rue, au restaurant, à l’église, aux Folies-Bergères, dans l’ascenseur ("Ah ! c’est toi !… – Ah ! c’est nous !... "), ne devrions-nous pas nous jeter dans les bras les uns des autres, balbutiant, riant et sanglotant, et nous lancer quelques compliments ? ».

Le dramaturge et académicien français René de Obaldia vient de mourir à Paris ce jeudi 27 janvier 2022 à l’âge de 103 ans (il est né le 22 octobre 1918 à Hongkong). Cet émerveillement de vivre, dont il a fait part à ses amis de l’Académie française lors de sa réception solennelle (je venais d’écrire "lors de sa réflexion solennelle" !), il l’a toujours conservé durant toute sa vie d’écriture (une soixantaine d’œuvres) jusqu’à cet âge très avancé de 98 ans, âge auquel il s’est mis à la retraite, de publication sinon d’écriture, pour un repos mérité.

Son nom n’est pas français (né en Extrême-orient, il était l’arrière-petit-fils et l’arrière-arrière-petit-fils de deux Présidents de la République du Panama) mais René de Obaldia a certainement été l’un des meilleurs ambassadeurs de la France et de la culture française dans le monde, le meilleur contributeur du rayonnement français, par ses pièces de théâtre qui sont les plus jouées dans le monde provenant d’un auteur français (il l’expliquait par la brièveté de la plupart de ses pièces qui nécessitent peu de décors avec peu de personnages, ce qui permet à des troupes modestes de "s’en emparer"). Il était aussi très fier d’être dans les programmes scolaires, pour son recueil "Les Innocentines" (éd. Grasset, 1969) qu’il avait écrit spécifiquement pour les enfants (et qu’il considérait comme "le fleuron de [sa] couronne").

Sa vie a commencé mal, quatre années dans les camps de la mort, à un âge où l’existence devrait prendre la meilleure forme des promesses. Coïncidence ? Il est parti le jour anniversaire de la fin du cauchemar d’Auschwitz. Cette expérience extrême lui a permis de relativiser ses petits malheurs, de savourer ses petits bonheurs, et de réfléchir sur le Mal.

À son centenaire, il y a plus de trois ans, j’avais évoqué la figure de ce comte conteur qui m’a séduit par son style original, humble et si français, ce que Jérôme Garcin décrivait ainsi le 4 décembre 2008 dans "Le Nouvel Observateur" : « On y parle l’obaldien vernaculaire (c’est une langue verte, savante et bien pendue, qui se décline en alexandrins, calembours et parodies). On y tient que l’absurde est plus sérieux que la raison. On y pratique un doux anachronisme. On y croise selon la saison Queneau, Jarry, Ionesco et Giraudoux. La religion officielle est le ramonisme, de Ramon Gomez de la Serna, pape espagnol de l’hilarité cosmique et thuriféraire des seins de femme. ».

C’était à peu près le même sentiment qu’exprimait la même année Jean-Joseph Julaud : « Il faut dire que les mots qu’il emploie se retrouvent souvent… à contre-emploi. Utilisés dans une entreprise qui peut paraître légère (…), ils conduisent avec humour et malice à installer le lecteur en position d’observateur par rapport au langage lui-même. Ces mots, qui s’amusent entre eux (…), ne sont-ils pas les mêmes que ceux de la solennité, de la gravité ou de la componction ? Dans le sillage de l’écriture surréaliste, René de Obaldia délivre un message où la plus jubilatoire des fantaisies renforce, sans jamais l’exclure, la prudence et la lucidité nécessaires face aux mots qui se laissent si facilement emprisonner par les idées. ».

Survivre quatre ans dans un camp de la mort a donné beaucoup à réfléchir à René de Obaldia, comme il l’a confié à "Zone Critique" le 11 novembre 2017 : « J’ai été hanté très tôt par le Mal. (…) Le Mal est une de mes grandes préoccupations, d’autant plus que le monde est magnifique. (…) Effectivement, le monde est une splendeur. C’est l’Homme qui pose un problème. C’est celui du Mal, qui lui est intrinsèque, car le Mal n’existe pas dans la Nature. ». Une rencontre entre René de Obaldia et Maurice Bellet aurait été très instructive. L’a-t-elle jamais eu lieu ? Probablement pas.

Comme dans une sorte de réplique par avance à des vieilles rengaines tournées vers le passé, qu’aujourd’hui, Éric Zemmour semblerait le mieux incarner, René de Obaldia insistait le 4 mars 2015 sur France Culture, lui qui a tant vécu au point d’être l’académicien qui a le plus longtemps vécu, que ce n’était pas mieux avant : « En vérité, le monde n’a jamais été gai. Il ne faut pas céder au passéisme : homo homini lupus ! Ça a été affreux à toutes les époques. Croyez-vous que la guerre de Cent Ans ou la peste bubonique n’ont pas été cruelles aussi ? ».

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Voici en son hommage quelques échantillons de son style savoureux et joyeux qu’on peut aussi retrouver plus nombreux sur Internet.


"Innocentines" (éd. Grasset, 1969)

« Je suis une petit fille
Mais je mets des pantalons
J’ai beau m’appeler Pétronille
J’aime mieux être un garçon. »
(Pétronille)

« Chez moi, dit le garçon
On élève une tortue
Elle chante des chansons
En latin et en laitue. »


"La Jument du capitaine" (éd. Le Cherche Midi, 1984)

« Un jeune aoûtien croisant une ravissante juilletiste sur la route de Montélimar (lui, une Porsche gris métallique, elle, un Austin rouge) eurent le temps, trois cents kilomètres de bouchons, figés tous deux à la même hauteur, d’échanger leurs adresses et leurs téléphones. Il se revirent peu après, mêlés à des septembristes Puis ils se marièrent, furent heureux, et eurent beaucoup d’automobiles. »

« Le temps dévore le temps. Je m’agenouille devant la beauté, c’est mon squelette que je relève. »

« L’asperge : le poireau du riche. »

« Ne deviens pas qui tu hais. »

« J’interdis la télévision à mon chien. Pas question de l’abêtir. »


"Sur le ventre des veuves" (1996)

« Pas un corps qui soit véritable
Pas de pain qui mange la nuit
Et j’avançais, si misérable
Que les bêtes fuyaient sans bruit… »
(repris de "Génousie", éd. Grasset, 1960).


"Fantasmes des demoiselles, femmes faites ou défaites cherchant l’âme sœur" (éd. Grasset, 2011)

« Cherche un beau ténébreux un poète
Vivant sous les toits
Une pomme un couteau une rose et la foi
Doucement hors-la-loi
Des étoiles à sa fenêtre
Des étoiles plein la tête. »

« Cherche un mutant sexy
Vendant d’une autre galaxie
Sans passeport sans diplôme
Fleurant bon l’ozone
Pas tout à fait un homme
(…)
Quand il me prendra
De tous les côtés à la fois
Et que, la tête en bas
J’apercevrai une étoile au fond du matelas
Mamma mia ! »

« Cherche un amant
Aussi beau qu’un éléphant
Éléphant avec des ailes
Ayant des douceurs de gazelle. »

« Cherche un homme qui n’existe pas
Beau
Mais pas trop
Doux et rude
Paillard bien que prude
Religieux et mécréant
Peau de vache et bon enfant
Fleurant le soufre et la lavande. »

« Et quand
Par accident
Voulant chercher son collier d’ambre
Mon savant ouvrira soudain la porte de la chambre
Et que je serai là
En nudité de gala
Mon amant entre les bras
(– "Ne dis rien
Félicien
Ne bouge pas
Fais semblant de n’être pas là")
Le pauvre chrétien
Tout à ses équations
Ses obscures ruminations
Essuiera ses lunettes
Avec le papier-toilette
Et dira :
X, inconnu
Y, toute nue
X + Y au carré
Au carré sur mon pucier
Sont deux facteurs indépendants
Bien assurément !
Deux facteurs indépendants.
In-dé-pen-dants.
Puis, refermera la porte
Sa tête pleine de lunes mortes. »


"Le Secret" (2010)

« La nuit, il faisait si noir
Que j’ai cru à une histoire
Et que tout était perdu.
Mais d’un seul coup j’ai bien vu
Un navire dans le ciel
Traîné par une sauterelle
Sur des vagues d’arc-en-ciel ! »


"Fugue à Waterloo" (éd. Grasset, 1956)

« La Reine est en tablier et lave la vaisselle ! Son imagination a, en quelques sorte, épuisé la réalité. Trois jours seulement qu’Alouette et Zilou vivaient ensemble, et il leur paraissait qu’il en avait toujours été ainsi. ».


"Exobiographie" (éd. Grasset, 1993)

« Mon âme, ma petite âme, mon âmelette. »

« Le poète entre dans le temps par effraction ; il l’abolit. »

« Le temps ne coulait pas, le temps, comme pris dans les hélice des ventilateurs, tournait en rond… Quel ennui ! »

« Il allait d’estaminet en estaminet en quête de soi-même et, déclarait-il, pour atteindre "l’état flamboyant". »


"Perles de vie" (éd. Grasset, 2017)

« Le chat : la sentinelle de l’invisible. »


Dans son dernier livre, recueil des citations et autres réflexions qui l’ont marqué, "Perles de vie", le dramaturge joueur proclamait : « Je vais bientôt me quitter. Oui, disparaître de cette planète. (…) Je vais maintenant prendre congé de vous non sans vous gratifier cette fois d’un proverbe bantou : "Mon ami n’est pas mort puisque je vis encore". ».

L’auteur du plus beau vers de la langue française « Le geai gélatineux geignait dans le jasmin » ne serait pas opposé à le graver sur sa tombe en guise d’épitaphe, d’autant plus qu’il existe même une confrérie du geai gélatineux. Alors qu’il pensait être veillé à sa mort par sa femme, celle-ci est partie il y a dix ans et pour se consoler, il lui suffit de se dire qu’il a eu beaucoup de chance dans sa vie passionnante. La mort ne lui faisait pas peur, seule l’énigme l’attendait.

« Cousu de noir à ton corsage
Cousu de rouge à ton jupon
Je meurs de croire en ton visage
De me blesser avec un nom.
Cette eau qui coule, Marie-Ange,
Ne la bois pas avec ma mort.
Tes jeunes seins qui me roucoulent
Je les noierai dans un vieux port. »
("L’adolescent")


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Quelques citations de René de Obaldia.
Interview de René de Obaldia sur France 2 le 28 mai 2017.
Interview de René de Obaldia sur France Culture le 4 mars 2015.
Interview de René de Obaldia dans "Zone Critique" le 11 novembre 2017.
L'humble Immortel centenaire.
René de Obaldia.
Michel Houellebecq.
Richard Bohringer.
Paul Valéry.
Georges Dumézil.
Paul Déroulède.
Pierre Mazeaud.
Philippe Labro.
Pierre Vidal-Naquet.
Amélie Nothomb.
Jean de La Fontaine.
Edgar Morin.
Frédéric Dard.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220127-rene-de-obaldia.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/rene-de-obadia-le-comte-est-bon-238999

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/01/27/39322699.html









 

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