« La société n’a pas envie de les voir. Ils perturbent les scénarios optimistes selon lequel omicron serait associé à une immunité collective et à la fin de la pandémie. » (Pr. Marc Leone, "Le Monde" le 29 janvier 2022).
Le chef du service de réanimation à Marseille, qui mettait en garde le week-end dernier dans "Le Monde", parlait des personnes décédées du covid-19. Le quotidien du soir les évoquait ainsi au début de l’article : « Ils sont les oubliés de l’épidémie. En mars 2020 pourtant, une image-choc frappait les esprits, symbole de l’effroi de l’Europe face à la première vague de covid-19 : un cortège de camions militaires quittait alors Bergame, en Italie du Nord, emportant les cercueils des personnes décédées. (…) Lassitude, accoutumance, envie de passer à autre chose… La litanie du nombre de victimes, de fait, n’est plus égrenée comme au début de la pandémie. Et les morts du covid-19 sont devenus invisibles. ».
Depuis quelques jours, cela semble toutefois se confirmer sérieusement, au contraire de la mi-janvier 2022 : l’épidémie de variant omicron est en nette baisse et cela réjouit tout le monde. Parallèlement, depuis ce mercredi 2 février 2022, la plupart des restrictions ont été levées, principalement l’obligation du télétravail (il ne reste que recommandé), le port du masque à l’extérieur, les jauges dans les salles publiques. Pour autant, il ne faut pas relâcher la vigilance et rester prudent pour éviter les contaminations qui peuvent reprendre aussi vite qu’en décembre et janvier.
L’évolution de l’épidémie en France est effectivement rassurante : le taux de reproduction effectif (le R0, qui est la pente de la pente de la courbe des contaminations en fonction du temps) est désormais en dessous de 1 depuis quelques jours et donc, la situation s’améliore.
Ce jeudi 3 février 2022, il n’y a eu "que" 274 352 nouvelles contaminations détectées en une journée. J’ai écrit entre guillemets le "que" car c’est évidemment énorme, puisque la France est montée dans des sommets inédits et seuls Israël, la Slovénie et le Danemark, parmi les grands et moyens pays, semblent avoir un taux d’incidence équivalent ou supérieur.
Depuis le 1er janvier 2022, la France a doublé le nombre total de personnes qui ont été testés positifs depuis le début de la crise sanitaire (de 10 191 926 au 1er janvier 2022 à 20 147 :341 au 3 février 2022). Non seulement le virus continue à circuler beaucoup (le taux d’incidence est de 3 090 nouveaux cas par 100 000 habitants en une semaine), mais aussi il bloque encore l’hôpital et le retour à la normale sera certainement très long. En tout, il reste encore 6,6 millions de Français qui sont covid positifs et qui s’isolent, du moins je l’espère. Mais le taux d’incidence est en train de chuter de 20% en une semaine et, ce 3 février 2022, pour la première (ou seconde fois) depuis cette double vague, il y a eu plus de personnes guéries que de personnes contaminées, 329 095 personnes guéries à comparer aux 274 352 personnes contaminées indiquées plus haut.
Autre sujet de soulagement, la vague du variant delta semble quasiment terminée. Au 31 janvier 2022, la part de delta dans la double vague est de 0,47%, ce qui, en les surestimant par rapport à nouveaux cas du 3 février 2022, ne ferait pas plus de 1 300 en une journée, ce qui est très faible.
Le nombre de lits occupés en réanimation pour covid-19 commence à descendre, mais très très lentement, avec quelques remontées, cela ressemblerait d’ailleurs plus à un plateau qu’à une descente (3 643 au 3 février 2022). Cette différence entre places en réanimation et nombres de cas d’infection au variant delta est importante : effectivement, le variant omicron aussi entraîne des soins intensifs.
En revanche, il y a toujours une montée vertigineuse des hospitalisations conventionnelles, directement liée et proportionnelle à la flambée du variant omicron (il y a environ deux semaines de décalage entre les contaminations et les hospitalisations). On arrive aux mêmes niveaux que lors des deux premières vagues.
Globalement, l’évolution est rassurante. Néanmoins, certains éléments restent inquiétants. En particulier le nombre de décès qui est à un niveau très élevé.
En moyenne sur les sept derniers jours, il y a 265 décès chaque jour à cause du covid-19, soit autour de 15% de la mortalité (toute cause confondue) en France. Le 24 janvier 2022, il y a même eu une pointe à 393 décès (382 le 1er février, 365 le 25 janvier, 348 le 31 janvier). En une semaine, près de 1 900 décès, soit +12% de hausse par rapport à la semaine précédente, et la pente semble heureusement se ralentir. Plus parlant, depuis le 1er janvier 2022, il y a déjà eu plus de 8 000 décès par covid-19, c’est une petite ville rayée de la carte chaque mois, comme Moirans, Malzéville, La Tour-du-Pin, Champagnole, Marcoussis, Pont-l’Abbé, Vif, Bormes-les-Mimosas, Larmor-Plage ou Saint-Marcellin. Au total depuis le début de la pandémie, 131 852 ont perdu la vie en France à cause du covid-19, autant que la population d’une ville comme Limoges, Annecy ou Amiens. Il faut en avoir conscience avant de rechigner à porter le masque en intérieur dans un lieu public.
Heureusement, nous sommes une nation parmi les mieux vaccinées du monde et c’est tout à l’honneur du peuple français d’avoir compris l’intérêt de la vaccination. Elle nous a protégés à 90% de formes graves et vu les nombre de contaminations, l’absence de vaccination aurait certainement provoqué un massacre. Au 3 février 2022, 54 044 774 Français ont reçu au moins une dose de vaccin, 52 820 270 au moins deux doses et 36 067 100 Français trois doses. C’est énorme ! Les personnes non-vaccinées ne correspondent plus qu’à une très faible minorité de Français, 6,2% des personnes de 12 ans et plus.
Cependant, malgré cette forte couverture vaccinale, nous avons beaucoup de victimes, et de nombreux médecins ont récemment dénoncé l’indifférence des médias : le docteur Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital Poincaré de Garches, le 25 janvier 2022 ; le docteur Didier Pittet, infectiologue et épidémiologiste à Genève, le 27 janvier 2022 ; le professeur Philippe Juvin, chef du service des urgences à l’hôpital Georges-Pompidou à Paris, le 29 janvier 2022 ; le professeur Frédéric Adnet, chef du service des urgences à l’hôpital Avicenne à Bobigny, le 29 janvier 2022 ; le professeur Marc Leone, chef du service de réanimation de l’hôpital Nord de Marseille (AP-HM), le 29 janvier 2022 ; le professeur Alain Fischer, président du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, le 30 janvier 2022 ; le docteur Mathias Wargon, le chef du service des urgences de l’hôpital Delafontaine (93), le 30 janvier 2022 ; le professeur Bruno Mégarbane, chef du service de réanimation de l’hôpital Lariboisière à Paris, le 2 févier 2022. Tous ces praticiens et universitaires, et beaucoup d’autres, ont pris la parole cette semaine dans les médias pour alerter que le variant omicron est bien plus mortel que le virus de la grippe et qu’il faut s’en protéger par la vaccination et les gestes barrières.
Parce qu’on a envie d’en finir, de passer à autre chose, que ça a déjà trop duré, tout concourt à "oublier" ces nombreuses victimes de l’épidémie, les personnes décédées, l’équivalent d’un crash d’avion tous les jours (et il ne faut pas oublier leurs familles), mais aussi ces nombreuses personnes malades, certaines qui en réchapperont avec des traumatismes (on ne sort pas indemne de la réanimation), sans oublier les personnes atteintes de covid long.
On pourrait croire qu’avec la disparition du variant delta, le nombre de décès allait également s’effondrer, mais ce n’est pas le cas et c’était prévisible, car le variant omicron, s’il est moins agressif statistiquement, est arrivé massivement et l’énorme nombre fait qu’il n’est pas sans les graves conséquences humaines qu’on constate.
En effet, il est à la mode de dire que le variant omicron n’est pas grave, que sa contamination ne provoque pas beaucoup de soins intensifs, seulement, en cas de complication, des hospitalisations conventionnelles de quelques jours. Certes, le variant omicron est bien moins virulent statistiquement : par rapport au variant delta, les risques pour aller en réanimation sont réduits de 75%, et les risques d’en mourir sont réduits de 90%, mais n’avoir que 10% de mortalité de variant omicron (par rapport au variant delta) et avoir 10 fois plus de contaminations en omicron qu’en delta, cela signifie la même mortalité en nombre absolu.
Entre le 17 et le 23 janvier 2022, selon un rapport de la DREES publié le 28 janvier 2022, parmi les personnes en hospitalisation conventionnelle pour covid-19, 88% étaient infectées au variant omicron ; parmi les personnes en réanimation pour covid-19, 79% étaient infectées au variant omicron, ce qui montre que la gravité, en absolu, est loin d’être négligeable ; enfin, parmi les personnes qui décèdent à cause du covid-19, 57% étaient infectées au variant omicron, là aussi, c’est très loin d’être négligeable.
On a souvent parlé du biais d’être hospitalisé ou admis en réanimation "pour le covid" et "avec le covid". Effectivement, en raison de la très grande circulation du virus, il est possible d’être testé positif à l’hôpital alors que la personne était admise à l’hôpital pour une autre pathologie. On a évalué ce "biais" (qui n’en est pas un puisqu’il est pris en compte) à 29% en hospitalisation conventionnelle (29% ne sont pas hospitalisés pour covid mais avec covid) et 15% en réanimation. Le professeur Mahmoud Zureik, épidémiologiste et spécialiste en santé publique à l’Université de Versailles-Saint-Quentin, a estimé : « On ignore la part des personnes mortes à cause du covid-19 ou avec le covid-19, même si les premiers résultats suggèrent que la majorité de ces décès surviennent chez les patients hospitalisés pour covid-19. » ("Le Monde").
Ce qui, pour le professeur Frédéric Adnet, n’est pas une distinction vraiment très pertinente. Beaucoup de personnes ayant une comorbidité (un organe malade) avaient réussi à trouver un certain équilibre pour pouvoir vivre tant bien que mal et le covid-19 vient réduire la fonction de l’organe malade parfois au point d’en faire mourir : « Le covid-19 peut alors aggraver la maladie dont souffrent ces patients : drépanocytose, œdème aigu du poumon, bronchite chronique obstructive… » ("Le Monde").
En outre, les personnes décédées du covid-19 à l’hôpital se répartissent ainsi : un tiers étaient en service de réanimation, et deux tiers étaient en hospitalisation conventionnelle. Il est donc important de noter que d’une part, le variant omicron envoie aussi en réanimation (79% des réanimations), et d’autre part, même en hospitalisation conventionnelle, le variant omicron peut tuer.
Le variant omicron ne réduit donc pas sa dangerosité ; simplement, une personne contaminée a statistiquement moins de risque, toute chose égale par ailleurs (par exemple son statut vaccinal), de décéder si elle est infectée au variant omicron qu’au variant delta. Mais si la forme grave se déclenche, la maladie reste aussi sévère, pour la personne atteinte, qu’avec le variant delta.
Les deux principales catégories de personnes à risque restent d’une part, les personnes qui ne sont pas vaccinées ou qui n’ont pas la dose de rappel lorsqu’elles en sont besoin (quatre à six mois après la deuxième dose), et les personnes immunodéprimées. Ces deux "populations" à risque sont au fond les mêmes, elles présentent une faiblesse immunitaire qui peut entraîner la survenue d’une forme grave, car même avec omicron, le covid-19 reste une saloperie.
Donc, oui, il faut se réjouir de cette décrue épidémique, qu’elle peut même se faire aussi rapidement que la vague est venue, que tout le monde espère qu’un autre variant ou sous-variant ne viendra pas arrêter cette décrue, mais attention à tous, l’infection au variant omicron n’est jamais anodine et peut toujours entraîner la mort.
J’évoquais il y a un jour la figure de Valéry Giscard d’Estaing victime du covid-19 quelques jours avant le début de la campagne de vaccination. Les pires morts sont celles de la dernière heure. Celles des soldats morts dans la matinée du 11 novembre 1918 juste avant le cessez-le-feu à 11 heures 11. Dans les semaines et même les mois à venir, il y aura encore malheureusement beaucoup de décès dus au covid-19, peut-être de vos proches. Il ne faut pas avoir peur mais il faut se protéger, comme lorsqu’on met une ceinture de sécurité lorsqu’on prend le volant. Il y a un risque de mourir sur la route, il faut en être conscient pour s’en protéger, sans pour autant en avoir peur. Il faut se réjouir de la baisse épidémique, mais raisonnablement, en gardant les protections qui ont fait leur preuve, la vaccination et les gestes barrières quand cela le nécessite.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 février 2022)
http://www.rakotoarison.eu
(Les six graphiques proviennent du site de Guillaume Rozier, covidtracker.fr).
Pour aller plus loin :
Omicron tue encore !
Faut-il faire payer les soins covid aux personnes non-vaccinées ?
Martin Hirsch.
Passe vaccinal (3) : validé par le Conseil Constitutionnel, il entre en vigueur le 24 janvier 2022.
Où en est la pandémie de covid-19 ce 18 janvier 2022 en France ?
Novak Djokovic.
Novax Djocovid.
Passe vaccinal (2) : Claude Malhuret charge lourdement les antivax.
Discours de Claude Malhuret le 11 janvier 2022 au Sénat (texte intégral et vidéo).
Les Français en ont marre des antivax !
Passe vaccinal (1) : quel député a voté quoi ?
Claude Malhuret le 4 mai 2020.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220203-covid-fl-omicron.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/omicron-tue-encore-239133
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/02/03/39332423.html