« Ce quinquennat restera sans doute comme l’un des plus difficiles de notre histoire. C’est toujours difficile de gouverner la France, mais là, ce fut particulièrement difficile. » (Jean-Pierre Raffarin, le 2 mars 2022 sur LCI).
Il hésitait depuis trois mois, étonné positivement par la désignation de Valérie Pécresse au congrès LR pour représenter la droite modérée à l’élection présidentielle. Pour lui comme pour beaucoup de modérés, cela replaçait de l’incertitude dans une campagne assez monotone : la possibilité d’un second tour Macron vs Pécresse pouvait remettre toutes les pendules à l’heure. Mais la question de Jean-Pierre Raffarin reste avant tout de savoir quel est l’intérêt du pays.
Sur le plan personnel, Jean-Pierre Raffarin apprécie beaucoup Valérie Pécresse pour qui il a « considération et affection ». Ils ont en commun d’avoir présidé une région et d’avoir les mêmes options politiques dans un parti de plus en plus divisé sur l’essentiel (en particulier sur la souveraineté européenne). Tout au long de ces derniers mois, il rendait même hommage à la présidente du conseil régional d’Île-de-France : elle a « une solidité, une ténacité, du caractère » le 27 janvier 2022, du « talent pour les responsabilités » le 3 novembre 2021. Déjà le 13 octobre 2016, il voyait en elle de la graine de Premier Ministre, qu’elle pourrait être nommée à Matignon après l’élection présidentielle de 2017 (qu’il imaginait alors gagnée par le candidat LR qu’il soutenait, à savoir Alain Juppé)… Mais malgré ce tempérament réel, cette envergure politique nourrie à l’école Chirac, Jean-Pierre Raffarin regrettait encore le 15 février 2022 « la pression de la droite la plus dure » sur la candidate LR.
Invité d’Élizabeth Martichoux dans la matinale de LCI ce mercredi 2 mars 2022, l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin a finalement annoncé son soutien au Président Emmanuel Macron en raison de la guerre en Ukraine et de la grave crise géopolitique qui remet tout en cause : « Le Président a été à la hauteur de la fonction. Je souhaite sa candidature et je le soutiendrai. ».
Cela fait cinq ans qu’il est bluffé par l’ancien Ministre de l’Économie et des Finances de François Hollande bombardé à 39 ans à la magistrature suprême dans des circonstances exceptionnelles que seule l’Histoire, avec un grand H, peut imaginer. Volontariste, dynamique, pas englué dans une idéologie, pro-entreprises, pro-européen, souverainiste, car Emmanuel Macron s’attache à toujours préserver la souveraineté de la France et de l’Europe, leur indépendance dans ses décisions, et enfin, ce qu’il a dû faire pendant les quatre cinquièmes de son mandat, gestionnaire spécial des crises extrêmes. Alors, c’est vrai, avoir hors de son parti celui qui représente le mieux ses valeurs, c’est gênant politiquement, dans le sens très politicien du terme, mais c’est aussi une chance, les valeurs n’auront peut-être pas meilleur serviteur dans l’avenir.
C’est aussi parce qu’il est en retrait de la vie politique qu’il peut se permettre son autonomie de positionnement. Après la victoire du macronisme, Jean-Pierre Raffarin a annoncé qu’il quittait la vie politique active le 27 juin 2017. Très influent sénateur, président de la prestigieuse commission des affaires étrangères du Sénat, il a quitté la présidence de la commission le 11 juillet 2017 et son mandat de sénateur le 4 octobre 2017 (il lui restait encore trois ans à exercer) pour se consacrer à d’autres activités moins publiques.
C’est donc bien un retraité de la vie politique, avec une longue expérience politique qui a amené cet ancien jeune giscardien à Matignon sous la Présidence de Jacques Chirac, avec une connaissance de la géopolitique très étendue, fasciné par la Chine qu’il a visitée dès 1976 (il a noué de nombreuses relations entre la Chine et la France qui sont aujourd’hui fort utiles dans un contexte de crise internationale majeure).
Aujourd’hui, il a affiché clairement son soutien au Président de la République : « La situation internationale est particulièrement menaçante mais Emmanuel Macron est à la fois le candidat le plus jeune et le plus expérimenté. C’est rare ! C’est très important pour réussir un second mandat d’avoir la leçon des succès et des échecs des mandats précédents. Aujourd’hui, pour réussi son second mandat, il a tout en main. (…) J’ai beaucoup réfléchi sur ce sujet parce que j’ai pour Valérie Pécresse considération et affection. Mais la dangerosité de la situation internationale aujourd’hui lève toute hésitation. ».
Il est vrai que l’histoire est tragique, et quand le dirigeant de la plus grande puissance nucléaire commence à montrer ses ogives, on a intérêt à ne pas être un débutant dans cette cour terrible de la guerre et de la mort. Le moment où il faudra peut-être que le Président de la République française décide de l’utilisation de sa force de dissuasion nucléaire aura peut-être lieu dans le prochain quinquennat, et il faut rappeler que la personnalité du dirigeant, son expérience, son opérationnalité, son réseau d’influence diplomatique, son sang-froid, son esprit d’analyse, son discernement, sa lucidité et aussi sa compassion, son humanisme sont des éléments clefs à prendre en compte. Aucun Président de la République n’avait eu à faire ce choix jusqu’à maintenant, pas même De Gaulle qui n’a jamais évoqué la question publiquement même si la précédente crise, celle de Cuba en 1962, est passée très près de la catastrophe (je rechercherai s’il a pu confier quelques réflexions privées sur ce sujet).
Du reste, le cheminement de Jean-Pierre Raffarin n’est pas le seul et toute une partie de LR est particulièrement écœurée par la pression de l’extrême droite dans la campagne de Valérie Pécresse, qui est absolument inexplicable, injustifiable et inquiétant sur la capacité de la candidate LR à résister aux fortes pressions internationales que le prochain Président de la République subira inévitablement. Renaud Muselier le 27 février 2022, avant lui, Éric Woerth le 9 février 2022, et bien d’autres leaders LR ont déjà apporté leur soutien formel à Emmanuel Macron, considérant que LR n’avait pas assez travaillé depuis 2017 pour proposer aux électeurs une alternance suffisamment construite, sérieuse et responsable.
En outre, on ne peut pas dire que l’ancien Premier Ministre voudrait aller "à la soupe". À près de 74 ans dans quelques mois, Jean-Pierre Raffarin n’attend plus rien de la vie politique, sa carrière est derrière lui. Il a eu Matignon, le rêve de bien des responsables politiques et le sien, de rêve, aurait été en 2008 d’être élu Président du Sénat ; il a échoué face à Gérard Larcher et il a tourné la page. On peut toujours dire qu’il convoiterait le Quai d’Orsay, selon une récente tradition d’y placer de "vieux" anciens Premiers Ministres (Alain Juppé, Laurent Fabius, Jean-Marc Ayrault, mais il y a eu aussi Michel Debré en 1968), mais on voit bien qu’il faudra au quinquennat à venir un Ministre des Affaires étrangères jeune, dynamique, alerte, qui puisse avoir une activité diplomatique intense, efficace et engagée, pour laisser au Président de la République le temps de s’occuper aussi des affaires purement intérieures françaises.
On voit bien d’ailleurs que la candidature de Valérie Pécresse est en train de décrocher au fur et à mesure que la guerre en Ukraine fait rage, car cette agression russe impose tragiquement de regarder les candidats, pas comme des concurrents dans une course de petits chevaux, mais comme des hommes ou des femmes d’État seuls face à leurs responsabilités nationales, en particulier celle de la dissuasion nucléaire. Dans le rolling de l’IFOP, par exemple, elle s’écroule à 13% d’intentions de vote au premier tour, mais plus encore est cruel son score au second tour, seulement 39,5% d’intentions de vote face à Emmanuel Macron 60,5%, qui, lui, monte à 28%.
Valérie Pécresse paie d’une part, sa campagne ultradroitière qui a repoussé tout l’électorat modéré vers Emmanuel Macron, et d’autre part, sa crédibilité de présidentiable face à un Vladimir Poutine (mêmes initiales) qui ne fera aucun cadeau. Dans ce cas de crise majeure, le réflexe légitimiste paraît prévisible et souhaitable, tel qu’énoncé par Jean-Pierre Raffarin : « Le temps est à l’unité nationale. Il faut se rassembler derrière le chef de notre exécutif. ». Restons donc unis comme nous l’avons toujours su le faire dans des époques troublées.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 mars 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean-Pierre Raffarin.
La retraite de monsieur Raffarin.
Élysée 2022 (30) : la Nouvelle Valérie Pécresse ?
Discours de Valérie Pécresse au meeting du 13 février 2022 au Zénith de Paris.
Programme 2022 de la candidate Valérie Pécresse.
Situation des parrainages pour les candidats de la présidentielle de 2022 (mise à jour régulièrement).
Éric Woerth.
Élysée 2022 (29) : Emmanuel Macron sera-t-il candidat un jour ?
Élysée 2022 (24) : Valérie Pécresse, entre savoir-faire et savoir-plaire.
Élysée 2022 (19) : l’effet Valérie Pécresse.
Élysée 2022 (18) : Valérie Pécresse, naissance d’une leader.
Second tour du congrès du parti Les Républicains le 4 décembre 2021.
Élysée 2022 (16) : ce sera le duel Ciotti-Pécresse.
Élysée 2022 (15) : le quatrième et ultime débat des candidats LR.
Élysée 2022 (14) : L’envol d’Éric Ciotti ?
Renaud Muselier.
Philippe Juvin.
Élysée 2022 (13) : troisième débat LR, bis repetita.
Élysée 2022 (12) : Surenchères désolantes pendant le deuxième débat LR.
Élysée 2022 (11) : Michel Barnier succédera-t-il à Emmanuel Macron ?
Élysée 2022 (10) : Éric Ciotti, gagnant inattendu du premier débat LR.
Élysée 2022 (7) : l’impossible candidature LR.
Les Républicains et la tentation populiste.
Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220302-raffarin.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-pierre-raffarin-apporte-son-239810
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/03/02/39367921.html
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