« Nous constatons actuellement un rebond, en France, dans les pays qui nous entourent, c’est-à-dire que le covid ne baisse plus, il augmente même. Au vu des derniers chiffres d’hier, c’est 20% d’augmentation. En revanche, la charge hospitalière continue de baisser, mais le rythme de cette diminution a commencé à se ralentir, donc nous sommes extrêmement vigilants. » (Olivier Véran, le 11 mars 2022 à Meylan).
Quand on est responsable de la santé publique, il y a deux manières d’appréhender la pandémie de covid-19 après plus de deux ans de prégnance : ou on surveille la situation épidémique comme le lait sur le feu et au moindre rebond épidémique, on sait ce que cela signifie, on agit ; ou encore on se dit volontariste, on vérifie les données sanitaires de base (nombre d’hospitalisations conventionnelles, nombre de places en réanimation) et on se rassure comme on peut en espérant gagner du temps.
Hélas, on ne gagne plus du temps, on en perd. Pour la première fois depuis la fin de janvier 2022, le vendredi 11 mars 2022, il y a eu en France plus de nouvelles personnes contaminées que de personnes guéries. En d’autres termes, alors que le nombre de personnes encore atteintes du SARS-CoV-2 était en baisse depuis la fin de janvier 2022 jusqu’à environ 1,2 million de personnes, il commence à progresser à nouveau depuis deux jours.
On voudrait ne plus parler de covid-19 pour plein de raisons, parce que les malheurs se suffisent à eux-mêmes, parce que la guerre en Ukraine est suffisamment terrible pour ne pas vouloir en rajouter, enfin, parce que nous sommes à quelques semaines de l’élection présidentielle et qu’on espère, le "on" à préciser, que le covid-19 ne viendra pas bousculer la campagne et les opérations de vote.
Si l’on prend juste les conséquences du virus, tout est encore au vert : le nombre de places en réanimation a baissé fortement au point d’être passé en dessous des 40% (1 855 patients en réanimation), le nombre d’hospitalisations aussi a baissé à 20 917 mais le nombre des entrées à l’hôpital commence déjà à remonter. Enfin, c’est le plus heureux, le nombre de décès a aussi fortement baissé à une moyenne de 114 décès par jour sur les sept derniers jours, avec une diminution récente encore forte, -25,3% en une semaine (quand même, 140 109 décès au total, le seuil des 140 000 a été franchi le 11 mars 2022, celui de 130 000 le 27 janvier 2022 ; 10 000 décès en six semaines, soit en moyenne 240 décès par jour).
Mais le nombre le plus important, c’est le nombre de nouveaux cas détectés. C’est lui qui va faire la tendance à l’hôpital. Or, depuis deux semaines, ce nombre remonte. Mécaniquement, les paramètres sanitaires cités plus haut vont donc remonter avec un retard de quelques semaines.
A priori, en période normale, il n’y aurait pas matière à s’affoler en ce sens que la population est fortement vaccinée (à plus de 94% chez les 12 ans et plus) et que le risque majeur concerne essentiellement des personnes fragiles (qui peuvent désormais, pour les plus de 80 ans, renforcer leur défense immunitaire avec une quatrième dose de vaccin). Aujourd’hui, 10% des sorties d’hôpital correspondent à des décès (en moyenne quotidienne, il y a eu 1 141 sortes de l’hôpital, dont 114 décès).
Il n’est pas nécessaire d’être une voyante pour connaître la suite à brève échéance : les hospitalisations vont remonter, les réanimations aussi, et hélas, les décès également. Ce mouvement n’est d’ailleurs pas français, toute l’Europe subit ce rebond : la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Autriche, la Suisse, et l’Allemagne, qui, contrairement à la France, était au sommet de sa précédente vague, subit aussi ce rebond dans la pire situation.
Il est impossible en revanche de savoir combien de temps ce rebond durera et jusqu’à quel niveau (aujourd’hui, on en est à plus de 60 000 nouveaux cas par jour en moyenne, pour des tests prélevés du 4 au 10 mars 2022). On est sur une pente dangereusement raide, autour de +20% en une semaine. Dans le pire des cas, on peut raisonnablement penser que cela n’irait pas au-delà de mai 2022, mais cela fait encore un mois et demi à deux mois à tenir.
La question reste la suivante : est-il pertinent de ne plus rendre obligatoire le port du masque dans les lieux publics fermés (hors transports en commun) à partir de ce lundi 14 mars 2022 ? La réponse est un peu dans le fait de poser la question. Lorsque le Premier Ministre Jean Castex a annoncé, le 3 mars 2022 dans le journal de 13 heures sur TF1, cette mesure ainsi que la suspension du passe vaccinal pour le 14 mars 2022, le gouvernement tablait sur un nombre de places en réanimation inférieur à 1 500. Mais il devait savoir que la situation se dégradait depuis presque une semaine sur le front de la circulation du virus.
L’abandon du masque dans les espaces de travail, dans les écoles, dans quasiment tous les lieux publics risque d’être catastrophique car il renforcera la remontée de l’épidémie… à moins que (car on peut aussi penser par le haut) que les "gens", la population, nous fassions preuve d’une certaine sagesse et continuions à porter le masque, même s’il n’est pas obligatoire, dans les situations où manifestement, il y aurait un risque de contamination. Ne pas obliger ne veut pas dire interdire, et il est permis de penser que l’absence de contrainte ne signifie pas l’absence de bon sens. Du reste, le samedi 12 mars 2022 dans une interview au journal "Le Parisien", Jean Castex a recommandé « fortement aux personnes fragiles du fait de leur âge ou de leurs pathologies de maintenir le port du masque dans les lieux clos et dans les grands rassemblements ».
Je suppose d’ailleurs qu’il y a un réel clivage au sein du gouvernement. L’abandon du masque obligatoire est une mesure bien sûr très politique, d’autant plus politique que nous sommes en pleine campagne présidentielle et que cela compte. L’avoir annoncé et devoir reculer car la situation n’est pas celle qu’on aurait pu espérer pourrait faire des dégâts politiques. Il est question aussi du courage politique : on ne maîtrise pas l’épidémie, on doit juste trouver le juste milieu pour qu’il y ait le moins de casse possible, d’une part, du côté des patients (le moins d’hospitalisés, le moins de décédés), d’autre part, du côté de la population dans son ensemble, de ce sentiment de pouvoir revivre.
Sur France Inter, Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Bichat à Paris, a déclaré : « Il y a une immunité qui s’est installée, et cette immunité probablement nous protège, en tout cas, des hospitalisations (…). Les dernières modélisations de l’Institut Pasteur montrent que même s’il y a une reprise, elle ne sera pas comme celle du mois de janvier ou de décembre. ».
Djillali Annane, chef du service de réanimation de l’hôpital Raymond-Poincaré dans les Hauts-de-Seine, a de son côté affirmé sur RTL le 13 mars 2022 : « D’un point de vue médical, il aurait été davantage prudent d’attendre. ». Il a regretté que le gouvernement ne communique pas assez pour rappeler l’importance des gestes barrières. Quant à la situation britannique, sensiblement la même que celle de France, dans le "Financial Times" du 11 mars 2022, l’universitaire londonienne Christina Pagel n’imaginait pas « une nouvelle vague massive », toutefois, elle évoquait une autre possibilité : « Je ne serais pas surprise si nous finissons par rester bloqués sur un plateau élevé pendant des mois et des mois. ».
Je n’ai pas la clef, je n’ai pas la réponse. Les paramètres sont compliqués et peut-être que le rebond sera assez faible, de courte durée. Il faut néanmoins être conscient qu’il s’agit toujours de vies humaines. L’enjeu reste essentiel pour qui considère que l’État doit protéger.
C’est peut-être le premier test grandeur nature d’une vie "normale" en présence du virus. Peut-être de la transformation de l’épidémie en phénomène endémique. Après tout, on avait toujours accepté, jusqu’à cette crise sanitaire, la dizaine de milliers de décès par la grippe chaque année. Considère-t-on qu’il y aurait un seuil du nombre de décès "acceptable" et un seuil "inacceptable" ? Et lequel ? Qui oserait mettre un chiffre ?
Alors, oui, il faut espérer, croire au bon sens de mes contemporains que j’invite à continuer à surveiller comme le lait sur le feu les données de cette épidémie et à ne pas hésiter à protéger nos proches et nous-mêmes en continuant à porter le masque dans les lieux où le bon sens le recommanderait même s’il n’est plus obligatoire. C’est parce que la campagne de vaccination a été globalement une très grande réussite que la France peut aussi se permettre de lever toutes les contraintes sanitaires. Mais cela n’empêche pas de rester prudent et attentif. Rien n’est jamais acquis.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 mars 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Covid : fin des restrictions sanitaires et extrême vigilance.
Inquiétudes covidiennes : la pandémie est-elle vraiment terminée ?
Luc Montagnier.
La Science, la Recherche et le Doute.
Omicron tue encore !
Faut-il faire payer les soins covid aux personnes non-vaccinées ?
Martin Hirsch.
Passe vaccinal (3) : validé par le Conseil Constitutionnel, il entre en vigueur le 24 janvier 2022.
Où en est la pandémie de covid-19 ce 18 janvier 2022 en France ?
Novak Djokovic.
Novax Djocovid.
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Discours de Claude Malhuret le 11 janvier 2022 au Sénat (texte intégral et vidéo).
Les Français en ont marre des antivax !
Passe vaccinal (1) : quel député a voté quoi ?
Claude Malhuret le 4 mai 2020.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220313-covid-fn.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/covid-fin-des-restrictions-240147
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/03/13/39387015.html