« Une entreprise pilote exemplaire, je voudrais qu’elle le soit sur le plan humain et social. (…) Essayons de donner une âme à (…) Radio France, en faisant une information (…) complète, quotidienne, et en même temps, en établissant le dialogue. Cette maison, je la connais bien (…). Je sais qu’il y a peu d’entreprises dans notre pays et peut-être dans le monde où il y a tant d’hommes et de femmes qui aiment leur métier avec la passion qu’ils manifestent. » (Jacqueline Baudrier, le 6 janvier 1975).
Ce mercredi 16 mars 2022 est le centenaire de la naissance de la journaliste Jacqueline Baudrier. J’avais regretté la discrétion des grands médias lors du départ sur la pointe des pieds, le 2 avril 2009, après plusieurs années douloureuses qui l’ont éloignée du monde, de cette grande dame de l’information et de l’audiovisuel public. Son centenaire me donne l’occasion de revenir sur sa trajectoire.
À 28 ans, après ses études de lettres à la Sorbonne, Jacqueline Baudrier a été chargée d’une chronique politique à la RTF (ancêtre de l’ORTF), ce qui était très novateur pour une femme qui a connu ainsi une grande notoriété. À la fois journaliste à la radio (présentatrice des journaux à Paris Inter puis France Inter) et à la télévision (directrice de l’information de la deuxième chaîne de télévision puis de la régie de la première chaîne), elle a passé les années 1960 avec sa très belle voix marquée pour l’histoire. Elle a fait partie des éditorialistes qui sont devenus managers de l’audiovisuel, qui sont deux fonctions très distinctes.
Bien que gaulliste, elle fut choisie par Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand pour animer le premier débat télévisé d’un second tour de l’élection présidentielle, celui de 1974, aux côtés du chroniqueur Alain Duhamel.
Après la victoire de VGE, ce dernier a voulu réformer rapidement l’audiovisuel public en le libéralisant, en faisant éclater l’ORTF en plusieurs entités, séparant télévision (trois chaînes) et les radios publiques, devenant Radio France, une société qui regroupent France Inter mais aussi France Culture, France Musique et quelques autres radios (dont certaines créées bien plus tard comme France Info et Le Mouv). À l’époque, RFI faisait partie aussi de Radio France, jusqu’à ce qu’on la plaçât sous la responsabilité du Ministère des Affaires étrangères.
Pour réussir son entreprise de libéralisation, Valéry Giscard d’Estaing avait besoin d’une personnalité compétente, incontestable et efficace. Son choix s’est tourné le 1er janvier 1975 vers Jacqueline Baudrier qui est devenue la première présidente de Radio France (deux de ses successeurs ont été aussi des femmes, dont l’actuelle présidente de Radio France, Sibyle Veil).
Le 6 janvier 1975, elle a assisté au lancement de Radio France et l’a commenté en direct.
Fort de ses nombreuses stations et de deux orchestres symphoniques dont la réputation est mondiale, Radio France s’est développée aussi en province, avant, on aurait dit "en régions" mais maintenant, on dirait plutôt "dans les territoires". Ce maillage territorial était l’ultime réforme de Jacqueline Baudrier en 1981.
Ultime, car la vie politique s’en est mêlé. L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand a conduit le gouvernement socialo-communiste à la virer, malgré la volonté affichée de ne plus régenter l’audiovisuel public (mais il y a un fossé entre affichage et réalité concrète souvent faite d’hypocrisie).
Jacqueline Baudrier a laissé en juillet 1981 la présidence de Radio France à une autre femme journaliste également de belle réputation, Michèle Cotta, évoquée comme proche de la gauche, tandis qu’on lui a trouvé, le 5 août 1981, un "lot de consolation", ambassadrice de France à l’Unesco. Il faut se rappeler que bien plus tard, Rama Yade a été nommée aussi à ce poste que Jacqueline Baudrier a quitté le 13 avril 1985 pour le céder à Gisèle Halimi qui avait démissionné de son mandat de députée en Isère qu’elle avait gagnée en 1981 après parachutage et une courte campagne (le poste à l’Unesco a été souvent très politisé, on y retrouve aussi Marie-Claude Cabana, Françoise de Panafieu, Catherine Colonna, etc.).
La grande dame de l’information a retrouvé ses compétences d’origine lors du retour de la droite au gouvernement. En effet, de 1986 à 1989, Jacqueline Baudrier fut nommée par le gouvernement de Jacques Chirac membre de la Commission nationale de la communication et les libertés (CNCL), qui faisait suite à la Haute Autorité de l’audiovisuel (dont Michèle Cotta fut l’unique présidente) et qui se transforma après la réélection de François Mitterrand en Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Dans le cadre de cette fonction, Jacqueline Baudrier avait été chargée en 1987 d’une mission de la CNCL pour donner un avis éclairé et éventuellement une éventuelle réglementation sur les publicités politiques à la télévision. Elle était très réticente à cette idée (qui n’a toujours pas été autorisée) au nom de l’égalité entre les candidats à une élection. Elle prônait au moins d’interdire la publicité politique négative (contre un candidat ou un parti) ainsi que la publicité politique comparative.
Je recommande ainsi de regarder un reportage du journal d’Antenne 2 de 13 heures du 6 juin 1987, animé par Noël Mamère avec pour invités Jacqueline Baudrier et les conseillers en communication politique Thierry Saussez (qui a à peine vieilli en trente-cinq ans !) et Claude Marti (ancien conseiller de Michel Rocard).
Le malheur professionnel de Jacqueline Baudrier, c’était de ne plus avoir renoué avec son métier de journaliste après 1981. Invité de Jacques Chancel dans l’émission "Radioscopie" diffusée le 6 janvier 1976 sur France Inter, Jacqueline Baudrier a confié : « Je me suis toujours senti bien, dans ce métier. C’est un métier à découvrir, l’audiovisuel. C’était quand même une technique relativement neuve qui apporte beaucoup à ceux qui la pratiquent et, j’espère, à ceux à qui elle est destinée. ».
Jacqueline Baudrier restera comme l’une des grandes voix de l’information à la française à la télévision et à la radio. Elle a été une pionnière de l’audiovisuel public moderne, et ce qu’elle a initié est encore en cours aujourd’hui, au point même que France Inter, la station phare de Radio France, est devenue la première radio de France depuis quelques années, détrônant sa rivale pourtant populaire RTL. Pas étonnant que dans le programme politique de plusieurs candidats à l’élection présidentielle, on souhaite casser cette belle mécanique qui, malgré la suspicion légitime, a réussi à gagner son indépendance éditoriale.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 mars 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jacqueline Baudrier dans "Radioscopie", émission de Jacques Chancel diffusée le 6 janvier 1976 sur France Inter.
Jacqueline Baudrier.
La déplorable attention du journalisme à sa grande dame.
Aider les chrétiens d’Orient.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220316-jacqueline-baudrier.html
https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/jacqueline-baudrier-et-la-240182
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/03/14/39388472.html