« J’ai voté pour lui en 2017 en espérant qu’il soit un bon Président, je vote pour lui en 2022 en sachant qu’il sera un bon Président. » (Bertrand Delanoë parlant d’Emmanuel Macron, le 20 mars 2022 dans le "Journal du dimanche").
C’était un secret de polichinelle : dans sa retraite tunisienne (à Bizerte, sa terre d’enfance), Bertrand Delanoë, ancien éléphant du parti socialiste et ancien maire de Paris, a annoncé ce dimanche 20 mars 2022 dans le "Journal du dimanche" qu’il soutiendrait la candidature du Président sortant Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle.
Il n’y a rien qui puisse surprendre puisque Bertrand Delanoë avait déjà soutenu Emmanuel Macron en 2017, dès le premier tour également, afin de combattre le plus efficacement possible la montrée de l’extrême droite, tout en considérant dangereux le programme du candidat socialiste de l’époque Benoît Hamon.
Il faut dire que Bertrand Delanoë, adhérent du PS depuis 1973, vieux jospiniste du 18e arrondissement de Paris, conseiller de Paris de 1977 à 2014, député de Paris de 1981 à 1986, sénateur de Paris de 1995 à 2001 et maire de Paris de 2001 à 2014, avait eu le vent en poupe lors de sa réélection de mars 2008. Très populaire, les socialistes blessés par l’échec de la sémillante Ségolène Royal en 2007, Bertrand Delanoë se proposait d’aller à l’assaut de la direction du PS lors du congrès de Reims en novembre 2008 sous la bannière du social-libéralisme, avec le soutien plus ou moins voyant de François Hollande (premier secrétaire sortant). L’homme politique n’a pas été exclusivement politique, il est aussi passé par des traversées du désert qui étaient des traversées dans des entreprises privées, et connaît donc un peu l’économie de marché, au contraire de beaucoup de ses camarades fonctionnaires du parti socialiste.
Hélas, arrivée troisième dans un congrès qui a vu le PS se déchirer entre deux égéries pour quelques voix d’écart, Ségolène Royal et Martine Aubry, Bertrand Delanoë jeta l’éponge et renonça à toute ambition nationale et il se désintéressa même de la vie municipale de Paris, ne renouvelant pas une seconde fois son mandat de maire (il est opposé à plus de deux mandats successifs).
Ce qui étonne dans ce cursus suffisamment prestigieux pour avoir été pendant quelques mois imaginé comme un candidat sérieux du PS à l’élection présidentielle de 2012, c’est qu’il n’a jamais été ministre. Pourtant, il aurait pu s’imposer, peut-être pas à l’époque de François Mitterrand mais au moins à l’époque de Lionel Jospin son mentor.
Et pour le coup, nouvellement élu à l’Élysée, François Hollande lui aurait proposé de devenir ministre en 2012 (je penserais à la Justice ?), chose qu’il refusa au grand dam de sa première adjointe Anne Hidalgo qui comptait lui succéder avant d’aborder les élections municipales de mars 2014. Dans un article du quotidien "Le Parisien" du 11 décembre 2017, la journaliste Nathalie Schuck évoquait : « Déjà, durant le quinquennat de François Hollande, des soutiens de l’ancien maire de Paris avaient fait pression pour qu’il obtienne Matignon, le Quai d’Orsay ou la Défense. Sans suite. ».
Ah… nous y voilà ! Anne Hidalgo. Ce qui a étonné dans ce soutien à Emmanuel Macron en 2022, c’est que sa "pouline" est aussi candidate à l’élection présidentielle, et même la candidate en titre du PS et qu’elle s’attendait au moins à avoir un signe positif de sa part. Un peu comme Valérie Pécresse attendant un signe de Nicolas Sarkozy !
C’est sûr que dans le combat présidentiel actuel, voter pour Anne Hidalgo relève d’une foi socialiste d’une force particulièrement exceptionnelle, alors que les sondages sont comme un électroencéphalogramme plat, oscillant entre 1% et 3%, équivalents à ceux de Jean Lassalle (je prends d’ailleurs les paris que ce dernier dépassera la maire de Paris !). Pour que sa voix compte, il vaut mieux choisir parmi les "grands candidats", ceux dont l’ordre d’arrivée a un sens et même un enjeu, un enjeu pour le second tour, et un enjeu pour le paysage politique d’après-2022.
Il faut lire l’excellent article de Marie-Anne Gairaud et Christine Henry publié dans "Le Parisien" du 5 juillet 2018 sur les relations tumultueuses entre Betrand Delanoë et Anne Hidalgo ("Une histoire pas si rose que ça"). Certes, et c’est probablement le plus grand reproche qu’on peut faire à Bertrand Delanoë pour les habitants de Paris et même, pour les Franciliens dont la vie est plus pénible depuis son accession à la tête de la municipalité, Bertrand Delanoë a soutenu sa première adjointe pour lui succéder à Paris. Une faute politique terrible, que les Parisiens payeront encore longtemps vu l’endettement et la mauvaise gestion provoqués par Anne Hidalgo.
Mais il faut se rappeler les origines politique d’Anne Hidalgo : Bertrand Delanoë a été élu maire de Paris un peu par hasard le 25 mars 2001, grâce à la division de la droite (Jean Tiberi contre Philippe Séguin), et il a compris tout de suite, pour éviter de futures divisions dans sa majorité municipale, qu’il ne fallait pas nommer un premier adjoint poids lourd de la politique parisienne, pour ne pas lui faire de l’ombre. Il a donc choisi Anne Hidalgo, inconnue et sans expérience politique, et lui a donné une attribution bidon ("le bureau des temps" !). Elle n’a donc eu aucune responsabilité vraiment importante durant le premier mandat. Bertrand Delanoë lui a barré toutes les routes de l’émancipation politique : pas question qu’elle fût nommée porte-parole du PS, pas question qu’elle se présentât à Toulouse, pas question qu’elle présidât le comité de défense de la candidature de Paris aux JO de 2012…
Pour son second mandat, Bertrand Delanoë a confié à Anne Hidalgo l’urbanisme, qui est une prérogative cruciale à Paris. Cadeau empoisonné car elle a dû gérer la grogne des habitants et les polémiques sur des projets controversés : le chantier des Halles, la tour Triangle, etc.
Une fois élue maire de Paris le 5 avril 2014 grâce à Bertrand Delanoë, Anne Hidalgo a été particulièrement ingrate. Elle a tout de suite voulu prendre ses marques en se démarquant de son prédécesseur. Les proches de l’ancien maire ont été malmenés (Daniel Vaillant, Myriam El Khomri, etc.) ainsi que ses projets (l’article du "Parisien" cite l’Institut des Cultures d’Islam qui devait voir le jour dans le 18e arrondissement).
Quand Bertrand Delanoë a annoncé son soutien à Emmanuel Macron, le 8 mars 2017, Anne Hidalgo s’est sentie trahie, alors que certains de ses adjoints socialistes avaient annoncé le même genre de soutien (Jean-Louis Missika, adjoint à l’urbanisme, Julien Bargeton, adjoint aux finances, Mao Peninou, adjoint à la propreté). Celle qui se fait régulièrement appeler "Tatie Danielle" ou "Cruella" n’a pas compris que François Hollande avait déjà flingué le parti socialiste. D’ailleurs, Bertrand Delanoë ne lui a apporté aucun soutien pour sa réélection en 2020.
Dans un entretien (très rare) à l’hebdomadaire "Le Point" du 14 octobre 2020, répondant aux questions de Marie-Laure Delorme, Bertrand Delanoë a confirmé la justesse de son choix de 2017 en faveur d’Emmanuel Macron : « À la fin de son quinquennat, aura-t-il fait moins que la gauche dans les cinq années précédentes ? ». Et de chanter ses louanges : « Je confirme mes appréciations sur l’homme (…). Il a une envergure politique et intellectuelle. Il connaît et aime l’Histoire. Il est énergique et courageux. Il n’a pas peur de l’adversité. (…) [J’]approuve son engagement européen en convergence avec les convictions des sociaux-démocrates européens. ». L’ancien maire, qui voudrait légiférer sur l’euthanasie (ce serait une grave erreur à mon sens), était d’ailleurs très cruel sur son ancien parti : « Je suis triste de ne pas être au parti socialiste aujourd’hui. Je m’y suis engagé à 22 ans. Quand j’ai pris acte qu’il n‘avait plus cette exigence de vérité au service des citoyens, j’ai décidé de partir car cela me posait un problème intellectuel et moral. ». Désormais porte-drapeau du PS, Anne Hidalgo a dû apprécier !
Étrangement, Bertrand Delanoë est l’anti-ambitieux. Quand il a quitté la mairie de Paris en 2014, François Hollande lui a proposé de devenir le Défenseur des droits après le décès de Dominique Baudis, ce qu’il a refusé, trop jaloux de la liberté retrouvée. En 2017, Emmanuel Macron lui a proposé le grand Ministère des Affaires étrangères, qu’il a refusé car il ne se voyait pas être dirigé par un Premier Ministre "de droite", Édouard Philippe. Pendant tout ce (premier) quinquennat, l’entourage présidentiel a cherché sans trouver quelles missions Bertrand Delanoë pourrait remplir pour la France. À presque 72 ans, l’ancien maire de la capitale pourrait n’aspirer qu’à la retraite et au plaisir de vivre. À moins que…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 mars 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bertrand Delanoë, le mentor d’Anne Hidalgo, soutient Emmanuel Macron.
Programme 2022 de la candidate Anne Hidalgo.
Élysée 2022 (20) : Anne Hidalgo rime avec fiasco …et rigolo !
Élysée 2022 (36) : pour qui votera Nicolas Sarkozy au premier tour ?
Projet du candidat Emmanuel Macron pour 2022 (à télécharger).
Programme 2022 de la candidate Valérie Pécresse.
Élysée 2022 (35) : le projet présidentiel du candidat Emmanuel Macron.
Élysée 2022 (34) : la liste officielle des 12 candidats.
Élysée 2022 (33) : Emmanuel Macron à 30% ?
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220320-bertrand-delanoe.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bertrand-delanoe-le-mentor-d-anne-240294
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/03/21/39397961.html
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