« Malheureusement, malheureusement, l’antisémitisme est loin de disparaître, se diffuse aujourd’hui sournoisement ou ouvertement par des préjugés ou par des idéologies. Il se diffuse sur les réseaux sociaux, ou encore, récemment, à travers cette fresque scandaleuse sur les murs d’Avignon. » (Éric de Rothschild, le 17 juillet 2022 à Pithiviers).
Où l’on a reparlé de cette fresque peinte à Avignon représentant Jacques Attali manipulant Emmanuel Macron. C’était à Pithiviers au cours d’une cérémonie très émouvante le dimanche 17 juillet 2022. À l’occasion du 80e anniversaire de la rafle du Vel d’hiv, la République a souhaité faire de la gare de Pithiviers, seul lieu restant, un lieu de mémoire de ces milliers d’assassinats, principalement de femmes et d’enfants juifs (les rumeurs de rafles avaient couru quelques jours auparavant et les hommes s’étaient cachés, on n’imaginait pas un instant que la police française irait arrêter aussi les femmes et les enfants). J’y reviendrai.
Avant de laisser la parole au Président de la République Emmanuel Macron, Éric de Rothschild a prononcé un petit discours introductif. Chef d’entreprise et issu d’une famille très nombreuse (et connue), Éric de Rothschild était en quelque sorte l’hôte du Président, en tant que président du Mémorial de la Shoah, depuis son ouverture en 2005, qui supervise plusieurs lieux de mémoires à Paris et aussi à Drancy depuis le 21 septembre 2012 et enfin, à Pithiviers depuis ce dimanche.
Dans son laïus, Éric de Rothschild a cité la fresque d’Avignon comme le dernier avatar de l’antisémitisme sournois ou assumé en France : « Derrière le caractère presque anodin et banal de ces murs, derrière l’apaisement que l’on sent en regardant notre belle campagne française, se cache bien plus, quelque chose qui nous ramène à l’essence même de ce que fut la collaboration, l’internement, la déportation, la Shoah. C’est le massacre d’une population porteuse d‘une culture et d’une éthique universelle. Cette gare nous parle du passé, d’un passé encore une fois enfoui et indiciblement douloureux, d’un passé que certains tentent de nier ou de falsifier. Mais cette inauguration historique se situe dans le présent d’aujourd’hui, dans la nécessité d’une histoire à perpétuer, de rappel des valeurs de la République, avant bafouées et aujourd’hui retrouvées. Malheureusement, malheureusement, l’antisémitisme est loin de disparaître, se diffuse aujourd’hui sournoisement ou ouvertement par des préjugés ou par des idéologies. Il se diffuse sur les réseaux sociaux, ou encore, récemment, à travers cette fresque scandaleuse sur les murs d’Avignon. Il se diffuse verbalement, il se diffuse physiquement. Cet antisémitisme mortifère alimente et justifie aux yeux des terroristes islamiques les morts qu’ils commettent. Nous ne pouvons pas ne pas rappeler l’assassinat de Mireille Knoll, de Sarah Halimi, des enfants de l’école Ozar Hatorah ou de l’assassinat barbare d’Ilan Halimi, victime d’un préjugé qui n’a jamais cessé de servir. Ils sont tous victimes de la haine et de l’intolérance élevées au rang d’un credo. ».
On comprend bien que des faits antisémites et des assassinats, s’ils ne sont pas du même ordre, sont de la même idéologie et ces faits alimentent les motivations des assassinats. C’est pour cela, il faut le répéter, que l’antisémitisme n’est pas une opinion mais un délit. On ne peut pas prôner la liberté d’expression pour une idéologie de haine qui a tant massacré il y a quelques décennies.
Et donc, est venu il y a quelques semaines cette polémique de la fresque à Avignon. La mairie (socialiste) d’Avignon avait refusé, dans un premier temps, d’effacer cette fresque sous prétexte de liberté d’expression et de création artistique, et si elle a été recouverte d’une peinture blanche (après quelques dégradations volontairement commises auparavant), c’est parce que le préfet du Vaucluse lui-même a fait pression sur la maire.
Cette fresque était-elle antisémite ? En tout cas, elle en avait tout l’air. Jacques Attali, qui fut président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement de 1991 à 1993, manipule le Président Emmanuel Macron comme une marionnette. Parce qu’il est d’origine juive, on a jugé que cette fresque était antisémite, parce que la composition du dessin reprenait des dessins antisémites hélas traditionnels. Un banquier, Juif, au nez crochu, qui fait la loi contre la Nation, contre les citoyens, contre la République, pour qui seul compterait l’argent. De cet antisémitisme, une quinzaine de personnes sont mortes en France depuis 2006, comme l’a rappelé Éric de Rothschild. Vieux dessin, vieux démons, assassinats d’aujourd’hui.
En tout cas, beaucoup considèrent que cet antisémitisme affiché est un attentat aux valeurs républicaines. Valérie Rabault, l’une des leaders du PS : « Invoquer la liberté d’expression et de création pour cette fresque aux codes antisémites et complotistes n’est pas acceptable. L’antisémitisme est toujours rampant, ne rien laisser passer. ». Raphaël Glucksmann, député européen élu sur la liste socialiste : « Il faut vraiment ne jamais avoir ouvert un livre d’Histoire pour ne pas voir à quel point cette image reprend tous les codes de la propagande antisémite et de l’iconographie fasciste. ». Olivier Faure, premier secrétaire du PS : « L’interprétation de cette fresque laisse peu de doute. La figure du banquier juif manipulant ses marionnettes est une représentation récurrente des antisémites. L’antisémitisme est ce bacille de la peste qui réapparaît toujours. Aucune faiblesse n’est tolérable. Simple, basique. ». Nathalie Goulet, sénatrice centriste : « Il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir l’antisémitisme. Soutien à Jacques Attali. Nausée. ». Même Robert Ménard, maire de Béziers, décidément en pleine Rédemption : « Cette fresque est sans l’ombre d’un doute complotiste et antisémite. Jamais je ne tolérerai ça dans ma ville. ». Du reste, l’intéressé lui-même a déposé plainte.
Cela ne fait donc aucun doute, les leçons du passé étant ce qu’elles sont, mais on pourrait imaginer que l’auteur de la fresque, connu pour son opposition frontale à Emmanuel Macron, ne savait pas qu’il reprenait les mêmes codes que les hurleurs antisémites (admettons !).
Mais alors, pourquoi a-t-il choisi Jacques Attali comme manipulateur ? Pourquoi pas l’oncle Sam par exemple ? Ou l’Europe de Bruxelles ? Ce choix de Jacques Attali est d’autant plus étonnant qu’on prête beaucoup trop de pouvoir à Jacques Attali (comme on ne prête qu’aux riches, Jacques Attali s’en satisfait évidemment).
Quelles sont les relations entre Jacques Attali et Emmanuel Macron ? Depuis qu’il est à l’Élysée, pas grand-chose ! C’est vrai, Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française mise en place le 27 juin 2007 par le Président Nicolas Sarkozy fraîchement élu, avait choisi pour rapporteur général adjoint Emmanuel Macron (les mauvaises langues disaient même que le programme d’Emmanuel Macron en 2017 reprenait le rapport remis le 23 janvier 2008). Jacques Attali a affirmé que c’est lui qui l’a présenté à Jean-Pierre Jouyet, devenu Secrétaire Général de l’Élysée après l’élection de François Hollande, et a conduit ce dernier à nommer Emmanuel Macron au poste de Secrétaire Général adjoint chargé des affaires économiques.
Pour avoir une petite idée, prenons le livre de Marc Endeweld, un antimacroniste notoire, dont le titre ne laisse aucune incertitude sur ses motivations : "Le grand manipulateur" (sorti en 2019 chez Stock). Uniquement à charge, le livre ne m’a pas convaincu car il est trop partial et surtout, il n’a rien démontré sinon qu’Emmanuel Macron s’est servi de nombreux réseaux, d’un peu tout le monde par son talent et son attractivité et qu’une fois "utilisés", il "oublie" ses soutiens. Selon l’auteur, cela fait depuis 2015 que Jacques Attali a été "oublié" par le ministre puis Président Macron.
Je cite : « Jean-Pierre Jouyet n’est que le premier d’une longue liste d’anciens soutiens à être aussi durement éconduits après la victoire. (…) Autre personnalité à avoir joué un rôle auprès d’Emmanuel Macron et qui n’a plus beaucoup de nouvelles : Jacques Attali. Il faut dire qu’entre les deux hommes aux ego bien développés, c’est un "je t’aime, moi non plus". L’ancien conseiller de François Mitterrand ne supporte pas qu’on lui vole la vedette. Et dans ce domaine, Macron excelle. Rapporteur des "commissions Attali" sous Sarkozy, il attire la sympathie de l’ensemble des membres, qui louent alors ses initiatives et son sens du dialogue : "Son rôle a été d’écrire", répond sèchement Attali quelques années plus tard. Peu à peu, les liens se distendent. À l’été 2015, la rupture est consommée. Attali décide de soutenir Manuel Valls pour la future présidentielle. À l’inverse, Macon s’amuse de sa nouvelle "liberté". Lors d’un entretien à Bercy, le ministre lâche au sujet de celui que la presse continue de présenter comme son mentor : "C’est un pipoteur !". Bien sûr, une fois Macron élu, Attali essaiera de recoller les morceaux, en lui fournissant notamment une note sur les inégalités… Mais l’Élysée ne lui confiera aucune mission. ».
Autrement dit, non seulement Jacques Attali ne manipule pas Emmanuel Macron, mais il n’a reçu aucune attention particulière dans la Macronie, au contraire de sa commission sous Nicolas Sarkozy. Alors, je reviens à la question initiale : pourquoi avoir mis Jacques Attali comme manipulateur alors que cela fait sept ans qu’il n’a aucune influence sur le Président de la République ? Pourquoi, si ce n’est qu’il est Juif, ou, du moins, perçu comme tel, comme le représentant des Juifs, de la finance, etc. ?
C’est d’ailleurs curieux d’imaginer Emmanuel Macron comme un pantin, alors que justement, on le critique pour exactement le contraire. Il l’a répété encore lors de son interview du 14 juillet 2022 à propos d’Uber : « Je n’a pas un tempérament à être sous influence. ». L’arrogance, la verticalité jupitérienne, le court-circuitage des intermédiaires, c’est ce qu’on lui reproche, celui de n’en faire qu’à sa tête sans avoir plus d’écoute qu’un semblant d’écoute. Il faudrait savoir : c’est un Jupiter ou c’est une marionnette ? Même Philippe de Villiers avait été bluffé en août 2016, et il en est revenu. Beaucoup en sont revenus car ils ont cru avoir été écoutés et ils ont cru avoir eu de l’influence sur Emmanuel Macron, et ils ont vu que ce n’était en fait pas du tout le cas. Pourquoi en serait-il différent pour Jacques Attali ? Parce qu’il est… ?
Curieusement, un certain nombre de "conseillers de l’ombre", de "visiteurs du soir", plus répandus dans les médias que dans les conciliabules secrets, sont plus cités que d’autres, pour les fustiger, pour laisser croire qu’ils sont la cause de tous nos malheurs (on les appelle des boucs émissaires) : Jacques Attali, mais aussi… Bernard-Henri Lévy, Alain Minc… Jacques Attali, en l’occurrence, est l’un des symboles brocardés, mais symboles de quoi ? C’est là la réalité de l’antisémitisme couplé au complotisme.
C’est cette obsession de s’en prendre systématiquement à Jacques Attali qui, depuis sept ans, n’a plus aucune influence sur Emmanuel Macron et plus généralement, sur le cours du monde, du moins, pas plus que des milliers d’intellectuels talentueux et imaginatifs qui proposent, au monde, comme lui, leur vision de l’avenir, une vision pertinente ou complètement fantaisiste, c’est cette obsession permanente qui est l’expression de cet antisémitisme qui rode toujours aujourd’hui, le même qu’il y a sept ans à l’Hypercasher de la Porte de Vincennes, le même qu’il y a quatre-vingts ans à Pithiviers, le même qu’il y a cent vingt-sept ans, quand Dreyfus fut condamné de haute trahison.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jacques Attali et Emmanuel Macron : pourquoi la fresque d’Avignon était antisémite.
Discours du Président Emmanuel Macron le 17 juillet 2022 à Pithiviers (vidéo et texte intégral).
La rafle du Vel d’Hiv, 80 ans plus tard : les heures sombres de notre histoire...
Les 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
La tragique expérience de Simone Veil à Auschwitz.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
François Hollande et le Vel d’Hiv (22 juillet 2012).
Discours d’Emmanuel Macron du 16 juillet 2017 (texte intégral).
Discours de François Hollande du 22 juillet 2012 (texte intégral).
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220624-fresque-avignon.html
https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/jacques-attali-et-emmanuel-macron-242799
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/07/17/39562256.html
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