« J’ai une pensée pour Aimé Césaire alors que nous venons de célébrer l’anniversaire de sa naissance et dont les propos résonnent encore aujourd’hui : "les hommes de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière". » (Pap Ndiaye, le 27 juin 2022 sur Twitter).
Le nouveau gouvernement est en cours de constitution et cela risque de prendre encore un certain temps. Déjà sans problème de majorité, cela prenait beaucoup de temps, alors, avec la tentative de rassembler une majorité parlementaire hétéroclite, cela risque de prendre encore plus de temps. Lors dans la nomination du (premier) gouvernement de la Première Ministre Élisabeth Borne le 20 mai 2022, la seule réelle surprise fut la nomination de l’universitaire Pap Ndiaye au Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, succédant à Jean-Michel Blanquer. Une succession lourde.
Battu dès le premier tour aux élections législatives de 2022, Jean-Michel Blanquer, qui connaissait parfaitement cette grande maison de l’Éducation nationale, est regretté par des personnalités comme son lointain prédécesseur Jean-Pierre Chevènement. Pap Ndiaye sera-t-il dans le prochain gouvernement ? Mystère. Revenons à lui et sa nomination.
Il faut reconnaître qu’en un mois, le nouveau ministre n’a pas beaucoup brillé par une surexposition médiatique. Au contraire, ses intentions de ministre sont restées aussi obscures qu’à sa nomination durant ce premier mois. C’est seulement le 24 juin 2022 que Pap Ndiaye a accordé sa première interview au journal "Le Parisien" (publiée le 26 juin 2022) pour annoncer une partie de son projet pour l’éducation. En particulier, il a annoncé que les enseignants commenceraient leur carrière avec un salaire de débutant au-dessus de 2 000 euros net par mois à partir de 2023. Une seconde mesure d’augmentation du salaire des enseignants sera négociée avec les syndicats pour des prestations supplémentaires.
Mais l’annonce qui a fait le plus réagir les syndicats, c’est lorsqu’il veut faire remplacer les enseignants quand ils sont malades : « Il faut réfléchir à la meilleure manière de faire que les absences, qui sont légitimes, soient compensées. (…) Nous voulons faire en sorte qu’une absence du professeur d’histoire-géographie par exemple, soit compensée par, disons, son collègue de français. Mais attention, pas pour que le professeur de français fasse de l’histoire-géographie ! Il utilisera ces heures pour faire une double dose de français, et quand le collègue d’histoire-géo reviendra, il compensera en prenant sur les heures de français. ». L’idée reste très théorique et les syndicats estiment que ce n’est pas réalisables concrètement, ne serait-ce que parce que les emplois du temps n’ont aucune raison de correspondre. En tout cas, même si elle a reçu un accueil défavorable, l’idée est lancée. Il s’agit d’absence de moins de quinze jours, très difficile à compenser.
Les seules autres interventions publiques qui ont eu un peu l’écho fut sa visite le 23 mai 2022 (trois jours après sa nomination) du collège du Bois d’Aulne où a enseigné Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine, et à ce titre, que ce premier déplacement fût réservé à honorer la mémoire de Samuel Paty est un signe très rassurant pour promouvoir la laïcité et l’universalisme, des déclarations entre les deux tours des élections législatives pour insister sur la volonté de la majorité de ne donner aucun suffrage à des candidats d’extrême droite (volonté exprimée à nouveau à l’issue du second tour des élections législatives pour refuser tout accord de gouvernement avec le RN), et la visite du lycée des arts du bois à Moirans-en-Montagne, dans le Jura, ce lundi 27 juin 2022 matin. Peut-être s’est-il exprimé à d’autres occasions, mais ce fut de manière quasi-confidentielle (en fait, lorsqu’on regarde son fil Twitter, on s’aperçoit qu’il a visité beaucoup d’établissements scolaires, mais assez discrètement, comme à Sainte-Gauburge-Sainte-Colombe dans l’Orne le 20 juin 2022).
Lors du déplacement du Président de la République Emmanuel Macron le 2 juin 2022 à Marseille sur le thème de l’école, la présence à ses côtés de Pap Ndiaye était très peu visible. À l’évidence, Emmanuel Macron a voulu donner personnellement l’impulsion de la politique éducative, notamment en annonçant remettre les mathématiques dans le tronc commun au lycée (une erreur qui a donc été rapidement corrigée).
C’est clair qu’au bout d’un mois, Pap Ndiaye reste toujours inexistant politiquement et les difficultés de former une majorité parlementaire sont telles que son avenir ministériel est loin d’être assuré. Avantage de la discrétion, les critiques qui ont suivi sa nomination se sont essoufflées.
En effet, quand la liste des nouveaux ministres a été rendue publique le 20 mai 2022, Pap Ndiaye a sans doute été parmi les nouveaux ministres celui qui a reçu le plus de contestation sinon d’insultes. Pourtant, comment fustiger un nouveau ministre qui n’a encore rien dit ? Comment fustiger une politique d’éducation encore assez floue ?
Cette pluie d’insultes dans les réseaux sociaux a toujours la même provenance, l’extrême droite qui ne supporte pas qu’une personne française, née en France (ici à Antony), même si d’origine étrangère (ici sénégalaise, et encore, seulement à moitié, l’autre moitié est française), qui a été un brillant étudiant, normalien, agrégé d’histoire puis docteur en histoire, maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) puis professeur des universités à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, résultat méritoire du creuset républicain, fût ainsi nommé à la tête d’un ministère clef pour la cohésion sociale. Il est au contraire un modèle d’intégration républicaine, et sa famille en général puisque son père fut une ingénieur diplômé des Pons et Chaussées et sa petite sœur Marie, une romancière à succès, Prix Femina en 2001 et Goncourt en 2009.
Nommé en mai 2021 directeur général du Musée de l’histoire de l’immigration (à la Porte-Dorée à Paris), Pap Ndiaye n’a jamais mis en doute le besoin de laïcité et la nécessité d’éviter tout communautarisme (il est universaliste). D’ailleurs, il fait partie du même gouvernement que Gérald Darmanin qui, lui-même, a demandé au préfet de l’Isère de requérir auprès du tribunal administratif de Grenoble pour suspendre la délibération du conseil municipal de Grenoble visant à autoriser le port du burkini (cette suspension a été confirmée par le Conseil d’État).
Bizarrement, dans cette agitation des réseaux sociaux, le nom de Pap Ndiaye a été mêlé à celui de Sibeth Ndiaye (au patronyme sans lien de parenté) ou encore de Christiane Taubira… et dont le seul point commun reste la couleur de la peau. Ceux qui considèrent que la couleur de la peau est une caractéristique suffisante pour savoir si ce ministre fera du bon travail ou pas sont assez fortiches et répondent à des préjugés forcément racistes et à des projections sociétales qui interprètent mal les propos ou écrits antérieurs du nouveau ministre. Ces attaques de l’extrême droite étaient finalement prévisibles. À leur nomination, les ministres citées ci-dessus ont subi ce même genre de "bienvenue".
Les perspectives d’action de Pap Ndiaye sont cruciales. Il aura à naviguer entre ces attaques qu’il ne pourra jamais éviter et des adversaires certainement plus sournois, comme la volonté de Jean-Luc Mélenchon d’abroger la loi Séparatisme du 24 août 2021, loi qui permet justement de lutter efficacement contre les dérives communautaristes de certains élus locaux.
Pap Ndiaye succède à un ministre, Jean-Michel Blanquer qui est resté en fonction pendant toute la législature précédente. À ma connaissance, avec ces cinq années, il détient le record de longévité au Ministère de l’Éducation de toutes les Républiques en France, poste particulièrement exposé à la vindicte populaire (parce que l’Éducation, cela concerne des millions de parents d’élèves).
En attendant la confirmation (ou pas) du ce ministre au sein du gouvernement, je souhaiterais émettre à la réflexion du lecteur une réserve de principe, celle de nommer un intellectuel, car Pap Ndiaye, universitaire, historien, sociologue des minorités, est un intellectuel avant tout, et le nommer à à un emploi opérationnel et exécutif dans un monde politique où le simplisme verbal est de mise (pour ou contre) est toujours un défi.
Généralement, un intellectuel au pouvoir est souvent décevant dans l’action. Pourquoi ? Parce que soit, dans sa quête de perfection, il devient totalitaire, soit, par absence de compréhension du monde politique, il reste inactif et n’est qu’un prête-nom public. Il y a heureusement une très belle exception, en la personne du Ministre des Affaire culturelles de De Gaulle, à savoir André Malraux qui a su impulser une politique culturelle qui guide encore celle d’aujourd’hui.
De même, Julien Dray a pointé le 23 mai 2022 sur Europe 1 le fait qu’un intellectuel développe une pensée complexe qu’il exprime dans ses livres ou ses conférences, et c’est le cas de Pap Ndiaye dont les idées sont loin des caricatures que ses opposants spotanés veulent lui coller à la peau, comme introducteur du wokisme (selon l’expression de premier secrétaire du PS Olivier Faure), etc.
Alors, Pap Ndiaye fera-t-il du bon travail ? Ou sera-t-il rapidement balayé par cette nécessité de nommer surtout des politiques au gouvernement ? La réponse, dans quelques jours voire quelques semaines…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 juin 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Pap Ndiaye, un intellectuel dans la fosse politique.
Prime à l'assiduité : faut-il être choqué ?
Violence contre une prof et vidéo dans les réseaux sociaux.
Transgression à Marseille : recruter des profs plus "librement" ?
Samuel Paty : faire des républicains.
Samuel Paty : les enseignants sont nos héros.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220627-pap-ndiaye.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pap-ndiaye-un-intellectuel-dans-la-242452
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/05/26/39493441.html