« J’ai l’honneur d’avoir posé hier après-midi la toute dernière question au gouvernement de cette législature. Je suis heureuse de l’avoir posée sur la grande cause du quinquennat, l’égalité entre les femmes et les hommes, un combat qui nous a tous réunis ! » (Yaël Braun-Pivet, 23 février 2022 sur son site Internet).
La députée Renaissance de la 5e circonscription des Yvelines (Le Vésinet dont elle est conseillère municipale depuis 2020, Maisons-Laffitte, Sartrouville, etc.) Yaël Braun-Pivet a été élu Présidente de l’Assemblée Nationale ce mardi 28 juin 2022 vers 16h. Cela pourrait avoir l’air anodin en 2022 mais il faut quand même préciser que cette élection est (malheureusement) historique puisque c’est la première fois de toute l’histoire de la République française qu’une femme est élue Présidente de l’Assemblée Nationale et plus généralement, présidente d’une chambre parlementaire.
Le choix de Yaël Braun-Pivet s’est fait en deux étapes. La première étape fut la désignation du candidat unique des groupes de la majorité présidentielle Ensemble (Renaissance, MoDem et Horizons) et elle avait un sérieux adversaire, également président sortant de commission (des Affaires économiques), avec Roland Lescure qui, au premier tour a recueilli 67 voix sur 206 tandis que Yaël Braun-Pivet seulement 87. Les autres candidats furent l’ancien ministre radical Joël Giraud avec 27 voix, l’ancienne ministre écologiste Barbara Pompili 20 voix et Sophie Errante 4 voix. À noter que le MoDem n’avait pas présenté de candidat (au contraire du 12 septembre 2018 où Marc Fesneau avait réuni un nombre non négligeable de voix face à Richard Ferrand) et que l’ancien ministre UMP Éric Woerth avait finalement renoncé à maintenir sa candidature. Au second tour, toujours 20 voix ont séparé les deux finalistes, Yaël Braun-Pivet vainqueure avec 105 voix contre 85 à Roland Lescure.
La seconde étape, c'est l'élection elle-même. Au premier tour dont les résultats ont été annoncés vers 17 heures 15, Yaël Braun-Pivet n'a pas réuni une majorité absolue de suffrages, seulement 238 voix sur 553 exprimés (soit 43,0%). Elle avait face à elle Sébastien Chenu, candidat du RN, qui a eu 90 voix, Annie Genevard (ancienne vice-présidente), candidate de LR, 61 voix, Fatiha Keloua-Hachi, candidate PS-Nupes, 146 voix, et Nathalie Bassire, candidate du groupe LIOT (groupe centriste technique d'opposition), 18 voix. La surprise a été le retrait de la candidature de Sébastien Chenu (RN) pour le second tour. Ce retrait a engendré 88 abstentions supplémentaires par rapport au premier tour, ce qui a déplacé la barre de la majorité absolue de 277 à 232 et a permis l'élection au second tour de Yaël Braun-Pivet avec 242 voix sur 462 (soit 52,4%), contre 144 voix à Fatiha Keloua-Hachi, 60 voix à Annie Genevard et 16 à Nathalie Bassire.
C'est donc une grosse surprise, positive pour la majorité présidentielle, qui a franchi le premier vote avec brio, dès le second tour à la majorité absolue alors qu'avait été annoncé un troisième tour où l'élection a lieu à la majorité relative. Ce scrutin est en effet le premier de cette législature, et est un marqueur dans la mesure où il n’existe aucune majorité absolue certaine. Le vote de confiance après la déclaration de politique générale reviendrait donc dans les hypothèses envisageables si le gouvernement pouvait convaincre 83 députés qui ne sont pas dans la majorité de s'abstenir (les 12 ministres élus députés n'ont pas le droit de prendre part au vote). L'élément marquant de cette première élection est en tout cas la démonstration de force du groupe RN (89 membres) mais aussi son esprit de responsabilité, en évitant un troisième tour.
Avec cette élection, la XVIe législature promet ainsi d’être féminisée, même si la proportion des femmes députées a diminué par rapport à la précédente législature entre 2017 et 2022 (37,3% au lieu de 38,7%), notamment en raison de la position qu’occupent aujourd’hui trois femmes : Élisabeth Borne à Matignon, Yaël Braun-Pivet à l’Hôtel de Lassay (résidence de la Présidente de l’Assemblée Nationale) et Aurore Bergé, élue présidente du groupe Renaissance le 22 juin 2022 (dès le premier tour avec 88 voix sur 175), le plus important groupe de l’Assemblée Nationale (et à ce titre, c’est aussi une première pour une femme). Évidemment, il reste que la Première Ministre doit durer comme ses prédécesseurs hommes pour normaliser la fonction avec une femme, car si d’aventure, elle n’était pas maintenue au moins deux ans (la durée moyenne est entre deux et trois ans), ce serait encore une Première Ministre éphémère, comme Édith Cresson.
Il est vrai que Yaël Braun-Pivet, pour être la première femme au perchoir, n’est pourtant pas une femme politique majeure, elle n’est pas parmi les "poids lourds" de la vie nationale, comme peuvent ou pouvaient l’être des femmes comme Ségolène Royal (je pense à elle qui convoitait ce poste en juin 2012 mais qui a raté son élection dans la circonscription où elle s’était parachutée), Marine Le Pen (comme la précédente, elle est arrivée au second tour d’une élection présidentielle, et même deux fois), Christiane Taubira, Martine Aubry, Simone Veil, Michèle Alliot-Marie (première femme présidente d’une grand parti gouvernemental et recordwoman de longévité dans les ministères régaliens), Édith Cresson (première femme à Matignon), etc. En revanche, elle était la femme de la situation, profitant de l’échec électoral de Richard Ferrand qui, s’il avait été réélu dans sa circonscription, aurait probablement souhaité renouveler son bail au perchoir.
Certes, c’est désolant qu’encore en 2022, on puisse "s’extasier" par le fait qu’une femme soit élue au perchoir et il faut aussi insister sur ce point : si Yaël Braun-Pivet a été choisie puis élue, ce n’est pas parce qu’elle était une femme (il y en a plein d’autres dans l’hémicycle) mais parce qu’elle avait toutes les qualités pour présider l’Assemblée. En effet, pendant cinq ans, elle a présidé la très importante commission des lois de l’Assemblée Nationale (à ce titre, elle a présidé la mission parlementaire sur l’affaire Benalla) et a pris en charge des textes très importants (moralisation de la vie politique, réformes des institutions, etc.). À ce titre, elle a donc été déjà la première femme à accéder à la présidence de la commission des lois et la deuxième femme à accéder à la présidence d’une commission en général, après Catherine Tasca qui, elle, avait été auparavant ministre.
Née à Nancy il y a 51 ans et demi, Yaël Braun-Pivet est une descendante de « l’immigration slave, juive polonaise et juive allemande, avec des grands-parents entrés en France avec des visas touristes » dans les années 1930 pour fuir les folies hitlériennes. Avocate à Paris, elle a suivi son mari et s’est expatriée en Asie et en Europe dans les années 2000, puis elle s’est lancée dans la création d’une startup et s’est investie dans l’action bénévole (notamment en proposant des consultations juridiques gratuites et en gérant de restos du cœur, etc.).
À partir des années 2000, elle a milité au sein du parti socialiste et fut séduite par le positionnement du candidat Emmanuel Macron. Le 18 juin 2017, elle fut élue députée avec 59,0% des voix en battant un vieux routier de la politique, Jacques Myard (LR). Et le 29 juin 2017, elle fut élue présidente de la commission des lois face au radical de gauche Alain Tourret. Si son élection a été favorisée par cette volonté de parité dans les présidences de commission, elle n’a été soutenue par personne (notamment, pas par Emmanuel Macron) et c’est d’ailleurs inédit de voir un député novice (nouvellement élu) bombardé à la tête de la plus puissante des commissions.
Déjà en septembre 2018, Yaël Braun-Pivet voulait se présenter au perchoir pour la succession de François de Rugy nommé au gouvernement, mais elle aurait reçu d’amicales pressions de la part de proches de Richard Ferrand pour y renoncer. Elle fut ensuite réélue laborieusement à la tête de la commission des lois le 24 juillet 2019 (sérieusement concurrencée par Laetitia Avia, on lui reprochait sa gestion de l’affaire Benalla qui faisait trop apparaître une commission soumise à l’Élysée).
Après sa réélection le 19 juin 2022 avec 64,6% des voix, Yaël Braun-Pivet a été nommée brièvement Ministre des Outre-mer dans le gouvernement d’Élisabeth Borne du 20 mai 2022 au 25 juin 2022, date à laquelle elle a démissionné pour se consacrer à son élection au perchoir. Le Président du Sénat Gérard Larcher a déjà affirmé qu’il avait beaucoup de respect pour elle.
Les Présidents des deux chambres font partie du petit groupe des quatre principaux personnages de l’État avec le Président de la République et le Premier Ministre : en 2022, il y a enfin la parfaite parité parmi ceux-ci. Mais bien sûr, d’autres voient encore une absence dans la conquête des femmes aux responsabilités politiques : la magistrature suprême, l’Élysée !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 juin 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Yaël Braun-Pivet.
Richard Ferrand.
Il faut une femme au perchoir !
François de Rugy.
Claude Bartolone.
Patrick Ollier.
Jean-Louis Debré.
Raymond Forni.
Laurent Fabius.
Philippe Séguin.
Henri Emmanuelli.
Louis Mermaz.
Jacques Chaban-Delmas.
Edgar Faure.
Édouard Herriot.
Vincent Auriol.
Paul Painlevé.
Léon Gambetta.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220628-yael-braun-pivet.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/yael-braun-pivet-une-femme-au-242455
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/06/27/39535957.html