« Ne peut être élu à la présidence de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire qu’un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition. » (Article 39 alinéa 3 du Règlement de l’Assemblée Nationale).
Au bout de trois jours "marathon", l’Assemblée Nationale élue les 12 et 19 juin 2022 a fini de s’organiser pour être opérationnelle la semaine prochaine. Après l’élection de Yaël Braun-Pivet au perchoir le 28 juin 2022, l’élection du reste du bureau de l’Assemblée le 29 juin 2022, voici l’élection des présidents et autres membres du bureau des commissions le 30 juin 2022. Et l’une des places stratégiques de l’Assemblée Nationale est la présidence de la commission des finances, réservée à un député de l’opposition depuis juin 2007 et la volonté du Président Nicolas Sarkozy et le Règlement de l’Assemblée Nationale a été modifiée en ce sens le 27 mai 2009. Comme prévisible, le député mélenchoniste Éric Coquerel a obtenu cette présidence.
L’article 39 alinéa 3 du Règlement de l’Assemblée Nationale, cité plus haut, reste très vague sur les conditions de l’élection de ce président et ce poste est stratégique car il permet d’obtenir de l’administration de l’État tous les documents souhaités pour contrôler efficacement l’action du gouvernement, et en particulier des informations fiscales confidentielles. Par ailleurs, c’est à ce niveau que sont organisé en amont les débats sur les finances et en particulier celui pour examiner les projets de loi de finances, en sachant que le texte examiné dans l’hémicycle est la version amendée par la commission. Cela avait été un pas en avant pour la démocratie de contrôle de réserver ce poste à un membre de l’opposition, plus motivée pour contrôler le gouvernement avec exigence qu’un membre de la majorité gouvernementale.
Ont d’ailleurs occupé cette place stratégique beaucoup personnalités qui ont eu des carrières nationales prestigieuses, en particulier Paul Reynaud, Valéry Giscard d’Estaing, Jean Taittinger, Jean Charbonnel, Maurice Papon, Pierre Baudis, Robert-André Vivien, Christian Goux, Michel d’Ornano, Dominique Strauss-Kahn, Henri Emmanuelli, Jean Le Garrec, Jacques Barrot, Pierre Méhaignerie, Augustin Bonrepaux, Didier Migaud, Jérôme Cahuzac, Giles Carrez et Éric Woerth. Le cas de ce dernier a été controversé à la fin de la législature car il avait rejoint la majorité en soutenant la candidature du Président sortant Emmanuel Macron, ce qui n’en faisait plus un député de l’opposition (mais l’Assemblée avait déjà achevé ses travaux parlementaires).
Or, dans la situation actuelle, deux groupes revendiquaient la présidence : d’abord, le groupe RN qui considérait que cette présidence lui revenait en tant que groupe d’opposition le plus important (89 députés), devançant le groupe FI (75 députés) ; ensuite, le groupe FI lui aussi l’a revendiqué car l’intergroupe de la Nupes représente 151 députés, plus que le groupe RN. Mais il restait de savoir comment allait se comporter le groupe LR (aiderait-il ou pas le RN ?) et surtout, les trois groupes de la majorité (Renaissance, Horizons et MoDem). Depuis 2007, la courte tradition voudrait que les groupes déclarant être dans la majorité ne participent pas au scrutin, mais rien, dans les textes, ne l’interdit. Toutefois, l’idée que des députés de la majorité votent soit pour un candidat de la Nupes soit pour un candidat RN restait peu vraisemblable car difficile à assumer politiquement.
La question restait celle-ci : comment éviter l’élection à la présidence de la commission des finances tant d’un député FI que d’un député RN tout en restant dans la continuité des usages ? Or, il y avait une possibilité, certes improbable du point de vue arithmétique : la socialiste Valérie Rabault, ancienne présidente du groupe PS, ancienne rapporteure générale du budget, était certainement la mieux qualifiée pour présider la commission des finances, mais Jean-Luc Mélenchon n’a pas voulu la soutenir, craignant de sa part un retournement politique (il y a quelques semaines, Emmanuel Macron avait proposé Matignon à Valérie Rabault mais elle avait refusé ; cette anecdote aurait dû au contraire rassurer le leader de FI sur sa détermination à rester dans l’opposition).
Donc, dans la matinée, les 73 membres de la commission des finances se sont réunis. Cette élection, bien que très tendue, s’est déroulée selon les traditions démocratiques : la majorité a refusé de participer au scrutin. Aux deux premiers tours, qui nécessitent de réunir une majorité absolue des votants, aucun candidat n’a été élu, et chaque groupe avait présenté le sien, recueillant le même nombre de voix d’un vote à l’autre, celles de leurs membres : 20 voix à Éric Coquerel (Nupes), 11 à Jean-Philippe Tanguy (RN), 8 à Véronique Louwagie (LR) et 2 à Charles de Courson (LIOT, groupe centriste d’opposition). Il fallait donc un troisième tour où le président serait élu simplement à la majorité relative.
Entre le deuxième et troisième tours, il y a eu alors beaucoup de tractations entre RN et LR et même LIOT pour éviter l’élection du candidat FI. Il y a eu beaucoup de rumeurs, par exemple, que les membres de la majorité de la commission votent pour la candidate LR, évitant ainsi l’élection tant d’un FI que d’un RN. De plus, LR a refusé catégoriquement d’aider le RN à obtenir cette présidence alors que le RN proposait une présidence tournante, d’autant plus qu’à eux deux, ce ne serait pas suffisant (ils n’auraient que 19 voix). Certains ont envisagé une candidature de Charles de Courson comme unique candidat face au candidat de la Nupes (pouvant alors recueillir 21 voix). Mais, selon "L’Express", mêler publiquement les voix de LR à celle du RN, ce serait suicidaire pour un député LR : « Il faudrait avoir le sens politique d’une huître ! ».
Finalement, le seul changement au troisième tour, ce fut le retrait de la candidature de Charles de Courson. Éric Coquerel a ainsi été élu président de la commission des finances avec 21 voix, face à Jean-Philippe Tanguy (11 voix) et Véronique Louwagie (9 voix). Le candidat FI a obtenu une voix de plus que prévu, probablement du groupe LIOT, l’autre voix de LIOT ayant rejoint la candidate LR.
Pour Éric Coquerel (63 ans), compagnon de route ancien de Jean-Luc Mélenchon, c’est la consécration de son engagement politique. Proche des milieux gauchistes durant de nombreuses années (il a adhéré à la LCR dans les années 1980), déçu par la candidature de Jean-Pierre Chevènement en 2002, profondément hostile à la construction européenne, Éric Coquerel a rejoint Jean-Luc Mélenchon en 2008 lorsque ce dernier a quitté le PS. Il a alors été élu conseiller régional d’Île-de-France en mars 2010 puis en décembre 2015, et a été battu aux élections législatives en Corrèze en juin 2012 (il n’a recueilli que 6,9% au premier tour).
Choisissant de se présenter dans une terre moins défavorable, la 1e circonscription de Seine-Saint-Denis (l’ancienne circonscription de l’ancien ministre socialiste Bruno Le Roux), il a été élu député en juin 2017 au second tour avec 51,7% après n’avoir obtenu que 19,0% au premier tour. Enfin, il fut réélu député de Seine-Saint-Denis en juin 2022 avec 71,7% au second tour après avoir recueilli 53,8% au premier tour, score trop faible pour être proclamé élu à cause de la forte abstention (il faut recueillir au moins 25% des inscrits pour être élu au premier tour).
Dans la précédente législature, il a été jugé parmi les députés les plus travailleurs. Face aux inquiétudes sur son esprit partisan et à la possibilité de violer le secret fiscal à la présidence de la commission des finances, Éric Coquerel a voulu rassurer en affirmant ne pas avoir l’intention de « se servir de ça comme d’une arme politique contre des personnalités. Il faut arrêter avec ça, l’idée, ce n’est pas de faire une chasse aux sorcières personnelles. ».
Mais depuis ce jeudi 30 juin 2022, d’autres accusations contre Éric Coquerel reviennent en boucle dans les réseaux sociaux, des accusations d’abus sur les femmes. Certes, même Sébastien Chenu (RN) refusait d’exploiter ces nouvelles accusations (sur BFM-TV le 1er juillet 2022), préférant s’opposer à FI sur le terrain politique, mais ces nouvelles casseroles risquent d’être encore bruyantes. D’ailleurs, dès qu’une personnalité politique atteint certaines responsabilités, il faut désormais envisager quelques "boules puantes", comme on le dit dans le milieu (politique).
En effet, la journaliste féministe Rokhaya Dallo a porté des accusations graves bien qu’imprécises contre Éric Coquerel le 30 juin 2022 sur RTL : « J’ai plusieurs sources au sein de FI, et j’ai entendu plusieurs fois des femmes parler du comportement qu’il aurait avec les femmes. Ce sont des choses qui reviennent de manière récurrente depuis plusieurs années. Il y avait eu un article dans "Causette" qui parlait d’un député FI sans le nommer. J’ai conscience du fait que ce sont des accusations. ».
La défense de FI s’est bornée à dire, à l’instar du député FI Manuel Bompard sur Public Sénat le 1er juillet 2022 : « Il n’y a aucun témoignage, signalement qui a été adressé à la cellule de la France insoumise en charge des violences sexuelles et sexistes. », mais ce n’est pas forcément une garantie qu’il n’y ait rien. Manuel Bompard a poursuivi : « Je lis comme tout le monde les rumeurs sur les réseaux sociaux, et là, j’observe qu’elles sont relayées dans la presse. Le sujet de lutte contre les violences sexistes et sexuelles est trop sérieux pour être uniquement livré aux rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux sans aucun témoignage concret. ».
Une autre femme a relayé de telles accusations, Amandine Fouillard, candidate FI malheureuse aux élections législatives de juin 2017 dans la 6e circonscription du Nord, a affirmé que Manuel Bompard était au courant des comportements inappropriés d’Éric Coquerel dès avril 2018 : « Je me souviens pourtant que le sujet avait été évoqué lors du rendez-vous que nous avions eu en avril 2018 (…). Tu es donc au courant depuis minimum cette date. Il est temps de prendre ses responsabilités. » (Twitter).
Bien entendu, tant qu’une décision de justice n’a pas condamné la personne accusée, je la considère comme présumée innocente surtout si elle nie les faits qui lui sont reprochés. Mais ce principe, élémentaire et simple dans un État de droit, doit s’appliquer à tous, y compris à ses adversaires politiques.
Or, dans ses dernières déclarations sur BFM-TV le 1er juillet 2022, la nouvelle députée EELV Sandrine Rousseau a appliqué ce principe en fonction de la tête du client. Effectivement, elle qui a condamné définitivement le ministre Damien Abad alors que les accusations portées contre lui n’ont abouti à aucune condamnation de la justice, et qui voulait même l’empêcher de parler dans l’hémicycle s’il restait au gouvernement, en le sifflant, elle soutient Éric Coquerel qui, finalement, se trouve victime de même genre d’accusations dont aucun fait n’est établi. Cela prouve bien l’esprit partisan et détestable de Sandrine Rousseau, qui condamne seulement ses adversaires politiques mais retrouve la nécessaire présomption d’innocence seulement lorsqu’il s’agit de ses amis politiques. Ce vendredi, elle s’est définitivement discréditée sur la question des violences portées aux femmes. C’est dommage mais c’était prévisible.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01er juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Éric Coquerel.
Jean-Luc Mélenchon.
Danièle Obono.
François Ruffin.
Sandrine Rousseau.
Pour ou contre M… ?
Sous la NUPES de Mélenchon.
La consécration du mélenchonisme électoral.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220630-coquerel.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/eric-coquerel-la-presidence-de-la-242534
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/07/01/39541024.html