« Nous devons collectivement entrer dans une logique de sobriété énergétique. » (Emmanuel Macron, le 14 juillet 2022).
Qu’il est loin le jour de juillet 2017 où le nouveau Président Emmanuel Macron s’adressait au Parlement réuni très solennellement en Congrès à Versailles pour prononcer ce qu’il imaginait comme un discours sur l’état de la nation, un exercice qu’il voulait répéter tous les ans et qu’il n’a continué qu’une seule fois, en juillet 2018. Et cela juste à la veille du discours de politique générale du nouveau Premier Ministre Édouard Philippe.
Cinq ans plus tard, on revient aux bonnes habitudes républicaines. Comme Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron voulait rompre avec la sacro-sainte interview du 14 juillet commencée en 1978 sous Valéry Giscard d’Estaing, institutionnalisée par François Mitterrand et Jacques Chirac. Mais finalement, ce mode de communication est commode, pratique et sans doute aussi, pour aujourd’hui, nécessaire. Emmanuel Macron s’était déjà prêté à l’exercice en 2020, mais pas en 2021, où il avait prononcé une allocution télévisée l’avant-veille pour annoncer le passe sanitaire.
Il y a donc assurément une évolution dans la gouvernance, une mitterrandisation ou chiraquisation, et même, pour l’observateur, une sorte de désertion du terrain national depuis sa réélection le 24 avril 2022, il y a près de trois mois (les rendez-vous européens et extérieurs pouvaient le justifier). Il était donc temps pour le Président de la République de remettre les compteurs à jour, de replacer « la mairie au milieu du village » et surtout, d’aider et d’accompagner sa Première Ministre à gouverner avec une majorité relative au Parlement.
Deux heures de cérémonie pour la Fête nationale aux Champs-Élysées qu’Emmanuel Macron a redescendus sur un véhicule militaire, comme à sa première investiture. Chef des armées, cette prérogative, le Président de la République y tient plus que tout, et cette année, encore plus avec la guerre en Ukraine.
Après cela, ce jeudi 14 juillet 2022, Emmanuel Macron est allé rejoindre le jardin du Palais de l’Élysée et les deux journalistes, toutes les deux femmes pour une fois, Caroline Roux (pour France 2) et Anne-Claire Coudray (pour TF1), pour une heure d’entretien (quarante minutes étaient prévues).
Tous les trois seuls autour d’une table noyée dans la verdure de la pelouse très étendue donnait une atmosphère assez étrange, comme l’idée d’un exercice solitaire qui pourtant ne peut plus se faire. La suppression de la garden party à l’Élysée le 14 juillet fait tristounet. À cela s’ajoutait du vent qui, au-delà des chevelures qui donnaient un léger ton de romantisme élégant, perturbait la qualité sonore de l’interview. On s’étonne de voir ce genre de problème technique pas encore évité ou résolu en plein XXIe siècle.
Si l’interview a duré plus longtemps que prévu, ce qui était prévisible, c’est parce qu’Emmanuel Macron adore s’expliquer, se justifier, apporter tous les éléments qui font comprendre ses raisons d’agir, ses motivations de décider. Sur le fond, Emmanuel Macron a persisté et signé, mais aurait-il pu en être autrement ?
Parce qu’avec la configuration actuelle du Parlement, Emmanuel Macron n’avait pas beaucoup de choix dans sa gouvernance : ou conclure une coalition gouvernementale en bonne et due forme, un peu à l’allemande, avec le seul parti qui pourrait compléter sa majorité, à savoir Les Républicains, ou garder l’autonomie de gouvernance et tenter, pour chaque texte, d’obtenir une majorité de circonstance. Sur le second choix, on a vu avec la première lecture de la loi sur la fin de l’urgence sanitaire que ce n’est pas simple du tout.
Mais cette seconde possibilité, c’est pourtant le choix du Président, un choix contraint par la force des choses puisque, malgré la présence de nombreux ministres issus des rangs de LR, comme Bruno Le Maire (Économie et Finances), Gérald Darmanin (Intérieur), Catherine Colonna (Affaires étrangères), Sébastien Lecornu (Armées), Christophe Béchu (Transition écologique), Franck Riester (Relations avec le Parlement), etc., le parti de la droite modérée pas si modérée que cela a refusé catégoriquement de rejoindre la majorité présidentielle et de conclure un accord de gouvernement.
Alors, rien d’étonnant de l’entendre rappeler son projet présidentiel. Emmanuel Macron avait tout intérêt à aller au fond des choses, pleinement. Après tout, il a été réélu Président de la République avec 58% et les groupes des oppositions l’oublient un peu trop facilement : aux élections législatives, les candidats de la majorité présidentielle ont été les vainqueurs, même si c’est seulement avec une majorité relative, tous les autres partis ont fait nettement moins bien et ont été exclus du pouvoir par les Français. Emmanuel Macron a d’ailleurs voulu ménager sa majorité à l’Assemblée Nationale, et même tous les députés en général, pour leur travail, leur sens de l’intérêt général et leur assiduité, même si probablement une trop faible mobilisation des députés de la majorité a abouti à la suppression de l’article 2 de la loi sanitaire, celle qui demande un passe sanitaire aux frontières. Ce loupé sera probablement corrigé.
Emmanuel Macron a d’ailleurs insisté sur l’étrange conjonction des contraires qu’il a appelé un « attelage baroque » : Nupes + RN + LR pour mettre en échec un texte gouvernemental et il a martelé sur le fait que leurs électeurs respectifs pourraient se sentir floués par ce type de mélange. Néanmoins, on ne pourra pas empêcher les observateurs d’y voir au contraire que l’exercice gouvernemental sera hyper-périlleux.
Qu’importe, car Emmanuel Macron veut avancer à grand pas et refuse de se résigner à l’immobilisme. Il a rappelé que les grandes réformes de Michel Rocard ont été adoptées sans majorité absolue. Emmanuel Macron aura donc beau jeu d’en appeler à l’esprit de responsabilité, car c’est exactement ce que les Français semblent demander à la classe politique : être obligés de s’entendre pour en finir avec une gouvernance verticale. L’obstruction systématique des oppositions, tant que la majorité est de bonne foi, se retournera un jour ou l’autre dans "l’opinion publique" contre ses malveillants auteurs. Et dans ce cas, attention à la dissolution en cas de blocage parlementaire.
La loi sur le pouvoir d’achat est essentielle pour les Français, mais pas en encourageant la consommation de carburant, au contraire, en aidant massivement les ménages les plus modestes à faire la transition écologique, à savoir rénover thermiquement les habitations et acquérir des véhicules moins polluants. Parallèlement aux aides, il faut pouvoir les financer, et ce financement est possible en augmentant le travail, d’une part en mettant la France dans les conditions du plein emploi (il a rappelé qu’on ne l’avait pas cru quand, en 2017, il avait fixé l’objectif de 7% de chômage à la fin de son premier quinquennat), d’autre part, en augmentant le nombre d’années de travail avant la retraite.
Ainsi, Emmanuel Macron a confirmé qu’il maintenait son intention de réformer rapidement et le code du travail (assurance-chômage dont l’indemnisation sera dépendant de la conjoncture, formation professionnelle, apprentissage avec l’objection d’un million d’apprentis, etc.) et le système des retraites, avec passage de l’âge légal à 64 ans en 2027 (4 mois de plus chaque année) et son application dès l’été 2023, comme il l’avait proposé avant les élections législatives.
Sur le plan militaire, Emmanuel Macron a également rappelé qu’il avait augmenté massivement le budget de la défense dès le début de son premier quinquennat et qu’il n’avait pas attendu la guerre en Ukraine pour prendre conscience qu’il est absolument vital, pour la France, d’avoir une force armée suffisamment dissuasive pour éviter toute agression ennemie.
Quant à la polémique sur Uber, Emmanuel Macron a totalement assumé avoir voulu ouvrir un marché qui était la chasse gardée des grandes entreprises de taxis pour l’ouvrir aux VTC et permettre à des jeunes de démarrer leur vie professionnelle. Et c’est la France, en ouvrant ce nouveau marché, qui a régulé ces activités et modifié le modèle économique très rude d’Uber. Il en a profité aussi pour assumer l’ouverture du marché aux "bus Macron" qui font voyager bon marché des personnes aux revenus modestes.
Si la Première Ministre Élisabeth Borne peut se sentir soulager d’être un peu soutenue dans sa quête au compromis parlementaire, la stratégie d’Emmanuel Macron repose cependant entièrement sur la bonne volonté de LR. Or, les députés LR qui ont été élu en juin 2022 l’ont été exclusivement sur une base d’opposition ferme à Emmanuel Macron, et ils savent que LR sera morte dès le premier signe d’une alliance durable avec la majorité présidentielle, soit que ses adhérents iront rejoindre les rangs de celle-ci, soit au contraire qu’ils quitteront LR pour aller vers une formation d’opposition plus ferme, comme le RN.
Tout cela reste donc un jeu de dupes. Ou le gouvernement parvient à conclure des compromis texte par texte, ou, constatant les échecs, le Président de la République en tire les conclusions qui s’imposent en prenant les électeurs à témoin. À tous les coups le Président gagne. Il faudra donc à l’opposition un peu plus de subtilité si elle veut pouvoir durer et se présenter comme crédible pour la suite.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Emmanuel Macron persiste et signe !
Entretien du Président de la République Emmanuel Macron le 14 juillet 2022 (vidéo).
L’invective en commun : la motion de posture de Mélenchon est rejetée !
Examen de la motion de censure le 11 juillet 2022 à l’Assemblée Nationale (vidéo et texte intégral).
Baptême du feu pour Élisabeth Borne : et maintenant, au travail !
Discours de politique générale d’Élisabeth Borne le 6 juillet 2022 à l’Assemblée Nationale (vidéo et texte intégral).
L’Assemblée Nationale en ordre de bataille pour la XVIe Législature.
Gouvernement Élisabeth Borne II : resserrement des liens de la majorité présidentielle (Ensemble).
Composition du gouvernement Élisabeth Borne II du 4 juillet 2022 (communiqué de l’Élysée).
Yaël Braun-Pivet.
Pap Ndiaye.
Emmanuel Macron demande aux députés clarté, transparence et responsabilité.
Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
Jacques Julliard dans "Marianne" le 6 mai 2022 : "Oui à l’union, non à Mélenchon".
Allocution du Président Emmanuel Macron le 22 juin 2022 (texte intégral et vidéo).
Législatives 2022 (11) : la vie politique n’est pas un long fleuve tranquille.
La marque Le Pen fonctionne toujours aussi bien.
Législatives 2022 (10) : un train peut en cacher un autre.
Résultats du second tour des élections législatives du 19 juin 2022 (Ministère de l’Intérieur).
TVA : Mélenchon, champion du monde de la mauvaise foi.
Législatives 2022 (9) : procès d’intention, soupçons, fake-news, calomnie : le complotisme mélenchonien.
Législatives 2022 (8) : aucune voix ne doit manquer à la République !
Allocution du Président Emmanuel Macron le 14 juin 2022 à Orly (texte intégral et vidéo).
Législatives 2022 (7) : Liberté, Égalité, Choucroute.
Résultats du premier tour des élections législatives du 12 juin 2022 (Ministère de l’Intérieur).
Législatives 2022 (4) : sous la NUPES de Mélenchon.
Élysée 2022 (53) : la composition sans beaucoup de surprises du premier gouvernement d’Élisabeth Borne.
Pour Jean-Louis Bourlanges, c’est la capitulation et la bérézina !
Législatives 2022 (3) : Valérie Pécresse mènera-t-elle Les Républicains aux législatives ?
Législatives 2022 (2) : la mort du parti socialiste ?
Législatives 2022 (1) : le pari écolo-gauchiste de Julien Bayou.
Élysée 2022 (49) : vers une quatrième cohabitation ?
Élysée 2022 (44) : la consécration du mélenchonisme électoral.
Élysée 2022 (43) : le sursaut républicain !
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220714-macron.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/emmanuel-macron-persiste-et-signe-242746
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/07/13/39557454.html