« Dieu n’a que de l’humour et de l’amour, c’est un ensemble. Si Dieu n’a pas d’humour, c’est gravissime ! Tout est récupéré dans l’amour. Toute décision grave à prendre dans la vie se résume par une histoire d’amour, de compréhension. » (Michel Serrault, 2007).
Il y a quinze ans, le 29 juillet 2007, dans la torpeur de l’été nouvellement sarkozyen, le comédien Michel Serrault était reçu par les plus hautes autorités religieuses, tout là-haut, vers le ciel. Destiné à faire le pitre et inspiré par une foi catholique jamais démentie, il avait quand même tenté pendant deux ans le séminaire, mais prêtre ou clown, il allait choisir. La maladie l’a emporté six mois avant ses 80 ans (il est né le 24 janvier 1928).
Ce n’est pas peu dire que Michel Serrault est un immense acteur, mais pas dans le genre star. Près de cent cinquante films au cinéma, des dizaines de pièces de théâtre, et une gueule, surtout une voix, et même des mimiques, un peu comme le trio Bourvil De Funès Fernandel. Lui, c’est un duo qui l’a fait, celui avec Jean Poiret, son compère, son complice, dans les années 1950 et 1960, des sketchs dans les théâtres de boulevard, le succès, une amitié tenace, une complicité permanente, et un but en soi, se marrer.
Quantitativement, il est le seul acteur à être autant couronné de Césars du meilleur acteur, trois en tout, et je m’étonne qu’il soit toujours le seul à ce jour. D’autres acteurs multiplient les "nominations", comme on dit, mais pas la récompense elle-même. Pour ma part, j’ai adoré cet acteur car il faisait partie de mon univers, nous nous comprenions par écran interposé. Quand je l’ai vu en direct dans le journal de 20 heures du 10 janvier 1993 sur Antenne 2 se déshabiller derrière un Bruno Masure qui ne savait plus où se mettre, je ne pensais pas que cette scène serait unique (un peu comme lorsque Serge Gainsbourg brûlait un billet de 500 francs). Serrault et Nagui (qui était là aussi sur le plateau) en slip ont scandalisé le petit monde feutré de l’audiovisuel. Imagine-t-on un Delon faire pareil ? Certainement pas. Michel Serrault venait faire son SAV pour "Veilles canailles" de Gérard Jourd’hui (sorti le 6 janvier 1993), avec Pierre Richard, Anna Galiena et Catherine Frot.
Pour moi, Michel Serrault était l’un des meilleurs acteurs français parce qu’il représentait justement cette France de l’effronterie, cette insolence gentille, un peu potache, cette "rébellitude" qui visait d’abord à s’amuser, à se détendre, à se divertir, sans se prendre la tête, sans arrière-pensée économique ou politique. Capable de jouer autant dans des comédies (dont parfois certaines un peu "alimentaires" même s’il les défendait avec passion, rejetant le snobisme de certains) que dans des drames, en particulier quand il a eu ce choc terrible, celui de la mort de sa fille de 19 ans en août 1977 dans un accident, une tragédie désespérante : « Le désespoir était prêt à m’accueillir et je trouvai la force de le refuser. Précisément parce que je crois en Dieu. Il venait de placer sur mon chemin la plus grande épreuve qui soit pour un père. Mais si je croyais en Lui, je devais poursuivre ce chemin. Je me suis rapproché d’autres parents qui avaient connu le même malheur, et je me suis vu infiniment petit, parmi ces millions de gens dont la peine était aussi forte que la mienne. » (2001).
Certes, lorsqu’il était âgé, Michel Serrault jouait souvent un personnage récurrent, celui de p’tit vieux un peu bourru et fermé au grand cœur, avec un ton qui pouvait faire penser au personnage d’Adolf Bénito Glandu de Thierry Le Luron (concierge au 23 rue de Bièvres). Il était un peu cabotin mais il aimait surtout faire le pitre, malgré les épreuves qu’il a rencontrées dans la vie (comme dans la vie de chaque humain).
Si j’adore Michel Serrault, j’ai toujours un problème avec lui, car je déteste, j’ai toujours détesté ce qui est probablement son plus beau bijou, "La Cage aux folles", tant la pièce de Jean Poiret avec Jean Poiret, mise en scène par Pierre Mondy au Théâtre du Palais-Royal (1973) que le film d’Édouard Molinaro sorti le 25 octobre 1978 avec Ugo Tognazzi (à la place de Jean Poiret) et Michel Galabru.
Le film a fait près de 25 millions d’entrées dans le monde (près de 9 millions aux États-Unis !), je conçois que le scénario est effectivement hilarant de quiproquos, très innovant, et en même temps avec un petit goût à la provocation très typique des années 1970 (oserait-on faire ce genre de comédie de nos jours sans risquer un procès ?), mais l’accent appuyé de Zaza Napoli m’a toujours exaspéré, celui qui joue à l’homosexuel lourdingue alors que la vie est certainement plus subtile. Lui-même commentait : « Atteindre le délicat point d’équilibre entre le rire et l’émotion permettait de soulever le voile : ce qui se cachait sous le rire, c’était bien le début de la détresse d’un couple. » (2001). Plus généralement, j’apprécie assez peu les histoires de travesti au cinéma (idem pour Robin Williams, invraisemblable dans "Madame Doubtfire" de Chris Columbus sorti le 24 novembre 1993).
Heureusement, Michel Serrault n’est pas que la Cage aux folles. Il est des nombreux personnages qui sont joués parfois avec une justesse extraordinaire, et pas forcément dans des comédies. Je propose ici quelques-uns de ses films que j’ai beaucoup appréciés. Treize.
1. "Les Diaboliques" d’Henri-Georges Clouzot (sorti le 29 janvier 1955)
Personnage secondaire effacé par le trio Simone Signoret, Véra Clouzot et Paul Meurisse, Michel Serrault joue ici dans l’un de ses tout premiers films. Il est un des professeurs de ce drôle d’institut avec la prestance à l’ancienne de l’enseignant notable très "vieux jeu". Tout Michel Serrault était déjà dans ce personnage.
2. "Le Viager" de Pierre Tchernia (sorti le 2 février 1972)
Dans cette comédie très réussie scénarisée par René Goscinny comme une bande dessinée, Michel Serrault est au centre de l’histoire, infatigable retraité jusqu’à devenir centenaire, bénéficiant d’une vente en viager, percevant les rentes de son médecin Michel Galabru dont la famille et les ascendants ne voient pas venir la maison. On y voit parmi les premières apparitions de Gérard Depardieu et Claude Brasseur en loubards de banlieue. Pour l’anecdote, le compositeur de la musique qui a aussi contribué au succès du film est né il y a un siècle le 26 juillet 1922, Gérard Calvi (1922-2015), père du journaliste Yves Calvi.
3. "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" de Jean Yanne (sorti le 5 mai 1972)
Était-ce France Inter ? Avec cette chronique satirique du monde de la radio, Jean Yanne le réalisateur a été très étonné (et déçu) que le film ne provoquât pas de scandale. Jean Yanne, reporter dans le film, avec d’autres collègues Michel Serrault et Daniel Prévost, se met à faire du politiquement incorrect au grand dam de son directeur Jacques François mais sous l’œil intéressé du président Bernard Blier.
4. "Le Grand Bazar" de Claude Zidi (sorti le 6 septembre 1973)
Dans cette comédie avec les Charlots, Michel Serrault est le cynique directeur d’Euromarché, le supermarché qui vient de s’installer et qui écrase le petit épicier joué par Michel Galabru.
5. "La Gueule de l’autre" de Pierre Tchernia (sorti le 12 décembre 1979)
Excellente farce totalement écrite pour Michel Serrault, ce dernier joue deux personnages, le froid président d’un parti politique qui se présente en pleine campagne électorale mais qui est trouillard, il a peur de se faire assassiner par un ancien complice d’une affaire louche, et son cousin qui lui ressemble, comédien raté tout juste capable de faire des pubs de déodorant. Jean Poiret est le conseiller de l’homme politique, Andrée Parisy sa femme, Bernadette Lafont, la femme du cousin, et Roger Carel son adversaire politique.
6. "Garde à vue" de Claude Miller (sorti le 23 septembre 1981)
Dans ce film majeur du cinéma français (cela lui a valu son 2e César), Michel Serrault joue un notaire au rôle flou, trouble, ambigu, allant de la respectabilité du notable de province à l’assassin possible de deux fillettes, cuisiné la veille de Noël par deux policiers, Lino Ventura et Guy Marchand, accablé par le témoignage de sa femme Romy Schneider.
7. "Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ" de Jean Yanne (sorti le 6 octobre 1982)
Encore une comédie en forme de bandes dessinées, pas hyper-subtile (dirons-nous avec euphémisme) mais avec beaucoup de clins d’œil, où Michel Serrault joue Jules César aux côtés de Coluche (personnage central au pluriel), Jean Yanne, Michel Auclair, André Pousse, Michel Constantin, etc.
8. "Mortelle randonnée" de Claude Miller (sorti le 9 mars 1983)
Détective chargé d’enquêtes policières, Michel Serrault croise par hasard sa fille Isabelle Adjani, qui s’était éloignée de lui à cause d’un divorce et devenu une assassin, qu’il suit et dont il efface toutes les traces pour la protéger.
9. "Le Bon Plaisir" de Francis Girod (sorti le 18 janvier 1984)
Excellente adaptation du roman de Françoise Giroud où l’intrigue se trouve au cœur du pouvoir, à l’Élysée. Michel Serrault est le Ministre de l’Intérieur (Ponia), Jean-Louis Trintignant est le Président (Giscard mais avec la majesté de Mitterrand), Catherine Deneuve la maîtresse qui lui a donné un enfant adultérin (non, ce n’est pas Mazarine), avec aussi Michel Auclair, vieux journaliste ambigu et Hippolyte Girardot, jeune journaliste épaulé par le précédent.
10. "Nelly et Monsieur Arnaud" de Claude Sautet (sorti le 18 octobre 1995)
L’énigmatique retraité Michel Serrault rencontre Emmanuelle Béart, qui vit de petits boulots, et l’engage pour dactylographier ses mémoires. Jean-Hugues Anglade est son éditeur. Avec aussi Michael Lonsdale, Claire Nadeau, Michèle Laroque et Charles Berling.
11. "Le Bonheur est dans le Pré" d’Étienne Chatilliez (sorti le 6 décembre 1995)
Michel Serrault est un patron rétrograde et paternaliste qui part à l’aventure d’une vie qu’il n’a jamais vécue avec une agricultrice Carmen Maura, encouragé par son copain familier Eddy Mitchell qui n’hésite pas à satisfaire l’épouse légitime Sabine Azéma. Initialement, c’est Jean Carmet qui aurait dû jouer le rôle de Michel Serrault, mais il s’est éclipsé trop vite.
12. "Les Enfants du marais" de Jean Becker (sorti le 3 mars 1999)
Dans cette comédie dramatique qui est aussi une chronique sociale, Michel Serrault joue un rôle secondaire, celui de patron riche issu d’un milieu modeste et pas instruit, le même milieu que les héros Jacques Villeret et Jacques Gamblin, avec notamment Isabelle Carré, André Dussollier, Gisèle Casadesus, Jacques Dufilho, Éric Cantona, Roland Magdane et Suzanne Flon la narratrice.
13. "Albert est méchant" d’Hervé Palud (sorti le 14 janvier 2004)
À la mort d’un grand écrivain, son demi-frère isolé et excentrique Michel Serrault hérite d’une grosse fortune malgré sa détestation de l’argent, tandis que son fils Christian Clavier, pour récupérer l’argent, va rencontrer le vieil ermite pour qu’il renonce à cet héritage. Avec Arielle Dombasle et Priscilla Betti.
Laissons à Michel Serrault la recette du bon comédien : « Le comédien doit être poreux, sensible à ce qui l’entoure, mais il doit compter aussi sur une forte imagination. L’invention doit jouer tout son rôle dans le processus dès lors qu’elle repose sur tout c terreau de sensations recueillies. En mélangeant les souvenirs de certains "états" à des inventions pures, on atteint parfois le sublime. » (2004).
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Sylvain Rakotoarison (24 juillet 2022)
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