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31 août 2022 3 31 /08 /août /2022 05:57

« En permettant, en toute conscience, que la Russie sorte du communisme sans guerre civile, Gorbatchev remporte une victoire, qui signe aussi sa perte. » (Vladimir Fédorovski, 2019).



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Héritier de Lénine et dernier maître de l’URSS du 11 mars 1985 au 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev est mort ce mardi 30 août 2022 à l’âge de 91 ans et demi, à Moscou, des « suites d’une longue maladie grave ». La mort de celui qui a reçu un Prix Nobel de la Paix en 1990 pour avoir mis fin à la guerre froide et engagé la Russie dans la voie d’un désarmement nucléaire avec les Américains (mais qui a en même temps réprimé dans le sang la volonté d’émancipation des États baltes) va sans doute provoquer une surenchère de récupération en pleine guerre entre la Russie et l’Ukraine.

Ainsi, le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine, au pouvoir depuis vingt-trois ans, a adressé ses « profondes condoléances » et cela ne m’étonnerait pas qu’il réserve à celui qui pourrait être considéré comme son illustre prédécesseur des funérailles nationales.

Pourtant, Gorbatchev, qui est entré dans l’Histoire dès 1985 avec la fin de la succession des dirigeants de la gérontocratie qu’était devenue l’URSS, qui a apporté une lueur de démocratie, de liberté, de transparence (glasnost) et de restructuration (perestroïka) au peuple russe, n’a jamais été populaire. Au contraire, il fait partie des dirigeants russes les moins aimés des Russes, responsables de la perte de la grandeur de la Russie avec l’effondrement de l’URSS. Candidat à l’élection présidentielle du 16 juin 1996, il n’a obtenu que 0,52% des suffrages exprimés (386 069 voix !), très loin des 35,79% de Boris Eltsine qui a été réélu au second tour.

Dans l’introduction à son livre "Le roman vrai de Gorbatchev" publié en janvier 2019 (éd. Flammarion), Vladimir Fédorovski, que j’ai cité en début d’article, continuait ainsi : « Il ne suit pas le programme pour lequel Youri Andropov, son parrain politique et son prédécesseur, l’avait mandaté : appliquer la même stratégie que Deng Xiaoping en Chine, organiser l’ouverture graduelle de l’économie d’un main de fer politique, ce qu’il faut bien appeler la terreur. Si l’on suit Andropov, il aurait fallu continuer à tuer. Mais Gorbatchev ne le voulait pas. "Ni humainement, ni politiquement !" me précisera Alexandre Yakovlev. ». Yakovlev (1923-2005) a été le théoricien des transformations politiques, conseiller très proche de Gorbatchev. C’était aussi un correspondant très assidu de Vladimir Fédorovski, ancien diplomate russe devenu écrivain français (je l’ai croisé plusieurs fois au Salon du Livre de Paris).

Mais revenons en arrière. Gorbatchev a gravi tous les échelons du parti communiste d’Union Soviétique (PCUS) en se faisant élire responsable jeune, etc. Au fil des responsabilités, il notait tout ce qui n’allait pas en URSS, sans en référer à personne. Dans les années 1970, il a été repéré par Youri Andropov, chef du KGB, qui, lui-même, venait de se rendre compte de l’état déplorable de l’URSS : il avait fait évaluer le PNB de l’URSS selon les calculs occidentaux, et la place de l’URSS était lamentable. Il a donc apprécié ce jeune cadre très direct qui n’hésitait pas à être lucide et à trouver des solutions. Succédant à Brejnev, Andropov l’a nommé Ministre de l’Agriculture.

Gorbatchev, qui a tenu beaucoup de conférences internationales un fois retiré de la politique soviétique, était présent le 21 octobre 2011 au Palais des Congrès de Montréal. Olivier Schmouker était présent et a raconté sur son blog quelques anecdotes livrées par l’ancien dirigeant soviétique. Ainsi, c’est grâce à une grève des agriculteurs canadiens que Gorbatchev, ministre en visite au Canada, a dû attendre son homologue canadien, en retard à cause des manifestants, en faisant la connaissance de l’ambassadeur de l’URSS au Canada, un certain Alexandre Yakovlev : « Deux semaine plus tard, M. Yakovlev était rappelé en URSS pour agir comme l’éminence grise du plus jeune ministre soviétique. ».

Alexandre Yakovlev, plus tard, confiait être : « incapable de pénétrer le psychisme de Gorbatchev. Il était impossible d’atteindre son âme. La personnalité de cet homme était une forteresse inaccessible. ». En revanche, on sait, parce qu’il l’a beaucoup commenté, que Gorbatchev n’avait aucune intention d’être le fossoyeur de l’Union Soviétique. Au contraire, il fut son seul dirigeant à avoir cette ambition démesurée de réformer l’URSS pour la consolider, la faire perdurer : « Cette vision nous a conduits à engager des changements démocratiques, à ouvrir le pays, à réformer notre union et notre économie, à rendre leur liberté de mouvement aux citoyens, à introduire la liberté d’expression et de religion. À cette époque, je n’avais aucune hésitation, je savais que c’était le chemin à suivre. Et j’ai cru que l’on pourrait ainsi préserver l’Union Soviétique. » a-t-il clairement proclamé à sa conférence à Montréal (toujours selon Olivier Schmouker).

La gestion catastrophique de l’accident nucléaire de Tchernobyl a été aussi un élément déclencheur très fort pour profondément réformer l’URSS : « Les apparatchiks essaient de minimiser l’ampleur de cette catastrophe, bien qu’ils aient toutes les informations par le KGB. Gorbatchev décide de rendre compte de la situation à la télévision une journée plus tard (…). Cette fois-ci, la vérité nue est exprimée, de surcroît par le secrétaire général du parti, chef suprême du Kremlin ! "C’était, me dirait Yakovlev, en événement apocalyptique face auquel les vieilles formules n’avaient plus de sens et qui autorisait enfin tous les basculements. D’autant plus que cette catastrophe-là, nous nous l’étions infligée à nous-mêmes…". Du jour au lendemain, Gorbatchev peut affirmer devant le pays entier ce qu’il ne laissait entendre que devant les seules élites : le système communiste ne marche pas. Avec ce discours sans ambiguïté sur le drame de Tchernobyl, la parole se libère un peu plus, y compris à la télévision. » (Vladimir Fédorovski).

On connaît la suite. Le 12 juin 1991, lors de la fête nationale, Gorbatchev fut copieusement hué par la foule et tout le comité central a quitté précipitamment la Place rouge. La perspective d’un nouvel accord d’union entre les différentes républiques de l’URSS (qui allait être signé le 20 août 1991) a provoqué un coup d'État la veille, avec la complicité d’un grand nombre de responsables de l’entourage de Gorbatchev. L’une des erreurs a été de mal s’entourer, mais surtout, cela a été de ne pas anticiper un tel coup d'État dans ce contexte d’ouverture politique qui était contesté par de nombreux conservateurs du parti.

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L’échec des putschistes n’a pas redonné le pouvoir à Gorbatchev, qui avait été assigné à résidence dans sa villa de Crimée, mais à Boris Eltsine, dirigeant de la Fédération de Russie, incluse pour quelques mois encore dans l’URSS, qui s’était opposé au putsch avec un grand courage physique, debout sur un char soviétique chargé de la répression. La séance mémorable du 23 août 1991 a montré un Boris Eltsine autoritaire imposant ses décisions à un Mikhaïl Gorbatchev dépecé de toutes ses prérogatives jusqu’aux Accords de Minsk le 8 décembre 1991, les Accords d’Alma-Ata le 21 décembre 1991 (création de la CEI), et la fin officielle de l’URSS le jour du 25 décembre 1991 (Noël était deux semaines plus tard pour les orthodoxes).

Olivier Schmouker a rapporté aussi cette réflexion de Gorbatchev le 21 octobre 2011 : « Nous avons changé le monde. Je peux le dire, car si rien n’avait été entrepris chez nous, le monde ne serait pas tel qu’il est aujourd’hui. Et cela m’a été confirmé un jour par Frederik De Klerk, l’ancien chef d’État sud-africain, qui a eu le Prix Nobel de la Paix : "Sans vous, sans la perestroïka, croyez-moi, l’apartheid serait encore en vigueur en Afrique du Sud. Vous nous avez montré que changer est toujours possible", m’a-t-il confié. ». En concluant avec une formule de Pierre Dac, célèbre humoriste français : « Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. » (Je ne sais pas comment cela se traduit en russe pour garder l’intérêt du jeu de mots).

Détesté par les Russes, adulé par les Allemands, et plus généralement, par les Européens, Gorbatchev a réussi ce qui a fait sa fragilité : son respect de la vie humaine. Il a refusé les répressions sanglantes faites dans la zone d’influence soviétique dans le passé (Budapest en 1956, Prague en 1968) ou en Chine dans le présent (Tiananmen au printemps 1989). En clair, il a refusé d’empêcher par la force les élections démocratiques en Pologne en juin 1989, il a refusé d’empêcher la chute du mur de Berlin en novembre 1989, il a refusé d’empêcher la Réunification de l’Allemagne en octobre 1990.

Dans son livre, Fédorovski revient aussi sur ce sujet : « Mikhaïl Gorbatchev espère naïvement que sa prise de risque en faveur de la réunification de l’Allemagne sera récompensée et que, selon la formule, on va lui "renvoyer l’ascenseur". À l’époque, on lui a promis plusieurs fois que l’OTAN ne viendrait pas au-delà de la frontière est-allemande de 1990. Le Secrétaire d'État américain, James Baker, lui précise même que l’OTAN ne progressera pas "d’un pouce vers l’Est". À cette voix se sont jointes celles du Président George H.W. Bush, du Ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne de l’Ouest Hans Dietrich Genscher, du Chancelier ouest-allemand Helmut Kohl, du directeur de la CIA Robert Gates, du Président français François Mitterrand, du Premier Ministre britannique John Major, du Ministre des Affaires étrangères britannique Douglas Hurd, et du Secrétaire Général de l’OTAN Manfred Wörner. ».

Et l’ancien diplomate soviétique de constater : « C’est pourquoi Boris Eltsine, puis surtout Vladimir Poutine, n’auront de cesse de tempêter contre l’expansion de l’OTAN vers leur frontière, malgré des garanties contraires. "Qu’est-il arrivé aux assurances que nos partenaires occidentaux nous offraient après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces déclarations aujourd’hui ?" interroge Poutine à la conférence de Munich sur la sécurité en 2007. "Personne ne semble même s’en souvenir. Pourtant, je peux citer le discours de M. Wörner, Secrétaire Général de l’OTAN, à Bruxelles le 17 mai 1990 : ‘Le fait que nous ne sommes pas prêts à placer une armée de l’OTAN hors du territoire de l’Allemagne offre une garantie de sécurité solide à l’Union Soviétique’. Où son passées ces garanties ?" ».

Toutefois, aucun traité n’a été conclu avec ces supposées garanties. En revanche, la seule chose qui vaille, le seul texte qui engage juridiquement, c’est le Mémorandum de Budapest, signé le 5 décembre 1994 et confirmé le 4 décembre 2009 par la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan, qui fait renoncer ces trois anciennes républiques de l’URSS à l’arme nucléaire en échange d’une reconnaissance de leurs frontières. Ce que Vladimir Poutine a allègrement violé le 24 février 2022 en envahissant l’Ukraine, mais aussi en annexant la Crimée en mars 2014.

Quant à l’opinion de Gorbatchev sur Poutine, elle est difficile à bien la comprendre : Vladimir Fédorovski a cité des propos contradictoires, très laudateurs pour son action en Ukraine (son livre date de 2019), mais aussi très critiques sur les valeurs démocratiques. Pour Fédorovski, toutefois, « l’ère Poutine est l’antithèse de la perestroïka (…). Au départ, [Poutine] est choisi par Eltsine pour être la marionnette d’un système oligarchique pourri. Mais il devient aussitôt marionnettiste ! Il tue l’ancien système oligarchique pour en créer un nouveau. ». En tout cas, Gorbatchev n’avait plus la possibilité de se rendre en Ukraine, les autorités ukrainiennes lui avaient refusé le visa parce qu’il avait affirmé que la Crimée devait rester russe.

Les Russes revisiteront certainement Gorbatchev avec un œil plus favorable dans quelque temps, probablement après l’ère Poutine…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 août 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Poutinien ?
L'héritier de Béria ?
Le début de la fin.
Mikhaïl Gorbatchev.
La fin de l’URSS.
Andrei Gromyko.
6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
Dmitri Vrubel.
Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
L'avis de François Hollande.
Volodymyr Zelensky.
Poutine paiera pour les morts et la destruction de l’Ukraine.
Ukraine en guerre : coming out de la Grande Russie.
Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire.
Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !
Klim Tchourioumov.
Après Vostok 1, Sputnik V.
Evgueni Primakov.
Irina Slavina, le cauchemar par le feu.
Trotski.
Vladimir Poutine au pouvoir jusqu'en 2036 ?
Anatoli Tchoubaïs.
Vladimir Poutine : comment rester au pouvoir après 2024 ?

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220830-gorbatchev.html

https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/gorbatchev-le-liquidateur-du-243539

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/08/30/39612858.html








 

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