« Toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité à l’identité et aux données non identifiantes du tiers donneur (…). Les personnes qui souhaitent procéder à un don de gamètes ou proposer leur embryon à l’accueil consentent expressément et au préalable à la communication de ces données et de leur identité. » (Loi n°2021-1017 du 2 août 2021).
À partir de ce jeudi 1er septembre 2022, le don de gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes) est procédé en France avec la levée de l’anonymat du donneur. C’est une nouveauté qui est très importante et qui correspond à la fin d’une règle très stricte en droit français. C’est donc une date marquante pour le droit et la médecine en France.
En effet, la tradition juridique française impose la gratuité et l’anonymat du donneur dans le cas d’un don d’organe en général. La gratuité a pour but d’éviter des trafics et surtout, de les soumettre aux personnes aux conditions les plus modestes afin d’obtenir une rémunération (par exemple, vente d’un rein, vente de sang, etc.). L’anonymat est en quelque sorte le corollaire de la gratuité, du moins sa condition nécessaire pour éviter toute pression du donneur sur le receveur (et le cas échéant, réciproquement).
Lors des premières lois de bioéthique, en 1994, le législateur a voulu encadrer le don de gamètes à destination d’une éventuelle PMA. La PMA était plus ou moins réalisée depuis quelques années sans cadre législatif. Le législateur a encadré cette pratique en reprenant le principe de l’anonymat pour garder un cadre commun à l’ensemble des produits et éléments du corps humain. Ce principe est régi par l’article 16-8 du code civil et l’article L.1211-6 du code de la santé publique.
Ce dernier dit ainsi : « Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu, ne peut être divulguée. Il ne peut être dérogé à ce principe d’anonymat qu’en cas de nécessité thérapeutique. ».
L’exception dérogatoire est explicitée au premier alinéa de l’article L.1244-6 du code de la santé publique : « Un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique concernant un enfant conçu à partir de gamètes issus de don. ».
Dans le cadre de l’adoption de la première loi de bioéthique, la loi n°94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, le Conseil Constitutionnel a validé le 27 juillet 1994 les dispositions garantissant l’anonymat des tiers donneurs et interdisant aux enfants de connaître l’identité de ceux-ci (Décision n°94-343/344 DC) : « Les dispositions de cette loi n’ont eu ni pour objet ni pour effet de régir les conditions d’attribution de paternité en cas d’assistance médicale à la procréation ; (…) aucune disposition ni aucun principe à valeur constitutionnelle ne prohibe les interdictions prescrites par le législateur d’établir un lien de filiation entre l’enfant issu de la procréation et l’auteur du don et d’exercer une action en responsabilité à l’encontre de celui-ci. ».
À l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à propos du droit à l’accouchement sous le secret, le Conseil Constitutionnel a commenté sa décision le 16 mai 2012 ainsi : « Le droit au respect de la vie privée n’implique pas un droit d’accès aux origines. » (Décision n°2012-248 QPC).
Le principe français tient donc compte plus des conditions du don que de l’intérêt de l’enfant né sans connaître ses origines. La Cour européenne des droits de l’homme a interprété l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dans le sens que « chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain », mais confirme le droit français : « Le droit pour toute personne de connaître ses origines ne trouve pas de fondement constitutionnel dans le droit de mener une vie familiale normale. ». L’explication est assez simple : on estime que la "vie familiale normale" correspond à son sens concret, concernant ceux qui vivent ensemble, et pas « une consécration en droit des liens biologiques ».
Du reste, le droit de filiation n’a rien à voir avec les liens biologiques, ce qui était heureux encore jusque récemment, dans une époque où il était impossible de déterminer avec certitude la filiation biologique (tests ADN). Et à notre époque, depuis quelques décennies, maintenant qu’il est possible, techniquement mais aussi commercialement, de comparer les empreintes génétiques, même si c’est, en France, juridiquement interdit, le risque est de donner du sens au seul lien biologique, au détriment des liens sociaux réels (les parents qui ont réellement élevé l’enfant). Ce sujet peut aller très loin dans l’idée qu’on peut se faire de l’être humain, entre ceux qui insistent plus sur l’apport inné (biologique, naturel) et ceux qui, comme les valeurs républicaines le proclament d’ailleurs, ne se focalisent que sur l’apport acquis (mérite personnel, instruction, culture, liens sociaux, économiques, etc.). Il y aurait beaucoup à disserter sur ce thème hautement philosophique mais ce n’est pas le sujet ici.
Dans sa décision du 16 mai 2012, le Conseil Constitutionnel a d’ailleurs bien pressenti le conflit d’intérêts sur cette question de l’accès aux origines pour un accouchement sous X, entre les intérêts de la mère de naissance et les intérêts de l’enfant. Il n’est donc pas question ici de "droits" mais d’intérêts : « Il n’appartient pas au Conseil Constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant. ».
Toutefois, le même Conseil Constitutionnel a voulu consacrer, le 21 mars 2019, la notion de « protection de l’intérêt supérieur de l’enfant » en lui reconnaissant une valeur constitutionnelle provenant du Préambule de la Constitution de 1946 : « Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette exigence impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge. Il s’ensuit que les règles relatives à la détermination de l’âge d’un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures. » (Décision n°2018-768 QPC). Là encore, ce thème peut bifurquer sur un autre sujet très différent, comme l’immigration de mineurs non accompagnés.
Dans le compte-rendu n°6 du 6 septembre 2019 de la mission d’information de la conférence des présidents (de l’Assemblée Nationale) sur la révision de la loi relative à la bioéthique, il a été observé : « Tout le système, qu’il soit juridique, conditions d’accès, établissement de la filiation, ou médical, a été orienté vers l’idée que le secret n’appartient qu’aux parents et que c’est à eux de dire éventuellement à l’enfant comment il a été conçu et s’il a été conçu grâce à un don. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la médecine a accompagné le mouvement juridique. » (Entre autres, le médecin s’assure que l’enfant à naître par PMA puisse avoir un groupe sanguin compatible avec celui de ses parents si ceux-ci le souhaitent).
Quant au Conseil d'État, dans un rapport daté du 28 juin 2018, il a émis la possibilité d’une brèche à ce principe du secret, principe très imparfait pour les enfants : « La diversification des modèles familiaux tend à banaliser la dissociation entre filiation juridique et biologique et atténue aujourd’hui la dimension potentiellement déstabilisante de la revendication de l’accès aux origines. ».
Ce dernier constat est probablement l’argument le plus audible pour une évolution de ce principe qui a été adoptée par la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique dans ces termes : « Les médecins (…) doivent, en cas d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneurs, informer les deux membres du couple ou la femme non mariée des modalités de l’accès aux donnés non identifiantes et à l’identité du tiers donneur par la personne majeure issue du don. ».
Et le plus important est cet article L.2143-2 du code de la santé publique : « Toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité à l’identité et aux données non identifiantes du tiers donneur définies à l’article L.2143-3. Les personnes qui souhaitent procéder à un don de gamètes ou proposer leur embryon à l’accueil consentent expressément et au préalable à la communication de ces données et de leur identité (…). En cas de refus, ces personnes ne peuvent procéder à ce don ou proposer cet accueil. Le décès du tiers donneur est sans incidence sur la communication de ces données et de son identité. Ces données peuvent être actualisées par le donneur. ». J’imagine aussi que l’informatisation de ces données rendra les procédures d’accès aux origines beaucoup plus rapides que dans le cas de fichiers papier qui, en plus, pourraient être détruits ou perdus.
Et l’article suivant (L.2143-3) précise quelles sont les "données non identifiantes" du tiers donneur : son âge, son état général décrit par lui au moment du don, ses caractéristiques physiques, sa situation familiale et professionnelle, son pays de naissance, ses motivations pour son don, rédigé par lui,
Le code civil a été aussi modifié par l’article 16-8-1 : « Le principe d’anonymat du don ne fait pas obstacle à l’accès de la personne majeure née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, sur sa demande, à des données non identifiantes ou à l’identité du tiers donneur. ».
Donc, depuis ce 1er septembre 2022, toutes ces données sont accessibles à l’enfant issus du don de gamètes du donneur, mais seulement lorsqu’il aura atteint la majorité (18 ans). Concrètement, cette disposition ne s’appliquera donc véritablement qu’à partir de l’année 2041 (dix-huit ans après une naissance issue d’un don réalisé à partir du 1er septembre 2022).
Cette disposition est importante car elle donne la priorité à l’enfant dans le fameux conflit entre donneur et enfant : l’accès à l’origine biologique est devenu un principe plus important que le principe d’anonymat. L’enfant pourra ne demander que des données non identifiantes (décrites dans l’article L.2143-3 du code de la santé publique évoqué plus haut : âge, aspect physique, profession, etc.), ou l’identité complète du donneur qui lui permettrait, le cas échéant, de le rencontrer. En revanche, le donneur n’aura pas accès à l’identité des éventuels enfants procréés à partir de son don, sauf, bien sûr, si ces enfants le souhaitent et se présentent à lui.
Précisons aussi que les parents receveurs du don de gamètes n’auront pas eux-mêmes accès à ces données (seul leur enfant issu de ce don, à sa majorité) et en outre, élément essentiel, cette disposition n’a aucun impact sur la filiation, aucun lien légal ne pourra être établi entre le donneur et l’enfant.
Dix-huit ans, c’est beaucoup, c’est très long, on peut se dire que les risques de pression pour violer le principe de gratuité sont assez faibles après une telle période, d’autant plus que cet accès à l’identité est initié uniquement par l’enfant et pas le donneur. Mais c‘est aussi très long pour le donneur dont l’anonymat lui permettait de ne pas présager de son avenir affectif. Comment savoir dans quelle situation affective on pourrait se trouver dans une vingtaine d’années ? Quelle serait la réaction du donneur mais aussi de ses proches, de sa famille, de son éventuel conjoint, de ses éventuels enfants si un enfant issu de son don venait à se présenter à lui, à eux ? C’est là la difficulté et un engagement important du donneur.
L’aspect juridique de l’accès aux informations du donneur est résolu simplement par un accord signé préalablement par le donneur au moment du don, l’accord que ses informations soient possiblement communiquées aux éventuels enfants issus de son don. C’est en fait dans cette signature que la loi change fondamentalement les choses : les donneurs non seulement sont prévenus mais acceptent cet accès à l’information, or c’est ce point qui fait ou va faire problème pour toutes les demandes d’accès à ces informations des enfants issus de don réalisés avant le 1er septembre 2022 : les donneurs n’avaient pas donné leur accord de communication des données au moment du don. Ils n’avaient d’ailleurs pas forcément communiqué toutes leurs données personnelles.
Il existe donc deux catégories de dons pour l’instant : ceux qui ont donné des gamètes sans cet accord préalable, et ceux réalisés à partir du 1er septembre 2022, dont l’accord est obligatoire pour faire le don. Une période transitoire sera fixée par décret (je crois qu’elle n’est pas encore définie) pour harmoniser ces deux statuts. Les "anciens" donneurs ont tout le loisir d’approuver rétroactivement la transmission de leurs données personnelles (donc après leur don) et on se retrouve dans le même régime que la nouvelle loi. Ceux qui, en revanche, refusent ou ne font pas cette démarche, verront les gamètes qu’ils ont données détruites à une date donnée (c’est cette date que le décret fixera), la période transitoire ayant pour but de laisser le temps aux anciens donneurs de faire cette démarche. C’est d’ailleurs une démarche double car ces donneurs doivent, avant de donner leur autorisation, donner préalablement leur identité et leurs informations non identifiantes pour pouvoir les transmettre, ce qu’ils n’avaient pas fait auparavant.
Ce système a été contesté par ceux qui, militants, voulaient absolument la PMA pour toutes les femmes car ils considéraient que la destruction de gamètes issues des anciens dons était une erreur dans une situation où l’on manque déjà de donneurs et que la nouvelle loi fera appel à des besoins encore plus pressants. Pourtant, la loi ici a privilégié l’intérêt de l’enfant issu de ces dons et rien n’est pire qu’un enfant en recherche d’origines et confronté pendant des décennies à des murs administratifs d’opposition et de secret. Ces militants disent que la destruction de gamètes, alors qu’il en manque déjà, n’est pas pertinente, mais aussi que l’obligation de signer un accord de transmission de données personnelles à l’éventuel enfant va réduire le nombre de donneurs.
L’étude d’impact présentée dans les débats parlementaires expliquait d’ailleurs : « Une des principales controverse concernant la levée de l’anonymat est que celle-ci engendrerait une diminution du nombre de dons. Or, si une baisse transitoire du nombre de donneurs de gamètes a pu être observée [à l’étranger] juste après le changement législatif en question, la tendance semble ensuite s’inverser pour repartir à la hausse et dépasser les chiffres initiaux. Ce fut notamment le cas en Suède, en Australie, en Finlande ou encore au Royaume-Uni. ». En Suède, ce fut une augmentation de 6% des dons dans l’année suivant la mise en place de la levée de l’anonymat. Au Royaume-Uni, le nombre a doublé : « Ainsi, si la levée de l’anonymat est susceptible d’avoir un impact initial sur le nombre de dons, il apparaît néanmoins exagéré de prévoir une baisse radicale à moyen et long terme. ».
Irène Théry et Anne-Marie Leroyer ont voulu aussi dédramatiser avec un autre argument : « Les alarmes sur la chute éventuelle des dons de sperme qui pèsent si lourdement sur le débat français, portent non pas sur plusieurs milliers de personnes, comme on l’imagine souvent, mais sur de très petits chiffre : moins de 500 donneurs par an, en France comme au Royaume-Uni. Sur de si petits effectifs, il est facile de comprendre que dans un pays de 66 millions d’habitants, la moindre campagne d’appel au don, si elle est bien faite, aura des résultats immédiats. ».
Un internaute a laissé ce message plein de bon sens en commentant l’article sur le sujet de "20 minutes" : « Il faut reconnaître que la souffrance de ne pas connaître son géniteur est plus grande que la souffrance de ne pas être né pour cause de pénurie de dons. ». Un autre, faisant dans l’humour, a constaté : « La fin de la discrétion pour les dons en liquide ? Sortez les mouchoirs ! ».
Et les faits sont là, car la réalité est différente des craintes exprimées : jamais l’année 2021 n’a connu autant de donneurs, avec la connaissance des dispositions de la loi. En 2021, il y a eu 600 donneurs de spermes (317 en 2019), 900 donneuses d’ovocytes pour 6 800 demandes de PMA.
En gros, avant la loi de 2021, 25 000 enfants naissaient chaque année par PMA (26 355 naissances en 2016, issues de 147 730 tentatives de PMA), dont 5% grâce à un don de gamètes. Environ 600 femmes (ovocytes) et environ 300 hommes (spermatozoïdes) étaient des donneurs chaque année de gamètes, et environ 5 000 hommes faisaient de l’autoconservation de spermatozoïdes dans le cadre d’une maladie dont le traitement pouvait rendre stérile. Les dons ont ainsi augmenté d’environ 50% en 2021 par rapport à 2019 (l’année 2020 est peu significative à cause du covid-19), sans doute parce que les Français ont été plus sensibilisés à cet enjeu avec le débat public engagé par l’examen de la loi de 2021.
Beaucoup ont critiqué l’extension de la PMA à toutes les femmes, sans considération de maladie ou de stérilité, en la considérant comme la victoire d’un "droit à l’enfant" contre la protection du "droit de l’enfant" et c’est probablement vrai que répondre à la question de la motivation d’avoir des enfants peut revenir à un certain "narcissisme" des futurs parents, mais pas seulement et ce n’est pas valable que dans le cas d’une PMA ou que pour des couples de femmes homosexuelles ou des femmes seules. La levée de l’anonymat donne au contraire un nouveau droit de l’enfant, celui de connaître ses origines et c’est très important pour lui. Beaucoup ont cherché très longtemps à avoir ces informations et parfois n’ont pas réussi à les obtenir dans le passé. Ce sera désormais un droit de connaître l’identité du tiers donneur, auquel l’administration ne pourra pas s’opposer.
En ce sens, même pour les enfants issus de la PMA limitée aux couples hétérosexuels qui ont un problème de stérilité (comme avant 2021), cette loi sera un progrès non négligeable par rapport à l’ancienne procédure. (Cela ne m’empêche pas de considérer cette loi de 2021 dangereuse, mais pas pour ce sujet, principalement à propos de l’expérimentation sur les cellules souches, je l’ai exprimé à de nombreuses occasions).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01er septembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
La PMA en France depuis le 29 septembre 2021.
Validation de la loi de bioéthique par le Conseil Constitutionnel.
Bioéthique 2021 (11) : adoption définitive du texte, les embryons humains protestent !
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220901-pma-anonymat-donneur.html
https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/pma-la-levee-de-l-anonymat-du-243540
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/09/01/39615119.html
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