« Nous adoptons une mesure en signant la candidature de l'Ukraine en vue d'une adhésion accélérée à l'OTAN. » (Volodymyr Zelensky, le 30 septembre 2022 à Kiev).
L'événement le plus important de la journée du vendredi 30 septembre 2022 sur la situation en Ukraine ne s'est pas déroulé à Moscou dans une mise en scène digne de la pire période soviétique, mais dans une rue de Kiev, dans un cadre beaucoup plus sobre, où le Président ukrainien Volodymyr Zelensky, son Ministre de la Défense et le Président de l'Assemblée ont solennellement signé la candidature de leur pays à l'OTAN. Du péplum de grosse production un peu ringarde sur la place Rouge, on est passé à la petite production sans le sou d'une série sur Netflix.
La journée devait en effet être dominée par l'officialisation par la Russie de l'annexion de quatre régions (oblasts) de l'Ukraine. Il y a une part paradoxale dans cette volonté du Président russe Vladimir Poutine à vouloir précipiter les choses. Au moins, c'est clair, la Russie poutinienne a fait ce que l'Allemagne a fait juste avant la guerre, annexion de l'Autriche, annexion des Sudètes... mais pour la Pologne, ce n'a pas fonctionné.
Au moment où la contre-offensive ukrainienne du 29 août 2022 met à mal les troupes russes sur le terrain, Vladimir Poutine a en effet voulu habilement reprendre la situation sur le plan politique le 21 septembre 2022 en décrétant la mobilisation semi-générale (on a vu ce que cela a provoqué, un mouvement de fuite massive vers la Géorgie et la Finlande), et l'organisation de quatre référendums dans les quatre régions que les troupes russes occupent.
En deux jours (deux jours !), les référendums ont été organisés, du 23 au 27 septembre 2022. Le principe de ces référendums viole la charte des Nations Unies, et la manière de les organiser aussi alors que les populations ont massivement fui ces régions en raison de la guerre, la définition du corps électoral, et surtout, les opérations de vote, l'urne qui se trimballait de maisons en maisons, avec des hommes armés au moment du vote, sans enveloppe pour cacher le bulletin choisi, sans vérification d'identité, et je ne parle pas de l'absence de neutralité et de garantie dans le dépouillement.
Ce n'est donc même pas la peine d'insister sur l'absence de secret, de sincérité, de liberté et de légitimité d'un tel vote. Je rappelle, pour être assesseur depuis une trentaine d'années, qu'en France, lors d'une élection, un gendarme, chargé de la sécurité, peut aller près d'un bureau de vote pour s'assurer que tout se passe bien, mais il n'a pas le droit d'entrer dans ce bureau de vote, car il est armé et le fait qu'un homme en arme soit dans un bureau de vote suffit en France à annuler l'ensemble des votes de ce bureau. C'est le cas aussi pour le secret du vote, l'isoloir, l'enveloppe pour cacher le bulletin choisi sont des éléments nécessaires à la sincérité du vote : on a annulé l'ensemble des votes du bureau de Jean Lassalle parce que justement, ce dernier avait montré son bulletin.
Tant d'extrême rigueur en France et tant de caricature qui pourrait dater du XIXe siècle dans ces pseudo-référendums russes donnent le gouffre qu'il y a entre les valeurs démocratiques en France et le cynisme du pouvoir russe, et je m'étonne qu'en France (restons ici), tant de personnes puissent autant donner de crédit à une farce qui, malheureusement, a déjà coûté des dizaines voire des centaines de milliers de vies, et cela probablement par un antiaméricanisme complètement archaïque et idéologique (probablement en couplant USA = capitalisme mondial).
Selon donc la doxa russe, 87,0% à Kherson, 93,1% à Zaporijjia, 99,8% à Donetsk et 98,4% à Lougansk auraient affirmé vouloir leur rattachement à la Fédération de Russie, alors même que les troupes d'occupation russes ne contrôlent pas l'ensemble des territoires de ces régions. Autant l'annexion de la Crimée pouvait avoir un sens pour les Russes, autant l'annexion du Donbass n'a aucun sens ni historique ni géographique ni politique sinon géostratégique.
On pourrait dire que c'était habile de la part de Vladimir Poutine : annexer ces territoires, les considérer comme un territoire russe et ensuite menacer de riposte nucléaire toute agression. Cela fait très adolescent. Le type s'est trompé sur toute la ligne. Il pensait faire comme Hitler en Autriche : parader dans les rues de Kiev accueilli en libérateur et la réalité, c'est qu'il a lui-même renforcé le sentiment national ukrainien.
Si ce sentiment était incertain avant le 24 février 2022, il est aussi tellement fort que le peuple ukrainien, au-delà de ses dirigeants, est devenu fortement nationaliste et refuse évidemment ces annexions. Concrètement, ces annexions n'empêcheront pas les Ukrainiens de résister à l'envahisseur russe dans ces régions, sur le terrain.
Le discours de Vladimir Poutine au Kremlin du 30 septembre 2022 est un exemple de caricature. On pourrait croire à une pièce de théâtre kafkaïenne. On pourrait considérer que Poutine, dont la paranoïa est clairement assumée, comme un fou, mais Poutine n'est pas fou, ce n'est pas non plus un pitre. Ce qui m'inquiète, c'est le nombre de personnes en France, en Europe, qui reprennent ses idées, ses thèses, buvant ses paroles probablement par un réflexe d'antiaméricanisme ou d'anarchisme ou encore d'aigreur contre l'espèce humaine en général.
Je rappelle qu'heureusement, la liberté d'expression est là et c'est d'ailleurs l'une des différences fondamentales entre la Russie et nous, nous la France (l'Europe). Ceux qui se collent dans les traces de Poutine matin midi et soir sur les réseaux sociaux comme des idiots utiles, qui militent à longueur de journée pour Poutine, ce sont des antipatriotes, n'hésitons pas à l'affirmer, des personnes qui militent contre la France, contre l'Europe, contre leur société, contre leurs intérêts et surtout, contre leurs valeurs.
Car parlons-en des valeurs. Poutine a prononcé un discours où l'Ukraine avait peu de place et "l'Occident" toute la place, considéré comme l'ennemi. C'est un discours à direction de l'Afrique, de l'Asie, mais qui ne trompe personne. Comment imaginer que la Russie ne fait pas partie du camp occidental ? Je ne sais pas ce qu'est "l'Occident", mais la vie à Moscou est à peu près la même que dans les autres grandes capitales européennes, avec quelques différences, mais pas plus qu'entre les pays européens. En reprenant presque l'argumentaire islamiste pour s'attaquer de front aux supposées valeurs occidentales, Poutine rend un bien mauvais service au peuple russe qui n'aspire qu'à s'occidentaliser, justement. Du reste, même les chanteurs invités sur la place Rouge pour célébrer les annexions reprenaient allègrement de la musique... occidentale !
Dans ce discours, il y a par exemple une attaque contre mariage pour tous, l'idée qu'il n'y a plus de père ni mère mais un parent 1, un parent 2. Oui, effectivement, cela peut être déroutant (cela déroute d'ailleurs), mais c'est dérisoire, anecdotique, cela ne concerne aucune valeur vraiment fondamentale, cela n'empêche pas que dans 99% des cas, il reste des mères et des pères, la PMA pour toutes les femmes, c'est juste une option, une liberté, qu'on peut discuter (qui a été longuement discutée), mais qui n'est rien dans "nos valeurs", qui n'est pas représentative de nos valeurs et que Poutine a citée seulement pour généraliser, dénigrer, stigmatiser "l'Occident".
Nos valeurs, par exemple, c'est de respecter les autres. C'est de respecter au moins la vie des personnes, même celles qui ne nous plaisent pas. Ce n'est pas de provoquer une guerre qui va coûter tant de dizaines de milliers de vies humaines. C'est aussi de respecter l'expression, l'opinion des autres, les différentes opinions (les anti-Français, anti-Européens, anti-alliés n'hésitent pas à s'en servir dans leur propre pays qu'ils ne cessent de dénigrer).
Pour moi, il n'y a pas photo, je suis du côté des valeurs de la démocratie, de la liberté d'expression, des droits humains, du respect des personnes et de la vie, et je ne doute pas que ces valeurs sont partagées par l'ensemble du peuple russe qui en avait même bénéficié pendant quelques moments après la chute de la dictature communiste.
Pas étonnant que les Ukrainiens aient choisi également ce camp-là, avec un enjeu encore plus grand que pour nous, car c'est l'existence même de leur nation qui est en jeu. En demandant l'adhésion rapide de l'Ukraine à l'OTAN, Zelensky prend acte du discours paranoïaque de Poutine : l'Ukraine est devenue le fer de lance des valeurs européennes, et c'est pour cela qu'il faut la soutenir. Ces annexions ne changeront donc rien sur le terrain, malgré des menaces nucléaires. Poutine s'est discrédité aux yeux du monde entier...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 septembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Volodymyr Zelensky demande l'adhésion accélérée de l'Ukraine à l'OTAN.
6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
Les massacres de Boutcha.
Le naufrage du croiseur russe Moskva.
L’assassinat de Daria Douguina.
Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
L'avis de François Hollande.
Volodymyr Zelensky.
Poutine paiera pour les morts et la destruction de l’Ukraine.
Ukraine en guerre : coming out de la Grande Russie.
Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire.
Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220930-ukraine.html
https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/volodymyr-zelensky-demande-l-244109
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/09/30/39650339.html