« Elle n'est pas indulgente mais elle critique sans bassesse. » (Alain Duhamel, en décembre 1984, à propos du livre "Le Rouge et le Noir" de Catherine Nay).
Ses mots sont comme des flèches, elle tire juste mais les flèches ne sont pas (trop) empoisonnées. L'éditorialiste politique Catherine Nay fête son 80e anniversaire en même temps que l'année, le 1er janvier 2023. J'apprécie beaucoup les avis de Catherine Nay qui a commencé sa vie professionnelle dans le journalisme politique au milieu des années 1960. Elle est maintenant devenue une mémoire dense de la vie politique sous la Cinquième République, par son observation minutieuse, plus particulièrement du côté du gaullisme triomphant puis de la droite républicaine.
"Haut perchée", la jeune fille qu'elle était n'était pas très à l'aise avec ses longues jambes. En revanche, elle impressionnait, et impression encore, non seulement physiquement mais aussi par son ton, ses remarques sur la vie politique, souvent bien vues mais vaches, corrosives quand il le faut. Sa réputation d'éditorialiste de droite a été confirmée avec la victoire de François Mitterrand, mais elle n'a été plus complaisante avec la droite qu'avec la gauche.
Sa vie affective n'était pas sans importance pour son métier : coup de foudre pour un (alors) ministre Albin Chalandon lors des assises (équivalent de congrès) de l'UNR (le parti gaulliste) du 24 au 26 novembre 1967 à Lille. À partir de 1968, Catherine Nay était la compagne d'Albin Chalandon jusqu'à la mort de celui-ci en été 2020 (ils ne se sont mariés qu'en 2016, après le décès de l'épouse officielle d'Albin Chalandon qui préférait ne pas divorcer malgré leur séparation). Cette intimité avec celui qui a été aussi bien ministre de De Gaulle que ministre de Jacques Chirac (à la première cohabitation), également chef d'une grande entreprise nationale (Elf Aquitaine), lui donnait une perspective complémentaire dans son analyse politique (et aussi dans les réflexions sur la Résistance).
Catherine Nay a démarré au service politique de "L'Express" qui fut une excellente école de journalisme avec Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber. Elle y rencontra Michèle Cotta qui est devenue une grande amie, de quelques années son aînée. Michèle Cotta était plutôt affectée au parti socialiste tandis que Catherine Nay au parti gaulliste. (Pour JJSS, en recrutant des jeunes femmes, c'était aussi le moyen détourné d'approcher plus facilement des personnalités politiques plus attentionnées à la gent féminine). C'est en travaillant pour "L'Express" que Catherine Nay a acquis sa réputation et heureusement, elle en est partie en 1975, peu avant que JJSS ne se ruinât pour faire de la politique et ne revendît le magazine.
Le nouvel employeur de Catherine Nay était alors la station de radio Europe 1 où elle resta fidèle pendant plus d'une quarantaine d'années, malgré parfois des patrons difficiles (heureusement, elle était la protégée du propriétaire Jean-Luc Lagardère). En plus de ses chroniques radiophoniques, elle faisait régulièrement des interviews politiques pour "Jour de France" (à la demande de Marcel Dassault, fournisseur de l'État), et a travaillé aussi pour le "Journal du dimanche" et "Valeurs actuelles". Elle est encore parfois l'invitée de certains plateaux de télévision pour apporter son commentaire politique.
Petit témoignage sur la période de la fin des années 1970 (elle a refusé de retourner à "L'Express" et préférait rester à la radio) : « Je ne détestais qu'une chose : couvrir la sortie du conseil des ministres avec le Nagra sur l'épaule qui me meurtrissait le dos pour tendre le micro aux excellences qui descendaient le perron de l'Élysée. Vu ma taille, j'avais l'impression de leur donner la becquée. Pour ne plus avoir à subir cette corvée, j'aurais pu avoir l'ambition de diriger un service. Je me disais plutôt : "Si j'écris un livre et s'il marche, après, on me laissera tranquille". ».
Si effectivement elle n'a jamais eu ni voulu de responsabilités managériales (elle n'a jamais rien dirigé, aucune rédaction ni média), elle a en revanche beaucoup publié de livres (à l'instar de son collègue d'Europe 1, Alain Duhamel). Son premier essai fut pour la rivalité entre Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac ("La Double Méprise" sorti le 22 octobre 1980 chez Grasset).
Mais c'est son deuxième essai qui lui donna la reconnaissance générale avec un grand succès éditorial et commercial, "Le Noir et le Rouge" (sorti le 1er décembre 1984 chez Grasset), n'hésitant pas à pasticher le titre de Stendhal pour décrire l'ascension politique de François Mitterrand. Elle a mis plus d'un an après s'être retirée de la vie quotidienne de la radio, pour faire son enquête approfondie sur le nouveau Président de la République. Elle l'a interviewé une seule fois et après la parution de cet essai, Catherine Nay n'a plus jamais rencontré François Mitterrand, blessé par cet ouvrage (et son entourage à l'Élysée regrettait qu'elle ne fût plus invitée par le palais). Catherine Nay a écrit un autre essai sur François Mitterrand à la fin du premier septennat, "Les Sept Mitterrand ou les Métamorphoses d'un septennat" (sorti le 13 janvier 1988 chez Grasset).
C'est probablement la sortie de son livre "Le Noir et le Rouge" qui l'a placée définitivement parmi les éditorialistes de droite (alors qu'elle avait beaucoup ménagé le Président : elle s'était bien gardée de révéler l'existence de Mazarine et le financement de la famille cachée par les contribuables), mais cela ne l'a pas empêchée de tirer aussi sur des personnalités de droite avec une ironie très efficace. Elle a notamment beaucoup suivi aussi la carrière politique de Jacques Chirac, de 1968 à 2019, n'hésitant pas à décrire ses faiblesses comme ses forces.
Fascinée par Nicolas Sarkozy, elle lui a consacré aussi deux essais, "Un pouvoir nommé désir" (sorti le 17 janvier 2007 chez Grasset) pour décrire celui qui n'était encore que candidat à l'élection présidentielle, puis, en bilan de son quinquennat, "L'impétueux : tourments, tourmentes, crises et tempêtes" (sorti le 7 mars 2012 chez Grasset), épatée par le volontarisme du Président en temps de crise.
Depuis quelques années, l'âge aidant, Catherine Nay est revenue sur ce qu'elle avait appris pendant toute sa carrière. Cela a pour l'instant donné deux livres de souvenirs, le premier tome "Souvenirs, souvenirs..." (sorti le 7 novembre 2019 chez Robert Laffont) et le deuxième tome "Tu le sais bien, le temps passe" (sorti le 25 novembre 2021 chez Bouquins).
Je les ai lus tous les deux et j'ai été un peu déçu par eux, car ils ne sont pas la même richesse documentaire que les "Cahiers secrets" de Michèle Cotta qui, quotidiennement, écrivait dans son journal personnel ce qu'elle ne pouvait pas dire publiquement à l'époque. Là, ce sont juste des souvenirs, c'est-à-dire des retours sur des événements anciens avec le regard d'aujourd'hui (et les failles de la mémoire), et si Catherine Nay est une incontestable littéraire (il suffit de lire les titres de ses livres), elle ne semble pas en harmonie avec les chiffres ou les dates, j'ai pu lire quelques dizaines d'erreurs (qui m'étonnent d'avoir échappé à la sagacité des éditeurs) qui n'ôtent rien à la saveur de ses écrits mais qui enlèvent ce qui aurait pu leur donner un caractère de référence. J'en reprendrai néanmoins certains éléments comme matériaux pour d'éventuels articles ultérieurs.
Dans son deuxième tome de souvenirs, elle évoque les mandats de trois Présidents de la République : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Et elle a été très dure avec Alain Juppé, Premier Ministre du début de la période (entre 1995 et 1997), à qui elle aurait préféré Philippe Séguin.
Deux exemples parmi d'autres : François Baroin, son ancien collègue sur Europe 1, et le bouclier fiscal.
François Baroin a été viré du gouvernement en même temps que de nombreuses femmes ministres seulement six mois après leur nomination, craignant qu'en s'exprimant publiquement sur tous les sujets (il était porte-parole du gouvernement), il ne prît sa place de Premier Ministre. Rappel douloureux (et drôle) de Catherine Nay : « C'est peu dire qu'il était révolté contre Alain Juppé, car il lui infligeait une double peine. Non seulement il le virait du gouvernement, mais il l'empêchait de reprendre son siège de député. La démission du suppléant n'étant pas alors automatique, il fallait passer par une élection partielle. Alain Juppé craignait qu'il soit battu. Il y avait un risque, le climat politique était très incandescent. (…) Dans "Le Monde", Plantu avait caricaturé drôlement l'éviction des "Juppettes" et de François Baroin. Huit femmes se jetaient à l'eau depuis un bateau, accompagnées d'un bébé en barboteuse, avec cette légende : "Juppé : les femmes et les enfants d'abord !" ».
Quand il est arrivé à Matignon, Alain Juppé avait découvert que les finances publiques étaient loin d'avoir été assainies par le gouvernement précédent (dont il faisait partie) : « Une situation économique "calamiteuse", selon ses dires. Un tacle aux balladuriens qui l'avaient très mal pris. Le trou de la Sécurité sociale était abyssal : deux cent cinquante mille milliards de francs (soit quarante milliards d'euros). Une remise en ordre des finances s'imposait. » [Une erreur parmi d'autres, comme indiqué plus haut, pourtant pas à la première édition : il s'agit bien sûr de deux cent cinquante milliards de francs, pas deux cent cinquante mille milliards !].
Donc, des mesures pour réduire les déficits : « Pour redresser les comptes, Alain Juppé n'y était pas allé de main morte. Matignon devenait le quartier général de la rigueur. Les recettes fiscales étant décevantes, il fallait faire entrer de l'argent, cent milliards d'impôts nouveaux : réduction des dépenses militaires, augmentation de 2% de la TVA, réduction des aides aux entreprises, augmentation de l'impôt sur les sociétés et, pour faire bon poids, de l'impôt sur la fortune dit de solidarité. (…) Créé en 1981 par la gauche, avec un plafond à 85%, supprimé par Édouard Balladur en 1986, l'impôt sur la fortune avait été rétabli par Michel Rocard en 1988, avec un plafonnement à 70%. Ainsi, l'État ne pouvait pas prendre aux riches plus de 70% de leurs revenus. ».
Et le paragraphe qui tue (politiquement), en d'autres mots, Alain Juppé aura été plus calamiteux que les socialo-communistes pour garder les capitaux : « En 1981, des milliers de Français avaient quitté leur pays pour s'établir à Genève, Londres ou Bruxelles, où la fiscalité est plus clémente. Ils ne sont jamais revenus. Les Suisses, les Belges, les Anglais s'étaient réjouis de l'aubaine. Ces gens aisés faisaient marcher les commerces et créaient des emplois. Mal conseillé par Bercy, Alain Juppé allait faire encore plus fort que les socialistes en faisant sauter le plafonnement. Conséquence : des contribuables se voyaient taxer à plus de 200% de leurs revenus. Cela s'appelle de la spoliation. Vendre leur patrimoine, souvent dans les plus mauvaises conditions, ou partir ? Le dilemme avait été vite tranché, il n'y avait pas d'autre choix que l'exil fiscal, faisant ainsi la fortune de leurs conseillers financiers. ».
Au téléphone, depuis l'Élysée, Jacques Chirac s'inquiétait de cette politique auprès d'Alain Juppé en lui lisant une note, avec François Pinault à l'écouteur : « Chaque fois, en réponse, Alain Juppé émettait une sorte de grognement dubitatif pour conclure, à la fin de la lecture : "Des Pinault, il n'y en a pas plus de dix en France. Eh bien, ils partiront, tant pis !" La légende raconte qu'il aurait même dit : "Dix connards". On imagine la réaction de Pinault. Les dégâts n'allaient pas tarder à se faire sentir. Trois milliards de francs quittaient le territoire, plus qu'en 1981. Des centaines de millionnaires s'étaient fait la malle. Au même moment, l'Allemagne supprimait l'impôt sur le patrimoine avec l'accord de tous les grands partis. (…) "J'ai eu l'idée funeste de supprimer le plafonnement, c'était une bêtise", voudra bien reconnaître le maire de Bordeaux, candidat à la primaire de la droite à l'automne 2016... vingt ans plus tard. ».
Dans ce livre, Catherine Nay, à la suite de Philippe Alexandre, a fustigé aussi la gauche plurielle, celle de Lionel Jospin qui a fait les 35 heures : « Vingt ans plus tard, les économistes en sont (presque) arrivés à ce consensus : les trente-cinq heures n'ont pas créé d'emplois, ont accéléré la désindustrialisation de la France, les délocalisations, et surtout changé le rapport des Français au travail, en les incitant à travailler moins. Aucun pays n'a jamais songé à nous imiter. ». On pourrait en dire autant sur l'âge de la retraite.
Quel est le responsable politique des 35 heures ? À l'origine, ce serait Dominique Strauss-Kahn qui aurait écrit cette proposition sur la nappe en papier d'un restaurant en avril 1997, cherchant une mesure phare de gauche. Martine Aubry, qui connaissait les réalités économiques pour avoir travaillé dans une grande entreprise, l'aurait alors rejetée en estimant que cela ne pourrait jamais réduire le chômage. Mais Lionel Jospin l'a gardée car il voulait garder tout le mythe de la gauche : le politique primait sur l'économique (les chômeurs licenciés à cause des délocalisations le remercieront a posteriori). Mais finalement, Martine Aubry l'a instrumentalisée à son profit, se donnant une réputation à gauche au détriment de l'intérêt général.
L'éditorialiste a ainsi rappelé le jour du vote de confiance du gouvernement Jospin. Martine Aubry a appris que les 35 heures étaient au programme au moment où elle devait lire le discours de politique générale au Sénat : « Ce jour-là, Martine Aubry, numéro deux du gouvernement (elle avait beaucoup insisté pour l'être), devait lire le discours du Premier Ministre devant les sénateurs. (…) Ravalant sa rage, Martine Aubry fut bien obligée de faire bonne figure devant les sénateurs. Mais ce jour-là, elle n'était pas la seule à tenter de freiner. Juste avant le discours, Dominique Strauss-Kahn arrive à Matignon. Il vient fureter dans le secrétariat de Jean-Pierre Jouyet pour mettre la main sur le discours de Jospin. Il veut le lire, espérant que Jospin ne parle pas des trente-cinq heures. Hélas si. Après un silence, il lâche, dépité, devant Jouyet : "L'important sera d'arrêter la machine infernale". Quand il apparaîtra que cette machine roule inexorablement, DSK en fera porter l'entière responsabilité sur les épaules de Martine Aubry. (…) De son côté, Aubry ne cessait de proférer des jugements cruels sur DSK, qu'elle niait ensuite avoir tenus. ».
Mais la ministre socialiste a fini par y voir son intérêt : « Martine Aubry a en effet très vite tourné casaque sur les trente-cinq heures. Explication de Jean-Pierre Jouyet : "Grâce à cette mesure, elle a réalisé qu'elle était devenue une icône à gauche. Elle y a vu un levier pour servir son ambition politique. Être un jour candidate de la gauche à la présidentielle. Elle y a longtemps songé". Mais de là à imposer avec autant d'assurance, de culot, d'intransigeance, de violence aux patrons (85% y étaient hostiles) une réforme qu'elle savait inopérante pour créer des emplois et qui serait nocive pour le pays... Je m'interrogeais. Comment une fille élevée au biberon du respect des partenaires sociaux, par son père Jacques Delors, l'inventeur de la politique contractuelle, a-t-elle pu les piétiner à ce point ? Un cas d'école qui relevait presque de la psychanalyse. (…) Martine Aubry mettant en œuvre les trente-cinq heures qu'elle réprouve, je voyais dans ce paradoxe un parallèle étrange avec son père qui, lui aussi, m'avait beaucoup étonnée en 1981. À la grande surprise des socialistes, il acceptait de devenir ministre de l'Économie et des Finances de François Mitterrand. ».
Alain Juppé et Martine Aubry, deux présidentiables de haut niveau dans la politique française, victimes de ce qu'on pourrait appeler la "langue de vipère" de Catherine Nay. Bien entendu, ils ne furent pas les seules victimes, et Catherine Nay n'a jamais hésité à critiquer à droite si elle faisait n'importe quoi (l'exemple de la dissolution de 1997 est très instructif) et c'est finalement sa liberté de ton qui lui vaut cette belle réputation d'éditorialiste indépendante, d'autant plus qu'en plongeant dans ses souvenirs, les protagonistes ne risquent plus d'échouer dans leurs entreprises, parfois ils sont même déjà morts. Consécration éditoriale : quatre de ses ouvrages sont édités dans la fameuse collection Bouquins des éditions Robert Laffont. Catherine Nay ? C'est un classique pour les prochains étudiants en sciences politiques.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (31 décembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Daniel Schneidermann.
Catherine Nay.
Serge July.
La BBC fête son centenaire.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230101-catherine-nay.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/catherine-nay-dans-les-coulisses-245618
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/12/12/39743905.html