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10 janvier 2023 2 10 /01 /janvier /2023 20:48

« Notre système de retraites par répartition est un des fondements de notre système social. C’est un bien précieux et un symbole de notre Nation. Notre objectif est de le préserver. » (Élisabeth Borne, le 10 janvier 2023 à Matignon).



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Ce mardi 10 janvier 2023 à 17 heures 30, la Première Ministre Élisabeth Borne a présenté, au cours d'une conférence de presse (visible ici), la réforme des retraites promise dans les engagements du candidat Emmanuel Macron en 2022, en présence du Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire, du Ministre du Travail et du Plein Emploi Olivier Dussopt et du Ministre de la Fonction publique Stanislas Guérini.

Projet phare du second quinquennat d'Emmanuel Macron, il est d'une importance à la fois politique et sociale. Les motivations du gouvernement pour faire cette réforme des retraites, trop longtemps attendue, sont principalement financières même si Élisabeth Borne a arboré trois principes et pas simplement le premier : l'équilibre, la justice et le progrès.

L'équilibre, Olivier Dussopt en avait déjà touché un mot quelques heures auparavant, répondant à une question de la députée FI Clémence Guetté lors de la première séance des questions au gouvernement de l'année : « Vous doutez de l’urgence de la réforme. Oui, il y a urgence, madame. Il y a urgence parce que le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), composé des partenaires sociaux, démontre que, dès 2027, le déficit s’élèvera à 12,5 milliards d’euros, puis à 15 milliards dès 2030, 20 milliards en 2035 et 25 milliards en 2040. Si vous considérez qu’il n’y a pas urgence, c’est parce que vous acceptez le risque de casser le régime des retraites pour nos enfants et de leur léguer un système de protection sociale au rabais : ils seront assommés par la dette et étouffés par les impôts. Nous, nous considérons que l’équilibre est nécessaire, que le premier rail de protection et de solidarité, c’est de sauver le système par répartition. Ensuite, vous parlez des mesures que nous annoncerons tout à l’heure. Mais vous parlez sans savoir et vous pensez sans penser ! Vous êtes le seul groupe à n’avoir formulé aucune proposition, aucune solution alternative, à ne pas avoir participé aux concertations et à ne pas vouloir jouer le jeu du dialogue républicain. Nous mènerons cette réforme pour les Français, pour nos enfants et petits-enfants, sans sombrer dans la démagogie qui est la vôtre. La retraite à 60 ans, ce sont 85 milliards d’euros par an. Où les prenez-vous ? ».

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Ce qui est terrible, c'est que cette retraite à 60 ans est une bombe à retardement qui a été mise en place par François Mitterrand il y a quarante ans, alors qu'à l'époque, l'âge légal de départ à la retraite était 65 ans. Mais cet âge est un peu hypocrite puisqu'il y a aussi le nombre minimal d'annuités pour pouvoir prétendre à une retraite à taux plein. Pour ceux qui sont entrés tard dans la vie active parce qu'ils ont fait des études, l'âge légal, de toute façon, ne les concernait pas s'ils voulaient avoir une retraite à taux plein et cette réforme ne les impactera donc probablement pas.

Revenons à ce déficit. L'hypothèse du gouvernement a été un taux de 4,5% de chômage, soit le plein emploi. C'est une condition favorable au financement des retraites puisqu'il y a plus de cotisants qu'avec un chômage à un taux de 7%. Malgré cette hypothèse de départ très favorable, le déficit est là dès 2023. Si on laisse filer, en 2024, le déficit sera de 8,1 milliards d'euros ; en 2030, de 13,5 milliards d'euros ; et en 2050, de 43,5 milliards d'euros. Dans les dix prochaines années, sans réforme, les déficits cumulés atteindront un montant astronomique : 150 milliards d'euros !

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La raison est facile à expliquer : la pyramide des âges. La démographie permet d'anticiper sur une trentaine d'années. Mais aucun gouvernement n'a eu le courage, depuis trente ans et le livret blanc sur les retraites commandé par Michel Rocard, de faire une réforme pour pérenniser le système par répartition. Toutes ont colmaté les brèches, ont été des rustines précaires, pour une décennie. L'ambition du gouvernement est donc de consolider le système et pas, comme le crient les oppositions, de le détruire. En 1970, il y avait plus de 3 cotisants pour 1 retraité. En 2002, 2,1 cotisants pour 1 retraité. En 2022, seulement 1,7 cotisant pour 1 retraité. Et en 2040, il y aura 1,5 cotisant pour 1 retraité. En 2040, il y aura 20 millions de retraités (aujourd'hui, 17 millions) pour une population active stabilisée à 30 millions de personnes.

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Si on compare avec nos voisins européens, non seulement les retraités français restent en moyenne plus longtemps à la retraite, mais leur niveau de vie est meilleur que la plupart de leurs voisins. C'est normal : la France vit au-dessus de ses moyens. Qui paie ? Les générations qui suivent, par la dette de l'État monumentale qui fait payer les retraites doublement par les jeunes, par leurs cotisations (répartition) et par l'impôt (dette à rembourser d'une manière ou d'une autre).

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Tous nos voisins ont repoussé l'âge légal, parfois jusqu'à 67 ans, voire 68 ans au Royaume-Uni et 70 ans en Italie.

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Le contenu de la réforme est donc le suivant : la réforme concernera toutes les personnes nées après le 31 août 1961. L'âge légal passera de 62 ans à 64 ans, progressivement de 2023 à 2030 (3 mois tous les ans). Parallèlement, le nombre d'annuités (années de cotisation retraite) nécessaires pour avoir le taux plein passera progressivement de 42 (actuellement) à 43 en 2027 (au lieu de 2035, ce que prévoyait la réforme Touraine adoptée en 2014).

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Le gouvernement a calculé deux autres hypothèses pour éviter les déficits sans toucher à l'âge légal : une augmentation des cotisations, mais cela signifierait que pour maintenir l'équilibre financier, un actif devrait cotiser en plus (en moyenne) 400 euros par an en 2027 et 550 euros par an en 2032. Autre idée, diminuer le niveau des pensions : pour préserver l'équilibre, cela signifierait en moyenne une baisse des pensions de plus de 700 euros par an en 2030. Le choc le moins rude pour conserver le système par répartition, c'est donc bien de travailler un peu plus et prendre sa retraite un peu plus tard, comme partout ailleurs.

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Mais il y a des compensations. Car effectivement, le minimum retraite sera revalorisé à 85% du SMIC (soit 1 200 euros brut par mois), ce qui reste faible mais supérieur à la situation actuelle (environ 300 euros de plus par mois). Les femmes bénéficieront plus que les hommes de cette hausse en raison des carrières parfois interrompues par la maternité.

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L'un des enjeux cruciaux reste l'emploi des seniors (des personnes de plus de 55 ans). L'objectif est évidemment que les entreprises gardent leurs salariés plus longtemps en fin de carrière, même s'ils "coûtent" plus cher. Ainsi, un indice sur la part des seniors parmi les salariés sera instauré dans les grandes entreprises, mesure qu'a contestée le Medef. Plus tard à la télévision, Élisabeth Borne a dit : « Je suis confiante sur le fait qu'on doit être capable d'accompagner les seniors. Et vous savez, plus généralement, je pense que c'est un vrai sujet de société pour nous de reconnaître la place des seniors dans les entreprises. ».

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Parmi les nombreuses autres mesures annoncées par Élisabeth Borne, il y a l'âge à partir duquel la retraite sera à taux plein même si on n'a pas fait toutes les annuités nécessaires : cet âge ne varie pas et reste à 67 ans. Pour les carrières longues, l'âge de départ à la retraite est différent. Ainsi, pour ceux qui ont commencé à travailler avant 16 ans, c'est 58 ans (actuellement, c'est deux ans plus tard), entre 16 et 18 ans, c'est 60 ans et entre 18 et 20 ans, c'est 62 ans. Des conditions particulières sont réservées à ceux dont la pénibilité dans le travail est forte, ou à ceux qui sont en situation d'invalidité (pour eux, 62 ans), pour les personnes en situation de handicap, l'âge reste à 55 ans. Ceux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle pourront partir à la retraite deux ans avant l'âge légal.

Il est mis en place aussi du fonds de reconversion pour changer de métier si le métier d'origine est pénible afin de poursuivre sa carrière dans un métier aux conditions moins difficiles à cause de l'âge.

Deux autres principes inspirent cette réforme. La justice correspond à la fin de certains régimes spéciaux qui ne se justifient plus... fin uniquement pour les nouveaux embauchés qui rejoindront le régime général des retraites, et le progrès social. En effet, il y a l'augmentation du minimum vieillesse, mais aussi la prise en compte des congés parentaux dans le calcul des annuités, ainsi que la validation des trimestres pour les proches aidants d'une personne en dépendance.

D'autres mesures très ciblées donnent une plus grande coloration sociale, mais sont inaudibles pour les syndicats qui ne voient que l'âge légal repoussé. Par exemple, le cumul emploi-retraite sera créateur de nouveaux droits à la retraite (ce qui n'est pas le cas actuellement).

Avec la réforme présentée par Élisabeth Borne, le déficit des retraites sera résorbé en principe en 2030 sans réduire le pouvoir d'achat des retraités.

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Après sa présentation, Élisabeth Borne a été l'invitée du journal de 20 heures sur France 2 pour répondre aux questions d'Anne-Sophie Lapix. Elle a déclaré : « On va devoir progressivement travailler plus longtemps et je mesure ce que ça représente pour beaucoup de Français. ».

Dans les réactions, sans surprise, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont cherché à être le meilleur opposant au gouvernement. Marine Le Pen a exprimé sa « détermination à faire barrage », tandis que Jean-Luc Mélenchon a dénoncé une « grave régression sociale ». De même, les syndicats se sont donnés rendez-vous le jeudi 19 janvier 2023 pour manifester massivement contre la réforme.

Plus intéressante était la réaction du groupe LR. En effet, les députés LR étaient divisés sur le comportement à adopter : favorables à la retraite à 64 ans, ils ne voudraient toutefois pas se montrer comme des supplétifs du macronisme.

Quelques heures avant la conférence de presse d'Élisabeth Borne, le président du groupe LR Olivier Marleix a fait passer le message lors des questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale : « La réforme que nous voulons tient en quelques principes. D’abord, elle doit être progressive : le recul de l’âge de départ ne doit intervenir qu’au rythme d’un trimestre par an jusqu’à 63 ans à la fin de ce quinquennat, 64 ans lors du suivant. Ensuite, elle doit être juste et permettre à celui qui a commencé plus tôt de partir à la retraite plus tôt dès lors qu’il a tous ses trimestres. Elle doit aussi être équitable en demandant le même effort à tous les Français, qu’ils relèvent du public, du privé ou des régimes spéciaux. Enfin, soyons clairs, il est hors de question que l’État s’empare des réserves du privé. L’argent des retraites doit aller aux retraités et à eux seuls. Par-dessus tout, il faut réparer une injustice : je veux parler de celle qui concerne ces 2 millions de retraités qui ont cotisé toute leur vie, qui ont travaillé dur, qui ont des carrières complètes, souvent des femmes, des commerçants, des artisans, et qui perçoivent des pensions de retraite de seulement 900 euros par mois. C’est indigne d’un grand pays comme le nôtre. Êtes-vous prête, madame la Première Ministre, à leur garantir une retraite minimum de 1 200 euros à eux aussi et pas seulement aux futurs retraités ? Je vous le dis très clairement, c’est pour nous une condition impérative ! ». Message bien reçu. Élisabeth Borne ne lui a pas répondu précisément car elle allait le faire à Matignon.

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La réforme Borne a convaincu le groupe LR puisque Olivier Marleix a semblé satisfait : « Nous avons été entendus sur le rythme de l'application des 64 ans et la retraite à 1 200 euros y compris pour les retraités actuels (…). Nous prenons acte que la Première Ministre a entendu un certain nombre de demandes, la première et la plus importante est que le rythme ne soit pas brutal. ». Toutefois, certains députés LR ont précisé qu'il y a encore des champs d'amélioration, notamment sur les carrières longues, considérant qu'après 43 annuités, on devrait pouvoir prendre sa retraite même si c'est avant l'âge légal. La plupart des députés LR qui se sont exprimés ont insisté sur le fait qu'Emmanuel Macron aurait abandonné sa réforme brutale et simpliste de retraite à 65 ans et que cela ouvrirait donc la possibilité d'un accord entre LR et le gouvernement. Dans cette histoire, LR souhaite être le défenseur du Français qui travaille et qui a de faibles revenus.

Ce qui paraît assuré désormais, et ce n'était pas clair jusqu'à maintenant, c'est que la réforme des retraites pourra certainement être adoptée à l'Assemblée Nationale sans saisir l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. En effet, la majorité et le groupe LR constituent une majorité absolue très large qui ne devrait pas être impactée par la position de quelques députés LR réfractaires (je pense en particulier à Aurélien Pradié).

Reste la rue pour la gauche et les organisations syndicales. La mobilisation sera-t-elle inversement proportionnelle à la certitude que les protestations seront inutiles puisque le gouvernement disposera probablement d'une majorité ? Nous ne sommes plus en 1995 et les Français, bien que, dans les sondages, majoritairement contre le principe de travailler plus (qui voudrait travailler plus sans compensation ?), se montreront sans doute responsables et les arguments du gouvernement auront de quoi convaincre. L'avenir de notre modèle social se joue en 2023.


Aussi sur le blog.

 
Sylvain Rakotoarison (10 janvier 2023)
http://www.rakotoarison.eu


(Tous les tableaux et figures proviennent du dossier sur les retraites publié par le gouvernement le 10 janvier 2023 et téléchargeable ici).


Pour aller plus loin :
Dossier des retraites du gouvernement publié le 10 janvier 2023 (document à télécharger).
Conférence de presse de la Première Ministre Élisabeth Borne le 10 janvier 2023 à Matignon (texte intégral et vidéo).
Comprendre la réforme des retraites présentée par Élisabeth Borne ce mardi 10 janvier 2023.
Élisabeth Borne.
Le non-totem d'Élisabeth Borne sur les retraites.
Vœux 2023 d’Emmanuel Macron : l'impératif d'unité de la Nation.
La réélection d'Emmanuel Macron.
Sobriété énergétique : froid et fatigue chez les députés !
Incident à l'Assemblée : la sanction disciplinaire la plus lourde de la Ve République !
3 motions de censure pour le prix de 2 articles 49 alinéa 3 !
La menace de la dissolution.
Pas de session extraordinaire en septembre 2022.
L’invective en commun : la motion de posture de Mélenchon est rejetée !
Baptême du feu pour Élisabeth Borne : et maintenant, au travail !
Discours de politique générale d’Élisabeth Borne le 6 juillet 2022 à l’Assemblée Nationale (vidéo et texte intégral).
L’Assemblée Nationale en ordre de bataille pour la XVIe Législature.
Gouvernement Élisabeth Borne I.2 : resserrement des liens de la majorité présidentielle (Ensemble).
Composition du gouvernement Élisabeth Borne I.2 du 4 juillet 2022 (communiqué de l’Élysée).
La composition sans beaucoup de surprises du premier gouvernement d’Élisabeth Borne.
Élisabeth Borne, déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et maladresse politique.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230110-elisabeth-borne.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/01/11/39776373.html




 

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