« Je ne peux m’empêcher d’observer que si, par hypothèse, les circonstances de la vie m’avaient fait archevêque, on évoquerait aujourd'hui mes origines avec tact, sans insinuation perfide. » (Henri Krasucki, le 18 janvier 1987).
Le syndicaliste communiste Henri Krasucki est mort à Paris il y a vingt ans, le 24 janvier 2003, à l'âge de 78 ans (il est né le 2 septembre 1924 près de Varsovie, en Pologne), des suites d'une très grave maladie. Syndicaliste, il a été le secrétaire général de la CGT (confédération générale du travail), syndicat très proche du parti communiste français (PCF), du 18 juin 1982 au 31 janvier 1992.
Henri Krasucki était un syndicaliste assez connu du grand public qui était à la CGT ce qu'était Georges Marchais au PCF. Ouvrier métallurgiste chez Renault avec un CAP d'ajusteur pour bagage (élève brillant ; ses parents auraient voulu qu'il fît de longues études), puis permanent de la CGT dès 1947 (il avait 23 ans), il était également membre de la direction du PCF (membre du comité central en 1956, membre du bureau politique en 1964). En 1961, il est entré au bureau confédéral de la CGT et a été pressenti en 1967 pour succéder à Benoît Frachon qui allait prendre sa retraite. Finalement, ce fut Georges Séguy (de deux ans et demi son cadet) qui fut désigné secrétaire général de la CGT.
Lors des Accords de Grenelle, Henri Krasucki a fait partie de la délégation de la CGT (avec notamment Benoît Frachon et Georges Séguy) pour les négociations les 25 et 26 mai 1968 avec le gouvernement représenté par Georges Pompidou (Premier Ministre), Jean-Marcel Jeanneney (Ministre des Affaires sociales), Jacques Chirac (Secrétaire d'État aux Affaires sociales), et Édouard Balladur (conseiller à Matignon). André Bergeron a conduit la délégation de Force ouvrière et d'autres syndicats furent représentés, en particulier la CFDT, la CFTC, la CGC et la FEN, ainsi que le patronat français (CNPF) et les PME. Jacques Chirac et Henri Krasucki se sont rencontrer discrètement pour réussir ces négociations.
Au 41e congrès de la CGT à Lille, du 13 au 18 juin 1982, Henri Krasucki fut élu secrétaire général de la CGT, prenant la succession de Georges Séguy, contesté par certains pour sa volonté d'un peu démocratiser le syndicat. La CGT se trouvait dans un moment critique. La gauche socialo-communiste était au pouvoir depuis un an (le Premier Ministre et maire de Lille Pierre Mauroy avait ouvert le congrès avec un discours de bienvenue) et les effets désastreux de sa politique économique allaient se faire sentir à la CGT avec une désindustrialisation croissante et une montée rapide du chômage. Inféodée au PCF qui avait quatre ministres au gouvernement, la CGT ne pouvait pas s'opposer frontalement au gouvernement. Ainsi, des voix s'élevaient pour dissocier la CGT du pouvoir et préserver son indépendance syndicale.
Le soutien de la CGT aux réformes du gouvernement était d'autant moins évident que depuis justement ce mois de juin 1982, le Président François Mitterrand a renversé la vapeur et commencé une politique de rigueur afin de sauver la monnaie. Le départ des ministres communistes en juillet 1984, après la démission de Pierre Mauroy de Matignon, a permis à la CGT de redevenir l'opposant social traditionnel du pouvoir. Henri Krasucki, à cet égard, était dans une ligne dure à coup de grèves et de manifestations (Georges Séguy voulait plutôt que la CGT restât neutre dans le conflit entre le PCF et le PS dans les années 1970 pour ne pas perdre d'adhérents).
Henri Krasucki a aussi pris un mandat international comme vice-président de la Fédération syndicale mondiale (FSM) qu'allait quitter la CGT en 1995. L'indépendance de la CGT vis-à-vis du PCF s'est accrue à la fin des années 1980 (en 1986, la CGT continuait encore à recevoir des fonds issus de l'URSS), ce qui a entraîné une chute moins sévère des syndiqués de la CGT par rapport aux adhérents du PCF, après l'effondrement de l'URSS.
Au 44e congrès de la CGT à Montreuil, du 26 au 31 janvier 1992, Louis Viannet, entré au bureau confédéral en juin 1982, a succédé à Henri Krasucki au secrétariat général. Ce dernier se retira également du bureau politique du PCF en 1994 et du comité central du PCF en 1996. En janvier 2003, à la mort du syndicaliste, l'ancien secrétaire général du PCF Robert Hue lui a rendu cet hommage : « Toute sa vie, Henri aura été d'une fidélité absolue à la cause des humbles, des exploités, des opprimés. ».
Henri Krasucki était souvent moqué par les humoristes, en raison de son ton qui pouvait faire penser au sketch de Bourvil sur l'eau ferrugineuse (écrit par Roger Pierre). Il a été pastiché notamment par le Bébête Show sous forme d'un crabe, pour faire le jeu de mot Crabe Zuki. L'une des raisons de ce "Krasu-bashing" était qu'il était mal à l'aise avec les grands nombres et se trompait souvent, comme le 12 octobre 1989 (voir vidéo).
Cette réputation d'inculte était plutôt injuste car Henri Krasucki était au contraire un homme très cultivé, qui adorait les opéras, se passionnait pour la musique, et qui, au milieu des années 1960, avait justement, aux côtés de Roland Leroy et de Louis Aragon, fait tourner le PCF vers les intellectuels, les artistes, les scientifiques, etc. (avec succès) afin d'accroître sa zone d'influence.
Le 9 février 1999, dans l'une de ses dernières interventions publiques, il martelait : « Il n'y a pas une musique pour une élite et une musique pour les roturiers. Il y a une musique pour tout le monde : c'est LA musique. ». Le même jour dans le journal "L'Humanité", il témoignait : « La musique a accompagné tous les moments forts de ma vie. Dans le camps annexe d'Auschwitz où j'échouai (…), je fis la connaissance d'un violoniste belge qui avait réussi à garder son instrument. Dans des moments très fugitifs, il jouait des thèmes de Mozart. Alors, la paix s'installait. ».
Car c'est probablement cette autre face d'Henri Krasucki qui a amené toute la classe politique, y compris ses adversaires politiques, à lui rendre un hommage appuyé lors de sa disparition. En effet, d'origine polonaise et juive, il est arrivé en France quand il était enfant (et a été naturalisé français en 1947).
Au début de la guerre, Henri Krasucki a dû quitter l'école à cause de son père communiste qui devait rester clandestin. Devenu ouvrier en 1940 dans la région parisienne, il s'est engagé dans les jeunesses communistes. Dès août 1941 (il n'avait pas encore 17 ans), Henri Krasucki a fait de la résistance. Son père a été arrêté le 20 janvier 1943 , déporté à Auschwitz-Birkenau par le convoi du 9 février 1943 et assassiné dans une chambre à gaz à son arrivée le 13 février 1943. Henri Krasucki fut lui-même arrêté le 23 mars 1943, comme sa mère et sa sœur et fut torturé par la police française avant d'être déporté avec sa mère et sa compagne (Paulette Sliwka) à Auschwitz-Birkenau par le convoi du 23 juin 1943. Seulement 86 personnes ont survécu à ce convoi qui a transporté plus de 1 000 personnes. Henri Krasucki fut ensuite transféré en janvier 1945 à Buchenwald car les nazis tentaient de fuir les Alliés. Il en a réchappé et a pu revenir en France le 28 avril 1945. Paulette Sliwka, après Auschwitz, a été transférée à Ravensbrück puis Neustadt-Glewe et a été libérée le 2 mai 1945.
Ainsi, il commençait la vie active à 20 ans avec une expérience dramatique de la résistance et des camps d'extermination. C'est sans doute cet homme-là plus que le seul syndicaliste que la mairie de Paris a honoré en inaugurant le 23 juin 2005 la Place Henri-Krasucki dans le vingtième arrondissement, pas loin de la rue des Couronnes où il habitait.
Henri Krasucki devait parfois se justifier sur son origine polonaise. Ainsi, lors de l'émission politique "Le Club de la presse" diffusée en direct le dimanche 18 janvier 1987 sur Europe 1, son patriotisme mis en cause par un journaliste, il s'est comparé à Mgr Jean-Marie Lustiger, dont les parents, comme les siens, étaient des Juifs polonais, et aussi à Michel Poniatowski, descendant de princes polonais : « Mes origines n’ont rien d’extraordinaire (…). Il se trouve d’ailleurs qu’elles sont les mêmes que celles du cardinal archevêque de Paris. Ses parents et les miens ont, à peu d’années d’intervalle, vécu la même histoire, bien qu’avec des idées différentes. Je ne peux m’empêcher d’observer que si, par hypothèse, les circonstances de la vie m’avaient fait archevêque, on évoquerait aujourd'hui mes origines avec tact, sans insinuation perfide. Et si je comptais parmi mes ancêtres quelques grands princes polonais, alors là… ». Ce qui dénotait un certain humour...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 janvier 2023)
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Pour aller plus loin :
Henri Krasucki.
Edmond Maire.
François Chérèque.
Georges Séguy.
Marc Blondel.
André Bergeron.
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