« Les ministres (…) doivent avoir la vision, la capacité à diriger leur administration, à porter des textes au Parlement. » (Élisabeth Borne, juillet 2023).
Le non-événement politique de cette semaine a eu lieu ce jeudi 20 juillet 2023, le fameux remaniement ministériel, tant attendu par les journalistes, les journalistes seuls car les Français s'en moquaient un peu. Attendu aussi avec beaucoup de stress par les ministres et les ministrables. Après avoir confirmé Élisabeth Borne à Matignon le 17 juillet 2023 par un simple tweet, le Président Emmanuel Macron a réuni l'ensemble du gouvernement à dîner à l'Élysée le 18 juillet 2023, une occasion de dire à son équipe gouvernementale : « Dans une vie antérieure, j'ai été à votre place et je sais que ces moments ne sont jamais agréables. Il faut prendre beaucoup de distance. » (selon "Politico"). Et il l'a félicitée : « On peut collectivement être très fiers de ce qui a été fait ces derniers mois. L'année a été très chargée. ».
On ne pouvait pas faire plus discret pour ce quatrième remaniement ministériel du premier gouvernement d'Élisabeth Borne : aucune déclaration officielle du Secrétaire Général de l'Élysée, quelques communiqués éparses pour expliquer les va-et-viens des ministères, parfois, c'était même une ministre qui a annoncé son propre limogeage (c'était le cas de Marlène Schiappa)... On ne pouvait pas plus désacraliser la nomination des nouveaux ministres, au risque de passer inaperçus en pleine période estivale.
Élisabeth Borne aurait préféré un remaniement beaucoup plus important afin de donner un nouvel élan politique. La nouvelle équipe gouvernementale se réunit ce vendredi 21 juillet 2023 en fin de matinée à l'Élysée pour un premier conseil des ministres et, en principe, le Président de la République s'exprimera aux Français sous une forme encore non déterminée, avant de repartir en déplacement. L'objectif est de clore cette période de cent jours amorcée le 17 avril 2023 (elle court jusqu'au 26 juillet 2023) afin de donner un sens à la politique du gouvernement.
Mais la principale tâche du gouvernement est connue depuis longtemps, elle sera l'examen des projets de loi de finances 2024, épreuve toujours ardue lorsqu'on ne dispose pas de majorité absolue. La loi sur l'immigration sera aussi un élément critique, puisque le président du groupe LR (charnière) Olivier Marleix a menacé de déposer une motion de censure sur le sujet si le gouvernement ne l'écoute pas (motion de censure qui risque d'être adoptée par toutes les oppositions). Pour l'heure, les deux ministères qui préparent la rentrée, l'Éducation nationale et le Budget, ont changé de titulaire.
Mais ce qui en ressort politiquement est principalement (et presque exclusivement) la brillante promotion de Gabriel Attal, bombardé à 34 ans Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, le plus jeune ministre à ce ministère depuis au moins soixante-cinq ans. Même Éric Coquerel, député FI et président de la commission des finances de l'Assemblée Nationale, a expliqué que Gabriel Attal serait probablement un bon ministre, car, selon lui, il était déjà très bon à Bercy, comme Ministre délégué chargé des Comptes publics (en d'autres termes, chargé du Budget, poste stratégique dans une carrière politique pour les grandes ambitions : Valéry Giscard d'Estaing, Robert Boulin, Jacques Chirac, Christian Poncelet, Laurent Fabius, Henri Emmanuelli, Alain Juppé, Michel Charasse, Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, Éric Woerth, François Baroin, Valérie Pécresse, Jérôme Cahuzac, Bernard Cazeneuve, Gérald Darmanin, Olivier Dussopt, etc., mais aussi Maurice Rouvier, Pierre Tirard, Raymond Poincaré, Alexandre Ribot, Paul Doumer, Joseph Caillaux, Frédéric François-Marsal, Edgar Faure).
Gabriel Attal, à Bercy, a su exister malgré la prééminence du Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire, mais sans lui faire de l'ombre. Il a été le meilleur ministre qui a défendu la réforme des retraites dans l'hémicycle, qui a bataillé contre les nombreux députés de l'opposition sur ces textes stratégiques (finances et retraites).
Conseiller municipal de Vanves depuis 2014, Gabriel Attal a commencé sa carrière politique en militant au PS. Conseiller technique dans la cabinet de Marisol Touraine, Ministre de la Santé, de 2012 à 2017, il a rejoint le staff de campagne d'Emmanuel Macron en 2016. Élu député de Paris en juin 2017 (réélu en juin 2022), Gabriel Attal a été nommé Secrétaire d'État auprès de Jean-Michel Blanquer chargé de la jeunesse du 16 octobre 2018 au 6 juillet 2020 (il connaît donc bien ce ministère), porte-parole du gouvernement du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022, pendant la pandémie de covid-19, enfin Ministre délégué chargé des Comptes publics du 20 mai 2022 au 20 juillet 2023.
Très politique, il est une révélation du premier quinquennat d'Emmanuel Macron et son accession à un ministère important, septième dans l'ordre protocolaire, le place parmi les ministres essentiels de la Macronie, et l'un des très rares, avec Olivier Véran et Olivier Dussopt, à être d'origine de gauche (socialiste). Gabriel Attal nourrirait l'ambition d'être candidat à la mairie de Paris pour 2026, avant une ambition... disons plus élyséenne.
Dans un article publié dans l'hebdomadaire "Le Point" le 18 juillet 2023 (avant le remaniement), la journaliste Nathalie Schuck évoquait l'ambition dévorante du nouveau ministre : « Gabriel Attal a intégré une donnée majeure, qu'il met en application depuis quelques mois : pour durer en politique, il faut avoir une colonne vertébrale, un corpus idéologique, bref des idées, pas seulement être un sniper de plateaux télévisés. Depuis le débat sur la réforme des retraites, où on l'a beaucoup vu monter au créneau, il a commencé à opérer une discrète mue politique dans l'objectif non avoué de s'affranchir petit à petit de la Macronie et de monter sa propre boutique pour la suite. Le jeune ministre a ainsi surpris en proposant de faire la chasse aux fraudeurs fiscaux chez les plus riches et la chasse aux fraudeurs sociaux qui abusent de la carte vitale. Ce faisant, il a pris le risque, assumé, d'égratigner une image beaucoup trop lisse avec des propositions au canon, "populistes", qui éreintent ses détracteurs. Son objectif, dit-il : parler aux classes moyennes tentées par le vote Rassemblement national. (…) Lorsqu'il était au lycée, ses copains de classe le surnommaient déjà "le président", parce qu'il était intarissable sur la politique. En classe de Terminale, ses camarades avaient même réalisé un photomontage de lui inspiré de la photo officielle de Georges Pompidou dans la bibliothèque de l'Élysée. Déjà, tout était dit. ».
Si le remaniement était si long, c'était aussi parce que le renouvellement de certains ministères clefs a été très difficile. En particulier pour l'Éducation nationale : l'ancien Premier Ministre Édouard Philippe a été sollicité, également l'ancien Président de l'Assemblée Nationale Richard Ferrand, mais aucun n'a accepté cette mission rude qui a souvent été impopulaire. Quant à François Bayrou, son affaire judiciaire (sur l'emploi de permanents du MoDem) le paralyse (son procès aura lieu cet automne).
En arrivant à ce ministère, Gabriel Attal jouit d'une excellente image auprès des Français (deuxième ministre le plus populaire), et il n'a jamais manqué de courage pour affronter les combats difficiles. Volontariste, il est un protégé du Président de la République. Il a remplacé Pap Ndiaye qui n'a pas démérité mais qui a eu ce reproche d'invisibilité médiatique (trop intellectuel, il n'a pas su rentrer dans l'arène médiatique).
Les autres nominations (et départs) confortent la professionnalisation des ministres : exit les "candides" de la "société civile" qui n'ont pas été capable de défendre leur action ministérielle auprès des parlementaires et auprès des médias, et arrivée de responsables politiques chevronnés, même si certains sont encore jeunes, mais très à l'aise dans la communication politique, dans le combat contradictoire et dans la défense de la politique du gouvernement.
Ainsi, François Braun, médecin égaré au Ministère de la Santé et de la Prévention, n'a jamais su se familiariser avec les coutumes de la vie politique. Pour lui succéder, ce n'est pas un homme politique pourtant, mais un technocrate, qui connaît bien la vie politique : Aurélien Rousseau, qui venait de démissionner de son poste de directeur de cabinet d'Élisabeth Borne pour, en principe, diriger la Caisse des dépôts, et qui s'est vu, lui aussi, bombarder ministre plein à la Santé et à la Prévention. Cet ancien professeur d'histoire géo communiste passé par l'ENA et le Conseil d'État connaît bien le domaine de la santé puisqu'il a été trois ans directeur de l'ARS d'Île-de-France pendant la période du covid-19 (entre juillet 2018 et août 2021).
Autre consécration pour une députée qui n'a jamais cessé de se rêver ministre, Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l'Assemblée Nationale, a été nommée à 36 ans Ministre des Solidarités et des Familles en remplacement de Jean-Christophe Combe, elle est donc arrivée par la grande porte au gouvernement, et sera probablement chargée, si c'est une priorité du gouvernement, de la grande loi sur la dépendance. Par ailleurs, cela permet de la remplacer à la présidence du groupe par une personnalité plus consensuelle au sein de la majorité, sans doute par Sylvain Maillard.
Un proche d'Emmanuel Macron, le député de Bordeaux Thomas Cazeneuve, a pris la succession de Gabriel Attal comme Ministre délégué chargé des Comptes publics. Le député très expérimenté du MoDem Philippe Vigier est nommé Ministre délégué chargé des Outre-mer en remplacement de Jean-François Carenco.
Olivier Klein, Isabelle Lonvis-Rome, Marlène Schiappa et Geneviève Darrieussecq ont quitté le gouvernement, tandis que le maire de Dunkerque Pierre Vergriete a été nommé Ministre délégué chargé du Logement et la députée de Marseille Sabrina Agresti-Roubache a été nommée Secrétaire d'État chargée de la Ville, tous les deux pour remplacer l'ancien maire PS de Clichy-sous-Bois évincé Olivier Klein qui n'avait pourtant pas démérité pendent les émeutes urbaines.
La très médiatique députée Prisca Thevenot a fait son entrée au gouvernement comme Secrétaire d'État à la Jeunesse et au Service national universel. Elle a succédé à Sarah El Haïry qui est devenue Secrétaire d'État chargée de la Biodiversité. Autre arrivée, celle la présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale, très appréciée, Fadila Khattabi, qui a été nommée Ministre déléguée chargée des Personnes handicapées. Quant à elle, en charge de l'Écologie, Bérangère Couillard a changé de ministère et a rejoint Matignon comme Ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations (remplaçant Isabelle Lonvis-Rome).
Globalement, ce remaniement a donc remplacé des non-politiques par des politiques. Il devrait donc être plus combatif dans les débats parlementaires de la rentrée. Les nombreux changements de sous-ministres entrants et sortants sans notoriété ne confortent cependant pas le message politique du Président de la République. Il restera seulement l'arrivée de Gabriel Attal dans un ministère très exposé, qui bénéficie d'un préjugé favorable, et aussi de combattantes médiatiques comme le sont, entre autres, Aurore Bergé et Prisca Thevenot.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le 4e remaniement ministériel du premier gouvernement d'Élisabeth Borne du 20 juillet 2023.
Gabriel Attal.
Pap Ndiaye.
Élisabeth Borne.
Emmanuel Macron.
Un Président réélu.
La réforme des retraites.
Brigitte Macron.
Rima Abdul-Malak.
Claude Malhuret.
Robert Badinter.
Olivier Véran.
Aurore Bergé.
Olivier Dussopt.
Bruno Le Maire.
François Bayrou.
Caroline Cayeux.
Sacha Houlié.
Christophe Béchu.
Agnès Pannier-Runacher.
François Braun.
Jean-Louis Bourlanges.
Jean-Yves Le Drian.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230720-remaniement.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/07/21/39981019.html