« Dans le plus grand secret, le chef de l'État l'a (…) décoré du titre de héros de la Russie, l'une des plus hautes distinctions du pays, sans que l'on sache précisément à quoi est lié cet honneur. » (Pierre Avril, "Le Figaro" du 29 août 2018).
Le mandat du Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine se termine le 7 mai 2024, c'est-à-dire dans quelques mois. La Constitution russe, calquée sur la Constitution des États-Unis, interdit d'excéder deux mandats présidentiels successifs. Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 9 août 1999, comme Premier Ministre (Président du Gouvernement) ou comme Président de la Fédération (à partir du 31 décembre 1999), en est à son quatrième mandat. Jouant cyniquement le jeu constitutionnel, il a laissé son fidèle ectoplasme Dimitri Medvedev présider la Fédération de Russie du 7 mai 2008 au 7 mai 2012. Pendant ce temps, il a révisé la Constitution pour prolonger le mandat présidentiel de quatre à six ans.
Après sa réélection le 18 mars 2018, Vladimir Poutine a encore révisé la Constitution en 2020 : annoncée le 15 janvier 2020, votée par la Douma d'État le 10 mars 2020 et ratifiée par référendum le 1er juillet 2020 par 77,9% des voix, cette révision confirme la possibilité, pour les Présidents actuels ou anciens, de se représenter encore deux fois de suite à l'élection présidentielle. Cette remise à zéro des compteurs, sans justification sinon de convenance personnelle, permettrait à Vladimir Poutine de rester à la Présidence jusqu'en mai 2036 (il aurait alors 83 ans).
Mais pour cela, il lui faudrait encore franchir deux élections présidentielles, en mars 2024 et en mars 2030. Or, depuis 2018, il est ouvertement contesté par une opposition réelle et par la remise en cause de la sincérité des scrutins (fraudes, inégalité des candidats, mainmise de la presse et des médias, etc.). Si cette contestation a été encore plus étouffée depuis le début de la tentative d'invasion de l'Ukraine le 24 février 2022, la situation politique reste encore pleine d'incertitude, d'autant plus depuis quelques semaines avec cette tentative de putsch du milicien Evgueni Prigojine.
Le régime autoritaire de Poutine a réduit les possibilités pour sa succession. Aucun leader de l'opposition ne peut réellement s'imposer parce que personne n'a la possibilité de développer ses propres idées. Quant aux pro-Poutine, beaucoup de démocraties avaient espéré, il y a plus d'une dizaine d'années, que Dimitri Medvedev serait un successeur idéal : jeune et dynamique à l'époque, aux idées libérales et ouvertes, il a tenu un rôle inédit dans l'histoire institutionnelle en général, pas seulement en Russie, puisqu'il a été Président fondé de pouvoirs en 2008, puis Premier Ministre en 2012, en clair, il a constitué un étonnant binôme au sommet de l'État russe (jusqu'au 16 janvier 2020 où il a été limogé puis nommé vice-président du Conseil de sécurité). Depuis la guerre en Ukraine, Dimitri Medvedev est devenu une sorte de caricature vociférante, forçant ses outrances par Twitter interposé, voulant se montrer plus belliciste que Poutine, n'hésitant pas à brandir l'arme nucléaire comme épée de Damoclès.
La tenue d'une élection présidentielle avec Poutine comme candidat dans neuf mois n'est pas évidente, même avec des éventuelles fraudes, car dans le contexte de la guerre en Ukraine, un enlisement de la Russie (qui est un fait, puisqu'elle dure déjà près d'un an et demi), l'impopularité grandissante de Poutine est un risque de troubles majeurs (dont la tentative de putsch de Wagner était un premier signe). De plus, l'âge (il aura 71 ans) ferait qu'à sa fin de mandat, il aurait 77 ans, ce qui s'apparenterait aux vieux gérontes de l'époque postbrejnévienne.
L'hypothèse d'un dauphin n'est donc pas à exclure, d'autant plus que le 22 décembre 2020, Vladimir Poutine a fait adopter une loi confortable qui interdit à la justice de poursuivre tout ancien Président ou ses proches, tant pénalement que civilement : il ne peut être ni arrêté, ni interrogé par la justice, ni subir une perquisition par la police. Une manière particulière de préparer une retraite paisible (à condition de ne pas quitter le territoire russe !). On aimerait d'ailleurs que les poutinolâtres français qui ne cessent de vouloir juger et condamner Emmanuel Macron expliquent leur logique et celle de cet abus d'exception à la justice russe.
En fait, il n'y a pas beaucoup d'hommes de confiance (il s'agit bien d'hommes et pas de femmes) du pouvoir qui pourraient succéder à Poutine. Un homme se détache et revient dans les hypothèses actuelles : Sergueï Kirienko (61 ans), qui est l'actuel premier vice-président (ou premier directeur général adjoint) de l'Administration présidentielle chargé des affaires de politique intérieure. Sans trop simplifier, on pourrait dire qu'il occupe l'équivalent russe du poste de Secrétaire Général de l'Élysée en France, c'est-à-dire un (très) haut fonctionnaire qui a la confiance du chef de l'État et qui supervise toutes les affaires politiques de la Présidence. Il a été nommé à ce poste stratégique le 5 octobre 2016 en remplacement de Viatcheslav Volodine, député depuis décembre 1999, Vice-Premier Ministre du 21 octobre 2010 au 27 novembre 2011, et élu Président de la Douma d'État le 5 octobre 2016 (poste qu'il occupe encore aujourd'hui). Avant Volodine, c'était Vladislav Sourkov qui occupait ce poste stratégique.
À l'époque de sa nomination en octobre 2016, puis en 2018, on avait beaucoup parlé de Sergueï Kirienko déjà comme un potentiel successeur de Vladimir Poutine, surtout parce qu'il était chargé de préparer l'élection présidentielle de mars 2018 et qu'après cette élection, d'un point de vue purement constitutionnel, Poutine ne pouvait plus se représenter une cinquième fois en mars 2024.
Au-delà du présent, c'était aussi son passé qui était scruté et c'est bien sûr la surprise pour beaucoup de monde car Sergueï Kirienko a fait partie des hauts responsables des premiers pas de la Russie post-soviétique. En effet, après le départ de l'indéboulonnable Viktor Tchernomyrdine, le Président russe Boris Eltsine a voulu nommer Sergueï Kirienko qui a donc été Premier Ministre (Président du Gouvernement) du 23 mars 1998 au 23 août 1998. À l'époque, il avait 35 ans et faisait partie de ces libéraux trentenaires avec beaucoup d'avenir sous Eltsine, aux côtés d'un ancien Premier Ministre Egor Gaïdar et de deux Vice-Premiers Ministres Anatoli Tchoubaïs et Boris Nemtsov, tous les trois (c'est-à-dire Kirienko, Tchoubaïs et Nemtsov) considérés comme héritiers potentiels de Boris Eltsine (Gaïdar est mort mystérieusement, Nemtsov a été assassiné en plein centre de Moscou, et Tchoubaïs est devenu un oligarque milliardaire, qui aurait cependant quitté la Russie depuis la guerre en Ukraine).
Si Ego Gaïdar a été sans doute la plus impopulaire des personnalités politiques de l'après-URSS, Sergueï Kirienko n'a pas non plus brillé par une forte popularité : poussé par Eltsine, il a été rejeté deux fois par les députés de la Douma qui lui ont refusé leur confiance. Kirienko a réussi, après un mois de négociations, à obtenir le 13 juillet 1998 du FMI un prêt de 22,6 milliards de dollars pour la Russie. Mais le krach boursier du 17 août 1998 à Moscou l'a obligé à dévaluer le rouble de 34% par rapport au dollar américain et d'interrompre le remboursement de la dette extérieure pendant trois mois. Le cours du rouble a toutefois continué à s'effondrer. Parce que les députés ont voulu la démission de Boris Eltsine, ce dernier a accepté de sacrifier Sergueï Kirienko le 23 août 1998 après seulement cinq mois à la tête du gouvernement russe.
Evgueni Primakov lui a succédé le 11 septembre 1998. Boris Elstine a usé encore deux Premiers Ministres (Primakov et Sergueï Stepachine) avant de nommer le chef de l'ex-KGB Vladimir Poutine à la Présidence du Gouvernement, le 9 août 1999, devenu l'héritier de "l'eltsinisme".
Avant d'être un possible successeur, Kirienko a donc été un prédécesseur de Poutine. Après sa démission du gouvernement, il a présidé à la Douma d'État un groupe parlementaire situé au centre droit de l'échiquier politique, avant de présider la très importante Agence fédérale de l'énergie atomique (Rosatom) de 2005 à 2016, ce qui en a fait un interlocuteur privilégié de Vladimir Poutine. Selon le correspondant du journal "Le Figaro" à Moscou, Pierre Avril, le 29 août 2018 : « Il a contribué au développement des armes nucléaires de dernière génération, dont Poutine a vanté la puissance dans son dernier discours à la nation. ». C'est sans doute la raison de sa décoration de héros de la Russie.
À son poste à responsabilité, Sergueï Kirienko a apporté à Vladimir Poutine, qui a tenu une allocution télévisée le 29 août 2018, l'argumentaire pour vendre la réforme des retraites en Russie, qui a fait reculer de cinq ans l'âge de départ à la retraite (là encore, on aimerait connaître la position des poutinolâtres français sur cette réforme des retraites et s'ils ont adopté la même attitude avec la réforme des retraites en France en 2023). Cette réforme, d'ailleurs, a été la principale cause de la chute de popularité de Poutine en 2018.
Aujourd'hui, on indique que c'est Sergueï Kirienko qui aurait ordonné l'arrestation par la police russe de l'ultranationaliste Igor Guikine le 21 juillet 2023, l'un des hommes clefs de l'annexion de la Crimée à la Russie et du séparatisme russe dans le Donbass (furtif ministre de la défense de la très virtuelle république de Donetsk, démis de ses fonctions le 14 août 2014 par Vladislav Sourkov), condamné par contumace le 17 novembre 2022 à la prison à perpétuité par la justice néerlandaise pour être à l'origine de la destruction le 17 juillet 2014 du vol MH17 de la Malaysia Airlines (ligne Amsterdam-Kuala Lumpur) qui a provoqué 298 morts. Un moyen comme un autre de montrer que Poutine serait un homme ...modéré.
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Sylvain Rakotoarison (22 juillet 2023)
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Vladimir Poutine : comment rester au pouvoir après 2024 ?
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230722-kirienko.html
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/kirienko-successeur-potentiel-de-249535
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/07/22/39983055.html